Quelque part

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Quelque part, ça peut être ici ou là, devant ou derrière, plus loin ou plus près, dans une direction ou dans une autre, à l’envers de l’endroit ou à l’endroit de l’envers, ou bien encore, dans le pire des cas, nulle part.

Dans ces allées et venues, allers et retours, où chacun se dirige comme il peut dans l’espoir de trouver sa voie, la quête du bon endroit vire à un errement vertigineux. Dans un sens comme dans l’autre, il y a ceux qui tournent en rond, ceux qui font du sur place, ceux qui reviennent au point de départ. Arrivent-ils quelque part ou ailleurs et, tout bonnement, y-a-t-il une arrivée ?

Ils s’appellent Ava, Ivi, Eve, Uru, Natan, Anna et Bob, des prénoms qui se lisent dans les deux sens, et qui ne servent à rien d’autre qu’à brouiller les pistes.

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Décor (1)

Quelque partLes trois premières scènes se passent en avant-scène devant le rideau fermé. Sur le coin, côté cour, un banc. Sur scène, seulement quelques chaises en fond de plateau. Ce « quelque part » est un lieu improbable. Bob fixera ses flèches directionnelles sur le mur du fond. Plusieurs comédiens arriveront par la salle.

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Scène I

 

Ava

Ivi

Uru

 

(Le rideau est fermé et les trois premières scènes vont se passer devant ce rideau fermé. En avant-scène, côté cour un banc sur lequel est assise Uru. Elle porte des lunettes de soleil et fait des mots croisés ou un sudoku sur un magazine, son sac posé à côté d’elle. Arrive Ivi. Elle semble un peu agitée. Elle regarde à droite à gauche, regarde sa montre. Regards furtifs vers Uru qui lui rend une sorte de « bonjour » muet et évasif. Arrive Ava qui semble un peu perdue. Elle a un sac à dos)

 

Ava – Excusez-moi. Je pourrais vous poser une question ?

 

Ivi - Oui. Je vous en prie. Allez-y.

 

Ava – Vous pourriez m’indiquer la direction ?

 

Ivi – Euh oui... Quelle direction ?

 

Ava – Pardon ?

 

Ivi – Quelle est la direction où vous voulez aller ?

 

Ava – Justement, je n’en sais rien. Si je le savais, je ne vous l’aurais pas demandé, et on dirait bien que vous, vous le savez.

 

Ivi – Ah bon ? Qu’est-ce qui vous fait croire ça ?

 

Ava – Vous m’avez dit, et vous l’avez dit d’une façon très nette, presque péremptoire : « allez-y ! ».

 

Ivi – Excusez-moi, vous avez mal interprété ma réponse, je voulais simplement dire : « allez-y, posez votre question ».

 

(Ava la regarde comme si elle ne comprenait pas.)

 

Ivi – Vous m’avez bien abordée pour me poser une question, non ?

 

Ava – Oui. Je vous demandais si vous pourriez m’indiquer la direction.

 

Ivi – Alors, cette fois-ci, je vous demande de nouveau : quelle est la direction où vous voulez aller ?

 

Ava – Je ne comprends pas.

 

Ivi – Où voulez-vous allez ?

 

(Ava fait une moue d’incompréhension.)

 

Je veux dire : Quel est l’endroit, le lieu où vous voulez aller ?

 

Ava – Pourquoi me demandez-vous ça ?

 

Ivi – Ça me semble évident, non ?

 

Ava – Euh… non. Vous pouvez m’expliquer ?

 

Ivi – Eh bien… Eh bien parce que la direction que vous devrez prendre dépend de l’endroit où vous voulez aller, de votre destination.

 

Ava – Ah non, pas du tout. Ce n’est pas aussi compliqué que ça. Moi je cherche uniquement la direction, pas la destination.

 

Ivi – Oui, mais pas de destination, pas de direction. Si on cherche une direction sans connaître la destination, ça n’a aucun sens.

 

Ava – Ce n’est pas une question de sens,

 

Ivi – C’est une question de bon sens !

 

AvaExcusez-moi, mais il ne peut pas y avoir un bon sens et aucun sens en même temps.  

 

Ivi – « Aucun sens », et « bon sens » c’étaient juste des expressions, pas des indications.

 

Ava – Ne commencez pas à m’embrouiller, ça n’a pas de sens !

 

Ivi – Là, c’est vous qui…

 

Ava - Ce qui m’intéresse, c’est la direction, seulement la direction, vous me suivez ?

 

Ivi – Comment voulez-vous que je vous suive si vous ne savez pas où vous allez ?! Ah !

 

Ava – Vous voyez ! vous comprenez mon problème.

 

Ivi – Si vous ne savez pas où vous allez, ce n’est pas moi qui peux vous le dire !

 

Ava – N’empêche. Vous pourriez au moins m’indiquer la direction.

 

(Ivi ne répond pas.)

 

La bonne direction.

 

(Ivi fait mine de ne pas entendre.)

 

C’est ce que je cherche : la bonne direction. J’aurais dû vous le dire depuis le début : la bonne direction.

 

(Ivi ne réagit pas.)

 

Vous n’avez pas une idée ?

 

Ivi (énervée) – Je n’ai aucune idée de la bonne direction qu’il faut prendre si je ne sais pas où vous voulez vous rendre, voilà ! (A Uru qui a vaguement suivi la conversation tout en continuant ses mots croisés.) Il y a des gens, j’vous jure (Uru opine poliment mais montre qu’elle ne veut pas s’engager dans la conversation).

 

Ava – Parce que l’important dans la vie, c’est de ne pas prendre la mauvaise direction.

 

Ivi – D’accord, j’ai compris. Ce n’est pas une indication que vous voulez, c’est un avis, un conseil, et ce n’est pas du domaine topographique, mais du domaine psychologique. Je m’excuse mais je ne suis ni voyante, ni psychologue, ni psychiatre. Adressez-vous à un professionnel.

 

Ava – Ce que je voudrais, c’est seulement une indication. Une indication claire.

 

Ivi – Pardonnez-moi, mais il est impossible de donner une indication claire à une personne qui ne l’est pas.

 

Ava – Vous trouvez que je ne suis pas claire ?

 

Ivi – Pas vraiment non. (A Uru) J’hallucine.

 

(Un temps.)

 

Ava – Vous allez de quel côté, vous ?

 

Ivi – Hein ?

 

Ava – Oui, là, je veux dire maintenant, vous allez de quel côté ? (Montrant les possibilités) Par là ? Par là ? Par là ?

 

Ivi – Ça ne vous regarde pas. Et « là, maintenant » je ne vais d’aucun côté. Je ne bouge pas.

 

Ava – Vous dites ça parce que vous hésitez, et que vous ne voulez pas admettre que vous non plus vous ne savez pas où est la bonne direction.

 

Ivi – Je m’excuse, mais moi je sais très bien où je vais.

 

Ava – Alors pourquoi restez-vous là, sans prendre aucune direction ?

 

(Ivi ne répond pas.)

 

Vous ne pouvez pas répondre ?

 

Ivi – J’attends quelqu’un, si vous voulez savoir ! (A Uru et qui ne réagit toujours pas) Je peux pas le croire.

 

Ava – Et vous allez aller quelque part avec quelqu’un ?  C’est où ?

 

Ivi – Je n’ai pas à vous le dire !

 

Ava – En tout cas, pour le moment on dirait bien que quelqu’un n’arrive pas.

 

Ivi – En retard, ça arrive. Je veux dire : ça arrive que quelqu’un n’arrive pas.

 

Ava – Vous êtes sûre de bien lui avoir indiqué l’endroit où vous retrouver ? Parce que si vous avez fait comme avec moi, cette personne risque d’hésiter sur la direction et de ne pas trouver. Et alors là, c’est nul.

 

Ivi – En plus, vous…

 

Ava – Je voulais dire : nulle part !

 

Ivi – Nous ne sommes pas nulle part ! Nous sommes… nous sommes ici… dans cet endroit !

 

Ava – Vous en êtes sûre ?

 

Ivi – Bien sûr que j’en suis sûre ! Comment pourrais-je être dans un autre endroit que celui-là alors que je suis là ? Non mais…

 

Ava – Comme vous le savez, tout endroit à son envers, comme tout recto a son verso, et parfois, souvent même, on prend l’un pour l’autre, je veux dire l’endroit pour l’envers, et le recto pour le verso.

 

(Ivi est incrédule.)

 

Ou inversement. Peut-être que la personne que vous attendez vous cherche à l’envers de cet endroit, en pensant que c’est l’endroit, alors que c’est l’envers ! Mais parfois, c’est du pareil au même. Moi, par exemple, je m’appelle Ava, (elle épèle.) A V A. C’est quoi votre prénom à vous ?

 

            (Pas de réponse.)

 

C’est un prénom normal ou ça marche à l’endroit et à l’envers, comme moi ? Ça s’appelle un palindrome, mais en général les mots qui se terminent par « drome », comme hippodrome, par exemple, on sait où c’est, c’est là où il y a des chevaux, tandis que moi, Ava, je sais pas où ça va et où ça va pas.

 

Ivi – Vous ne savez pas où ça va et où ça ne va pas, eh bien moi je vois très bien ce qui ne va pas chez vous !

 

Ava – Chez moi ! Vous savez où j’habite ! Formidable ! C’est où ? Et c’est quoi votre prénom à vous ? Ce serait super si vous aussi vous aviez un nom qui se lit aussi à l’endroit et à l’envers !

 

(Ivi ne répond pas. Elle est furieuse et embarrassée.)

 

On pourrait en parler et ça pourrait tout expliquer. Alors, vous vous appelez comment ?

 

Ivi – Je m’appelle Ivi, (Elle épèle.) I V I, mais je n’ai aucune envie d’en parler avec vous !

 

Ava – Pourquoi ? Une telle coïncidence, on ne peut pas en rester là !

 

Ivi - Excusez-moi de vous le dire, mais il y a des coups de pied quelque-part qui se perdent !

 

Ava – Quelque-part ! Où ça ? Je veux dire où ils se perdent ces coups de pied ?

 

(Ivi la regarde, regarde Uru qui ne veut pas s’en mêler, et décide de partir.)

 

Ava – Vous partez ?

 

(Ivi part par la salle en prenant son téléphone portable et en faisant un numéro.)

 

Où allez-vous, Ivi ?

 

Ivi (parlant au téléphone) – Non, j’ai pas de message ! T’es juste censée me retrouver ! T’es où, bordel ?

 

(Elle sort par le public.)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Scène II

 

Ava

Uru

 

(Ava prend un air vraiment désolé pour la personne qui vient de partir, et se tourne vers Uru.)

 

Uru – Je n’ai rien à vous dire !

 

Ava – Vous prenez les devant ! Je ne vous ai rien demandé.

 

Uru – Non, mais je vous soupçonne de vouloir le faire. Déjà, vous commencez en parlant des devant, et je suis sûre que vous allez trouver une raison pour me parler derrière. J’ai très bien vu comment vous avez procédé avec l’autre personne.

 

Ava – Vous avez vu ?

 

Uru – Oui, j’ai vu et j’ai entendu.

 

Ava – Et ça vous a interpelé quelque part.

 

Uru – Pas du tout !

 

Ava – Vous voulez dire que ça vous a interpelé nulle part, ou alors ce quelque-part où cette personne voulait me donner des coups de pieds. Et vous avez raison, je crois qu’il s’agissait bien de derrière.

 

Uru – Ça y’est ! Vous recommencez ! Alors, écoutez-moi bien : vos histoires, ça ne m’a interpelée ni quelque part ni nulle part, ni trouvé ni perdu, ni devant ni derrière, ça ne m’a pas interpelée du tout ! Même si mon prénom se lit dans les deux sens, comme le vôtre et celui de l’autre personne, je vous le dis tout de suite pour évacuer le sujet au cas où vous auriez voulu m’entraîner sur ce terrain.

 

Ava – Il y a un terrain ?

 

Uru – Oui, un terrain glissant que je vous invite à éviter.

 

Ava – C’est comment ?

 

Uru – Glissant, je viens de vous le dire.

 

Ava – Oui, mais votre prénom, c’est comment ?

 

Uru – Uru (Elle épèle, énervée.) U R U, voilà tout est dit. Au revoir Madame.

 

Ava – Vous partez ?

 

Uru – Non, vous, vous partez.

 

Ava – Mais…

 

Uru – J’ai compris, vous ne savez pas où. Tant pis pour vous.

 

Ava – Vous ne voulez pas me parler.

 

Uru – Non.

 

Ava – Pourquoi ?

 

Uru – Je n’ai pas envie que vous me cassiez les pieds alors que j’étais bien tranquille en pensant avoir trouver un coin idéal pour faire mes mots croisés.

 

Ava – C’est un coin idéal, ici ?

 

Uru – Ça l’était jusqu’à votre arrivée !

 

Ava – Je ne suis pas arrivée, je cherche…

 

Uru – Je refuse m’engager avec vous dans une conversation absurde sur la direction que vous cherchez !

 

Ava – La bonne direction.

 

Uru – La bonne ou la mauvaise, c’est votre problème.

 

Ava – Je préfère la bonne.

 

Uru – C’est votre problème.

 

Ava – Ce n’est pas un problème, c’est un questionnement : où aller en étant sûr de ne pas se tromper ou de se perdre ?

 

Uru – Allez-y et vous verrez bien.

 

Ava – Où ?

 

Uru – Vous le saurez en arrivant.

 

Ava – Oui, mais pour arriver il faut partir, et si on part il faut savoir où on va.

 

Uru – Je vous ai déjà dit que… (Elle s’arrête en s’apercevant qu’elle a entrepris une conversation qu’elle ne voulait pas avoir.)

 

Ava – Que quoi ?

 

Uru – Rien.

 

Ava – Si ! je suis sûre que vous alliez m’aider à trouver une issue !

 

Uru – Vous voulez une issue ?

 

Ava – Oui !

 

Uru – Très bien ! Alors... vous allez prendre cette direction (Elle se lève et montre une direction.).

 

Ava : Là ?

 

Uru : Oui, et vous allez marcher, marcher, marcher le plus longtemps et quand vous vous vous arrêterez, loin, très loin, le plus loin possible, ça voudra dire que vous serez arrivée quelque part.

 

Ava – Où ça ?

 

Uru – Eh bien quelque part ! On finit toujours par arriver quelque part.

 

Ava – Et si je ne suis pas sûre que ce soit bien quelque-part, ou plutôt si je ne suis pas sûre que ce soit le bon quelque-part ?

 

Uru – C’est que vous aurez pris la mauvaise direction.

 

Ava – Qu’est-ce que je devrais faire alors ?

 

Uru – C’est très facile. Il suffira de demander à quelqu’un de vous indiquer la bonne direction.

 

Ava – Et s’il n’y a personne ?

 

Uru – On rencontre toujours quelqu’un qui prétend vous remettre sur le droit chemin.

 

Ava – Comme vous par exemple…

 

Uru – Oui, c’est ça.

 

Ava – Pourtant, au début vous ne vouliez pas m’en parler et vous avez même suggéré que la direction que vous venez de m’indiquer n’était peut-être pas la bonne.

 

Uru – La bonne direction, ça n’a rien à voir avec le droit chemin.

 

Ava – Comment savoir alors ?

 

Uru – Il faut y aller, c’est tout.

 

Ava – Bien, je vais faire comme vous me dites.

 

Uru – Oui, c’est ça. Et surtout, surtout si vous vous êtes trompée, ne revenez pas là.

 

Ava – Pourquoi ?

 

Uru – C’est évident ! Parce que ce serait aussi une mauvaise direction.

 

Ava – Vous voulez dire que là, je veux dire ici, je suis déjà dans la mauvaise direction, et dans ce cas-là, ce serait mauvais aussi bien pour l’aller que pour le retour.

 

Uru – Absolument. Surtout le retour.

 

Ava – Vous voyez, vous ne vouliez pas me parler, et vous aviez tort : vous m’avez donné une réponse claire à ma question, même s’il y a encore un gros risque d’incertitude. Merci, merci beaucoup.

 

(Elle presse la main de l’autre avec effusion, et du coup le stylo de celle qui attend tombe sur le banc sans que celle-ci ne s’en aperçoive immédiatement.)

 

Uru (agacée) – Oui, c’est ça : merci. Mais ne vous attardez pas. Par-là ! Tout droit devant vous !

 

Ava – Le droit chemin alors ?

 

Uru – Oui !

 

Ava – Mais vous m’avez dit que la bonne direction ça n’avait rien à voir avec le droit chemin…

 

Uru – Oui, mais il ne faut pas confondre le droit chemin et le chemin droit. Le chemin droit peut ne pas être droit. Il peut y avoir des virages, des tournants et même des zigzags et des épingles à cheveux, vous me suivez ?

 

Ava (pleine d’espoir) – Vous venez avec moi ?

 

Uru – Non, j’explique. Et maintenant, vous pouvez y aller. (Se levant) Par-là, et avec des courbes.

 

(Ava part en zigzag dans la salle.)

 

Ava (se retournant, après un temps) - Ça va comme ça ?

 

Uru – Oui, c’est parfait ! Mais continuez ! Continuez ! Continuez le plus longtemps possible !

 

Ava – Au revoir Uru, et encore merci !

 

(Elle sort. Uru se retourne pour aller s’asseoir, mais Natan est arrivé et se tient debout près du banc.)

 

 

 

 

 

 

 

Scène III

 

Uru

Natan

 

Uru (voyant Natan qui semble vouloir lui parler) – Je vous en prie, ne me dites pas que vous cherchez la bonne direction, parce que, là, ce serait vraiment trop.

 

Natan – Excusez-moi…

 

Uru – Non rien.

 

                      (Un temps.)

                                                                      

Natan – En fait, je dois rencontrer quelqu’un et je ne suis pas sûr d’être au bon endroit.

 

Uru – Ben tiens !

 

(Un temps.)

 

Natan – Sans vouloir vous déranger, j’aimerais savoir si vous n’avez pas vu quelqu’un qui…

 

Uru (toujours agacée) – Effectivement, il y avait quelqu’un qui attendait quelqu’un et qui est parti quelque part ailleurs mais sans le quelqu’un.

 

Natan – Je n’ai pas dit que cette personne m’attendait.

 

                         (Un temps)

 

Il n’est pas certain que cette personne m’attendait.

 

(Il est clair que Uru ne cherche pas le dialogue.)

 

Natan (se parlant à lui-même) – Comment savoir si c’est la bonne personne ?

Uru (même jeu pour elle-même) – La bonne direction… Maintenant la bonne personne… Franchement…

Natan – Pardon ?

Uru – Excusez-moi de vous le dire, mais ça commence à me fatiguer grave tous ces gens qui ne savent pas où ils en sont !

Natan – Je ne suis pas le premier ?

Uru (excédée) – Non ! Vous êtes le deuxième.

Natan – Vraiment ?

Uru – Vraiment.

Natan – Pourtant vous venez de dire que la personne qui attendait quelqu’un est repartie sans l’autre quelqu’un.

Uru – Ça n’a rien à voir ! C’était une autre !

Natan – Je ne comprends pas.

Uru – Tant pis !

Natan – Tout de même, je n’apprécierais pas du tout que la personne que je dois rencontrer ait donné rendez-vous à une autre personne !

Uru – Si vous étiez venu plus tôt, vous auriez pu vous expliquer directement.

Natan – Ce n’est pas de ma faute. J’ai perdu du temps avec quelqu’un d’autre.

(Un petit temps.)

Natan – Parce que je me suis sans doute trompé d’endroit et donc de personne (Uru montre qu’elle ne comprend pas.). Il y a tant de personnes qui se trouvent ici et là, que si on se trompe d’endroit on peut se tromper aussi de personne (Même incrédulité Uru.). Imaginez qu’il y ait une confusion entre ici et là, bing ! Vous vous retrouvez à parler à une autre personne que celle que vous deviez rencontrer.

Uru – C’est quand même peu probable, parce que même si on se trompe d’endroit, il y a peu de chance qu’on se trompe de personne.

Natan – Sauf si on n’a jamais vu la personne avant.

Uru (répétant, en le regardant fixement) – Sauf si on n’a jamais vu la personne avant...

Natan – C’est le cas.

Uru – Pardon ?

Natan – Mon horoscope m’a prédit qu’aujourd’hui j’allais faire une belle rencontre quelque part avec une inconnue.

Uru – Votre horoscope ?

Natan – Oui, je l’écoute tous les matins.

Uru (après un temps, toujours agacée) – Et votre horoscope, il ne vous a pas donné de précision sur cette… inconnue ?

Natan – Attendez, j’ai tout écrit là (Sortant un papier de sa poche et lisant.) : pommes de terre, crème, reblochon. Ah non, ça c’est les courses. Je voudrais l’inviter pour une tartiflette.

(Un temps.)

Natan – L’autre personne, elle était comment ?

Uru (excédée) – Hein ?

Natan - La personne qui avait rendez-vous, elle était comment ?

Uru – C’était une femme.

Natan – Ah ! C’est déjà une indication.

Uru – Bon, écoutez, on va arrêter là cette discussion. Cette personne est partie par là et j’ignore si elle aime la tartiflette. C’est tout ce que je peux vous dire.

Natan – Et elle est partie seule.

Uru – Oui.

Natan – Donc la personne avec qui elle a parlé avant moi ne lui a pas plu.

Uru – Non, elle l’a énervée !

Natan – C’est terrible, les hommes ne savent plus parler aux femmes de nos jours.

Uru – Ce n’était pas un homme, c’était une femme.

Natan – Une femme !

Uru – Mais elle n’avait pas rendez-vous avec elle…

Natan – Pourtant, vous avez dit tout à l’heure que…

Uru – Stop !

Natan – Vous voulez que je reste là ?

Uru – Non, c’est tout le contraire. Si je dis « stop », ce n’est pas pour que restiez planté devant moi avec vos histoires d’horoscope et de tartiflette, c’est au contraire pour que vous dégagiez vite fait.

 

Natan – Je suis vraiment désolé de vous avoir dérangée.

 

Uru – C’est bon, ça va.

Natan (très vite) – Parce que, vous savez, je suis bien conscient : ce n’est pas parce qu’une personne est au bon endroit que c’est la bonne personne, et une personne peut être à un mauvais endroit, et c’est la bonne personne, mais elle peut être aussi la mauvaise, comme ce qui m’est arrivé tout à l’heure. Je vous ai raconté, vous vous souvenez ? (Comme elle ne dit rien, il poursuit). Ce que je veux dire, c’est que ce n’est pas une seulement une question d’endroit, c’est aussi une question de personne. Sans compter qu’il y a des personnes qui se trouvent au mauvais endroit au mauvais moment, et après l’accident – car c’est toujours à la suite d’un accident qu’on parle de personnes qui se trouvent au mauvais endroit au mauvais moment – on dit toujours que c’étaient de bonnes personnes, ce qui confirme ce que je viens de dire, même s’il y a une différence entre bonnes personnes et bonnes personnes. Vous êtes là depuis longtemps, vous ?

Uru (très énervée) – Qu’est-ce que ça peut vous faire ?!

Natan – Je me disais seulement que c’est peut-être vous l’inconnue.

 

(Pas de réponse.)

 

Mais vous ne voulez pas me le dire et vous voulez que je m’en aille parce que je ne vous plais pas.

 

(Pas de réponse.)

 

C’est vous, n’est-ce pas ?

(Pas de réponse.)

Natan – Il suffirait de me le dire. C’est vrai que maintenant que nous avons parlé, vous n’êtes plus tout à fait une inconnue, mais bon.

(Pas de réponse.)

Natan – J’ai compris : vous n’aimez pas la tartiflette.

(Pas de réponse.)

Natan – Ou alors, cette rencontre n’est pas une belle rencontre.

(Pas de réponse.)

Natan – C’est vrai, c’est pas terrible.

Uru – Oui, c’est ça, c’est pas terrible du tout, et maintenant, allez vous faire voir ailleurs ! Et surtout ne me demandez pas où c’est !

 

Natan – Pas de souci ! Je trouverai sans vous ! Vous, vous êtes la mauvaise personne au mauvais endroit, c’est tout !

(Il sort par la salle et dès qu’il est sorti elle se sauve aussi par la salle en prenant ses affaires, mais son stylo est toujours sous le banc. Le rideau s’ouvre et on découvre Thomas de dos, perché sur son escabeau qui fixe des flèches sur le mur du fond. Il est place de façon à ce qu’elles indiquent toutes la même direction, vers le côté cour.)

 

 

 

 

 

 

 

 

Scène IV

 

Anna

Bob

Ava

Natan

 

(Anna entre par le côté cour en trainant une valise à roulettes, pour simplement passer mais elle s’arrête et regarde Bob poser ses flèches. Il se retourne et la voit. Il montre qu’il n’aime pas être dérangé.)

 

Bob (peu aimable, question induite) - Ça va ? C’est droit ?

Anna (peu aimable non plus) – Oui, on dirait.

Bob (ironique) – Et on comprend bien dans quel sens il faut aller ? C’est assez clair ?

Anna (sarcastique) – Tout à fait…

 

Bob (ironique) – Formidable.

Anna (avec un ton de reproche) – Vous savez au moins où on arrive ?

Bob (peu aimable) – Pas du tout.

Anna – Ah bon ?

 

Bob – Ben non.

 

Anna - Vous dirigez les gens sans aucune autre indication !

 

Bob - Je ne dirige pas, je signalise !

Anna – Indiquer une direction, c’est diriger ! Direction - diriger, les deux mots sont semblables.

 

Bob - Moi, on me demande de signaliser, je signalise. Je travaille avec des flèches, pas avec un dictionnaire. (En détachant toutes les syllabes.) Je signalise !

 

Anna – Tout dans la même direction !

Bob – Bravo !  Madame a le sens de l’observation et de l’orientation.

Anna – Et vous, vous n’avez aucun scrupule à envoyer les gens n’importe où.

Bob – Je n’envoie pas, je…

Anna – Vous signalisez, j’ai compris. Et le reste, vous vous en foutez.

Bob – J’évite que les gens qui pourraient hésiter se posent des questions où aller et bla bla bla, et m’en posent aussi à moi, comme vous en ce moment. Ils suivent les flèches, et puis c’est tout. A eux de dire si c’est là qu’ils voulaient aller !

 

(Ava entre par le côté jardin et marche en zigzagant.. Elle s’arrête un instant et regarde les flèches)

 

Ava – Bonjour.

Bob – Bonjour.

Ava – Par-là ?

Bob – Oui, par là. Vous voyez bien ! C’est indiqué !

Ava – Merci. Je m’arrêterais bien un instant, mais je ne peux pas.

Bob – Tant mieux.

(Elle sort en zigzaguant côté cour.)

Bob – Et voilà. Pas d’hésitation. Et vous devriez suivre son exemple. (Désignant le côté cour.) Par-là !

 

Anna (excédée) – J’en viens ! Et moi je sais où c’est là-bas !

 

Bob (excédé aussi) – Eh bien arrêtez de me casser les pieds et retournez-y !

 

Anna (véhémente) – Il n’est pas question que je fasse demi-tour sous prétexte de suivre vos flèches !

 

Bob (exaspéré) – Ok, d’accord.

Anna (furieuse) – Vous êtes là à jouer à la girouette pour envoyer les gens où bon vous semble, peut-être dans le mur, et ça ne vous dérange pas plus que ça. C’est lamentable !

 

Bob – Bon, ça va ! On se calme !

 

(Un petit temps pendant lequel Anna reste outrée.)

 

Bob – Non mais c’est quoi toutes ces réflexions à la con ? Direction c’est peut-être pareil que diriger, mais moi je n’oblige personne. Chacun sa vie, mais vous voulez que je vous dise : ça arrange tout le monde d’aller au même endroit au même moment, comme du bétail. Je ne fais que confirmer le mouvement.

 

(Pendant cette réplique, Anna s’est assise sur une des chaises en fond de scène, soudain très lasse. Il s’en aperçoit. Un temps.)

 

Bob (encore un peu brusque) – Qu’est-ce qu’il y a encore ? Qu’est-ce que j’ai dit qu’il fallait pas ?

(Pas de réponse.)

Bob – Ce que je voulais dire, c’est que vous faites comme vous voulez. Ni plus ni moins.

 

(Elle le regarde sans répondre.)

 

Bob (descendant de l’escabeau) – Bon, excusez-moi, j’y suis allé un peu fort, mais c’est vous aussi qui m’avez gonflé, je veux dire un peu énervé.

 

Anna (soudain lasse) - D’où je viens, c’est l’enfer. Le bruit. Les gens. La pression. Partout. Le stress. Tout le temps.

 

(Un temps.)

 

Bob – C’est pour ça la valise ?

Anna – Je n’en pouvais plus.

Bob – Vous êtes à bout, quoi.

Anna – Je voudrais changer d’air, changer d’endroit.

Bob (commençant à être compréhensif) – Et au bout du compte, vous vous dites que le type qui vous dit de retourner en arrière n’a rien compris.

 

Anna – J’essaie de me maîtriser, mais je ne supporte plus rien, ni personne. Je suis désagréable avec tout le monde. Vous venez d’en faire les frais. Je suis désolée.

 

Bob – Ça va. C’est bon. Moi non plus je n’ai pas été très cool mais je ne pouvais pas savoir. Un point partout.

 

Anna (se levant comme pour partir.) - Excusez-moi de vous avoir dérangé.

Bob – Vous partez ?

Anna (soudain désorientée) – Je ne sais pas. Je…

Bob – Restez ici un moment.

Anna – Pour que je vous agresse de nouveau ?

Bob – Vous ne m’avez pas « agressé ».

Anna – Ben si, un peu quand même.

Bob – Vous n’allez tout de même pas retourner dans votre enfer, comme vous dites.

Anna (confirmant) – C’est un enfer.

Bob – Justement, faites une pause.

Anna – Vous croyez qu’il y a un ailleurs où l’herbe est plus verte ?

Bob – Je ne sais pas. Il faudrait y aller pour voir.

Anna – Mais peut-être qu’il y a déjà plein de gens qui la piétinent et qui la rendent toute moche. Je déteste la foule.

 

Bob – Vous savez quoi : l’année dernière j’étais sur la Côte d’Azur au mois d’août. Sur la plage, les serviettes les unes contre les autres ! (S’asseyant sur une chaise se trouvant près d’elle.) On ne voyait même plus le sable ! L’horreur !

 

Anna – Sur la Côte d’Azur ! En août !

 

Bob – Je sais. C’était une idée de ma femme.

 

(Ils se regardent, soudain avec sympathie. Natan entre par le côté jardin passe lentement, jette un œil vers les flèches, mais sans faire attention aux deux protagonistes et il sort par le côté cour.)

 

Bob – Et voilà. Encore un.

   (Un temps. Ils se regardent. Soudain, Bob se lève et enlève les flèches.)

Anna – Qu’est-ce que vous faites ?

Bob (remettant les flèches dans tous les sens, dont une montrant la direction du ciel) – Je brouille les pistes !

 

Anna – Mais…

Bob – Vous vouliez que je dirige, je dirige !  Et je le fais pour vous !

Anna – C’est trop gentil.

Bob (après avoir posé toutes les flèches) - Ça vous plaît ?

Anna (montrant la flèche qui désigne le ciel) - C’est vrai que ceux qui prendront cette direction ne risqueront pas de piétiner quoi que ce soit.

 

(Ils regardent tous les deux en l’air.)

Bob (montrant la direction d’où Anna est arrivée) – Si on élimine cette direction, et il faut l’éliminer, (Désignant les autres directions.) il reste celle-ci, celle-ci, celle-ci, ou celle-là…

 

Anna – En quelque sorte, je suis à la croisée des chemins.

Bob – Tout juste. Un peu comme moi, quoi.

Anna – Ah bon ?

Bob – Ben oui.

Anna – C’est à cause de votre boulot, là, toutes ces flèches.

Bob – Plutôt impasse dans mon couple. Ma femme est jalouse. Maladivement jalouse.

On n’a plus rien à se dire mais elle s’accroche comme si de rien n’était. Plusieurs fois, j’ai voulu tailler la route mais je ne l’ai pas fait. Je me demande bien pourquoi. J’envoie les autres partout, et moi je reste là, à faire du surplace. Comme on dit, c’est les cordonniers les plus mal chaussés.

 

                        (Un temps.)

 

Anna (vivement) – Et si vous m’accompagniez un moment ?

Bob – Hein ?

Anna (confirmant) – Juste un moment. Ce serait juste pour un moment.

Bob – Tout de suite ? Là ?

Anna – Pourquoi pas ? Parfois il faut décider de s’éloigner, de bifurquer, sans se poser trop de questions, comme je l’ai fait en partant de là-bas. Il faut sauter sur l’occasion.

 

Bob – C’était quoi là-bas l’occasion ?

Anna – Peu importe, je suis partie.

Bob – Et ici, c’est moi ? Malgré notre embrouille de tout à l’heure.

Anna – On se dispute au début et on se réconcilie à la fin.

Bob – On est déjà réconciliés ?

Anna – On dirait bien.

Bob – Alors, c’est déjà la fin.

Anna – Non, ce n’est qu’une expression. Là, c’est le début.

Bob – Vous alors.

Anna – On ferait un bout de chemin ensemble.

Bob – Oui mais…

Anna – Ah oui, votre femme.

Bob – Ben oui, un peu quand même.

Anna – Elle est déjà jalouse, ça ne changera pas grand-chose pour elle.

Bob – Vous croyez ?

Anna – Ce serait un petit écart de rien du tout. On n’irait pas trop loin.

Bob – On ne dépasserait pas les bornes, quoi.

Anna – C’est l’idée. Ne pas aller trop loin, s’arrêter à temps.

Bob – Mais oui ! Vous avez raison ! Il faut s’arrêter avant de tout faire foirer. C’est génial !

Anna – Alors, c’est d’accord ?

Bob – C’est d’accord !

Anna – Bravo !

Bob (soudain enthousiaste) – Attendez !

(Il va mettre toutes les flèches dans le sens côté jardin.)

Anna – Qu’est-ce que vous faites ?

Bob (montrant le côté cour) - Vous ne vouliez pas retourner par-là, non ?

Anna – Non, mais par-là (Montrant la direction côté jardin où il l’invite à aller.), il y aura peut-être du monde aussi.

 

Bob – Déjà, il y a les deux personnes en moins !

Anna – Et ces deux personnes vont faire comme moi : elles vont fuir l’enfer, revenir ici et suivre les flèches dans la même direction que nous. Et tous les gens qui vont passer par ici vont faire comme elles. Ce sera encore plus l’enfer !

 

Bob – Vous avez raison !

Anna – On fait quoi ?

Bob - Attendez ! J’ai une idée. Une idée de bon sens, bien sûr.

(Il remonte rapidement et met toutes les flèches de nouveau dans le sens côté cour.)

Bob – Et voilà, ce n’est pas plus difficile que ça !

Anna On revient au point de départ, alors.

Bob – Oui, on les envoie tous au même endroit et nous, on est tranquilles.

 

Anna – Vous êtes sûr que tout le monde va suivre et que ceux qui en reviennent vont y retourner ?

 

Bob – Mais oui ! Comme pour la Côte d’Azur. Ils se plaignent mais ils y retournent.

 

Anna – Dans un sens, vous avez sans doute raison.

Bob – Et dans l’autre aussi. Au fait, je m’appelle Bob.

Anna – Moi, c’est Anna.

Bob - Allons-y, Anna !

Anna – Je vous suis.

(Il part côté jardin et elle le suit en laissant sa valise sur place.)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Scène V

Ivi

Eve

 

Ivi (entrant par le côté cour et parlant au téléphone) – Bon, t’es où là ?... Oui, tu as raison mais je t’ai expliqué pourquoi. Cette femme complètement déboussolée qui me harcelait de questions stupides. Bon bref, tu devrais pas être loin quand même… Qu’est-ce que tu vois là où tu es ?… Mais t’es juste à côté !

 

Eve (dans la salle) – Juste à côté… Juste à côté de quoi ?

Ivi – Mais oui, je te vois ! Tu es juste en face de moi.

Eve – Moi je te vois pas !

Ivi – Si ! Juste là ! (Elle laisse son téléphone et appelle vers elle.) Ouh ouh ! Par ici !

Eve – Ça y’est ! J’te vois !  (Elle raccroche son téléphone.) Toi alors…

(Eve rejoint Ivi. Elles se font la bise.)

Eve – Finalement !

Ivi – Quelle histoire, j’te jure. J’ai bien cru que j’allais l’étrangler cette femme. Et toi qui n’arrivais pas et qui ne répondais même pas !

 

Eve – M’en parle pas. Quel stress en ce moment ! Il faut être partout à la fois, alors qu’on ne rêve que d’une chose : se poser quelque part et se faire oublier. Bon, qu’est-ce qui t’arrive ? Tu veux étrangler qui ? Tu m’as affolée avec ton appel, et puis maintenant ce rendez-vous d’un côté puis de l’autre.

 

Ivi -  Fallait que je te voie et que je te parle.

Eve – Ça, j’avais compris. Qu’est-ce qui s’passe ?

Ivi – C’est Bob…

Eve – Bob.

Ivi -  J’ai des doutes.

Eve – Des doutes sur quoi ?

Ivi – Je crois qu’il voit quelqu’un, quelque part, pour faire des choses.

Eve – Qui ? Où ? Quoi ?

Ivi – Si je le savais…

Eve – Tu te fais des idées, je suis sûre.

Ivi – Pas du tout, lui et moi ça part dans tous les sens.

Eve – C’est à cause de son travail peut-être. Déformation professionnelle.

Ivi – Non, quand il rentre le soir, il est tout bizarre. Il se met devant la télé et il dit rien.

Eve – Le mien aussi il se met devant la télé, il dit rien et il s’endort.

Ivi – Bob, il ne s’endort pas. Il a les yeux ouverts. Mais on a l’impression qu’il n’est pas là. Je lui pose des questions et il ne répond même pas.

 

Eve – Elles sont intéressantes tes questions ?

 

Ivi – Oui, bien sûr. Mais ça lui passe complètement au-dessus.

 

Eve – Ça veut rien dire tout ça. C’est juste un petit passage à vide, comme dans tous les couples. C’est inévitable, il faut faire avec, et parfois c’est même une bonne chose.

 

Ivi – Comment tu peux dire ça ?

 

Eve - Pendant que le mien, il dort, j’en profite pour aller voir ailleurs vite fait bien fait. Et même quand je veux en profiter un peu plus, j’ajoute un petit truc dans son café, et il dort comme un bébé.

 

Ivi – Tu le drogues ?

 

Eve - Rien de méchant, c’est à base de plantes.

 

Ivi – Tu… tu le trompes ?

 

Eve – Oooh ! Tout de suite les grands mots !

 

Ivi – Aller voir ailleurs, ça veut bien dire ce que ça veut dire.

 

Eve – Oui et non, moi je vais pas loin. J’ai un nouveau voisin en face, j’ai juste à traverser la rue. C’est pratique, je ne perds pas de temps en allées et venues.

 

Ivi – Tu crois que Bob ferait la même chose ?

 

Eve – Avec mon voisin ?

 

Ivi – Excuse-moi, mais c’est pas drôle !

 

Eve – J’essaie de dédramatiser, c’est tout.

 

Ivi – Tu trouves que je dramatise ?

 

Eve – Un peu oui. Et tu sais quoi ? Tout ça c’est peut-être de ta faute !

 

Ivi – Comment ?! C’est lui qui… qui… et c’est moi que tu charges !

 

Eve – Ecoute, Bob tu l’as installé dans une zone de confort, c’est tout.

 

Ivi – Une zone de confort ?

 

Eve – Tu l’as habitué à une vie plan plan, toujours la même routine, il s’ennuie et toi, tu te fais des films. Secoue-le ! Surprends-le et tu verras, ça ira beaucoup mieux. Ou laisse-le s’évader devant la télé et, fais comme moi, trouve-toi un plan B. Si tu veux, je peux te passer un peu de ma poudre de Perlimpinpin. En plus, quand il se réveillera, tu verras, il sera en pleine forme, comme le mien, sauf qu’à ce moment-là, moi je suis fatiguée, forcément.

 

Ivi – Excuse-moi, mais ce n’est pas pour ce genre de conseil que j’ai besoin de toi.

 

Eve – Pffffuuuu !

 

Ivi – Je te dis qu’il va voir ailleurs. Pendant nos vacances sur la Côte d’Azur, eh ben quand on rentrait de la plage, il se jetait tout de suite sous la douche.

 

Eve – Oui, et alors ?

 

Ivi – C’était pour faire disparaître l’odeur.

 

Eve – L’odeur… quelle odeur ? L’odeur de la mer ?

 

Ivi – Non l’odeur de l’ambre solaire des femmes qui étaient étendues à côté de lui. Au début, je faisais pas attention… et puis au bout de quelques jours, j’ai tout compris !

 

Eve – Elles étaient étendues à côté de lui sur la plage, c’est tout ! Ça ne veut pas dire qu’il faisait des choses avec elles.

 

Ivi – Moi je pensais trouver un peu de réconfort, un peu d’empathie auprès de ma meilleure amie, et voilà…

 

Eve – Voilà quoi ?

 

Ivi – Tu ne me soutiens même pas.

 

Eve – Bon, d’accord, tu veux quoi ?

 

Ivi – J’aimerais que tu le suives.

 

Eve – Hein ?

 

Ivi – J’aimerais que tu suives Bob, que tu le surveilles, quoi. Et que tu me dises si oui ou non, il va quelque part avec quelqu’un pour faire des choses.

 

Eve – Tu veux que je le suive jusque-là ?

 

Ivi – Oui, jusqu’au bout.

 

Eve – Tu me demandes de l’espionner, quoi.

 

Ivi – Tu ne peux pas me refuser ça.

 

Eve – Mais je suis pas détective privée, moi.

 

Ivi – Il suffit de le suivre, juste de le suivre. Et de me dire.

 

Eve – Mais il me connaît. S’il me découvre, je dis quoi ?

 

Ivi – Tu fais attention, c’est tout ! (Sortant une paire de lunettes noires de son sac) Tiens ! Mets ça ! Tu passeras incognito.

 

Eve – Je t’ai pas dit que j’acceptais !

 

Ivi – Tu me laisses tomber ?

 

Eve – C’est-à-dire que je suis déjà grave overbookée pour plein de trucs.

 

Ivi – Des trucs plus importants que moi.

 

Eve - Et puis espionner Bob, quand même…

 

Ivi – Très bien, j’ai compris. Ma meilleure amie me lâche, tout le monde s’en fout, tout va bien.

 

Eve – Tu peux pas dire ça !

 

Ivi – De toute façon, le monde est comme ça aujourd’hui. Chacun pour soi, et que les autres crèvent.

 

Eve (lui prenant les lunettes des mains) – Bon ! Donne-moi ça !

 

Ivi (résistant à lui donner les lunettes) – Mais non, je veux pas t’obliger si t’as pas envie.

 

Eve – Arrête ton cinéma. C’est pas une question d’envie. C’est que…

 

Ivi – C’est que tu veux pas !

 

Eve (lui prenant les lunettes et les mettant sur son visage) – Voilà, tu es contente !

 

Ivi – Tu vas le faire ?

 

Eve – J’ai le choix ?

 

Ivi – Quelque part, non. Tu es mon amie.

 

Eve – Allez va-t’en avant que je change d’avis. Mais permets-moi de te le dire, la jalousie, le soupçon, la filature, c’est vraiment ringard.

 

            (Ivi part par la salle.)

 

Ivi – Dès que tu sais quelque chose, tu me téléphones.

 

Eve – Oui, c’est ça.

 

Ivi – T’es vraiment super, tu sais.

 

Eve – Va-t’en ! Tu m’énerves !

 

(S’arrêtant soudain.)

 

Eve – Ivi !

 

Ivi – Oui !

 

Eve – Où il est ?

 

Ivi – Hein ?

 

Eve – Bob, il est où ?

 

Ivi – Quelque part par là.

 

Eve – Tu pourrais préciser ?

 

Ivi – Regarde les flèches, c’est lui qui les pose, tu sais bien !

 

Eve – Je sais, mais…

 

Ivi – Tu peux pas le manquer ! Je compte sur toi !

 

(Elle sort par la salle.)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Scène VI

 

Eve

Natan

Anna

Bob

 

(Eve est assez mécontente, elle regarde les flèches, remet les chaises en place.  Natan entre. Eve s’accroupit pour se cacher derrière le dossier d’une chaise. Il l’a vue. Il vient vers elle et se plante devant la chaise.)

 

Natan – Bonjour.

 

Eve (sans se redresser et sèchement) – Bonjour et au revoir.

 

Natan – Vous vous cachez ?

 

Eve – Si vous pouviez passer votre chemin, ça m’arrangerait.

 

Natan – Vous ne voulez pas me parler ?

 

Eve – Non !

 

Natan – Pourquoi ?

 

Eve – Parce que… parce que j’ai autre chose à faire que de parler à un inconnu.

 

Natan – Vous aussi, vous êtes une inconnue, et c’est justement pour ça que j’aimerais vous parler.

 

Eve – Je n’ai rien à vous dire !

 

Natan – Pourquoi restez-vous accroupie derrière cette chaise et pourquoi portez-vous des lunettes de soleil ?

 

Eve – Je ne suis pas accroupie, je suis naine et les lunettes de soleil, c’est parce que je suis aveugle !

 

Natan – C’est une stratégie ! Maintenant j’ai compris. Je ne suis pas aussi bête que j’en ai l’air. Mais ça commence à devenir vexant cette façon que vous avez toutes de vous dissimuler pour avoir le choix de me repousser !

 

Eve – Taisez-vous ! Vous allez me faire remarquer !

 

Natan - Vous ne voulez pas de moi, eh bien moi non plus je ne veux pas de vous ! Vous non plus, vous n’êtes pas une belle rencontre !

 

(Il s’apprête à partir)

 

Bob (en coulisses) -   Attendez !

 

         (Entrent Anna et Bob qui reviennent par le côté où ils étaient partis.)

 

Eve (se redressant et agrippant Natan pour se cacher derrière lui) – Non ! Restez là ! Ne bougez pas !

 

Natan – Hein ?

 

Eve – Ta gueule !

 

(Pendant le dialogue suivant, elle va « espionner » Bob, en se cachant derrière Natan qu’elle tient fermement et qui résiste un peu au début.)

 

Bob – Pourquoi avoir fait demi-tour si vite ?

 

Anna – A cause de ma valise.

 

Bob – Vous auriez pu choisir de l’abandonner. J’imagine qu’elle contient tout ce qui vous rappelle ce que vous avez quitté et que vous voulez oublier.

 

Anna – On ne se débarrasse jamais complètement de ses souvenirs. On peut les chasser un instant mais ils sont toujours là.

 

Bob – Ils sont lourds à porter ?

 

Anna – Oui, très !

 

Bob – Justement ! Faites le vide.

 

Anna – Je n’y arrive pas. Vous voyez, j’y reviens toujours.

 

Bob – On aurait dû partir plus loin.

 

Anna – Bob, vous étiez d’accord avec moi pour un tout petit écart de rien du tout, non ?

 

Bob – J’étais d’accord, mais je ne pensais pas que ce serait si court.

 

Anna – On ne serait pas serait pas allés bien loin, de toute façon.

 

Bob – On n’en sait rien. On n’est pas allés plus loin.

 

Anna – Et ça aurait été trop loin ! Au bout d’un moment, on aurait fini par se lasser. Et puis un soir on se serait retrouvés comme vous et votre femme, en train de somnoler devant la télé en se demandant ce qu’on fait là.

 

Bob – On aurait essayé de tenir la distance.  Comment savez-vous que je somnole devant la télé ?

 

Anna – Je me trompe ?

 

(Bob ne répond pas mais fait une mimique signifiant : peut-être.)

 

Anna - Vous êtes vraiment gentil, Bob, mais je vous en prie, n’insistez pas. Il vaut mieux s’arrêter à temps, quand tout est encore parfait.

 

Bob – Vous voulez dire : s’arrêter au milieu du gué.

 

Anna – Je ne vous avais rien proposé de plus. Tout ça, c’est de ma faute. Je n’aurais pas dû vous embarquer dans mon trip.

 

Bob – Vous ne m’avez pas forcé. Vous m’avez convaincu.

 

Anna – Vous avez même trouvé l’idée géniale.

 

Bob – Elle l’était, et aurait pu l’être encore plus !

 

Anna (mettant son doigt sur les lèvres de Bob) – Chut ! Ne dites plus rien et laissez-moi partir.

 

(Un temps. Elle enlève son doigt.)

 

Bob – Bon, ben salut Anna.

 

Anna – Salut Bob.

 

 (Elle se penche vers lui et l’embrasse. Eve pousse un petit « oh ». Anna part rapidement par le côté jardin en prenant sa valise. Bob regarde soudain vers Natan. Eve a peur d’être reconnue, elle prend la tête de Natan pour l’embrasser. Bob va reprendre son escabeau et sort du côté jardin. Eve repousse Natan.)

 

Natan – Je savais que vous n’étiez ni naine ni aveugle !

 

Eve – Oui, c’est ça ! Au revoir !

 

Natan – Mais… mais… vous m’avez agrippé et retenu !

 

Eve – Et vous, tout à l’heure vous aviez décidé de partir.

 

Natan – C’était avant !

 

Eve – Avant quoi ?

 

Natan – Avant que vous m’embrassiez ! Parce que vous, vous m’avez embrassé ! Juste maintenant ! Là !

 

Eve – C’était juste une conjonction de circonstances sans conséquence ! C’était bien là et justement restons-en là !

 

Natan – Oui, restons là ! On pourrait même zapper la tartiflette et passer tout de suite à l’action.

 

Eve – Hein ?

 

Natan – Belle rencontre ou brève rencontre, ça me va pareil, mon horoscope s’est juste trompé d’adjectif.

 

(Il l’agrippe.)

 

Eve – Lâchez-moi !

 

Natan – Vous n’êtes plus d’accord ?

 

(Elle sort une bombe d’autodéfense et la dirige vers lui.)

 

Eve - Vous avez cinq secondes pour disparaître ! C’est une bombe d’auto-défense très puissante. 1… 2…

 

Natan – Je me plaindrai à mon horoscope !

 

Eve – Oui, c’est ça ! 3…4…

 

(Il la lâche et se sauve par la salle.)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Scène VII

 

Eve

Ivi

Ava

Bob

 

(Eve range nerveusement la bombe anti-agression, prend son téléphone, fait un numéro.)

 

Eve – Oui, c’est moi. Oui !... Oui !... Mais alors tout de suite parce qu’il y a un maniaque qui rode dans le coin et je n’ai pas envie qu’il revienne par ici… Je t’expliquerai. Oui, au même endroit. « Quelque part par-là ».

 

(Elle raccroche et s’arrange un peu. Ava arrive toujours en marchant en zig zag et même en titubant. Eve la regarde.)

 

Ava (se retournant vers Eve) – Qu’est-ce qu’il y a ? Pourquoi vous me regardez comme ça ?

 

Eve – Je ne….

 

Ava – Si ! Vous me regardez d’une drôle de manière.

 

Eve – C’est peut-être parce que vous marchez d’une drôle de façon.

 

Ava – Je marche comme on m’a dit de marcher.

 

Eve – Vous êtes ivre !

 

Ava – Pas du tout !

 

Eve – Je vois très bien que vous marchez de travers.

 

Ava ((reprenant son chemin.) – C’est à cause des virages. Trop de virages. J’ai mal au cœur.

 

Eve – Buvez moins et vous vous sentirez mieux !

 

Ava (se retournant vers Ava mais continuant à avancer) – Je n’ai pas… (Elle bute contre le mur.) Aïe !

 

(Elle se prend la tête dans les mains et titube, groggy.)

 

Eve – Ça va ?

 

(Pas de réponse. Ava s’assied sur une chaise du fond.)

 

Eve – Oui c’est ça ! Allez cuver, ça ira mieux après.

 

(Ivi arrive rapidement par la salle.)

 

Eve – Ah ! Te voilà ! Il est temps, parce que ça craint par ici.

 

Ivi – Alors ? Raconte !

 

Eve – Bon, en deux mots. Tu avais raison, il voit quelqu’un.

 

Ivi – Je le savais ! Je le sentais !

 

Eve – Mais c’est fini !

 

Ivi – Hein ?

 

Eve – Ils ont rompu, là, devant moi. Un dernier baiser, elle est partie avec sa valise et tout.

 

Ivi – Un baiser ! Une valise !

 

Eve – Une séparation.

 

Ivi – Oh ! Mais il va m’entendre quand il va rentrer ce soir !

 

Eve – A mon avis, c’est une mauvaise réaction. Je te dis que c’est fini entre eux.

 

Ivi – Après ce qu’il m’a fait, tu prends son parti contre le mien !

 

Eve – Pas du tout ! Ce que je veux dire, c’est que tu devrais essayer de le reconquérir genre électro-choc pour l’arracher à sa zone de confort. Ou alors bifurquer vers une déviation quand il comate devant la télé plutôt que de monter dans les tours. Je t’ai déjà expliqué tout ça.

 

Ivi - Ecoute, Eve, je te suis extrêmement reconnaissante de m’avoir rendu service, mais je te prie dorénavant de ne plus te mêler de mes histoires avec Bob!

 

Eve – Mais c’est toi qui…

 

Ivi – C’est bien compris ?

 

Eve - T’es gonflée, toi ! Je t’ai donné de mon temps alors que je suis sous l’eau ! J’ai joué les espions au péril de ma vie…

 

Ivi – Au péril de ta vie ! Arrête ! C’était pas une mission chez les coupeurs de tête !

 

Eve – Sauf que si j’avais pas eu ma bombe d’auto-défense, j’aurais peut-être été violée sur place, (Désignant Ava assise au fond.) sans compter cette fille complètement ivre qui…

 

Ivi – Qu’est-ce que tu as dit ?! Bob a essayé de te violer !

 

Eve – Je n’ai pas dit ça, tu mélanges tout, mais puisque que tu ne veux plus que je me mêle de tes affaires, c’est parfait. Je vais retourner m’occuper des miennes.

 

Ivi – Où vas-tu ?

 

Eve – Quelque part, là où mon téléphone ne répond pas quand c’est toi qui m’appelles !

 

(Eve sort par la salle.)

 

Ivi– Je suis sûre que tu me caches quelque chose ! (Eve est partie.) Je t’avertis, si tu…

 

(Entre Bob qui revient avec son escabeau et des flèches sous le bras. Il voit Ivi en front de scène.)

 

Bob – Ivi! Qu’est-ce que tu fais là ?

 

Ivi – Ah ! Te voilà, toi. Surpris, Bob?

 

Bob – Oui… Un peu…

 

Ivi – Je t’interromps dans tes activités ? Il paraît que tu as été très occupé ces derniers temps.

 

Bob – Ben… les flèches…

 

Ivi – Oui, les flèches, bien sûr.

 

Bob – Ben oui.

 

Ivi - Tu as l’air embarrassé. Je te dérange peut-être.

 

Bob – Pourquoi tu dis ça ?

 

Ivi – Parce que si j’étais arrivée un peu plus tôt, j’aurais vu certaines choses.

 

Bob – Hein ?

 

Ivi – Je sais tout ! Tes aventures depuis cet été ! Tout !

 

Bob – Mes aventures !

 

Ivi – Eve t’a vu !

 

Bob – Ta copine Eve, cette excitée ? Elle était là ?

 

Ivi – Oui, elle t’a vu embrasser une fille ! Tu as même essayé de la violer !

 

Bob – Moi ! J’ai essayé de violer une fille !

 

Ivi – Non ! Eve ! Elle m’a tout raconté.

 

Bob – Je n’ai pas essayé de violer Eve !

 

Ivi – Menteur !

 

Bob – Mais c’est vrai que j’ai embrassé une fille tout à l’heure… (Il pose son escabeau contre le mur.) Ou plutôt c’est elle qui m’a embrassé !

 

Ivi – Ah ! Tu vois !

 

Bob – C’était pas Eve !

 

Ivi – Tu avoues !

 

Bob – Ivi, arrête ! Ce n’est ni le lieu ni l’endroit pour ce genre de discussion.

 

Ivi – Ah bon ? Ici, c’est seulement le lieu et l’endroit pour tes saloperies ?

 

Bob - C’est nul ces accusations ! Mais tu sais quoi, quelque part, c’est pas plus mal qu’on en arrive là. Et que ce soit ici ou là, finalement, peu importe. Il faut juste faire un constat : ici, on en est là, un point c’est tout.

 

Ivi – Ne commence pas à m’embrouiller avec tes ici et tes là. Moi, on ne me dirige pas avec des panneaux de circulation.

 

Bob (il va s’asseoir sur le banc, pris d’une grande lassitude) – Ça ne ressemble plus à rien notre couple !

 

                  (Ava se retourne et s’intéresse vaguement à leur dispute.)

 

Ivi – La faute à qui ? Tu ne me regardes même plus !

 

Bob – L’amour, ce n’est pas se regarder l’un l’autre, c’est regarder dans la même direction !

 

Ivi – Dans la direction de la télé peut-être ?

 

Bob – Dans une direction où on a envie d’aller ensemble !

 

Ivi (s’asseyant à côté de lui, soudain fatiguée elle aussi) – En août dernier, tu étais d’accord pour qu’on aille sur la Côte d’Azur.

 

Bob – C’était ton idée, tu as pris les billets sans même m’en parler !

 

Ivi – C’était une surprise !

 

Bob – De toute façon, ce n’est pas ce genre de direction dont je parle ! Le plus insupportable, c’est tes crises de jalousie à répétition. Et maintenant la totale avec ta copine Eve qui raconte n’importe quoi. Stop les délires !

 

Ivi – Eve t’a surpris, tu ne peux pas le nier !

 

Bob – Ok, Eve m’a surpris et elle n’a rien compris !

 

Ivi – Explique-moi ce qu’il y a à comprendre.

 

Bob – Ce qu’il faut comprendre c’est que tu ramènes tout à toi ! Tu es possessive et égoïste.

 

Ivi (réagissant fermement) - Egoïste ! Moi !

 

Bob - On a fait fausse route tous les deux et voilà où nous en sommes aujourd’hui.

 

Ivi – Où en sommes-nous ?

 

Bob – Là où ça part dans tous les sens et où ça ne nous mène plus nulle part. Ici.

 

Ivi – Tu recommences !

 

Bob – On arrête là, d’accord ?!

 

(Le téléphone de Bob sonne. Il est surpris et regarde son téléphone.)

 

Ivi – Eh bien voilà ! C’est la suivante ! Eh bien prends l’appel ! Ça t’ennuie de lui parler en ma présence ?

 

Bob (après avoir regardé Ivi d’un air excédé, se lèvant et prenant l’appel) – Allo… Oui… Ah bon ? Mais... Maintenant ?... Non, non…  J’arrive.

 

(Il coupe la communication, visiblement contrarié.)

 

Ivi – Impatiente la dame, on dirait. Elle s’appelle comment celle-là ?

 

(Bob ne répond pas et hausse les épaules. Il sort par le côté cour, sans même regarder Ivi et en laissant l’escabeau sur place.)

 

Ivi (criant dans la direction où il est sorti) – A part ça, c’est moi qui délire ! (Partant par la salle et marmonnant.). Menteur ! Je le savais, je le savais depuis le début.

 

      

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Scène VIII

 

Ava

Uru

Natan

Anna

Bob

 

                  (Uru entre par le côté jardin. Elle cherche près du banc.)

 

Uru (avisant Ava assise de dos) – Excusez-moi… vous n’auriez pas vu un stylo par hasard.

 

(Ava ne répond pas.)

 

J’y tiens beaucoup. Je suis certaine que je l’ai laissé tomber quelque part par là. C’est à cause d’une personne complètement paumée qui m’a…  (Ava se retourne. Celle qui attendait la reconnaît.)  Oh !

 

Ava – Vous disiez : « paumée »

 

Uru –Vous êtes revenue !

 

Ava – On m’a même accusée d’être ivre ! C’est à cause de vous si j’en suis arrivée là !

 

Uru – Pas du tout, je…

 

Ava – Les virages, les tournants, les zigzags, les épingles à cheveux ! Et voilà, je suis complètement désorientée maintenant !

 

Uru – Vous étiez désorientée avant, excusez-moi de vous le dire !

 

Ava– Dans ce cas-là, ce n’est pas à moi qu’il faut demander de vous aider à le retrouver, votre stylo !

 

(Uru voit le stylo.)

 

Uru – Mais je n’ai pas besoin de vous ! Il est là ! (Elle le ramasse.) Le voilà. (Montrant la flèche qu’a posée Bob au-dessus du banc) Il suffisait de suivre la flèche, ce n’est pas plus difficile que ça. Et vous devriez faire la même chose que moi !

 

Ava – Je ne cherche pas mon stylo, moi !

 

Uru – Non, mais si je me souviens bien, vous cherchiez une direction sans destination. (Montrant les flèches sur le mur.)  Aucune de ces flèches n’indique de destination, ça devrait vous convenir, non ?

 

Ava – Elles changent sans arrêt de direction, les flèches ! En plus je me suis blessée en route.

 

Uru – Je suis désolée pour vous, mais…

 

Ava – Vous m’aviez dit que quand je m’arrêterais, ça voudrait dire que je serais arrivée. Je me suis arrêtée mais je suis nulle part.

 

Uru – Pas du tout ! Vous êtes là !

 

Ava – Hein ? (Soudain saisie d’une illumination.) Vous pensez que… (Elle ne termine pas sa phrase.)

 

Uru – Oui, exactement !

 

Ava – Alors, quelque part, c’est là.

 

Uru – Et voilà !

 

            (Natan apparaît. Uru le voit.)

 

Excusez-moi, mais je dois y aller.

 

Ava – Où ça ?

 

          (Uru se sauve par la salle. Natan avance vers Ava et la regarde.)

 

Ava – Qu’est-ce qu’il y a ?

 

Natan – Vous êtes de quel signe ? Parce que j’ai retrouvé le papier où c’était écrit. En fait c’était au recto de la tartiflette, ou au verso, ça dépend par quel côté on commence. Alors, vous êtes de quelle maison ?

 

Ava – De quelle maison ?

 

Natan – C’est rapport à l’horoscope.

 

Ava – L’horoscope…

 

Natan – Mais c’est pas la maison le plus important. En plus vous ne le savez peut-être pas.

 

(Ava fait non de la tête.)

 

J’en étais sûr, mais c’est pas grave, surtout que parfois, eh ben l’horoscope il se plante et on croit qu’on est au mauvais endroit avec une bonne personne, alors que c’est l’inverse et que c’est avant l’accident, sauf que c’était une agression, pas un accident. Mais je persiste, l’horoscope, il me dit de persister, alors je persiste.

 

Ava – Moi, j’ai eu un accident ! Juste là.

 

Natan – C’était un mauvais endroit ?

 

Ava – Ben oui, je me suis cogné la tête ! (Désignant l’endroit où elle s’est cogné la tête.) Ici !

 

Natan - Alors c’est peut-être vous la bonne personne !  Finalement ! Sur mon papier, c’est écrit que vous êtes Balance.

 

Ava – Balance ?

 

Natan – Tendance à l’indécision. Il faut que les autres décident à votre place. Souvent vous ne savez pas où vous en êtes.

 

Ava – La personne désagréable qui m’accusait d’être ivre me disait que j’étais quelque part et que quelque part c’était là.

 

(Il la regarde intensément.)

 

Oui, quelque part, c’est là, elle me l’a dit. Mais vous, vous me dites que c’est un mauvais endroit.

 

Natan – Mais vous, vous êtes la bonne personne ! Maintenant j’en suis sûr ! Enfin ! Bonjour, je m’appelle Natan, Natan sans « h » sinon, on peut pas lire dans les deux sens. Et vous ? C’est comment ?

 

Ava – Ava.

 

Natan – Sans « h » non plus ?

 

Ava – Hein ?

 

Natan – Parce que s’il n’y a pas de « h », ça confirme que nous deux, ça pourrait marcher dans les deux sens. Vous dites bien « Ava » et non pas « Hava » (Il prononce le H comme s’il était aspiré.) ? J’aurais dû aussi demander aux autres personnes, mais non, ce n’étaient pas les bonnes. Donc : Ava.

 

Ava – Ava, oui.

 

Natan – Enchanté !  Comment ça va, Ava ?

 

Ava – Ça va, ça vient, et j’ai un peu mal à la tête.

 

Natan – C’est normal, les Balance c’est toujours un peu comme ça, (Il fait un mouvement de balance avec les mains) et au bout d’un moment ça donne la migraine.

 

Ava – Moi c’était plutôt comme ça (Elle fait un geste avec les bras pour montrer des tournants) et puis boum !

 

Natan – Boum, Vous m’avez rencontré.

 

Ava – Non, enfin oui.

 

Natan – Une belle rencontre quelque part. Tout était prévu. Vous aimez la tartiflette, Ava ?

 

Ava – Une tartiflette. Où ça ?

 

Natan – Suivez-moi, je vous montre la direction.

 

Ava – Vous connaissez la direction ?!

 

Natan – Il faut aller par là (Il désigne la salle.).

 

Ava – Formidable ! Vous savez quoi ? j’aurais dû vous rencontrer plus tôt.

 

Natan – Moi aussi. J’ai bien fait de persister. Merci l’horoscope !

 

 (Elle se lève et le suit. Ils sortent par la salle. Arrive Bob avec un grand sac vide qu’il jette par terre. Il semble furieux. Il monte et arrache les flèches qu’il laisse tomber bruyamment par terre. Anna arrive, sans sa valise. Elle s’arrête comme au début de la scène IV. Il se retourne.)

 

Anna – Vous les enlevez ?

 

Bob (furieux, sans retourner) – Changement de directive, avec exécution immédiate. Il ne faut plus indiquer de direction. Il faut les laisser les gens aller où bon leur semble sans rien flécher. Chacun sa route et basta.

 

 (Il se retourne et voit que c’est Anna. Il rangera les flèches dans le sac et n’en gardera qu’une dans les mains.)

 

C’est vous ! Vous êtes revenue !

 

Anna – Oui, je viens de comprendre une chose importante.

 

Bob – Qui est ?

 

Anna - Ce n’est ni la distance ni la destination qui compte, c’est la personne qui vous accompagne.

 

Bob – Vous avez trouvé ça toute seule ?

 

Anna – Quelque part, oui. En pensant au moment que nous avons passé ensemble.

 

Bob (incrédule) – Ah oui ?

 

Anna – Bob, vous seriez d’accord pour qu’on reparte ensemble ?

 

Bob – C’est-à-dire ?

 

Anna – On essaierait de tenir la distance, comme vous disiez.

 

Bob (sarcastique) – On repartirait pour un tour, quoi.

 

Anna – En quelque sorte, oui, mais pour un plus grand tour. Je me dis qu’on pourrait essayer.

 

(Un temps.)

 

Vous ne dites rien. Ça vous ferait peur ?

 

Bob – Ecoutez, vous m’avez enfumé avec vos discours sur le risque de lassitude et bla bla bla, et maintenant vous voulez savoir si j’aurais peur de prendre un billet longue distance avec vous ! J’hallucine !

 

Anna – Donc vous auriez peur.

 

Bob – Qui me dit que vous ne me feriez pas encore le même coup ? Que vous ne me lâcheriez pas sous prétexte d’aller chercher votre valise ou un autre truc ? D’ailleurs qu’est-ce qu’il y a exactement dans cette valise ? C’est quoi ces souvenirs plus importants que le monsieur de la signalisation ?

 

Anna – Ne cherchez pas de mauvaises raisons pour vous esquiver !

 

Bob – Dites-moi : vous faites ça avec tout le monde ou vous m’avez choisi à cause de mes flèches, genre un balourd à ajouter à votre tableau de chasse ?

 

Anna – Je vous en prie, Bob. Ne dites pas n’importe quoi.

 

Bob – C’est juste pour savoir. Je me demande si vous ne seriez pas juste une allumeuse qui s’amuse à brancher des mecs pour avoir le plaisir de les larguer en pleine cambrousse « au revoir et merci » ?

 

Anna – Vous devenez grossier, Bob.

 

Bob – Oui, je suis grossier, buté et bas de plafond, mais je ne suis pas naïf.

 

Anna – Mes intentions sont sincères, mais je constate que les vôtres sont sordides : vous m’injuriez pour cacher votre lâcheté.

 

Bob – Quelle lâcheté ?

 

Anna – Vous êtes lâche parce que vous ne voulez pas prendre de risque, malgré vos sentiments… et les miens.

 

Bob – Pour les vôtres, je demande à voir !  Qu’est-ce qu’il y a dans cette valise ?

 

(Il tente de lui prendre sa valise. Elle résiste. La valise s’ouvre. Elle est vide. Il la regarde, étonné. Un temps.)

 

Anna – Je l’ai vidée, comme vous me l’aviez conseillé ! Je me disais que ça en valait la peine pour reprendre la route avec vous. Mais non ! Je me suis trompée !

 

(Bob reste sans voix, stupéfait.)

 

Anna – Vous ne vouliez pas dépasser les bornes. Vous venez de le faire.

 

Bob – C’étaient pas les mêmes bornes ! Vous m’avez accusé de lâcheté !

 

Anna (refermant la valise) – Et maintenant, je découvre vos suspicions, j’entends vos accusations, vos injures !

 

(Bob de nouveau sans voix.)

 

C’est ici que nos chemins se séparent. Définitivement !  Ni au revoir, ni merci !

 

(Elle prend la valise et on comprend qu’elle est de nouveau très lourde, puis elle part du côté cour. Bob reste hébété un instant.)

 

Bob (en criant du côté cour) – Anna ! Vous êtes partie du mauvais côté !

 

(Il se précipite côté cour, toujours avec la flèche dans les mains.)

 

Anna !

(Arrive Ivi, par l’autre côté.)

Ivi – Bob !

 

(Bob se retourne avec la flèche dirigée du côté d’Ivi.)

 

Ivi – J’ai bien réfléchi, Bob. J’étais vraiment furieuse contre toi, et tu as été odieux, mais c’est peut-être parce que je t’ai installé dans une zone de confort.

 

Bob – Hein ?

 

Ivi – Je suis venue te dire que je suis prête à te pardonner et à faire un électro-choc à notre couple pour prendre un nouveau départ avec toi.

 

(Bob dirige la flèche vers le côté cour, puis vers le côté jardin.)

 

Pour les vacances de Noël, je viens de prendre deux billets pour Euro-Disney. Juste toi et moi !

 

(Il ne répond pas. La lumière baisse tout doucement sur Bob totalement désorienté.)

 

 


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