Scène 1
Dans l’appartement de Bryan. Bruits de fête, bouteilles, verres qui s’entrechoquent, musique techno. Rires, éclats de voix de la part de Kevin, Zéphira, Léa et Bryan.
On sonne à la porte, Bryan va ouvrir.
Bryan. Claude, enfin ! Entre, entre mon « â-mi » ! On n’attendait plus que toi !
Claude. Mon ami ? Eh bien bonsoir Bryan, merci de m’avoir invité.
Claude va pour l’embrasser.
Bryan. La bise… ? Ah non ! Non ! Quand même ! Pas à ce point ! La main oui, une bonne poignée, masculine, non ? Bienvenu Claude !
Allez, avance-toi ! Regardez qui est là !
Kevin. Ah ! Claude ! Belle surprise ! Allez, la main aussi, non ?
Léa et Zéphira. Nous c’est la bise, c’est sûr !
Léa. Tu sais que tu n’as pas changé ! Ta petite mèche là, c’est chou !
Zéphira. Toujours aussi mignon avec ton côté… enfant sage !
Léa. Et nous, comment tu nous trouves ? Toujours aussi…
Kévin. … bandantes ! Ha !Ha !
Bryan. Kévin et son humour de collégien ! Allez installe-toi. Qu’est-ce que tu prends, Whisky, Vodka ? Excuse-nous mais on a déjà commencé.
Claude. Un jus d’orange, ça ira.
Léa. Tu as raison, il te faut des vitamines. Hi ! Hi !
Claude. Alors on ne se fait plus la bise ?
Bryan. Hola ! Ça te gêne tant que ça ? La bise c’est fini depuis longtemps !
Kévin. C’était avant, au lycée, maintenant on a changé ! Bryan est à Sciences po ! Moi je fais Sup de co !
Claude. Des vrais hommes à présent.
Zéphira. Et nous alors ! Moi je suis à St Cyr, Léa fait Normale sup, pas mal pour des nanas, on a des couilles nous aussi !
Claude. Mais pourquoi cette soirée ?
Bryan. Pourquoi ? Mais en souvenir de nos années lycée !
Léa. Nos belles années ! Sniff ! Sniff !
Claude. Nos années lycée… ?
Zéphira. Rappelle-toi… la belle bande qu’on formait !
Kévin. Le coup avec la prof de lettres ! Tu te souviens quand on lui avait mis un chiotte à la place de sa chaise !
Rires.
Léa. On ne se quittait jamais. C’était ça la solidarité, non ? Bras-dessus bras-dessous, toujours prêt à aider l’autre !
Claude. Aider l’autre… la solidarité… je ne me rappelle pas bien, trop de boulot sans doute, les études…
Bryan. Eh ! Te laisse pas aller au spleen mon vieux, ça tue les bons souvenirs. Un peu de Vodka dans ton jus d’orange, tu vas voir, ça va être une bonne soirée !
Bruits de bouteilles, verres, rires, musique.
Scène 2
Bryan. Allez, place au jeu !
Claude. Quel jeu ?
Zéphira. Rien de tel qu’un jeu entre amis pour passer un joli moment !
Bryan. En souvenir de nos parties de cartes.
Léa. Je me rappelle d’un fameux Strip Poker, ho la la ! On était bourrés ! J’avais failli terminer complètement à poil !
Zéphira. Tu n’avais pas voulu quitter ton string parce que t’avais tes règles ! Si ! Si !
Bryan. On se calme les filles, on se calme ! Bon à propos des règles, justement. Un paquet de cartes. Celui qui commence en tire deux, sur chacune est inscrite une question. Exemple : « Un plat préféré ? » ou « Ce qui révolte ? » Le joueur commence un récit où il doit montrer ses capacités à narrer, tout en parlant de lui-même, il doit aller vers l’introspection. Puis le suivant le relaie en complétant à sa guise l’histoire et ainsi de suite. Simple mais efficace. C’est toi qui commence.
Claude. Pourquoi moi ?
Léa. Mais parce qu’on t’avait perdu de vue, que ça nous fait plaisir de te revoir. Donc à toi l’honneur ! Mon beau chou à la mèche !
Claude. Et pourquoi un récit personnel ?
Kévin. C’est bien de se rappeler le passé, on découvre des trucs sur l’autre qu’on ne connaissait pas !
Zéphira. Comme une analyse, mais en se marrant !
Bryan. Reprends un peu de Vodka. Et cool mon ami, cool ! Tes études, ça marche ? Pas trop surmené ? Le journalisme, quelle idée ! Mais tu es brillant je pense, premier comme toujours. Au fait tu vis seul ?
Claude. Oui.
Bryan. Comme nous ! Tu vois, finalement nous sommes restés assez proches ! Nous, quand on a besoin de l’une ou de l’autre – enfin je veux dire de l’un ou de l’autre – on est là, on se serre les coudes !
Claude. Ça ne me dérange pas que vous sortiez ensemble, ce n’est pas étonnant. Je trouve ça même assez logique, vous étiez si….
Léa. … Si quoi ?
Bryan. Oui, bon, allez, on commence.
Bruits de bouteilles, verres, rires, musique.
Scène 3
Kévin. Claude tu tires deux cartes.
Zéphira. Attends, tu dois mélanger avant.
Claude. Deux cartes. Une… deux…
Léa. Alors, alors ?
Claude. « Vous arrive-t-il de suivre une personne ? » et… « Une odeur agréable ? »
Bryan. Ça promet, non ? Les filles ?
Léa. Chut, laisse-le se concentrer.
Claude. Alors… voilà : « Il attendait ça depuis des mois. Ce matin la neige… »
Bryan. « Je » tu dois dire « Je » et non « Il ». Le premier qui commence doit dire « Je ». Personnel, vieux, personnel.
Claude. « J’attendais ça depuis des mois. La nuit, il avait neigé. Ce serait plus facile. Je n’étais pas toujours à l’heure, quand elle avait déjà tourné à l’angle de la rue, elle se perdait dans la foule et je ne pouvais plus la suivre. »
Léa. Une gonzesse, ça commence bien…
Kévin. Chut !
Claude. « Ses empreintes dans la poudreuse encore inviolée, beau tissu blanc brillant sous le réverbère, me guideraient jusqu’à elle. Je glissais méthodiquement chacun de mes pas dans les marques que ses pieds avait laissées dans le coton glacé. À chaque pas, je me rapprochais d’elle.»
Bryan. Ouais, érotisme et suspense !
Claude. À présent cela se passe plus tard. « Dans le café arabe nous étions en train de réviser nos cours de maths. Je voyais bien que Claire n’était pas comme d’habitude. Alors elle s’est lâchée entre deux équations. On se connaît depuis l’école primaire. C’est sans doute pour ça que ça m’a fait drôle. Ou peut-être c’est d’entendre le mot « aimer ». Je l’ai regardée à mon tour. Une larme coulait sur sa joue. Puis je lui ai parlé. Elle savait que j’adorais ça. Le thé à la menthe. »
Bryan. Bravo ! Amis de la poésie, bienvenus ! Claire, c’est ton premier amour, si je ne me trompe ?
Léa. À moi ! À moi ! Je prends la suite.
« Elle est entrée dans le café arabe bien avant eux. Elle savait qu’ils y viendraient. Elle s’est mise au bar en les attendant. Quand ils sont arrivés en riant, elle ne l’a plus quittée des yeux. Elle s’est assise à la table, derrière Claude, bien en face de Claire… »
Zéphira. Tiens, tiens ! Et pourquoi donc !
Kévin. Je continue. « Les semaines qui ont suivi, elle n’a jamais manqué un seul de leur rendez-vous. Avec le même rituel, s’assoir à la table, faire face à Claire la petite amie de Claude. Lui, naïf, ne remarquait pas les regards et les sourires que s’échangeaient les deux jeunes filles. Il croyait de plus en plus en un amour illuminant sa vie grise d’adolescent sage ».
Bryan. Ouais, joli, Kévin ! À moi. « Alors, elle se mit à suivre Claire, ne la lâchant plus d’une semelle. Elle épiait ses moindres faits et gestes. Elle alla jusqu’à fracturer la boîte aux lettres pour récupérer quelques missives amoureuses. Elle voulait tout savoir d’elle. Tout. »
Zéphira. « Peu à peu ma présence lui devenait indispensable. Nos sourires et nos gestes exprimaient un amour grandissant, elle était si heureuse Claire. Alors elle rompit avec Claude, ils ne se virent plus jamais dans le café arabe ni ailleurs. Un soir les deux jeunes filles couchèrent ensemble pour la première fois. J’ai couché avec elle, moi Zéphira. Enfin, elle était toute à moi !»
Claude (troublé). Pour… pourquoi tu racontes ça, c’est… c’est toi qui l’a draguée alors ? c’était toi ce secret, ce qu'elle me cachait... c’est… c’est…
Bryan. Allez, Claude, le passé réserve parfois des surprises ! Comme à nous tous, c’est ça qui est palpitant, non ?
Kévin. Et puis « info ou intox » ? Ha ! Ha !
Claude. Claire est morte l’année d’après. Elle s’est suicidée.
Léa. Merde !
Claude. Tu l’as laissée tomber Zéphira, lamentablement.
Bryan. Ho ! Ho ! Mon « â-mi », on n’est pas là pour régler des comptes, hein ! Ce n’est qu’un jeu !
Bruits de bouteilles, verres, rires, musique.
Scène 4
Kévin. Zéphira, hé ! Fais tourner le joint, passe-le à Claude !
Léa. À moi ! Je tire deux cartes... « Un lieu préféré ? » et … « Cinq marques de vêtements ? »
Zéphira. Ma vieille, t'es mal barrée !
Bryan. Arrête, laisse-là commencer ! On t'écoute ma belle !
Léa. Attention, je vous la fais en slam-rap ou l’inverse, à votre choix ! « La plage de Biscarosse celle qui fait des bosses la fée carabosse file dans le cosmos tout à coup Eros en cyclo-cross pourquoi faire la noce la plage de Biscarosse la fée carabosse Eros la désosse il n’y a pas plus véloce que la mélancolie qui brosse. »
Bryan. Yeah ! Bravo ! Mais qui donc peut bien être cet « Eros » ? Jeune ou vieux ?
Léa. « Au volant de son 4x4 il m’arrêta devant la boutique de fringues en centre-ville. Je lui demandai de me suivre à l’intérieur. Et là je me lâchai. J’entassais des hauts, des bas, pantalons, tuniques, je courais en soutif et string d’un miroir à l’autre. Quand les vendeuses ont voulu me stopper, je me roulai par terre en hurlant. Il a payé cash. J’ai tout pris, tops, leggings, blousons, Converse, Diesel, Puma, Caporal, Nike. »
Kévin. Eh bien Claude, Biscarosse, c’est chez toi, c’est toi qui lui a payé tout ça ? Au volant de la voiture de ton papa ?
Claude (troublé). Je ne me souviens pas… « Léa je l’ai invitée cet été-là dans notre maison de vacances parce que j’étais amoureux d’elle. C’est ce que je pensais, ainsi qu’à la réciprocité. Après la rupture avec Claire. Sa folie des marques me gênait pourtant et d’autres manies. Puis une certaine distance s’est vite installée. Nous faisions l’amour rarement, plutôt machinalement. »
Zéphira. « La grosse voiture, celle du père de Claude, c’était bien elle. Après la boutique, ils sont allés derrière les dunes pour leur première fois. Il n’a pas pu résister, Léa trop belle, trop jeune, l’été, les vacances. Pourquoi ? »
Bryan. « Aimer le père et le fils ? Mais qu’avait-elle donc en tête ? Et eux ne se doutaient de rien ? Un négoce sur la plage de Biscarosse celle qui fait des bosses. Un coup le père derrière les dunes, un coup le fils dans la chambre bleue. Quel négoce pour elle ? »
Kévin. « Commençons par le début. Un père gynéco, pourquoi pas se le taper ? Surtout lorsqu’on est déjà enceinte, pour l’IVG y a rien de mieux, hein Léa ? Une IVG ni vu ni connu, un peu de chantage et tu me la fais, hein mon chou, et je dirai rien, ni à ta femme, ni à ton patron ni à ton fils le gentil Claude. Un peu de chantage et pas de scandale. Léa s’en est allée, amour d’été, amour pourri, ventre léger et cœur chantant. »
Claude, déstabilisé, se lève pour partir. Bryan le retient.
Bryan. Claude, attends, te sauve pas, mon vieux, la galère on l’a tous vécue, alors tu restes et tu t’assois, hein ? S’il-te-plaît, mon « â-mi ». J’insiste. Léa, le joint pour notre « â-mi ». De la vodka, aussi.
Bruits de bouteilles, verres, rires, musique.
Scène 5
Zéphira. On continue, à qui le tour ? Kévin !
Kévin tire les deux cartes.
Kévin. Alors… : « Lieu de naissance ? », et … la deuxième… « Un objet favori ?
Bryan. Mystère, mystère. Je prépare une ligne ? Ok pour tout le monde ? Vas-y Kévin, on t’écoute.
Kévin. « Je ne pensais pas encore à toi. Sûrement parce que j’étais trop jeune. Mais tu étais là, comme une petite boule qui se cachait, dans ma tête et dans mon ventre. Tu étais ce qui pourrait venir si je le souhaitais. J’aurais tant aimé que tu sois désiré. Parfois ça n’arrive jamais, de toute la vie, ça reste en suspens, puis on t’oublie, le temps passe. »
Léa. Ouah, Kévin le poète, chapeau mec !
Kévin. « ordi HP écran plat fringues canettes Coca la Kro dvd téléchargements dvd dvx aussi booster n’importe quelle marque je m’en fiche enfin MBK c’est d’enfer cinoche pourquoi pas mais avec pop-corn sinon rien Mac Mac Mac Do Mac Mac Mac Drive un grand Coca avec la sauce barbecue monstrueux d’enfer la Kro c’est trop avec les potes. »
Zéphira. À moi ! « Qu’est-ce que j’avais à foutre de ça, cette vie c’était de la merde, je n’allais pas me laisser faire, je voulais tout ce que je voyais, pourquoi pour les autres et pas pour moi, hein ? J’aurais tant voulu être ailleurs, dans une autre vie, alors j’ai commencé, d’abord les bars, pour une fille comme moi c’est facile, puis… le trottoir… si jeune… »
Claude. (comme ailleurs) « Quand elle le faisait elle rêvait toujours à autre chose. Juste un rayon de soleil, juste le bruit d’un torrent, juste la saveur d’un fruit. Quand elle le faisait, le trottoir ne sentait plus la pisse, le mur ne poissait plus le dégueulis, la banquette arrière n’avait plus de tâches de sang, le froid disparaissait, son corps flottait, un nuage arc-en-ciel colorait ses pensées. »
Bryan. Tu la sauves, Claude. Tu la rends innocente. Allez, une ligne ?
Claude. Non merci.
Bryan. Allez ! De la coke la meilleure du marché ! Vas-y ça va te mettre en forme, pour la suite !
Claude. Merde tu fais chier Bryan, je touche pas à ça !
Bryan. Ok, ok ! Pourtant, je serais toi...
Léa. « Si jeune mère. .. Parfois tu arrives mal, un accident dit-on, ce n’est jamais vraiment le moment pour une prostituée. J’aurais préféré que tu viennes avec celui que j’aurais choisi et qui m’aurait choisie pour te concevoir et t’aimer. Mais pardonne-moi si tout ne s’est pas passé pas comme prévu, mon Claude. »
Bryan. La salope, non, hein ? Ta mère Claude, ta mère était une pute ! Ha ! Ha !
Claude se lève brusquement pour sortir.
Claude. Merde ! C’est quoi votre plan, là, je me tire !
Bryan et Kévin se précipitent pour l’empêcher. Bruits de verres et de bouteilles cassés.
Claude. Vous êtes dingues ! Lâchez-moi !
Bryan. Chut ! Du calme ! Un conseil rassieds-toi Claude, on va aller jusqu’au bout du jeu mon « â-mi » ! Jusqu’au bout. Non, non ! Tu restes avec nous ! Assis, et bien sage !
Bruits de bouteilles, verres, rires, musique.
Scène 6
Zéphira. C’est moi qui tire ! Hi ! Hi ! « Qui tire », c’est drôle, non ? Non ? Bon… «Qu’aimez-vous le plus chez lui ou elle ? » et la deuxième carte… : « Douche ou bain ? »
Kévin. Personnellement avec toi, ce serait plutôt le bain.
Bryan. Moi je vote pour la douche, on peut faire des trucs vachement excitants.
Zéphira. Alors… : « Ce que j’aimais le plus chez lui ? Son air grave, sa voix grave. Tout chez lui semblait grave et pourtant… il était parfois si drôle. L’humour c’était important aussi. Qu’est-ce que j’aimais le plus chez lui ? L’amour… heu… l’humour je veux dire l’humour, c’est drôle, non ? C’est ce qui m’avait séduit en lui. Je te racontais ça dans mon bain, ventre rond, petit ballon qui prenait déjà forme, petit Claude, j’étais amoureuse de celui qui deviendrait ton père. »
Kévin. Ouais, pas facile dis-donc… Voyons… : « Pourquoi j’avais frappé chez lui ? J’avais lu sa plaque dans la rue et j’étais entrée. J’allais me jeter dans le fleuve, vie de chiottes, je n’étais plus qu’une merde, une loque puante. J’ai lu sa plaque et je suis entrée. Et ce qu’il a fait en premier, me parler ! Il m’a parlé pendant une heure ! Je l’écoutais, je ne voulais plus qu’il s’arrête. Je n’ai rien dit et je suis sortie. »
Bryan. Claude ? Allez, à toi mon vieux !
Claude (ému). Je… je ne sais pas… non, rien…
Bryan. Hé ! Quoi, merde !
Claude (troublé). Non, je ne peux pas jouer, joker ! Je passe mon tour, rien je vous dis !
Bryan. Tant pis mec ! « Pas banal pour un gynécologue. Je ne me suis pas jetée dans le fleuve, moi la future mère. Le lendemain je suis revenue. Et c’est moi qui ai parlé pendant une heure. J’ai tout dit de ma vie, tout expliqué. »
Léa. « Il m’a sortie de la boue, moi la jeune fille paumée, perdue, prostituée, enceinte et qui voulait se débarrasser de toi Claude. Il m’a aimée comme jamais on ne l’a fait. Et je t’ai gardé, pour la vie, pour l’amour de lui. Jamais on n’a plus reparlé de ces trois jours, où battue, violée à plusieurs reprises par mes proxénètes, tu as commencé à germer en moi. Trois jours de honte, trois jours de souillure. »
Bryan. Un bâtard ! Né d’un viol ! T’es un bâtard Claude, un vrai !
Claude. Ferme-la Bryan ! Ferme ta sale gueule !
Kévin. Ta mère a été violée. Ta mère la pute a été violée ! T’es issu d’un viol, mec ! Tu le savais, ça ? Un bâtard ! Ha ! Ha ! Claude le bâtard !
Tous. Le bâtard ! Le bâtard ! Le bâtard !
Claude. Vos gueules ! Je vous hais! Vous êtes des minables, que des minables !
Il s’enfuit en renversant table basse et chaises. Bruits de verre et de bouteilles cassées. Porte qui claque.
Tous. Ha ! Ha ! Ha !
Kévin. On l’a bien descendu quand même, hein ?
Léa. Hiiiiiii ! On est trop forts, trop forts de chez trop trop forts ! Hiiiiii !
Zéphira. Comment qu’il a craqué ce bâtard !
Kévin. Claude le meilleur élève ! Un fils de pute !
Bryan. Nous sommes des experts mes mignons je vous dis, des experts ! Bravo à vous, vous avez été vraiment excellents, je vous félicite ! Pour fêter nos exploits je vous propose de finir la soirée en se matant un bon film. « Reservoir dogs » ça vous dit ?
Scène 7
Fin du générique du film. Bruits de verre et de bouteilles.
Bryan. Génial ce film, je ne m’en lasse pas.
Kévin. J’adore quand Blonde met la radio, il danse sur Stuck in the Middle with You, il se met à torturer le policier comme ça, juste pour le plaisir : il lui coupe une oreille au rasoir, l'asperge d'essence et s'apprête à le brûler vif !
Zéphira. Ouais trop super fort et là, Orange, sorti de sa torpeur, dégaine son pistolet et vide son chargeur sur Blonde.
Léa. Tarantino, je le kiffe je le kiffe je le kiffe ! Hiiiiii… !
Bruits de l’ordinateur annonçant l’arrivée de mails. Bryan se déplace vers le bureau.
Bryan. Ho ! Ho ! Ça s’agite dans le bocal… Tiens tiens, c’est de la part de Claude…
Les autres le rejoignent. Bruits de clavier et clics de souris.
Léa. Hooo… ! Qu’est-ce qu’il dit le bâtard mignon ?
Bryan. Il y a plusieurs messages, intitulés « Dossier Bryan », « Dossier Kévin », « Dossier Zéphira » et « Dossier Léa ».
Kévin. C’est sérieux dites-donc ! L’avorton manqué réagit !
Zéphira. « Dossier Bryan ». « Ton père, gros négociant en alimentaire a trempé dans l’affaire des viandes contaminées importées de Grande–Bretagne il y une quinzaine d’années, provoquant la mort de dizaines de personnes. Grâce à ses complicités et la disparition mystérieuse de témoins il a été blanchi. Tu trouveras dans le dossier joint les photos, lettres, documents accréditant mes affirmations. »
Bryan. Putain qu’est-ce que c’est que ce bordel !
Kévin. « Dossier Kévin ? ». « Ton père biologique c’est le DRH de l’entreprise que ton père « officiel » a créée. Mais ta mère, petit commis de bureau à l’époque, a préféré draguer et séduire le patron pour profiter d’une meilleure situation, d’autant que le DRH était déjà marié. Tu trouveras les détails dans les enregistrements, photos, témoignages des employés et des ex-amies de ta mère. » Merde ! Merde ! Merde ! C’est quoi ce plan ? Mon père, quoi!
Zéphira. « Dossier Zéphira ». « Tu seras ravie d’apprendre que ton père, algérien d’origine, actuellement ingénieur dans l’armement, risque son poste quand j’aurai révélé que pour obtenir la nationalité française et sa place actuelle, il a accepté les conditions des services secrets d’organiser des trafics d’armes avec les terroristes du GIA, dans les années quatre-vingt-dix. Photos et docs dans le dossier joint. » C’est pas vrai ! C’est pas vrai, il nous fait quoi là ?
Léa. « Dossier Léa ». « Ta mère ne restera pas longtemps rédacteur en chef de son journal de province. J’ai là les preuves, y compris des enregistrements vidéos, de ses complicités étroites avec des officines d’extrême-droite et des banques véreuses impliquées dans des blanchissements d’argent, scandales immobiliers, réseaux de prostitution. » Il n’a pas le droit de faire ça, pas le droit ! Ma mère !
Kévin. Il ajoute : « Je n’ai pas chômé ces dernières semaines. J’envoie tout ça à la presse, à vos directeurs d’écoles, sans oublier vos familles respectives. Je vous souhaite une belle vie, mes « â-mis ». »
Bryan. Putain de merde, il nous a bien baisés, l’enculé !
Kévin. Enfoiré de chez enfoiré !
Zéphira. Attendez, il a mis un dernier mail, il a écrit ... « Question : « Une odeur agréable ? »
Claude (voix off). Une odeur agréable ? : « Lorsqu’il m’a déclaré qu’il m’aimait, je suis parti d’un grand éclat de rire. Dans le café arabe tous les regards se braquaient sur nous, deux garçons. J’avais mis mon débardeur noir, avec juste un foulard rose, je l’adore. Je voyais bien qu’il n’était pas comme d’habitude, une sorte d’impatience habitait ses yeux humides. Alors il s’est lâché. On se connaît depuis l’école primaire. C’est sans doute pour ça que ça m’a fait drôle. Ou peut-être c’est d’entendre le mot « aimer ». Il m’a pris la main. Je l’ai regardé à mon tour. Une larme coulait sur sa joue. Il savait que j’adorais ça. Le thé à la menthe. »
FIN