Quelle santé !…

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A Chicago, on ne connaît que trop Ma Grafton, la mère fracassante des terribles frères Grafton. En liberté, c’est une calamité ; en prison c’est un ouragan de truculence et de jovialité. Comme ses compagnes de cellule ne sont pas tristes non plus, pour l’administration du pénitencier, c’est carrément la galère ! On l’aura compris, si l’une des grandes originalités de cette comédie est d’avoir pour décor la cellule du pénitencier féminin américain, la pièce pour autant n’engendre pas la mélancolie ! Personnages hauts en couleur, dialogues percutants, situations cocasses et rebondissements multiples en font un cocktail revigorant et joyeusement explosif. Le sujet aurait pu être grave. Et tendre. Il l’est d’ailleurs : l’émotion affleure en permanence derrière le fou rire et l’entrain cataclysmique. Ma Grafton dans ses uvres, c’est irrésistible de drôlerie ! Gloria, Rosy et Marilyn d’abord perplexes, voire hostiles, bientôt lui emboîteront joyeusement le pas. Guilmore, le journaliste, apprendra à regarder au-delà des apparences. Le Directeur et la surveillante chef finiront, eux, par s’humaniser et repenser leur vie. Bref, tout finira bien dans un dernier éclat de rire, mais quelques questions, chemin faisant, auront été posées. A signaler la distribution intéressante pour une troupe de théâtre à majorité féminine.

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ACTE I

 

Le rideau s'ouvre sur la cellule d'une prison pour femmes. De chaque côté de la scène, deux lits superposés. Au fond une cuvette de W-C, surmontée d'une lucarne grillagée ; plus à gauche une porte grillée munie d'un passe-plat ; en coin à droite un paravent et, au mur des patères. Quelque part un tabouret. Trois prisonnières, vêtues de blouses gris-bleu (avec dans le dos l'inscription : STATE PENITENTIARY OF ILLINOIS et un numéro matricule) sont installées sur leurs couchettes. Rosy se vernit les ongles des pieds, Marilyn est en train de lire un magazine, Gloria est allongée, tournée vers le mur. Seule est vide, une des couchettes supérieures.

MARILYN : Eh Rosy, écoute un peu mon horoscope : “Vous vous sentez un peu à l'étroit dans votre quotidien...”

ROSY : C'est quoi ton canard ? L'Echo des Prisons ?

MARILYN : Attends... “à l'étroit dans votre quotidien, un voyage ou une rencontre pourraient vous faire le plus grand bien”. Qu'est-ce que je fais ? J'montre ça au directeur et je demande une remise de peine ?

ROSY : J'vois d'ici le voyage : une semaine au mitard !... J'te rappelle que tu sors d'en prendre.

MARILYN : Ouais, et c'est pas l'idéal pour une rencontre !...

(Miss Gibson, la gardienne, apparaît à la grille. Elle est accompagnée de Ma Grafton, aux bras chargés de ses affaires et de ses draps.)

ROSY : Tiens, ben j'crois qu'la v'là ta rencontre !

GIBSON : J'vous amène une quatrième pour le bridge.

MARILYN : Ah non chef, à trois on est déjà serrées !

(La gardienne fait entrer la nouvelle.)

Ah merde, en plus c'est une grosse ! Chef, sans rire, vous avez pas le modèle en dessous ?

GIBSON : La ferme ! (A Ma) Toi, fais ton lit, et installe-toi.

(Elle referme la grille et s'en va. Ma, reste un moment immobile.)

MA : Salut les filles. Où ce que j'me mets ?

MARILYN : Devine…

MA : Là-haut ? Ben franchement, si y'en avait une pour me céder sa place en bas, ça m'arrangerait bien...

MARILYN : Pourquoi ? T'as du mal à te soulever ? Pas la peine d'être profilée comme une montgolfière !…

MA : Toi, la finaude, j'sens que t'es volontaire pour les gros ennuis...

MARILYN : Répète ça en articulant, pour voir...

(Elle saute à terre, l'air mauvais.)

ROSY : (s'interposant) Du calme, merde ! Arrête Marilyn, fous-lui la paix. (A Ma) Ça va, j'te laisse ma place. Mais tu te coltines les deux lits, j'ai pas envie de me refaire le mien.

MA : T'en fais pas pour ça. Je garde tes draps. J'ai dans l'idée qu't'es pas la fille à salir. Pis, j'vais t'dire : y a des lits de bonshommes où que j'ai rentré, que fallait drôlement s'abstraire pour y rester... En tout cas merci, t'es une chic fille... C'est quoi ton nom ? Moi c'est...

ROSY : Je m'appelle Rose Lexington. Tu peux m'appeler Rosy.

MA : Va pour Rosy. Ben moi, j'suis Ma Grafton.

ROSY : Ma Grafton ? La mère des trois frères Grafton !

MA : Ah, tu connais mes trois petits anges ?

MARILYN : Tu parles que tout le monde les connaît ! Ils ont écumé tous les états, depuis la côte-sud jusqu'en Illinois !

ROSY : Paraît qu'à eux trois, ils ont fait autant de morts que tout le gang à Capone du temps de la prohibition !

MA : Bah, on exagère toujours. Une chose de sûr, c'est qu'ici, à Chicago, ils sont innocents de quoi qu'on les accuse !

MARILYN : Eh dis, la mère, à nous faut pas la faire ! D'abord on n'est pas des flics, et pour ce qui me concerne, les Grafton, coupables ou innocents, j'en ai rien à foutre ! Peuvent aller se faire pendre ou griller où ils veulent !

(Ma lui retourne une gifle violente.)

MA : Toi ma belle, fais attention, parce qu'une autre fois j'me fâche... Mes p'tits, j'aime pas qu'on en dise du mal. Des gosses, que quand ils étaient hauts comme ça, ils étaient plus câlins qu'une portée de chiots. Les meilleurs du quartier, gentils et polis, les préférés de toutes les filles du claque où que je travaillais. (Elle fait le lit en parlant.) Et pourtant, z'avaient bien du mérite, vu les gênes corrompus qui gâtaient leurs pauvres petits chromosomes hérités de leur malfaisant de père ! Un tueur à la petite semaine, même pas capable d'assassiner proprement, que fallait toujours que j'y mette à bouillir toutes ses frusques après un contrat, un traîne-savates sans foi ni loi. Enfin sans loi, parce que côté foie, fallait bien qu'il en ait, vu qu'il est mort d'une cirrhose...

MARILYN : Fallait le quitter ton toquard, eh, grosse nouille !

(Ma la gifle de nouveau.)

MA : Toi, tu vas finir par me mettre en colère !... La gifle c'est pour la nouille. J'suis une fille Luciani, moi, de père et mère natifs de la Sicile. Alors, chez nous, les nouilles, on respecte ! Tiens-toi le pour dit ! Et pour c'qu'était de Billy Grafton, cette charogne - Dieu ait son âme - qui m'a servi d'époux, j'peux t'dire qu'on ne le quittait pas ! Le jour où j'ai fait mine de boucler mes malles pour décamper avec mes mioches, en guise de pension alimentaire, il m'a servi une balle dans le genou. Heureusement, elle m'a pas fractionné la rotule, elle s'est logée à deux doigts de l'aileron rotulien, entre le condyle externe et ligament latéral. J'ai encore la cicatrice, si tu veux voir... Enfin, tout ça pour dire que mes p'tits, j'en ai eu que de la satisfaction. A l'école, tout le mois qu'ils y sont étés, y'en avait pas deux comme eux pour apprendre. Un matin, le maître leur a raconté la vie de Billy-Le-Kid. Eh ben, le soir même, ils dévalisaient le drugstore... Ah, pour sûr que c'étaient des bons p'tits... Si y'avait pas eu ce galopin de Zacharie Dillinger pour les dévoyer, jamais j'aurais eu à m'en plaindre. Seulement, il est arrivé le Zacharie, un dévergondé sorti tout droit de son bidonville, qui s'est pris des airs de seigneur pour impressionner mes petits gars. Et j'te pique des bagnoles, j'te jette des pavés dans les vitrines pour faire les courses, et m'habiller grand prince. Z'ont pas pu résister, mes bébés. Ont voulu faire pareil. Histoire de ne pas paraître plus branque que le Zacharie. C'est qu'on a sa fierté chez les Grafton ! Jusqu'au jour où Barnabé, le p'tit dernier - mais qu'a grandi trop vite, et que le corps lui a comme qui dirait trop pompé le cerveau au point que ça l'a laissé un peu simplet - que mon pauvre Barnabé donc, il jette un pavé dans la vitrine d'un commissariat parce que son frère Jessie avait eu le malheur de dire qu'il avait envie de s'offrir du poulet. Les flics ont même pas voulu comprendre la méprise. On me les a enfermés pour deux mois, au pénitencier de Longstone. A partir de là, ça a été la spirale inexora-   ble : la promiscuité dans une population pénitentiaire favorise la délinquance davantage que la rédemption et la réinsertion. C'est le propre de la masse que de digérer l'individu, par simple osmose. On entre fragile. On sort endurci. Prêt à la récidive. Et c'est là le paradoxe structurel du système ; tous les sociologues de la tendance baconiste en conviennent... Bref, la prison a gâté mes petits. Ça a été leur fin. Et leur début... Bon, quand c'est qu'on mange dans cette turne ? J'ai comme un creux, moi !

ROSY : Ça tombe bien, Maman Grafton, c'est presque l'heure.

MA : Maman Grafton ! Ah, c'est gentil, ça me rajeunit, mais j'ai perdu l'habitude. Appelle-moi Ma, comme tout le monde... Qu'est-ce que t'as fait, poulette, pour être ici ?

ROSY : Bah, j'ai refilé de la mort-aux-rats, en guise de bromure, à un vieux satyre qu'aurait mérité cent fois pire.

MA : Alors t'as eu raison ! Avec les hommes, c'est toujours salutaire d'faire un exemple de temps en temps ! Et la petite, là, tournée vers son mur ?

ROSY : Elle, c'est Gloria. C'est tout ce qu'on sait. Elle est là depuis une semaine, et depuis ce temps-là elle est comme ça, à rien dire, ou à pleurer qu'elle est innocente.

MA : Ah ?... Mais après tout, ça c'est vu, des horreurs judiciaires. Moi j'en ai connu une qu'on a bel et bien passée à la chaise, pour rien, vu qu'on a trouvera vraie coupable deux ans plus tard. Ah sûr, ça arrive qu'on fasse griller des innocents...

(Gloria toujours prostrée, se met à glapir bruyamment.)

Allons bon... (Elle va s'asseoir près de Gloria.) Pleure pas, j'ai dit ça comme j'aurais dit autre chose !

GLORIA : (glapissant) J'ai rien fait ! J'ai rien fait !

MA : Mais non, mais non, t'as rien fait... Oui c'est qu't'as tué ? (Glapissements) J'veux dire qui c'est qu'on t'accuse d'avoir tué ?

GLORIA : Mon... mon fiancé...

MA : Ah ben ça c'est pas gentil. C'est parce qu'il t'aimait plus que tu l'as... (Glapissements) ... qu'y en a qui disent que tu l'as... Il est mort comment, ton fiancé ?

GLORIA : (glapissements) J'sais pas.

MA : T'étais pas avec lui ?

GLORIA : Si, dans ses bras.

MA : Ah ben dis donc, t'es pas observatrice !... Et y'avait des témoins, j'veux dire, d'autres gens avec vous ?

GLORIA : (avec des sanglots) Non. Rien que nous deux. On s'embrassait, et aussi on parlait de notre mariage qui devait avoir lieu trois jours après, à Noël. On était assis sur le canapé, on avait bu le café, on était bien, on causait, on riait, il disait que peut-être il fallait qu'on fasse une répétition, pour la nuit de noces, il voulait m'expliquer, et puis je sais plus, je me suis endormie, et quand je me suis réveillée, il y avait du monde plein la pièce, il avait fallu casser la porte pour entrer parce qu'on l'avait fermée à clé, c'est ma mère qui venait pour la robe du mariage, elle savait qu'on était là, ça répondait pas, elle a fait enfoncer la porte par un voisin, ils nous ont trouvés, ils ont appelé les pompiers, la police est venue aussi, John était mort, ils ont dit que je l'avais empoisonné avec le café, mais j'ai rien fait, j'ai rien fait, il m'aimait, on allait se marier, et même on était prêts à...

MA : Dans les tasses, ils ont trouvé du poison ?

GLORIA : (pleurant de plus belle) A l'autopsie, ils en ont trouvé. Pas dans les tasses, mais je les avais rincées, comme ça, en causant...

MA : Ben ça t'aurais pas dû... D'abord une tasse à café, ça se lave pas. Le café c'est bien plus meilleur dans une tasse bien culottée. Ça garde l'arôme... Ben j'vais t'dire, moi ton histoire, ça m'a convaincue. Je crois que t'es innocente. T'as pas la tête à faire une chose pareille. Parce que ça ce serait un vrai crime, pour sûr, que de gâter un bon café avec une saloperie de poison !...

GLORIA : (glapissant) J'sais pas, j'sais pas. Mais moi j'ai rien fait, j'ai rien fait, j'ai rien fait...

MARILYN : Dis, si tu lui foutais la paix à cette gosse ? Tu vas pas refaire l'enquête, non ? T'es une taularde, ma grosse, comme nous toutes. Quant à elle, coupable ou innocente, moi j'm'en balance. Mais qu'elle arrête de brailler. Alors toi, c'est pas la peine de l'asticoter, et d'ailleurs, c'est pas tes oignons !

MA : (se levant) Bon, toi, la pas fine, depuis le temps que tu me cherches, bien ça y est, t'es rendue, tu m'as trouvée. (Se massant le poing) J'ai comme des élancements, là, du côté des cartilages, et c'est vachement mauvais signe. Pour toi !

MARILYN : Ben, moi, c'est du côté des joues que ça m'élance encore. Ça me fait toujours ça,...

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