Madame, les conquérants, Alexandre et les autres mondes
sont causes de notre départ. Voilà, Monsieur, tout ce que je puis dire. (Sganarelle, “Dom Juan” Molière)
ACTE I
BÉA (des coulisses) Mais où j’ai bien pu les mettre ? Ça ne sert à rien d’en avoir autant si c’est pour les perdre sans arrêt. Bordel de dieu, c’est trop grand ici. Trop grand pour une pauvre femme seule. (elle entre) Mais ils ne m’auront pas ! Je ne partirai pas ! Je mourrai ici. Seule. Je préfère mille fois être seule que de me retrouver en foyer, pour dîner à l’heure du goûter avec des vieux, pour me coucher après le jeu télé. Au moins chez moi, je peux faire ce que je veux, je peux dire ce que je veux. Je peux fumer la pipe. Je peux péter. Je peux parler aux objets. Lunettes… Où êtes-vous ? Voyons Béa, réfléchis : la dernière fois que tu les avais sur le nez, c’était pour… préparer le déjeuner ? Non. Regarder la télé ? Vu les programmes, ça m’étonnerait. C’était il n’y a pas longtemps. Je lisais… le journal… un livre… le courrier !
Voilà. (elle chausse les lunettes qu’elle porte autour du cou) Ils écrivent de plus en plus petit. C’est pour m’emmerder. « Madame », bla bla… Ah, « c’est pourquoi la Villa Radieuse », n’importe quoi, « Villa Radieuse et tout son personnel vous accueilleront avec tous les égards… », ah ! « les égards dus à un hôte de marque. » Hôte de marque torturé à petit feu dans votre Villa foireuse. Et celle-là : bla bla… C’est mon propriétaire. « En conséquence, conformément à l’article 13 de la loi du 1er septembre 1948 portant modification et codification de la législation relative aux rapports des bailleurs et locataires ou occupants de locaux d'habitation ou à usage professionnel et instituant des allocations de logement (version consolidée au 28 avril 2012), le bail dérogatoire prendra fin à la réception des travaux de rénovation des parties communes de l’immeuble, à savoir dans un délai d’un mois. » Ah ! C’est tout ? Si tu crois que tu me mettras dehors avec tes menaces à deux balles. Même locataire, j’ai des droits.
Les propriétaires sont tenus d’entretenir l’immeuble, un point c’est tout. Depuis le temps, je la connais la loi de 48. Pour me mettre dehors, il faudrait qu’ils fassent des travaux d’agrandissement. Pour ça, une seule solution, ajouter des étages. Ils ne peuvent pas, l’immeuble est classé. Ah ! « De plus, l’installation d’une nouvelle douche privative, dans l’appartement dont vous ou vos ascendants êtes locataires depuis 1887, ayant entraîné des nuisances dans l’appartement mitoyen… » Des nuisances ! C’est le voisin qui débordait dans ma salle de bains. Elle est bonne celle-là.
Musique en sourdine.
Ça y est, ils recommencent. Dès qu’ils peuvent m’emmerder avec leur musique à la con. N’empêche, – c’était quand déjà ? l’année dernière – quand ils avaient dansé toute la nuit avec leurs chaussures à talons, j’ai appelé la police. Parfaitement. Et ils n’ont pas recommencé. Tapage nocturne. Ah ! Maintenant ils savent qu’ils ne peuvent pas faire du boucan la nuit. Ils se rattrapent la journée. Je m’en fous. Plus ils insistent, moins je m’énerve. Ça leur passera avant que ça me reprenne. Moi aussi j’aime la musique. (elle met un disque) Don Giovanni, c’est autre chose.
Sonnette de l’interphone.
Le coup de l’interphone, j’ai déjà donné. Sonne toujours, je n’attends personne.
Sonnette.
C’est ça, c’est ça…
« Bonjour madame, excusez-moi de vous déranger, je dois livrer un colis chez les Gantier. J’ai perdu le code, vous pouvez ouvrir ? » Tu n’as qu’à les appeler, ducon, je ne suis pas la gardienne. Je connais la chanson. Ils se font passer pour des fleuristes, des plombiers, des voisins qui oublient le code. Ils sonnent chez moi juste pour me faire chier. C’est mon propriétaire qui organise tout. Son père était un brave type – paix à son âme. Il me respectait et surtout il ne courait pas après l’oseille. Pas comme son dégénéré de fils. Depuis quatre ans qu’il a hérité de l’appartement, il a une obsession : le vendre. Il envoie des gens pénétrer chez moi, regarder partout. Et pendant que j’aurais le dos tourné, ils en profiteraient pour dévisser quelque chose. Ou pire, me violenter. Un jour, il a envoyé un faux médecin ! J’ai failli me faire avoir. J’ai donné le code. Mais quand il est arrivé sur le palier, je lui ai dit que « trop tard docteur, la madame elle est morte ». Qu’est-ce que j’ai rigolé.
Sonnette.
Y’en a marre ! Cette fois j’appelle les flics. Allo, la police ? Oui, bonjour… c’est bon. Bonjour monsieur. Je vous appelle pour une plainte. Comment, me déplacer ? Non, je veux porter plainte. Pour harcèlement. Parfaitement. Chez moi. Non, je suis seule. C’est mon propriétaire qui me harcèle. Mais pas du tout. Écoutez-moi. Personne ne me séquestre. Évidemment, je peux sortir ! Comment je fais les courses à votre avis ? La question n’est pas là. Je vous dis que je veux porter plainte. Si je peux porter mes courses, je peux porter ma plainte au commissariat ? Très fin, bravo. Ce n’est pas possible par téléphone ? Envoyez quelqu’un. Comme ça, il pourra constater sur place. Non je ne suis pas en danger. Je suis harcelée, je vous dis. Comment, insuffisant ?
Sonnette.
Vous entendez ? Vous n’entendez pas l’interphone ? Vous entendez la musique ? Mais oui, je n’arrête pas de vous le dire : ils me harcèlent avec leur musique de zozo. Ah non ? Mozart… Vous connaissez Mozart ? Oui parfaitement. Celui-ci, c’est mon préféré. Mélomane. Bravo ! Belle voix. La chorale de la police… Mais revenons à mon problème. S’il vous plaît. Monsieur l’agent, j’ai quatre vingt-cinq ans. Brigadier ? Si vous voulez. Je suis l’objet de harcèlement et je vous demande, s’il vous plaît monsieur l’a… monsieur le brigadier, d’envoyer un officier à mon domicile pour constater… Mais si je vais au commissariat, il ne pourra rien constater. Mais je m’en fous de Mozart ! Et arrêtez de chanter ! Bah, il a raccroché. Cette fois, ils vont me prendre au sérieux, c’est moi qui vous le dis. Allo ! Ah, au secours. Je vous en supplie, faites vite ! Il est armé, il a forcé ma porte, je suis cachée dans ma chambre. Ah ! je l’entends. 15 rue Godot de Mauroy, quatrième étaaaah… Et voilà le travail. Si avec ça ils n’envoient pas quelqu’un. On dirait qu’ils ont arrêté leur boucan. (elle stoppe Mozart) Un peu de calme.
Après un silence, sonnette de la porte.
Qu’est-ce que c’est ?
ALEX (des coulisses) Police.
BÉA Déjà ?
ALEX Ouvrez.
BÉA Pourquoi j’ouvrirais ? On ne m’a pas encore fait le coup du policier, mais je me méfie.
ALEX Inspecteur Pommier.
BÉA Et alors ?
ALEX Commissariat du huitième.
BÉA Qu’est-ce qui prouve que vous êtes un vrai pommier… un vrai policier ?
ALEX Nous disposons de tous les codes d’accès de l’arrondissement, madame.
BÉA Alors vous êtes facteur.
ALEX Si j’étais facteur, vous ouvririez ?
BÉA Je ne sais pas. Je n’attends pas de colis.
ALEX Pour une lettre recommandée, vous ouvririez ?
BÉA Une lettre recommandée ? Ça dépend. Elle vient d’où ? C’est encore mon proprio qui me cherche des poux dans la tête.
ALEX Je ne sais pas.
BÉA Regardez. Vous êtes facteur ou quoi ?
ALEX Je suis policier.
BÉA Depuis quand la police apporte les recommandés ?
ALEX Les facteurs sont en grève. On a été réquisitionnés.
BÉA Vous êtes un jaune !
ALEX Je serais un jaune si j’étais facteur. Dans la police, on n’a pas le droit de grève.
BÉA C’est logique.
ALEX (il entre)
BÉA Pa… pa… pa ! (elle s’évanouit dans ses bras)
ALEX (il prend son téléphone) Patron ? Oui je suis entré, mais… elle est morte. Oui. Où elle est ? Dans mes bras. Comme ça, oui. Elle a crié « pa, pa, pa » et poum. Clamsée la vieille. Vous avez raison, je la pose. Plus fort ? Ah ! J’ai sonné une demi-douzaine de fois, comme vous avez dit. Ensuite, je suis monté. Flic. Pas n’importe quoi… la mondaine. Vous m’avez demandé de trouver autre chose qu’agent immobilier. Inspecteur Pommier. En tout cas, ça y ressemble. Vous auriez vu ça. Une frayeur pareille, à son âge. Remarquez, c’est une belle mort. Dans mes bras. Attendez, je regarde. Non, elle n’est plus morte. Elle respire. Comme vous dites ! Dommage. Bon, je préfère. Je suis vendeur, pas croque-mort. Oui, vendre des appartements ou des enterrements… Remarquez, quand vous saurez ce que je vais lui vendre, vous serez fier de moi. J’ai trouvé l’idée du siècle. Si après ça elle ne dégage pas, vous pouvez me virer. Je vous explique mon plan. Moins fort ? D’accord. Voilà : je fais une enquête sur un réseau de prostitution dans l’immeuble. Attendez. Pendant que les maris sont au taf, les bourgeoises se font quelques extras. Vous allez comprendre. Ça fait des mois qu’on est sur cette adresse. Qui ça on ? La police. On a des soupçons sur l’organisateur du réseau. En fait… l’organisatrice. Vous me suivez ? Ça m’est venu naturellement.
BÉA (elle gémit)
ALEX Je dois couper, elle se réveille. D’accord patron. Je vous rappelle. Madame…
BÉA Le facteur ! Vous êtes déguisé en quoi ?
ALEX Inspecteur Pommier, brigade…
BÉA Ah oui… la police.
ALEX Affirmatif.
BÉA Vous êtes rapide.
ALEX Affirmatif, madame. Mais excusez-moi je vous en prie ; vous tombez souvent dans les pommes ?
BÉA J’ai perdu connaissance ?
ALEX Affirmatif. J’ai cru que vous étiez morte.
BÉA J’ai vu un fantôme.
ALEX Où ça ?
BÉA Là.
ALEX Ici ?
BÉA Oui.
ALEX Là ?
BÉA C’est ce que je dis.
ALEX À part moi, il n’y a personne.
BÉA C’est vous.
ALEX Moi ?
BÉA Le fantôme.
ALEX J’ai l’air d’un fantôme ?
BÉA Plus maintenant. Tout à l’heure.
ALEX Je suis le même que tout à l’heure.
BÉA Votre crâne rasé.…
ALEX Oui, ça me va bien. Dans le milieu, je passe inaperçu.
BÉA Vos rayures…
ALEX Vous n’aimez pas ?
BÉA Vous ressemblez à…
ALEX À qui ?
BÉA Mon père.
ALEX Merci. Il doit avoir deux cents ans le paternel.
BÉA Soyez correct jeune homme.
ALEX Excusez-moi je vous en prie. J’ai l’air si vieux ?
BÉA Non. Il est mort depuis bien longtemps.
ALEX D’où le fantôme. J’ai compris.
BÉA C’était si inattendu.
ALEX Donc, vous m’avez pris pour votre père.
BÉA Quand il était jeune.
ALEX Il était beau gosse ?
BÉA Oh là… un sacré bel homme.
ALEX Je comprends mieux.
BÉA Son portrait craché. Regardez.
ALEX Il y a quelque chose. Les cheveux c’est ça. Mais pas les rayures.
BÉA La dernière fois que je l’ai vu, c’était en 44…
ALEX Ça fait un bail.
BÉA … à Auschwitz.
ALEX Les rayures… d’accord.
BÉA Il n’a pas eu ma chance.
ALEX Qu’est-ce qui vous est arrivé ?
BÉA Prisonniers politiques. Arrêtés début 43.
ALEX Comment vous vous en êtes sortie ?
BÉA Vous voulez vraiment le savoir ?
ALEX Qu’est-ce qui prouve que vous dites vrai ?
BÉA (elle montre son avant-bras)
ALEX (il prend note sur son téléphone)
BÉA Vous me croyez maintenant ?
ALEX C’est un vieux numéro.
BÉA Qu’est-ce que vous faites ?
ALEX C’est quoi votre opérateur ?
BÉA Vous plaisantez ?
ALEX Affirmatif. Même dans la police, on a de l’humour.
BÉA Vous savez ce que ça veut dire, ce numéro inscrit dans ma chair ?
ALEX Je suis déso…
BÉA Vous savez ce que j’ai enduré ?
ALEX Vous ne…
BÉA Petit flic qui se permet de plaisanter…
ALEX Je vous prie de…
BÉA … sur des choses que vous n’imaginez même pas.
ALEX Ce n’est pas…
BÉA Bien sûr que si !
ALEX Mais je sais…
BÉA Vous ne savez rien.
ALEX Excusez…
BÉA Vous avez la belle vie.
ALEX Pas du tout…
BÉA Vous ne risquez pas d’être arrêté en pleine nuit…
ALEX La nuit, je…
BÉA … et torturé par la police française.
ALEX Bah… non.
BÉA En plus, un flic ! Vous auriez été parfait il y a soixante-dix ans.
ALEX Permettez, je ne suis pas d’accord.
BÉA Si ça se trouve, c’est toi qui m’as arrêtée.
ALEX Comment l’aurais-je fait, je n’étais pas né.
BÉA Si ce n’est toi, c’est donc ton père.
ALEX Impossible. Mon grand-père à la rigueur.
BÉA Ah !
ALEX Je plaisante. Ça me ferait mal.
BÉA C’est donc l’un des tiens. Car vous ne m’épargnez guère : police, gestapo, proprio… collabos !
ALEX Attention à ce que vous dites, mamie.
BÉA Est-ce que tu sais au moins, gamin, ce qu’on faisait à Auschwitz ?
ALEX Oui, c’est le plus grand camp d’ext…
BÉA Non, tu ne sais rien. C’était gigantesque. Il y avait plusieurs camps.
ALEX Calmez-vous.
BÉA J’étais dans le camp numéro trois. Il y avait une usine chimique.
ALEX Ah bon ?
BÉA La Buna. On était traités pire que des esclaves.
ALEX Vous étiez avec votre père ?
BÉA Non. Je l’ai croisé en 44. Il était dans une colonne qui partait en forêt. Je suis certaine qu’il m’a reconnue. Je ne l’ai jamais revu.
ALEX C’est horrible. Mais vous êtes vivante.
BÉA J’ai eu de la chance.
ALEX C’est tellement loin, toutes ces horreurs.
BÉA Tu parles ! L’usine tourne toujours : un vingtième de la production mondiale de caoutchouc. Tu te rends compte ?
ALEX Ça alors…
BÉA Ouais ! Alors tu comprends, ce numéro… Il n’est pas périmé.
ALEX Excusez-moi je vous en prie.
BÉA (elle pleure dans ses bras) Après la guerre, maman est morte de chagrin.
ALEX Là… Tout va bien. C’est fini.
BÉA Si vous saviez ce qu’on a enduré.
ALEX Je sais, je sais…
BÉA Non tu ne sais rien !
ALEX Oui. Non. Parfaitement. Vous avez raison. Calmez-vous.
BÉA Pauvre papa. Mon petit papa.
ALEX Oh là, doucement. Vous pourriez être ma grand-mère.
BÉA Toutes ces émotions m’ont ratatinée.
ALEX Vous voulez un remontant ?
BÉA Un sucre avec de l’alcool de menthe. Vous voyez quand vous voulez : même un flic peut avoir une bonne idée. La cuisine est juste là, à droite.
ALEX Je sais, merci.
BÉA Comment vous savez ?
ALEX Euh… C’est logique.
BÉA Ah bon ? Elle pourrait très bien être au bout du couloir.
ALEX Non, ce sont les toilettes.
BÉA Vous savez aussi où sont les toilettes.
ALEX Pure déduction. N’oubliez pas : je suis flic. C’est mon métier.
BÉA C’est votre métier de connaître mon appartement ?
ALEX C’est mon métier de deviner les choses, de les sentir.
BÉA Vous sentez les toilettes, la cuisine…
ALEX C’est ça.
BÉA Dites que ça pue chez moi.
ALEX Je n’ai pas remarqué.
BÉA Dites aussi que je ne me lave pas, pendant que vous y êtes.
ALEX Mais non.
BÉA Ce n’est pas parce que je suis âgée que vous avez le droit de m’insulter.
ALEX Je ne me permettrais pas.
BÉA Vous aimez plaisanter. Parce que vous êtes flic, vous vous croyez tout permis. Vous pouvez vous moquer de moi.
ALEX Jamais je…
BÉA Vous pensez que je devrais être dans un foyer, c’est ça ?
ALEX Pas du tout.
BÉA Vous aussi, vous voulez mettre les vieux dans les mouroirs.
ALEX Je n’ai jamais dit…
BÉA Les abandonner.
ALEX Comment…
BÉA Sans jamais leur rendre visite.
ALEX Non.
BÉA Les laisser crever entre eux, dans l’odeur de pipi.
ALEX Je vous apporte votre sucre.
BÉA Non, vous m’avez assez énervée comme ça. Je préfère du café.
ALEX Dans votre état, ça risque de vous achever.
BÉA Pas de danger, je suis increvable. Le café, ça me calme.
ALEX Je vais le faire très serré. (il sort vers la cuisine)
BÉA Vos grands-parents sont en maison de retraite, je suppose.
ALEX (des coulisses) Non. J’ai trouvé la cafetière. Où est le café ?
BÉA Vous n’allez jamais les voir. Le placard au dessus de la cuisinière.
ALEX Je ne connais pas mes grands-parents. Trouvé.
BÉA Tant mieux pour eux. N’oubliez pas le sucre : à droite de l’évier.
ALEX Ma mère a perdu ses parents quand elle était jeune.
BÉA La pauvre. Les tasses sont de l’autre côté, au dessus des verres.
ALEX Elle m’a élevé seule. J’ai trouvé les cuillers.
BÉA Vous êtes fils unique ?
ALEX Oui. Enfin je crois.
BÉA Comment vous croyez ?
ALEX Je veux dire, comme je ne connais pas mon père…
BÉA Lui non plus ?
ALEX … j’ai peut-être des frangins frangines quelque part.
BÉA Moi, j’avais un frère.
ALEX C’est bientôt prêt. Il est mort ?
BÉA Il y a plus de vingt-cinq ans. Varicelle.
ALEX Condoléances. Il avait des enfants ?
BÉA Oui, deux.
ALEX Aïe.
BÉA Une fille, un garçon.
ALEX Qu’est-ce qu’ils font dans la vie ?
BÉA Je m’en fous. Je ne veux plus les voir.
ALEX Ça c’est bien.
BÉA Je les ai déshérités.
ALEX Bravo !
BÉA Ils veulent me placer en foyer.
ALEX Les salauds. (il entre) Un café bien frappé.
BÉA Voilà un parfum que j’aime.
ALEX Lorsque je vous ai dit que je sentais les choses, ce n’était pas une question d’odeur.
BÉA Parce que j’ai peut-être quatre vingt-cinq ans, mais je sais encore faire le ménage. C’est propre ici.
ALEX Vous n’avez pas une aide des services sociaux ?
BÉA Pour qu’elle fouille dans mes affaires, pas question.
ALEX En tout cas, c’est bien rangé. Je voulais parler du flair. Vous savez, le flair du policier. Je renifle, je hume, je palpe l’ambiance.
BÉA Palpez-moi deux sucres. C’est une maison bien tenue. Avec quatre pièces, j’ai de quoi faire, je vous assure.
ALEX Justement, en parlant de maison bien tenue…
BÉA Eh bien ?
ALEX Des bruits circulent dans l’immeuble.
BÉA Des bruits, ça vous pouvez le dire. C’est pour ça que je vous ai appelé.
ALEX Vous m’avez appelé ?
BÉA Tout à l’heure. Enfin pas vous, le commissariat.
ALEX Oui. Je suis au courant.
BÉA Parce que ça ne peut plus durer.
ALEX C’est pour ça que je suis là. Comme je disais, les bruits courent. On parle beaucoup dans l’immeuble.
BÉA Ce n’est plus comme avant. À peine bonjour bonsoir. Dans le temps, tout le monde se connaissait.
ALEX Vous habitez ici depuis longtemps ?
BÉA Je suis née ici.
ALEX Dans cet appartement ?
BÉA Presque. Mes parents habitaient ici.
ALEX Vous n’avez jamais bougé ?
BÉA J’ai l’air d’une handicapée ? Je ne suis pas impotente. Je monte les escaliers tous les jours.
ALEX Je veux dire : changer d’air, voyager à travers le monde.
BÉA Les voyages ? C’est pour les retraités.
ALEX Vous n’êtes plus de première jeunesse.
BÉA Un peu de respect jeune homme. Je pourrais être votre grand-mère.
ALEX Justement.
BÉA Mon arrière-grand-mère a vécu ici, ma grand-mère a vécu ici, ma mère a vécu ici, j’ai vécu ici.
ALEX Vous êtes restée ici toute votre vie ?
BÉA Oui. Enfin pas tout à fait. Juste après la guerre, je suis partie travailler pendant un an à l’étranger.
ALEX Vous faisiez quoi comme boulot ?
BÉA Infirmière dans un hôpital militaire. Mais je ne me plaisais pas. Trop différent, trop humide, trop froid… Paris me manquait. Au moins ici, je n’ai pas besoin d’interprète.
ALEX La barrière de la langue : ça devait être difficile de vous faire comprendre des malades, des médecins, de vos collègues.
BÉA Les premiers mois, oui. À cause de l’accent surtout.
ALEX C’était quel pays ?
BÉA Les Côtes du Nord.
ALEX Les pays nordiques. C’est super beau là-bas. Suède, Norvège ?
BÉA Bretagne. On n’apprend pas les départements dans la police ?
ALEX Vous êtes allée loin, effectivement.
BÉA Vous comprenez, ça m’a dégoûtée des voyages. Pourquoi bouger ? J’ai tout ce qu’il faut dans le quartier.
ALEX Pas même une petite excursion de temps en temps ? Avec l’avion, en quelques heures, vous êtes de l’autre côté de la mer.
BÉA Aux beaux jours, je prends le bus et je traverse la Seine. L’avion, c’est beaucoup trop bruyant, et ça tombe.
ALEX Forcément. Alors le bus…
BÉA Le tourisme, c’est pour les touristes. Ici, je suis à ma place. Le quartier, l’immeuble, l’appartement… c’est ma vie.
ALEX Ça se voit. Il y en a des souvenirs.
BÉA Plusieurs générations.
ALEX Plutôt chargé. C’est comme ça partout ?
BÉA Non. Ici, dans le salon, il n’y a pas grand-chose. C’est la pièce la plus claire. J’ai préféré une décoration dépouillée.
ALEX Je dirais même : aérée. Je comprends pourquoi c’est si difficile de vous mettre dehors.
BÉA Comment ?
ALEX Je veux dire que personne ne pourrait vous obliger à quitter les lieux.
BÉA Exactement. Mais vous allez quand-même recevoir ma plainte.
ALEX Votre plainte ? (il prend des notes) Oui bien sûr.
BÉA Parce que c’est devenu un enfer ici.
ALEX On ne dirait pas.
BÉA Pour l’instant, c’est calme. Mais ils ne vont pas tarder à reprendre.
ALEX Quoi donc ?
BÉA Le bruit. Le tapage. Le harcèlement.
ALEX Bien sûr.
BÉA Comme ça, vous constaterez en direct.
ALEX J’y compte bien.
BÉA Un enfer, je vous dis.
ALEX Pourtant l’immeuble a l’air cool.
BÉA Ça dépend pour qui. Ils veulent rester entre eux. Entre propriétaires. Je suis la dernière locataire ici. Rappelez-vous ce que l’autre disait : « Faire de la France un pays de propriétaires, car la propriété est un élément de stabilité de la République… ». Et ta sœur ! Je ne vois pas pourquoi je céderais. Moi propriétaire ? Me taper toutes les emmerdes, merci bien. Et de toute façon, la propriété… c’est le vol.
ALEX Enfin, il faut bien que les logements appartiennent à des propriétaires.
BÉA Pourquoi il faut ?
ALEX Parce que c’est comme ça. C’est normal, c’est naturel.
BÉA C’est dans la nature de payer un loyer ?
ALEX Je veux dire, c’est dans l’ordre des choses. Si le locataire ne paie pas de loyer, comment le propriétaire entretient l’appartement ?
BÉA Il se démerde. Personne ne le force à être propriétaire.
ALEX C’est facile pour vous. Vous avez la bonne place avec un loyer pareil.
BÉA Qu’est-ce qu’il a mon loyer ?
ALEX N’oubliez pas : le flair du policier. Vous êtes dans cet appartement depuis quatre générations. Classique : je parie que vous êtes encore sous la loi de 48.
BÉA Gagné.
ALEX Je parie que vous devez payer… mille balles par mois.
BÉA Gagné.
ALEX Mille, c’est donné ! Comment voulez-vous que le propriétaire s’en sorte avec mille euros ?
BÉA Mille francs.
ALEX Mille francs ?
BÉA Cent cinquante euros.
ALEX C’est dingue. Autant ne rien payer.
BÉA Je ne suis pas une voleuse.
ALEX Cent cinquante balles par mois, c’est cadeau.
BÉA J’ai la loi de mon côté. C’est comme ça. C’est normal, c’est naturel.
ALEX À ce prix, je veux bien prendre votre place.
BÉA Vous voulez me mettre dehors pour prendre l’appartement ? La police est de mèche avec le proprio. J’aurais dû m’en douter.
ALEX Mais non, c’est une façon de parler. Revenons au harcèlement.
BÉA Du matin au soir, je vous dis. Vous devez constater le tapage.
ALEX Pour l’instant, je n’ai rien remarqué.
BÉA Parce que vous êtes là.
ALEX Vous croyez ?
BÉA C’est certain. Ils me guettent. Ils savent que je ne suis pas seule. Sinon, j’ai droit à leur musique à fond les tuyaux.
ALEX La nuit aussi ?
BÉA Non, c’est interdit.
ALEX Évidemment.
BÉA La nuit, je suis tranquille parce que j’ai déjà appelé la police, figurez-vous. Mais la journée, c’est insupportable. C’est mon propriétaire qui organise tout ça pour me rendre folle. Il veut m’envoyer à l’asile. Mais je ne partirai pas.
ALEX De quoi les gens sont capables pour le pognon.
BÉA Ils ne respectent même pas une vieille dame seule et sans fortune.
ALEX Vous n’avez pas d’enfants ?
BÉA Si, un garçon.
ALEX Il habite dans le coin ?
BÉA Non.
ALEX Il vient vous voir de temps en temps ?
BÉA Ça ne risque pas.
ALEX Il ne vous donne jamais de nouvelles.
BÉA Pas depuis trente ans.
ALEX C’est dégueulasse ; abandonner sa propre mère.
BÉA Ce n’est pas sa faute.
ALEX Vous l’excusez. Vous êtes toutes les mêmes.
BÉA Il est mort.
ALEX Merde ! Comment c’est arrivé ?
BÉA Vos collègues.
ALEX Quels collègues ?
BÉA La police.
ALEX Quoi la police ?
BÉA Ils l’ont descendu.
ALEX Salauds de flics.
BÉA J’ai tout raté avec lui.
ALEX Racontez.
BÉA Il aurait pu aller loin.
ALEX Ah ?
BÉA Ce n’était pas un mauvais garçon.
ALEX Je vous crois.
BÉA Il a eu des mauvaises fréquentations.
ALEX Je connais ça.
BÉA Ah ?
ALEX Dans la police, on en voit de toutes les couleurs.
BÉA Je lui ai laissé trop de liberté je crois.
ALEX Et le père, il ne s’en occupait pas ?
BÉA Oh lui… Il a disparu quand Jacob était petit.
ALEX Vous êtes juive ?
BÉA Pourquoi ?
ALEX C’est un prénom juif.
BÉA Et alors.
ALEX Alors, je ne sais pas.
BÉA C’est quoi votre prénom ?
ALEX Alex.
BÉA Vous êtes orthodoxe ?
ALEX Pourquoi ?
BÉA C’est un prénom grec.
ALEX Je ne suis pas croyant.
BÉA Moi non plus.
ALEX Mais vous avez porté l’étoile pendant la guerre ?
BÉA Vous préparez une rafle ou quoi ?
ALEX Excusez-moi je vous en prie, déformation professionnelle. Donc, le père abandonne femme et enfant.
BÉA Ce n’était pas un abandon.
ALEX Quand on fait un gosse à deux, on s’en occupe à deux.
BÉA On n’a pas vraiment vécu ensemble. On n’était même pas mariés. Il vivait sa vie, et moi la mienne. Il était toujours en balade à l’étranger pour des réunions politiques.
ALEX Comment vous vous êtes connus ?
BÉA À la Mutualité. Un meeting contre la guerre en Indochine. Espagnol. Au début, j’étais éblouie. Il m’emmenait dans les réunions, avec ses copains du POUM.
ALEX Dupoume ?
BÉA Après la géographie, l’histoire. Décidément… vous avez triché à l’examen de police ?
ALEX Je n’ai peut-être pas votre culture, mais au moins je m’occupe de ma mère, moi.
BÉA POUM : “Partido Obrero de Unificacion Marxista” ; des anarchistes qui ont combattu avec les Brigades internationales. Ça vous parle ?
ALEX Je connais les brigades de police.
BÉA Soyez gentil, allez nous refaire du café.
ALEX Je vous écoute de la cuisine. (il sort)
BÉA Je résume. Après la guerre de Quatorze… La guerre de Quatorze, c’était à votre programme ?
ALEX (des coulisses) Le Chemin des Dames, Verdun…
BÉA Les miracles de l’enseignement public obligatoire. Une conférence à Moscou crée la troisième Internationale. Les partis qui la rejoignent doivent accepter les fameuses “21 conditions”. En fait, vingt-et-un commandements imaginés par les bolcheviks contre les forces du mal.
ALEX Comme les dix commandements.
BÉA Sauf que là, il y en a vingt-un.
ALEX C’était déjà lourd avec les dix…
BÉA Si vous m’interrompez tout le temps.
ALEX En fait, mon vrai prénom, c’est Alexandre, mais tout le monde m’appelle Alex.
BÉA Ceux qui n’acceptent pas d’être aux ordres de Moscou, quand ils ne sont pas éliminés, constituent une autre Internationale, anarcho-syndicaliste. Vous suivez ?
ALEX Affirmatif.
BÉA Il y a donc deux Associations Internationales des Travailleurs. Celle contrôlée par Moscou est connue sous le nom d’Internationale communiste (en russe, Komintern)…
ALEX D’accord.
BÉA … et l’autre, anarchiste, refuse la logique des partis. Elle est constituée principalement de syndicalistes organisés dans une douzaine de pays.
ALEX Quel rapport avec les brigades ?
BÉA J’y viens. En Espagne, la Confédération Nationale du Travail est très importante. Les anarchistes – les communistes libertaires si vous préférez…
ALEX Pas de préférence.
BÉA … participent à la République puis à la guerre civile. Après le putsch de Franco, ils combattent avec les Brigades. Les fameuses “Brigades Internationales”.
ALEX Comme Interpol.
BÉA Quoi ?
ALEX Internationale des polices. Inter… pol.
BÉA “Internationales”, parce qu’elles rassemblent des milliers d’antifascistes de tous les pays. Rien à voir avec les flics.
ALEX Ça ressemble quand-même.
BÉA En 36 et 37, il y a eu de l’autogestion en Espagne. Ça vous parle ?
ALEX Auto quoi ?
BÉA Les paysans, les ouvriers, les artisans… regroupés en collectifs. C’est ça l’autogestion. Dans certaines régions, le salariat était aboli ! Vous vous rendez compte ?
ALEX Non, mais j’aime bien votre cuisine. Elle me ramène en enfance.
BÉA Jusqu’en 38, les membres du POUM combattent aux côtés des Républicains espagnols. Mais ils refusent d’être aux ordres de Moscou.
ALEX (il entre)
BÉA Ils sont pris entre deux feux : les staliniens et les franquistes.
ALEX Et le café.
BÉA Ah ! Asseyez-vous… là. Je suis tombée amoureuse de l’un d’entre eux.
ALEX Vous en savez des choses. Merci.
BÉA Ce qui n’a pas l’air d’être votre cas.
ALEX J’ai peut-être raté quelques cours.
BÉA Vos parents ne vous ont rien appris ? Merci.
ALEX Je vous en prie. Je vous dis que je n’ai pas connu mon père. Avec ma mère, si vous croyez que j’avais la vie facile. Enfin, la question n’est pas là. Je sais ce que c’est que d’élever seule un enfant. Surtout un garçon.
BÉA Mon Jacob ne se plaisait pas à l’école.
ALEX Difficultés scolaires, je connais.
BÉA Non. Il était brillant, lui.
ALEX Tout le monde n’a pas la chance d’avoir une mère comme vous et un père qui abandonne son enfant.
BÉA Il était doué en tout.
ALEX Doué peut-être, mais il s’est fait buter.
BÉA Il voulait changer le monde.
ALEX Incompatibilité avec l’autorité.
BÉA Exactement. Adolescent, il cherchait toujours le conflit. On en a eu des disputes.
ALEX L’âge ingrat. Tout le monde s’engueule avec ses parents.
BÉA Il pouvait être agressif.
ALEX Il vous frappait ?
BÉA Non. Mais il traînait de plus en plus avec des types louches.
ALEX Je vois.
BÉA Qu’est-ce que vous voyez ?
ALEX Les types louches. J’en vois tous les jours.
BÉA Il a commencé par des petits cambriolages.
ALEX Ah bon ?
BÉA Puis il s’est diversifié.
ALEX Intéressant.
BÉA À dix-sept ans, il était déjà à la tête d’une équipe de spécialistes.
ALEX Quel genre ?
BÉA Chimie, serrurerie, comptabilité, transport, armement…
ALEX Un chef d’entreprise, en quelque sorte.
BÉA Il avait le don de diriger.
ALEX Il aurait pu faire de la politique… devenir ministre, allez savoir.
BÉA Tout à fait. Il disait toujours qu’il préférait voler que d’être volé.
ALEX Il amenait ses collègues spécialistes ici ?
BÉA Jamais. Il était bien trop prudent.
ALEX Prudent peut-être, mais il s’est fait buter.
BÉA Pour ses vingt ans, il m’a invitée à une fête. Il y avait plein de gens. Je pense qu’il voulait montrer qu’il était…
ALEX Un type normal, avec une maman.
BÉA Ça lui donnait de l’assurance. Malgré son âge, il était craint et respecté.
ALEX Vous avez dû rencontrer du beau monde à son anniversaire.
BÉA Des voyous, des prostituées…
ALEX Tiens…
BÉA … des chefs d’entreprise, des politiciens, des militants d’extrême gauche.
ALEX Des flics aussi ?
BÉA Bien sûr. Il y avait même des journalistes.
ALEX Vous deviez être fière.
BÉA J’avais surtout très peur pour lui. À force de braquer les banques, il s’était fait pas mal d’ennemis.
ALEX Il y a une chose que je ne comprends pas.
BÉA Oui ?
ALEX Il a dû vous couvrir de cadeaux.
BÉA Trois fois rien… des babioles. Ah si, un bijou que je dois encore avoir quelque part. C’était juste avant sa mort.
ALEX Et vous êtes locataire.
BÉA Il voulait acheter l’appartement. Mais j’ai fait le calcul : ça me coûte moins cher en loyer que si j’étais propriétaire.
ALEX Vous vous rendez compte : en trente ans, la valeur qu’il a pris ! Vous seriez riche.
BÉA Je me fous de l’argent.
ALEX Pas comme votre fils.
BÉA Il s’en foutait aussi. Ce n’est pas pour ça qu’il volait. C’était contre le système.
ALEX Anarchiste, comme papa. Poum poum ! On voit où ça mène. Qu’est-ce qui lui est arrivé ?
BÉA Il voulait faire un gros coup. Il a kidnappé un milliardaire. En prévenant la presse ; il fallait toujours qu’il en fasse des tonnes.
ALEX Alors ?
BÉA Il est allé trop loin. On ne touche pas aux milliardaires. En plus, il a buté le type.
ALEX Ça alors.
BÉA Mais le richard a survécu.
ALEX Zut alors.
BÉA Avec son témoignage, les flics ont retrouvé la trace de Jacob.
ALEX Merde alors.
BÉA Ils lui ont tendu un piège.
ALEX Et alors ?
BÉA Ils ne lui ont laissé aucune chance. Vous vous rendez compte. Vingt-six ans. Il avait vingt-six ans.
ALEX Putain.
BÉA Il avait droit à un procès, pas à une exécution.
ALEX Faut les comprendre, il les a énervés.
BÉA Ce n’est pas faux. Il avait le don de pousser les gens à bout.
ALEX Je croirais entendre ma mère. Il a eu des enfants ?
BÉA Vous imaginez les dégâts s’il avait eu un gamin ? Merci bien.
ALEX Cool. Donc pas d’héritier.
BÉA J’aurais été une bonne grand-mère.
ALEX J’en suis certain. Mais vous n’avez plus de famille. Vous êtes seule. Dans un grand appartement. Bientôt, vous aurez des absences de mémoire. Vous perdrez la tête. Vous vous casserez le col du fémur. Pire, peut-être. Vous serez hospitalisée. Vous aurez une rechute. Vous resterez handicapée. Paralysée sans doute. Vous serez dépendante…
BÉA Je vais très bien.
ALEX Votre propriétaire en profitera lâchement pour récupérer l’appartement. Terminée la loi de 48.
BÉA Mais vous êtes là pour me protéger, pas pour m’achever.
ALEX Je dis ça pour vous prévenir. Il y a tellement de petites vieilles qui se font dépouiller dans Paris.
BÉA Vous êtes vraiment policier ?
ALEX Oui madame.
BÉA Vous avez l’air d’un vendeur de voitures
ALEX Inspecteur Pommier, brigade des mœurs.
BÉA La mondaine ?
ALEX Oui madame. La brigade de répression du proxénétisme.
BÉA Pour du harcèlement ?
ALEX Excusez-moi je vous en prie. Je pose les questions.
BÉA Je ne vois vraiment pas ce que la mondaine fait ici. J’ai porté plainte pour harcèlement. Mais pas sexuel, enfin, à mon âge.
ALEX Restez assise et calmez-vous.
BÉA C’est encore une de vos plaisanteries ?
ALEX Je crains que non. Comme je vous disais, des bruits circulent. Il n’y a pas de fumée sans feu.
BÉA Quoi la fumée ? Quel feu ?
ALEX Vous connaissez pas mal de monde dans le quartier.
BÉA Oui, un peu.
ALEX Et dans l’immeuble.
BÉA Je vous l’ai dit : ce n’est plus pareil. Chacun pour soi. Les relations de voisinage aujourd’hui, c’est le service minimum.
ALEX Je suis certain que vous en savez plus que vous le dites.
BÉA Je vous ai déjà expliqué : mes voisins me harcèlent toute la journée.
ALEX Sauf quand je suis là, comme par hasard.
BÉA Et ma plainte, vous la prenez oui ou merde ?
ALEX Justement. D’autres plaintes ont été déposées.
BÉA Ah ! Vous voyez bien : je ne suis pas la seule à devoir supporter leur tapage.
ALEX Il s’agit plutôt de circulation.
BÉA Non, c’est une rue tranquille. On n’est pas dérangés.
ALEX De circulation dans l’immeuble.
BÉA Maintenant que vous le dites. Il y a le gosse du second qui joue dans le couloir avec sa voiture électrique. Il a failli me faire tomber l’autre jour. Petite racaille.
ALEX Qu’est-ce que vous faisiez au deuxième étage ?
BÉA Ça vous regarde ?
ALEX Madame, si vous ne coopérez pas, je serais contraint de vous convoquer au commissariat.
BÉA Je me reposais.
ALEX Vous faites la sieste sur le palier.
BÉA Je ne dormais pas. Palier de décompression. Je soufflais entre deux étages. Je monte toujours par l’escalier, c’est bon pour la forme.
ALEX Cette étape dans votre ascension se déroule toujours au deuxième étage ?
BÉA Je n’en sais rien. Vous avez de drôles de questions. Si je suis chargée…
ALEX Chargée de quoi ?
BÉA De mes courses. Quand je reviens des courses, je m’arrête à tous les étages, si vous voulez savoir.
ALEX Tous les étages. Intéressant. Il vous arrive de prendre l’ascenseur ?
BÉA Pour descendre seulement.
ALEX Intéressant. Vous n’avez rien remarqué de suspect ?
BÉA Maintenant que vous le dites… Le boutonneux du sixième, il n’est pas gêné. Il met son vélo dans l’ascenseur. Déjà qu’on a du mal à tenir à deux là-dedans.
ALEX Y a-t-il d’autres choses que je dois savoir ?
BÉA Sur quoi ?
ALEX La circulation. Dans l’escalier, l’ascenseur, les couloirs, certains appartements.
BÉA Comment voulez-vous que je sache ce que font les gens chez eux ? Je ne suis pas concierge. Tout ce que je sais, c’est que mes voisins du dessus écoutent leur musique de zozo à fond la caisse ; mon voisin de palier m’emmerde avec sa salle de bains ; celui du sixième monte son vélo par l’ascenseur ; le gosse du deuxième est mal élevé ; les petits vieux du rez-de-chaussée sont bizarres ; il y a des animaux chez les Gantier alors que c’est interdit dans l’immeuble ; le couple du troisième vient de pondre un lardon qui hurle toute la nuit ; la famille Brisseau, ils sont tous obèses sauf l’aînée qui est anorexique.
ALEX Intéressant.
BÉA Avant, tout le monde se connaissait. C’était une autre époque. Aujourd’hui, il n’y a plus de vie sociale. On ne communique plus. Les gens s’enferment chez eux pour regarder la télé ou faire du surf sur leur ordinateur.
ALEX Avez-vous remarqué des gens extérieurs à l’immeuble ?
BÉA Avec le cabinet du premier, ça n’arrête pas. C’est clair : il y a de la circulation.
ALEX Et dans les étages ?
BÉA Quoi ?
ALEX Rien d’autre à signaler ?
BÉA Non. Je vous l’ai dit, je ne suis pas concierge.
ALEX Imaginons que je ne sois pas de la police.
BÉA Donc vous êtes facteur.
ALEX Non ! Que j’aie besoin d’une certaine… prestation. Vous pourriez m’aider ?
BÉA Quelle prestation ?
ALEX Imaginons toujours : je suis un homme marié…
BÉA Qu’est-ce que ça peut me faire ?
ALEX J’aime ma femme…
BÉA Tant mieux pour vous.
ALEX Mais parfois, une petite visite d’hygiène s’impose.
BÉA Votre toilette ne me regarde pas.
ALEX Je parle de soins… organiques.
BÉA Une visite médicale, allez au premier.
ALEX Je ne suis pas malade. Des soins particuliers que certaines femmes procurent à certains hommes.
BÉA La mondaine… je commence à saisir.
ALEX Pas trop tôt.
BÉA En quoi ça me concerne ? Les gens peuvent tirer leur crampe avec qui ils veulent, c’est leur affaire.
ALEX Nous avons suivi des… “clients” jusque dans votre rue. Et quelqu’un leur ouvre la porte de l’immeuble.
BÉA Vous savez qui ?
ALEX J’ai mon idée.
BÉA Maintenant que vous le dites. La femme Gantier, ça ne m’étonnerait pas. Pendant que son mari est au boulot.
ALEX J’ai vu d’autres hommes.
BÉA Elle a bien raison. Elle ne doit pas s’amuser tous les jours. Gantier, il est pire qu’Harpagon.
ALEX Un autre voisin ?
BÉA L’avare… Molière.
ALEX Molière ?
BÉA Géographie, histoire, littérature… pas brillant. C’était quoi votre spécialité à l’école ?
ALEX Vous allez vous moquer.
BÉA Dites toujours.
ALEX Musique. Mais attention, pas la musique morte de l’ancien temps. Faut que ça swingue. De la musique pour bouger.
BÉA Deux flics musiciens dans la même journée. Ce n’est pas banal.
ALEX Ce qui n’est pas banal, c’est que votre voisine n’est pas seule à fournir des prestations rémunérées.
BÉA Non… la mère Brisseau aussi ? Impossible.
ALEX Il y a quelqu’un qui ouvre la porte. Quelqu’un qui oriente ces messieurs vers ces dames. Ce quelqu’un organise la circulation des clients dans l’immeuble.
BÉA Un trafic ?
ALEX Affirmatif. Prostitution.
BÉA En quoi ça me regarde ? En quoi ça vous dérange ? Faut toujours que la police fourre son nez partout.
ALEX Mais c’est interdit. J’ai de bonnes raisons de penser que la personne qui oriente est la même que celle qui encaisse.
BÉA Bien sûr, vous savez qui.
ALEX Je me suis laissé dire que des hommes montent chez vous avant de se rendre dans certains appartements.
BÉA Chez moi ?
ALEX Vous vous prénommez bien Béatrice ?
BÉA Pas Béatrice, Béatrix, avec un x.
ALEX C’est gaulois ?
BÉA Cinquante pour cent gaulois, cinquante pour cent juif.
ALEX Ah, ah.
BÉA En fait, c’est Marie-Béatrix. Mais on m’appelle Béa, tout simplement.
ALEX Intéressant. On parle de la mère Béa dans le milieu.
BÉA Quel milieu ?
ALEX Maintenant mamie, on joue cartes sur table.
BÉA Pourquoi pas un loto pendant qu’on y est ?
ALEX Arrêtez la comédie. La mère Béa, c’est vous. C’est vous qui dirigez ce trafic dans l’immeuble.
BÉA Vous me prenez pour une mère maquerelle ? Quand je pense que je vous ai ouvert ma porte. Je vous ai fait confiance. Je vous ai raconté ma vie. Espèce de balai à chiottes. Fils de pute.
ALEX Surveillez votre langage, mamie Béa.
BÉA Dégagez. Une entraîneuse, moi !
ALEX Excusez-moi je vous en prie.
BÉA Vous n’avez pas honte ?
ALEX Doucement !
BÉA Dehors ! Du balai ! Mort aux vaches ! (elle le chasse)
Rideau
ACTE II
ALEX Ne craignez rien chère madame. Je viens de la part du centre d’action sociale de la ville de Paris. Pourquoi je vous attends à l’intérieur et pas sur le palier ? Eh bien… la porte était ouverte. Vous n’oubliez jamais de la fermer. En êtes-vous certaine ? Les pertes de mémoire sont un phénomène naturel en vieillissant. Je suis là justement pour vous aider. Il est normal qu’à votre âge, les habitudes soient un peu bouleversées. Ça commence par une porte qu’on oublie de fermer. Ensuite, on laisse la cuisinière allumée avant de se coucher. Non, c’est franchement n’importe quoi. Elle ne marchera jamais.
Bonjour ! Nous avons rendez-vous. Souvenez-vous, je vous ai parlé au téléphone. Vous m’avez donné le code d’entrée de l’immeuble. Comme votre porte était ouverte, j’ai pensé que vous n’aviez pas entendu la sonnette, alors je me suis permis d’entrer. Ça ne vous dérange pas ? C’est mieux. Vous ne vous rappelez pas de moi ? Au téléphone, ce matin. Je suis du centre d’action sociale. Je suis là pour vous aider. Nous allons examiner ensemble vos besoins avec ce questionnaire. Rassurez-vous, notre objectif est de vous faciliter les petites tâches quotidiennes. Le ménage, les courses, la cuisine, la toilette… Nous pouvons également vous aider dans vos démarches administratives. La ville de Paris tient beaucoup à soigner ses vieux. Oh là ! Moi, faut que je soigne mon langage. La ville de Paris applique une politique exemplaire vis-à-vis de ses retraités. De ses personnes âgées. Une politique exemplaire vis-à-vis des personnes âgées. Non… politique exemplaire pour les séniors. Cool.
Non seulement vous avez droit à une aide à domicile entièrement gratuite, mais également, à une assistance médicale. En vous inscrivant à l’un de nos clubs séniors, vous pourrez bénéficier de diverses activités conçues spécialement pour vous. Du sport : traversée de Paris en roller, plongée sous-marine dans le canal de l’Ourcq, escalade de la tour Eiffel… Du loisir : visite du port de Paris-Genevilliers en bateau-mouche, excursions nocturnes au bois de Boulogne, découverte de la banlieue en fourgon blindé… De la culture : visite des catacombes avec nuitée et petit-déjeuner, ateliers de théâtre conceptuel, spectacles vivants à Pigalle, marathons philosophiques à la Sorbonne… Du plaisir : soirées dansantes, jeux de piste, repas gastronomiques dans nos restaurants solidaires pour personnes isolées… Ne manquez pas nos rendez-vous qui sont devenus des succès incontournables : la nuit des hôpitaux, la fête des grand-mères, la promenade romantique au Père-Lachaise… Comme nos milliers d’adhérents, vous aussi, vous serez séduite. Autant d’occasions de vivre une retraite heureuse, studieuse, harmonieuse, enrichisseuse, exciteuse ! Aïe… il faut que je me calme.
Du marché jusqu’ici il y a bien vingt minutes, courses et arthrite comprises. Sans oublier les paliers de décompression. Elle ne devrait pas tarder. Je me demande si je suis à mon avantage en blonde. Ça jure avec mes sourcils. Oh là ! J’ai un peu chargé sur le mascara. Dans l’ensemble, c’est assez réussi. J’ai bien fait de suivre ses conseils. Question fringues et maquillage, elle s’y connaît. Mais qu’est-ce que j’en chie avec ces godasses à la con. Comment elle fait pour ne pas se casser la gueule ? Putain de talons. En tout cas, ça me va. Ou maman a des grands pieds, ou c’est moi qui chausse petit.
Ça y est, elle arrive. Elle doit être chargée, elle souffle comme un bœuf. Une dernière fois : bonjour madame, je suis du centre d’action sociale de Paris et je suis là pour vous mettre dehors… Aïe. Je travaille pour le centre d’action socialiste et je viens réparer la chaudière… Excusez-moi je vous en prie. Alex, contrôle-toi. Bonjour, comment allons-nous bien ce matin ? Je suis votre nouvelle aide sociale. Je n’entends plus rien. Elle a dû faire une halte.
Clé dans la serrure.
La voilà !
BÉA (elle entre) Qu’est-ce qui se passe avec cette serrure ?
ALEX Bonjour chère madame…
BÉA Ma… ma… ma ! (elle s’évanouit dans ses bras)
ALEX (il prend son téléphone) Patron ? Oui je suis entré, mais… elle est morte. Encore. Où elle est ? Dans mes bras. Encore, oui. Elle a crié « ma, ma, ma » et poum. Clamsée la vieille. Vous avez raison, je la pose. Je l’attendais, tranquille, chez elle… Non, rassurez-vous. J’ai super bien préparé mon coup. J’ai prévu de lui dire qu’elle a oublié de fermer sa porte à clé. Comme ça, je lui démontre qu’elle perd la tête. Vous me suivez ? Malin ! Ensuite, direction la maison de retraite. Vous avez raison, maintenant c’est trop tard. Dommage, je m’étais fait belle. Si vous voyiez ça ; je me suis déguisé en assistante sociale. Je ne saurais pas que c’est moi, je ne dirais pas non. Pas avec cette voix, bien sûr, j’ai pensé à tout. Comme ça… vous ne me reconnaissez pas ? Attendez, elle n’est plus morte.
BÉA Maman…
ALEX Elle délire. D’accord patron. Je vous rappelle. Madame…
BÉA Maman, j’ai fait les courses, comme tu m’as demandé. J’ai été bien sage. J’ai tout acheté ce qu’il y a sur la liste. J’ai même rapporté la monnaie. Tu es contente ?
ALEX Mada… Ma… ma Béa chérie. Oui, je suis contente.
BÉA Il est où papa ?
ALEX Dans son bureau. Je vous appelle quand le dîner est prêt.
BÉA (elle se cogne partout) Maman, pourquoi c’est tout flou ?
ALEX Merde, les lunettes. Tes lunettes, ma chérie. Il faut les mettre.
BÉA Maman, je n’ai pas de lunettes.
ALEX Autour de ton cou.
BÉA Ah ! Vous êtes qui ? Qu’est-ce que vous faites chez moi ?
ALEX Bonjour madame. Je me présente : Alexandra Conti. Je travaille pour le centre d’action sociale de la ville de Paris. Voici ma carte.
BÉA Comment vous êtes entrée ?
ALEX La porte était ouverte. J’ai sonné. Comme vous ne répondiez pas, je me suis inquiétée. Il vous était peut-être arrivé un accident. Je suis entrée et dieu merci, vous n’étiez pas là.
BÉA J’étais au marché.
ALEX J’ai préféré attendre à l’intérieur. Ça ne vous dérange pas ?
BÉA J’aurais pu claquer. Vous m’avez fait une de ces peurs.
ALEX Je suis la reine de la maladresse. C’est exactement le contraire : je suis là pour vous aider. D’ailleurs, je vais vous laisser mes coordonnées. Vous pouvez me joindre à tout moment sur mon portable. Le numéro est sur la carte. Tenez, réglons ça tout de suite : appelez-moi avec le vôtre, comme ça j’aurais votre numéro.
BÉA Pas de portable, ça pollue tout : la nature et le cerveau. Je n’ai besoin de rien, merci. Vous connaissez la sortie, la même porte que l’entrée.
ALEX Chère madame, nous avons pris rendez-vous par téléphone.
BÉA Je ne me souviens pas. Vous êtes rentrée comment ?
ALEX Je vous l’ai dit : c’était ouvert.
BÉA Dans l’immeuble.
ALEX Ce matin, au téléphone, vous m’avez donné le code. Mais rassurez-vous, ça arrive parfois. Au centre d’action sociale, nous avons l’habitude. Nous sommes justement là pour vous rendre la vie facile et agréable. La ville de Paris tient tout particulièrement à soigner les séniors.
BÉA Les séniors ?
ALEX Les retraités, les personnes âgées.
BÉA Pas besoin de soins. Je vais très bien.
ALEX En êtes-vous certaine ? Cela vous arrive souvent d’oublier de fermer la porte à clé ?
BÉA Jamais.
ALEX Cela vous arrive souvent d’oublier un rendez-vous ?
BÉA Jamais.
ALEX De vous évanouir ?
BÉA Jamais.
ALEX Pourtant, tout à l’heure.
BÉA J’ai vu un fantôme.
ALEX Les hallucinations, les pertes de mémoire sont un phénomène courant à votre âge.
BÉA Je ferme toujours la porte à double-tour. Vous croyez que je perds la tête ?
ALEX Bien sûr que non. Ça peut arriver à tout le monde. Vous avez des soucis en ce moment ?
BÉA Oh là… si vous saviez.
ALEX Vous pouvez me raconter. Je suis là pour ça. Comme je vous l’expliquais au téléphone, tous les séniors – les personnes âgées – sont recensés dans nos fichiers. Ainsi, nous pouvons intervenir avant qu’il soit trop tard.
BÉA Comment trop tard ?
ALEX Chère madame. Nous suivons tous le grand fleuve de la vie. Le tendre ruisseau de notre enfance se jette irrémédiablement dans le torrent impétueux de l’adolescence. Nous traversons les digues de nos joies, les écluses de nos malheurs. Nous nous mêlons aux innombrables affluents des relations telluriques. Nous suivons les interminables sinuosités de nos hésitations terrestres. Et si, comme vous, nous avons la chance d’arriver à ce terme tant espéré du voyage, après avoir traversé les lacs majestueux de la sagesse, nous tombons inéluctablement dans l’océan originel de l’espace infini.
BÉA Ma petite, vous n’allez pas bien. Je vous apporte un verre d’eau.
ALEX C’est très aimable.
BÉA Puis tiens, je vais plutôt réchauffer le café. (elle sort) Vous en voulez ?
ALEX Il en reste ? Euh… est-ce bien raisonnable ? Après votre malaise.
BÉA Pas de danger, je suis increvable. Le café, ça me calme.
ALEX Tu parles. Oui, avec plaisir. Chère madame, je disais donc, je suis venue vous exposer les nombreux avantages auxquels le sénior a droit. La ville de Paris porte une grande attention à la personne âgée.
BÉA Vous l’aimez comment ?
ALEX De tout mon cœur, croyez-moi. Et vivante, si possible.
BÉA Parce que je le préfère serré.
ALEX Parfait, moi aussi. C’est charmant chez vous. Lumineux. La décoration est…
BÉA Dépouillée.
ALEX J’allais le dire.
BÉA C’est un très vieil appartement.
ALEX Ça se voit.
BÉA Nous l’habitons depuis quatre générations.
ALEX Non ! C’est incroyable.
BÉA (elle entre) Du sucre ?
ALEX Merci, oui.
BÉA Excusez-moi pour tout à l’heure. Ces temps-ci, je perds souvent connaissance.
ALEX Ah bon ?
BÉA Une fois par jour en moyenne.
ALEX Depuis longtemps ?
BÉA Hier.
ALEX Peut-être un manque de calcium. Vous mangez des laitages ?
BÉA Ah non.
ALEX Un morceau de fromage par jour, c’est indispensable. Vous mangez bien vos cinq fruits et légumes quotidiens ?
BÉA Je n’ai pas compté. Vous êtes diététicienne ?
ALEX Un peu diététicienne, un peu soignante, un peu psychologue, un peu animatrice, un peu secrétaire… Je suis une assistante sociale spécialisée en gérontologie.
BÉA Gérontologie… c’est les vieux ?
ALEX Un peu.
BÉA Ah ! Vous voulez me mettre en maison de retraite.
ALEX Au contraire. Je viens m’assurer que vous pouvez vous débrouiller seule. Que vous êtes indépendante.
BÉA Je me débrouille très bien toute seule.
ALEX Jusqu’au jour où… Si je n’avais pas été présent, présente tout à l’heure, qui sait ce qui aurait pu arriver.
BÉA Si vous n’aviez pas été là, je n’aurais pas eu peur.
ALEX Excusez-moi je vous en prie. Je suis fautive, je vous ai surprise, je n’aurais pas dû. Mais le fantôme, la perte de connaissance, les hallucinations…
BÉA J’ai cru voir maman.
ALEX Votre mère ?
BÉA Hier, c’était papa.
ALEX Je comprends mieux.
BÉA Quoi ?
ALEX Les hallucinations. Vous étiez comme une petite fille.
BÉA Vous m’inquiétez.
ALEX C’est un phénomène connu : plus on approche de la fin, plus on retombe en enfance.
BÉA Ah bon ?
ALEX Pour vous permettre de conserver le lien vital avec la réalité, pour maintenir votre esprit et votre corps en éveil, le centre d’action sociale organise toutes sortes d’activités. Vous pouvez rencontrer des gens…
BÉA J’ai ce qu’il me faut. Non merci.
ALEX Voyager à travers la planète…
BÉA Avec des avions pollueurs. Non merci.
ALEX Déjeuner avec d’autres séniors.
BÉA Manger avec des vieux. Non merci.
ALEX Partager vos connaissances.
BÉA Avec qui ?
ALEX Je ne sais pas… Avec d’autres vi… avec d’autres.
BÉA Pour ce que ça donne. Hier, j’ai tenté un brin d’éducation avec un inspecteur de police.
ALEX Alors ?
BÉA Complètement inculte le pauvre type. Un peu plus âgé que vous.
ALEX C’est le maquillage.
BÉA Je lui ai donné un cours d’histoire géographie.
ALEX Vous voyez : vous pouvez être utile, même pour un flic. La transmission du savoir, il n’y a que ça de vrai. Le partage des connaissances, l’héritage culturel, le transfert des richesses… c’est formidable.
BÉA Partage, héritage, transfert… quelles richesses ?
ALEX Cet appartement, en plein cœur de Paris, ça doit valoir une petite fortune.
BÉA Je suis locataire.
ALEX J’ose à peine imaginer le loyer. Vous devez avoir une sacrée bonne retraite.
BÉA Tenez-vous informée ma petite : tout augmente, sauf la retraite. Heureusement, l’appartement est bon marché.
ALEX Vous avez de la chance.
BÉA Tu parles. Ils me harcèlent, ils veulent me faire partir. Vous vous rendez compte ? Une femme de mon âge.
ALEX Qui vous harcèle ?
BÉA Le propriétaire, les voisins. Mais je m’en fous, je reste.
ALEX Est-ce bien raisonnable ? Vous êtes une personne âgée isolée. Vous avez des troubles de mémoire, vous voyez des fantômes… Comme je dis toujours : la santé n’a pas de prix.
BÉA Il m’a offert un paquet d’oseille pour que je parte. J’ai refusé.
ALEX Bravo. Mais j’insiste, il ne faut pas rester seule. Parmi les nombreuses activités que propose le centre d’action sociale, il y a les ateliers pédagogiques. Vous pourriez vous y inscrire comme formatrice.
BÉA Formatrice. De quoi ?
ALEX D’histoire, de géographie.
BÉA Pourquoi pas de philosophie.
ALEX C’est une excellente idée.
BÉA Je n’ai plus l’âge d’aller à l’école.
ALEX Vous avez bien une passion ?
BÉA Mmm. Il y a bien une chose que je pourrais transmettre.
ALEX Oui ?
BÉA Mon amour de la musique.
ALEX Affirmatif ! Euh, c’est une excellente idée.
BÉA Vous aimez l’opéra ?
ALEX Je ne sais pas.
BÉA Eh bien nous allons voir. (elle met le disque de Mozart)
ALEX Ça décoiffe.
BÉA Vous me faites penser au flic d’hier. Il n’avait pas besoin de coiffeur. La boule à zéro. Vous vous rendez compte, il a osé appeler ce chef d’œuvre de la musique morte.
ALEX Il voulait dire que cette musique a été écrite il y a très longtemps.
BÉA Certes, ma petite. Mais elle est vivante. Sinon, elle ne décoifferait pas.
ALEX C’est… entraînant.
BÉA Ah ! Vous êtes entraînée par la richesse sonore de l’orchestre. Écoutez : chaque instrument s’exprime dans l’harmonie, la fluidité. Chaque phrase caresse les sens. Chaque note s’insère dans le discours musical. Chaque rythme trouve sa place dans une architecture grandiose. Ce n’est pas comme leur musique de zozo ! Entendez cet élan, cette force. Les moments de calme aussi. Et vous appelez ça de la musique morte.
ALEX Ce n’est pas moi, c’est l’autre.
BÉA Cette musique est plus vivante, infiniment plus construite que le boucan des voisins, le vacarme de la télé, des boîtes de nuit.
ALEX Vous allez en boîte de nuit ?
BÉA Oh là, non ! Trop de bruit, trop de gesticulations.
ALEX Il faut du rythme pour danser.
BÉA Ah… j’aimais danser dans ma jeunesse. J’allais au bal.
ALEX La danse, c’est super, ça crée des liens.
BÉA Une fois, mon fils m’a emmenée dans une de ces boîtes. Poum poum toute la soirée, musique de zozo. Une fois, une seule, ça m’a suffit.
ALEX C’est quand-même mieux que l’opéra pour lever des na… Pour faire des rencontres.
BÉA Vous, vous allez en boîte pour draguer.
ALEX Pour être du centre d’action sociale, je n’en suis pas moins femme. Nous avons des désirs.
BÉA Pas la peine de faire un dessin.
ALEX C’est plus sûr que le concert classique.
BÉA Pas du tout d’accord. Je peux vous parler franchement ?
ALEX Entre femmes, on peut tout se dire.
BÉA C’est à l’opéra que j’ai eu mes plus belles aventures.
ALEX Non.
BÉA Je vous assure. Je prends des places pas trop chères. À l’entracte, je descends jeter un œil sur ces messieurs. Je les choisis relativement mûrs.
ALEX Vous trouvez des hommes seuls ?
BÉA Le plus souvent, ils sont en couple.
ALEX Comment vous faites ?
BÉA Je les fais rire. C’est la première chose, vous devriez le savoir. Ensuite, ce n’est pas difficile : je les branche sur l’opéra. C’est ma passion.
ALEX Comment vous faites pour éloigner la femme ?
BÉA En général, elle reste.
ALEX Si je m’attendais. Vous avez des aventures avec des hommes et avec des femmes.
BÉA Ne faites pas la sainte-Nitouche. Essayez plutôt de vous décoincer, ma petite. La vie est faite pour en profiter. Je n’ai pas attendu les œuvres sociales…
ALEX Le centre d’action…
BÉA On s’en fout. Je ne vous ai pas attendue pour m’amuser. C’est autre chose que le loto, c’est moi qui vous le dis. Quand ils ont mordu, je passe la deuxième partie dans leur loge.
ALEX Une loge, carrément.
BÉA Je les choisis à l’aise.
ALEX À l’aise ?
BÉA Avec du blé. Enfin, vous sortez d’où ?
ALEX Ensuite ?
BÉA Ils m’invitent à dîner. En ville.
ALEX Ensuite ?
BÉA Nous allons chez eux…
ALEX Boire un dernier verre.
BÉA Tout à fait.
ALEX Ensuite ?
BÉA Ensuite, ensuite. Faut tout vous dire. Ensuite, nous… enfin vous voyez bien.
ALEX Vous faites… avec… des hommes mûrs… des couples…
BÉA Je ne vois pas ce qu’il y a de mal. C’est la nature. Le meilleur moment, c’est…
ALEX Je ne veux pas le savoir !
BÉA Tant pis.
ALEX Vous alors. Et vous allez à l’opéra, habillée comme ça ?
BÉA Mais non. Je me fringue en conséquence.
ALEX Je me disais aussi.
BÉA Pas comme maintenant. Quand je suis chez moi, je m’en fous. Personne ne regarde. Enfin j’espère. Après tout, ce salopard de proprio serait capable de me faire espionner. Avec la technologie moderne, allez savoir s’il ne diffuse pas notre conversation en direct.
ALEX Vous êtes trop soupçonneuse. Et ça marchait ?
BÉA Quoi ?
ALEX L’opéra.
BÉA Ça marche toujours. Vous n’imaginez pas le nombre de bourgeois qui s’offrent un petit extra avec quelqu’un de… de mon expérience et avec mon style.
ALEX Vous cachez bien votre jeu.
BÉA Pour être retraitée, je n’en suis pas moins femme. Bon, j’ai soif. Ça vous dit un petit Armagnac ?
ALEX Je ne voudrais pas abuser.
BÉA Il est à se taper le cul par terre. Soixante-dix ans d’âge.
ALEX Alors d’accord.
BÉA Et vous, les boîtes ?
ALEX Oh, je suis très conventionnelle. Je suis attirée par… les personnes de l’autre sexe.
BÉA Vous devriez essayer le même, ça vous décoincerait.
ALEX C’est une proposition ?
BÉA N’allez pas vous faire des idées, je pourrais être votre grand-mère. Sachez quand-même, ma petite, que l’énergie sexuelle non déchargée perturbe le système vaso-végétatif.
ALEX Quoi ?
BÉA Ce qui engendre l’angoisse cardiaque, par conséquent, la névrose.
ALEX Je me disais aussi.
BÉA Si vous réfrénez vos pulsions sexuelles, vous aurez de l’asthme bronchique, ou pire : de l’hyperthyroïdie. Des saloperies qui vous enverront droit au cimetière.
ALEX Vous avez raison : les femmes, pourquoi pas. Je vais y penser.
BÉA Ça vous ouvrira l’esprit. Vous avez l’air d’une poupée en porcelaine.
ALEX Ne croyez pas ça. Je suis féminine certes, mais je suis solide. J’ai vécu. C’est quoi cet opéra ?
BÉA Don Giovanni.
ALEX Pourquoi personne ne chante… c’est une version pour muets ?
BÉA C’est l’ouverture. C’est toujours comme ça à l’opéra. L’orchestre expose d’abord les thèmes. Ensuite, les personnages arrivent et l’action commence. Je vous raconte ?
ALEX Ce n’est pas l’histoire d’un type qui séduit toutes les femmes qu’il croise ?
BÉA Vous êtes moins ignorante qu’il n’y paraît. Mais ça reste moral : il en meurt.
ALEX Pourtant, on ne peut pas dire qu’il réfrénait ses pulsions. Peut-être qu’il n’aimait pas les hommes.
BÉA Pas officiellement.
ALEX Oh là ! Stop. Je vais être pompette.
BÉA À Don Giovanni qui en a bien profité.
ALEX À la vôtre.
BÉA Mais parlez-moi de vous. Alors comme ça, vous avez vécu. Racontez-moi.
ALEX J’ai été élevée par une femme seule.
BÉA Tiens, tiens. Votre mère ?
ALEX Oui. Elle travaillait dur.
BÉA Pas de père ?
ALEX Je ne l’ai pas connu.
BÉA Il vous a abandonnées. Sale type.
Musique des voisins en sourdine.
ALEX Non, il est mort avant ma naissance.
BÉA Vous entendez ? Ils remettent ça.
ALEX Y a du rythme.
BÉA On n’est pas en boîte. C’est beaucoup trop fort. Vous êtes témoin : ils me harcèlent.
ALEX Ils n’aiment peut-être pas l’opéra.
BÉA Je les emmerde.
ALEX Je suis certaine que si on arrête, ils arrêteront aussi. Je peux ?
BÉA De toute façon, c’est la fin de l’ouverture, et puis on ne s’entend plus.
ALEX (il stoppe le disque, la musique voisins s’arrête) C’est magique.
BÉA Qu’est-ce qu’on disait ?
ALEX On disait qu’on ne s’entend plus !
BÉA J’entends très bien.
ALEX Pardon. Euh, ma mère…
BÉA Non, votre père. Comment il est mort ?
ALEX Je ne sais pas.
BÉA Ma pauvre petite. C’est dur de ne rien savoir de son père.
ALEX Surtout pour un garçon.
BÉA Vous avez un frère ?
ALEX Non… Mais encore plus pour une fille ! Elle n’a jamais parlé de mon père.
BÉA Pas une photo ?
ALEX Non. Je ne sais rien de lui.
BÉA Si ça se trouve, ses parents, vos grands-parents, sont encore vivants.
ALEX Possible. En tout cas pas les autres. Ils sont morts quand ma mère avait une dizaine d’années.
BÉA Drôle de coïncidence.
ALEX Vous avez perdu vos parents vous aussi ?
BÉA À votre avis ? Je pensais au flic d’hier. Sa mère a perdu ses parents quand elle était gamine.
ALEX Le monde est petit. Ma mère était orpheline aussi. Elle a été trimballée de famille en famille. Elle a dû travailler très jeune pour s’en sortir. Quand je suis née, elle avait une grosse clientèle et se couchait super tard. Je ne la voyais presque pas.
BÉA Pauvre petite.
ALEX Aujourd’hui, elle est respectée. Elle est indépendante. Mais ça n’a pas toujours été le cas. Fallait pas que je traîne dans ses pattes. J’en ai pris des roustes.
BÉA La mère abandonnée qui frappe son enfant. Le schéma classique.
ALEX Pas elle. Les autres enfants.
BÉA Qu’est-ce qu’elle fait comme boulot ; directrice d’école ?
ALEX Euh….
BÉA Elle ne s’est pas occupée de sa propre fille. Comme quoi c’est vrai ce qu’on dit : ce sont les cordonniers les plus mal chaussés.
ALEX J’étais laissée à moi-même. J’ai traîné un peu partout.
BÉA Et vous avez eu des mauvaises fréquentations. Vous me rappelez mon Jacob.
ALEX Disons que je ne rentrais pas tous les soirs à la maison. J’ai appris à me débrouiller seule.
BÉA Pour une fille, ça doit être dur.
ALEX Vous pouvez le dire.
BÉA Voilà pourquoi vous êtes devenue assistante sociale.
ALEX Tout à fait.
BÉA Un autre verre ?
ALEX Ce ne serait pas raisonnable. Je suis en service.
BÉA Une grand fille comme vous, qui s’est faite toute seule.
ALEX Merci, stop. Vous allez me saouler.
BÉA Il ne fait que quarante degrés.
ALEX Quand-même.
BÉA Dites-moi…
ALEX Juste un doigt.
BÉA Vous êtes une vraie blonde ?
ALEX J’ai fait une coloration. Vous n’aimez pas ?
BÉA Vous êtes plutôt attirante. Mais je vous préfère la boule à zéro.
ALEX Mes cheveux !
BÉA Je doute qu’ils soient à vous. Je vous reconnais. Vous avez inventé la fable de l’œuvre sociale pour revenir me harceler. Si ça se trouve, vous n’êtes même pas flic. Je vais appeler la police, la vraie.
ALEX Je ne ferais pas ça.
BÉA Vous allez m’en empêcher ?
ALEX S’il le faut.
BÉA Je voudrais voir.
ALEX Soyez raisonnable, mamie Béa.
BÉA Laisse-moi passer, petit morveux.
ALEX C’est bon mère-grand. Non. Arrêtez tout de suite. Aïe ! Putain vous m’avez fait mal. Vous allez vous en prendre une.
BÉA Essaie pour voir, petite fiotte.
ALEX C’est qu’elle mordrait la vieille peau.
Ils se battent.
BÉA Tiens, petit con !
ALEX Salope !
BÉA Lâche-moi !
ALEX Jamais vous vous coupez les ongles ?
BÉA Tu m’écrases !
Ad libitum.
BÉA Je reprendrais bien un petit verre.
ALEX Allez… je vous sers.
BÉA Où sont mes lunettes ?
ALEX On s’est bien marrés.
BÉA Merci. Ça faisait longtemps.
ALEX J’aurais adoré avoir une mamie comme vous.
BÉA À la tienne.
ALEX À la vôtre. Vous tenez une sacrée forme.
BÉA Les escaliers, je te dis. Il n’y a pas mieux.
ALEX Mon chemisier…
BÉA Pauvre petite. Elle va se faire gronder par maman.
ALEX Vous ne croyez pas si bien dire. C’est à ma mère.
BÉA Quelque chose me dit qu’elle n’est pas directrice d’école, la maman.
ALEX Je n’ai pas dit ça.
BÉA Qu’est-ce que… Qu’est-ce que mon bijou fait là ?
ALEX Montrez. Non, c’est le mien.
BÉA Je connais ce pendentif. Il est à moi.
ALEX Ma chaîne est cassée. Je l’ai perdu dans la bagarre.
BÉA Comment tu as fait pour… Oui, tu l’as volé pendant que j’étais dans la cuisine.
ALEX Je n’ai rien volé. D’accord, je ne suis pas assistante sociale, je ne suis pas flic, mais je ne suis pas un voleur. Ce pendentif est à moi. Ma mère me l’a donné.
BÉA Mon fils me l’a offert. Je ne vois pas comment il se retrouve autour de ton cou.
ALEX Vous le rangez où d’habitude ?
BÉA Je ne sais pas. Dans ma chambre.
ALEX Vous avez bien une boîte à bijoux.
BÉA Bien sûr, pour l’opéra. Mais la menotte est ailleurs. Je ne l’ai pas portée depuis des siècles.
ALEX La menotte… C’est comme ça que ma mère l’appelle.
BÉA Je vais chercher.
ALEX Je viens avec vous.
BÉA Non, reste ici.
ALEX À deux, on aura plus de chance.
BÉA Personne ne va dans ma chambre.
ALEX Dans la salle de bains alors, on ne sait jamais.
BÉA Tu ne vas nulle part. Attends dans cette pièce.
ALEX Pourquoi ?
BÉA Parce que c’est comme ça. Elle ne doit pas rester vide. Que penseront les gens ?
ALEX Quoi ?
BÉA Bon, tu arrêtes avec tes pourquoi, tes quoi. C’est comme ça, c’est tout. Je n’en ai pas pour longtemps. Si je ne trouve pas, ça prouvera que cette menotte est la mienne. (elle sort)
ALEX Ça prouvera surtout que c’est le bordel chez vous. La pièce la plus claire… J’imagine les autres. Rien que la cuisine, c’est un musée. Des panneaux partout, des affiches au plafond. Ici aussi, c’est pas mal. Je ne vois pas comment on pourrait ajouter quelque chose. Quatre générations, ça laisse des traces. Elle accumule, la mamie Béa. Pas mal les croûtes. (il regarde en avant-scène) Celle-là n’est pas toute jeune, mais il y a du style. Putains de détails, je n’avais pas remarqué. On dirait que c’est vivant. Ça doit valoir un bon paquet. Probablement un cadeau de son fils. Sacré Jacob ! Il avait du goût, l’anarchiste.
Patron… c’est moi. Pas vraiment. Elle pète la forme. J’ai tout essayé. Je ne vois pas comment. Vous aviez raison : elle est blindée. Non, pas des thunes, des toiles. Il y en a partout. Non. Je ne sais pas laquelle. Je n’y connais rien. (elle entre) Je vous envoie les photos. Oui. Vous me direz. Je vais faire mon possible. Vous avez raison, je ne serai pas venu pour rien. On se rattrapera. N’empêche, je me suis bien marré. Je ne sais pas lequel j’ai préféré, l’assistante ou le flic. (il s’aperçoit de la présence de Béa)
Le flic obéit aux ordres. Les ordres ne tombent pas du ciel. Le ciel est au-dessus de la mer. La mer est à l’origine de toute vie. La vie n’est pas facile. Pas facile de trouver une suite. Une suite, c’est plus fort qu’un carré. Un carré a quatre côtés. Quatre côtés, c’est comme quatre murs. Ces murs remplis d’œuvres d’art. L’art est ce que l’homme ajoute à la nature. La nature peut-elle se passer des hommes ? Les hommes font des enfants. Les enfants disent la vérité. La vérité est révolutionnaire. La révolution renverse le pouvoir. Le pouvoir, c’est la guerre. La guerre est bonne pour le commerce. Le commerce est bon pour les marchands. Le marchand agit par calcul. Le calcul est exact. Exactement comme il faut. Il faut être sérieux. Sérieux comme un pape. Le pape n’obéit qu’à dieu. Adieu monsieur.
BÉA Oh, le beau raisonnement.
ALEX Ah ! Vous m’avez fait peur.
BÉA À qui tu parlais ?
ALEX Personne. Un ami.
BÉA Tu appelles ton ami “monsieur” ?
ALEX C’est un jeu entre nous. Une vieille habitude. Je n’y fais même plus attention. Vous avez retrouvé la menotte ?
BÉA J’y ai mis le temps, mais oui.
ALEX Elle était où ?
BÉA Dans une boîte à tabac, avec le savon.
ALEX Vous fumez du savon ?
BÉA Non, la pipe. Mais on s’en fout. Voilà.
ALEX Et la mienne.
BÉA Elles se ressemblent.
ALEX Plus que ça, ce sont les mêmes.
BÉA Passe-moi… Elles s’emboîtent.
ALEX On dirait qu’elles sont faites pour aller ensemble.
BÉA On ne dirait pas ; elles vont ensemble.
ALEX Joli. Ça doit coûter bonbon.
BÉA Tu ne penses qu’à ça.
ALEX Et alors ?
BÉA Alors… On découvre qu’on a chacun le même bijou et toi, tu veux déjà vendre la paire.
ALEX Excusez-moi je vous en prie, déformation professionnelle.
BÉA J’avais raison : tu es vraiment vendeur de voitures.
ALEX Actuellement, je suis dans l’immobilier. Mais oui, j’ai vendu des bagnoles.
BÉA L’ami au téléphone… « On ne sera pas venu pour rien… » Le flic, l’assistante, les tableaux en photo…
ALEX Quels tableaux ?
BÉA Tu crois que je ne t’ai pas entendu tout à l’heure. Le “monsieur”, c’est ton patron. Mon propriétaire. Bande de salauds.
ALEX Mais pas du tout.
BÉA Les enfoirés. Tu voulais me faire craquer. Tu voulais m’envoyer en tôle, pire : en asile.
ALEX Euh…
BÉA C’est cet abruti de propriétaire qui a eu l’idée ?
ALEX La maison de retraite oui, mais pour le reste j’avais carte blanche. Vous y avez cru à fond.
BÉA Pas une seconde.
ALEX Vous avez fait semblant de tomber dans les pommes, peut-être.
BÉA Juste quelques minutes. J’ai très vite compris.
ALEX Perspicace, mamie Béa.
BÉA Avec tes fringues et tes discours. Alexandre le grand… baratineur.
ALEX Je le prends comme un compliment. Merci.
BÉA Ne prends pas la grosse tête avec.
ALEX Qu’est-ce que vous avez préféré : mondaine ou action sociale ?
BÉA J’hésite. Question de goût. Hier, tu avais plutôt l’air d’un maquereau que d’un poulet. Aujourd’hui, tu ressemblais plus à une morue qu’à une assistante sociale.
ALEX Reconnaissez que j’ai bien joué mes personnages.
BÉA Tu as joué la comédie. Bravo, ce n’est pas donné à tout le monde. J’espère pour toi que tu es bien payé.
ALEX Pas terrible. La crise de l’immobilier, vous savez…
BÉA Tu vas me faire pleurer.
ALEX Si j’arrivais à vous mettre dehors, je touchais une commission.
BÉA Raté.
ALEX Je vais avoir un problème.
BÉA Quoi, il va te virer ?
ALEX Possible.
BÉA Tant pis pour lui. Il perdra un excellent vendeur…
ALEX C’est gentil.
BÉA … et toi, un abruti de patron.
ALEX Le problème, c’est qu’on n’avait pas prévu de louper notre coup.
BÉA Donc ?
ALEX Donc, donc… Je m’en veux.
BÉA Tu regrettes ? C’est bon signe.
ALEX Je m’en veux d’avoir vendu la peau de l’ours.
BÉA Vous avez déjà vendu l’appartement ? Je rêve.
ALEX La crise de l’immobilier…
BÉA Au cas où tu n’aurais pas remarqué : je suis encore dedans.
ALEX Pas vendu, loué.
BÉA Il a changé d’avis.
ALEX Il s’est rendu compte que ça rapportait plus.
BÉA Bah voyons. Comment vous allez louer si je suis dedans ?
ALEX C’est le problème.
BÉA Propose-lui de m’inclure dans les charges.
ALEX « À louer F4, meublé, Paris-centre, tout confort, avec ascenseur et grand-mère. »
BÉA La grand-mère va augmenter considérablement le coût.
ALEX Je confirme : vous êtes impayable, hors de prix. Comme ce bijou.
BÉA On parle de fric, direct tu penses aux bijoux.
ALEX Excusez-moi je vous en prie ! C’est votre fils qui vous l’a donné ?
BÉA Comment tu le sais ?
ALEX Vous l’avez dit hier.
BÉA Et toi, où tu l’as volé ?
ALEX Ma mère me l’a donné.
BÉA Voyez-vous ça. Et d’où elle le tient ?
ALEX Je ne sais pas. Je l’ai toujours vu à son cou. Elle me l’a offert pour mes dix-huit ans.
BÉA Le jour de ta majorité. Romantique à souhait.
ALEX Bah oui.
BÉA Maman transmet l’héritage au fiston.
ALEX Elle avait dit qu’un jour cette menotte me raccorderait au passé.
BÉA Tu n’as pas cherché à savoir ?
ALEX Bien sûr que si. J’ai compris qu’il y avait un rapport avec mon père. Comme elle a toujours refusé d’en parler, ça s’est arrêté là.
BÉA Tu as dit qu’elle faisait quoi comme métier, ta mère ?
ALEX Je n’ai rien dit.
BÉA Tu as honte ?
ALEX Euh, non.
BÉA Laisse, je ne suis pas née de la dernière pluie. Les fringues, le bijou, ton père… Tu es un fils de pute.
ALEX Commissaire Pommier, brigade des mœurs.
BÉA Tu n’es pas allé chercher loin tes déguisements.
ALEX Ce ne sont pas des déguisements, ce sont des personnages.
BÉA La susceptibilité de l’artiste. Excusez-moi, monsieur.
ALEX Vous en êtes une autre.
BÉA Bon, ça, c’est fait. Revenons à nos menottes. C’est Jacob qui m’a offert la mienne.
ALEX Avant de mourir.
BÉA Ça aussi je l’ai dit hier, je suppose.
ALEX Résumons : il vous offre une partie du bijou, et l’autre…
BÉA L’autre, il la portait toujours sur lui.
ALEX Il en a peut-être fait cadeau à ma mère.
BÉA Maintenant que tu le dis… Quand je suis allée reconnaître le corps, il ne l’avait plus.
ALEX Il est mort en quelle année ?
BÉA Je ne l’ai pas dit hier ?
ALEX Vous avez dit qu’il avait vingt-six ans.
BÉA À peu près ton âge.
ALEX Les cheveux courts, ça rajeunit.
BÉA Et le maquillage.
ALEX C’est vrai que je fais plus jeune que mon âge. Je suis né en 80.
BÉA Il est mort en 79.
ALEX On l’a échappé belle. Pendant un instant, j’ai cru que votre fils était mon…
BÉA Et la ressemblance ?
ALEX Quoi la ressemblance ?
BÉA Avec les photos. Regarde : mon père, ma mère.
ALEX Le père d’accord, il y a un petit air. Mais la mère…
BÉA Regarde-toi. Tu es très féminine.
ALEX Bon, je ressemble à votre père. Et à votre mère, pour vous faire plaisir.
BÉA Je ne sais pas si ça me fait plaisir.
ALEX Mais ça ne prouve rien.
BÉA Si, ça colle parfaitement. Il est amoureux de ta mère. Il lui fait un enfant…
ALEX Et il se fait buter. Alors, il est…
BÉA On dirait que tu fais partie de la famille.
ALEX S’il est mon… Alors vous êtes ma…
BÉA Tu l’as dit !
ALEX Mais alors… pourquoi on ne se ressemble pas ?
BÉA Tu veux dire, toi et moi ?
ALEX Oui.
BÉA Parfois la nature est bien faite. Et ta mère… tu as une photo ?
ALEX Regardez.
BÉA Pas mal. Grande classe. Tu lui ressembles.
ALEX Ouais. À part vous, je ressemble à toute la famille.
BÉA Je savais qu’il avait une poule un peu plus sérieuse que les autres. Il n’a pas eu le temps de me la présenter.
ALEX Donc, elle était enceinte de moi quand il est s’est fait descendre.
BÉA La putain a eu honte du gangster. Elle ne t’a jamais parlé de ton père.
ALEX Si. Elle disait qu’il était juste de passage.
BÉA Forcément.
ALEX C’était pour me protéger.
BÉA Quand on voit le résultat, elle aurait aussi bien fait de t’affranchir.
ALEX Vous ne l’avez jamais vue ?
BÉA Jamais je te dis. Même pas un prénom, rien. Il était très pudique avec moi. Mais je savais qu’il avait du succès avec les femmes.
ALEX Pourquoi il allait aux putes alors ?
BÉA Parce que c’était son milieu. Il fallait qu’ils soient sacrément à la colle tous les deux pour pondre un lardon.
ALEX À chaque fois que je veux lui parler de mon père, elle sanglote.
BÉA Romantique, c’est ce que je disais. Il faudra que tu nous présentes.
ALEX Pas de problème, on va réparer ça. Je peux vous appeler mamie Béa ?
BÉA Certainement pas ! Béa suffira. Et puis arrête de me dire vous, petit con.
ALEX Prenez les deux menottes, c’est à vous… c’est à toi de les porter.
BÉA Tu gardes la tienne, j’offrirai la mienne à ta mère. En souvenir de mon garçon qu’elle a aimé. Assez de sentiments, j’ai eu ma dose d’émotions ces derniers jours. C’est quoi cette histoire de photos ?
ALEX Les portraits des grands-parents ?
BÉA Non, avec ton patron.
ALEX Comme l’affaire a capoté, je lui ai proposé qu’on se rattrape sur les tableaux.
BÉA Tu t’y connais en œuvres d’art ?
ALEX Non. Mais lui, oui. C’est pour ça que je lui ai envoyé les photos.
BÉA Avec ton téléphone ? C’est pratique.
ALEX Bien plus que ça. Je peux aller sur le Net.
BÉA Où ça ?
ALEX Internet, la toile.
BÉA Le fameux super réseau super contrôlé par la police.
ALEX Pour les paranoïaques seulement. On peut faire des milliards de choses. Par exemple, si vous avez une mélodie en tête et que vous n’arrivez pas à vous souvenir du titre, ou de l’auteur, il vous suffit de chantonner.
BÉA « Rumba la rumba la rum bam bam… »
ALEX Attendez deux secondes. “El paso del Ebro”.
BÉA Génial ! On peut retrouver n’importe quoi ?
ALEX Presque tout, je te dis. J’ai un message. C’est lui. « Très bonnes reproductions. Oseille assuré. Emporte un max. »
BÉA On peut même s’écrire. J’en veux un comme ça.
ALEX Je me ferais le plaisir de t’en offrir un. Comme ça on restera en contact.
BÉA Tu sais, les tableaux…
ALEX D’après lui, ils pourraient rapporter un peu de pognon. Je dois le rappeler.
BÉA Ce ne sont pas des reproductions.
ALEX Non !
BÉA Dans les coffres des banques, il n’y a pas que le fric.
ALEX Votre fils… ton fils, mon père planquait les tableaux chez toi. Trop fort le mec ! Mais alors, il y en a pour une fortune.
BÉA Probablement plus que ça.
ALEX C’est du recel.
BÉA Hier j’étais proxénète, je ne suis plus à ça près.
ALEX Incroyable.
BÉA Qu’est-ce que tu vas dire à ton patron ?
ALEX On s’en tape de cet abruti.
BÉA Tu as changé d’avis ?
ALEX Ça me ferait mal qu’il te dépouille des tableaux. Et même l’appartement. C’est chez toi.
BÉA Je te rappelle que je ne suis qu’une pauvre locataire.
ALEX Je compatis.
BÉA Et plus de première fraîcheur.
ALEX Tu rigoles. Tu pètes la forme.
BÉA Arrête tes conneries. Dans l’escalier, je souffle comme une vache, je perds la vue, la tête avec.
ALEX Tu es en train de me dire que tu accepterais une aide ? Après tout le mal que je me suis donné.
BÉA Non ! Enfin pas des œuvres sociales.
ALEX De qui ?
BÉA Je vis seule, tu vis seul.
ALEX Tu veux t’installer chez moi ? Pas question, c’est tout petit. Ici ? Tu veux que je m’installe chez toi ?
BÉA Pourquoi pas.
ALEX Tu me connais à peine. Je pourrais te dépouiller.
BÉA J’ai confiance. Tu m’as fait rire, tu m’as fait pleurer. Et surtout, j’ai gagné vingt ans.
ALEX Et moi une grand-mère.
BÉA J’aimerais bien rencontrer ta mère.
ALEX Ça lui fera probablement un choc.
BÉA Comment elle est ?
ALEX Un peu comme toi. Très organisée, très respectueuse des institutions, surtout la police. Timide, effacée, sans caractère… toutes les qualités de la femme au foyer.
BÉA Elle s’est remise avec quelqu’un ?
ALEX Ça dépend. Quand j’étais gamin, j’ai vu passer pas mal d’hommes. Aucun ne s’est arrêté.
BÉA Et aujourd’hui ?
ALEX Je ne sais pas. Elle est très secrète.
BÉA Invitons-la. Je la féliciterai pour le maquillage, le chemisier, les chaussures, la perruque et la femme séduisante qui était dedans.
ALEX C’est trop d’honneur.
BÉA Et si j’avais fait pareil ?
ALEX Comment…
BÉA Toute cette comédie.
ALEX Qu’est-ce que tu veux dire ?
BÉA Tu aurais joué le type qui joue le vendeur de bagnoles qui joue le vendeur immobilier qui joue le flic qui joue l’assistante.
ALEX Et toi, tu serais quoi ?
BÉA Moi, je suis une petite vieille qui refuse de quitter son appartement.
ALEX À ta place, je ferais la même chose.
BÉA Ah ! N’oublie pas ton patron.
ALEX Qu’est-ce que je lui raconte ?
BÉA Tu n’as qu’à dire la vérité.
ALEX Oui, tu as raison. « Patron, c’est Alex. Les tableaux, ce n’est pas du toc. C’est des vrais. La vieille, c’est ma grand-mère, je m’installe chez elle et on vous emmerde. Si vous continuez à nous harceler, je rachète l’immeuble. Je ne vous salue pas. » Qu’est-ce que tu en dis ?
BÉA Pas mal. Mais moi vivante, je ne serai jamais propriétaire.
ALEX Et les tableaux ?
BÉA Ils ne sont pas à moi. C’est un dépôt… de peinture.
ALEX Je ne l’avais pas remarqué. Celui-ci, le petit.
BÉA Il ne vaut pas grand-chose. Il faisait probablement partie d’une série.
ALEX On avait presque le même à la maison.
BÉA Chez ta mère ?
ALEX Elle l’a vendu quand j’étais môme. Mais je ne l’ai jamais oublié. Il me faisait rêver. Il y a quelques années, je l’ai retrouvé sur Internet.
BÉA Tu l’as racheté ?
ALEX Non, je l’ai copié.
BÉA Comment ça ?
ALEX Je l’ai fait tatouer au bas du dos. C’est super stylé. Tu veux voir ?
BÉA Excusez-moi je vous en prie.
ALEX J’allais le dire.
Rideau