Acte 1 : intérieur jour dans une agence Pole emploi, un employé est assis à son bureau et prépare l'ouverture, un jeune stagiaire est installé à son poste
Acte 1 scène 1:
Patrick, Clément
Patrick (il claque des doigts) : Clément, café !
Le jeune stagiaire sort dans une pièce adjacente
Acte 1 scène 2 :
Chantal, Patrick
Chantal entre
Chantal : Bonjour Patrick,
Patrick (sans lever les yeux de son ordinateur) : Bonjour
Chantal : Vous avez passé une bonne soirée ?...
Patrick : Très bonne, merci
Chantal : Madame Jonquet n'est pas encore arrivée ?
Patrick : Je ne sais pas. Je ne l'ai pas vue, en tout cas !
Chantal : Oh, la pauvre, en ce moment ça ne va pas fort ! Je n'ai pas bien compris, il paraît que c'est un ...burlout !
Patrick : On dit Burn-out ! Mais c’est bien aujourd'hui qu'elle rentrait ?
Chantal : Oui, je suppose qu'elle ne devrait pas tarder
Patrick : Déjà en retard le jour de son retour, Ça promet. En plus, je sens qu'elle va encore être joyeux !
Acte 1 scène 3 :
Chantal, Patrick, Clément
Clément revient avec le café, Patrick prend la tasse et regarde le contenu
Patrick : Clément ? Y'a pas un problème, là ? (Il tend la tasse, Clément regarde à l’intérieur)
Clément : Ben non, je ne vois pas !
Patrick : Y'a quoi dans la tasse ?
Clément : Heu du café, ce n’est pas ce que vous m'avez demandé ?
Patrick : Oui, y'a du café... mais tu n'as pas mis d'eau !
Clément : Ah ben fallait me dire que c'était un café à l'eau que vous vouliez !
Patrick (consterné) : Clément, peux-tu me servir un café à l'eau, s'il te plaît ?
Clément retourne dans la remise
Patrick : Clément
Voix de Clément : oui ?
Patrick : Chaude, l'eau !!! (À Chantal) en parlant d'eau chaude, ce n'est sûrement pas lui qu'il l'a inventé !
Chantal : Oh, il est gentil
Patrick : Ben manquerait plus qu'il morde !
Chantal : Décidément, vous êtes dur, monsieur Patrick.
Patrick : Mais non, je ne suis pas dur, c 'est juste que ce jeune couillon n'est bon à rien. Avec leurs contrats d'insertion, ils nous filent vraiment n'importe qui !
Chantal : Chut, Je pense qu'il nous entend !
Patrick : Qu'il nous entende, c'est probable, mais il ne risque pas de nous comprendre, il est un peu limité !
Acte 1 scène 4
Chantal, Patrick, Clément, Rita
Rita entre, lunettes noires,
Chantal : Bonjour madame Jonquet, vous nous avez manqué.
Rita : Je suis dans mon bureau s’il y a besoin. (Il entre dans son bureau en claquant la porte)
Patrick : Si on avait besoin d’elle, ça se saurait. Et ben, qu'est-ce que je disais, on est reparti pour la grande rigolade. Enfin tant qu'elle se cache dans son bureau, on a la paix.
Chantal : Ah Patrick, je vois votre rendez-vous de 9h qui arrive
Patrick : D'accord... Clément ! Il arrive ce café ?
Acte 1 scène 5
Charles, Patrick, Chantal, Clément.
Clément : Voilà, Voilà, et avec de l'eau chaude
Patrick : C'est bon, Tu peux retourner à la réserve, je m'occupe de monsieur.
(Clément sort)
Charles : Bonjour monsieur
Patrick : Bonjour, monsieur ? ?
Charles : Monsieur Bertillon, J'avais rendez-vous
Patrick : Ah mon rendez-vous de 9h ! Nous devions nous voir à quel propos ?
Charles : j’ai fait chez vous une série de tests dans le cadre d'une réorientation.
Patrick : D’accord, Bertillon vous dites, alors attendez, Bertillon Bertillon Bert…ah ça y est !!! Bertillon, tests du 24 novembre, donc je regarde... Ah oui c’est vous !!! eh bien voilà, après examen de votre dossier, nous sommes tombés d’accord pour dire que …
Charles : OUI ??
Patrick : Nous vous recommandons un métier en particulier
Charles : LEQUEL
Patrick : Tueur à gages !!
Charles : Pardon ?
Patrick : Oui le test est assez clair vous en avez le profil et les motivations
Charles : C'est-à-dire que…
Patrick : Que quoi ???
Charles : ben je ne sais pas, ça surprend !!!
Patrick : mais monsieur c’est un métier très valorisant !!vous en connaissez beaucoup, vous, des tueurs à gages ???
Charles : Heu oui, mais non... enfin ce n’est pas très légal non plus !!
Patrick : Monsieur, si vous vous arrêtez à la première contrainte !!!
Charles ; Ben c’est quand même une contrainte de poids !!
Patrick : Mais monsieur, plein de gens ont des pratiques illégales dans des métiers légaux !!!vous ferez le contraire !
Charles : Oui, mais c'est-à-dire que tuer quelqu’un est rarement possible... légalement, j'entends.
Patrick : Non, là vous chipotez !!! je vous dis, essayez et puis vous verrez si ça vous plaît
Charles : Je vous avoue que l'idée d'éliminer quelqu'un m'est assez odieuse. Excusez-moi, et puis je ne suis pas certain qu'on embauche sur annonce dans ce métier...mais enfin qu’est-ce qui vous a mis sur cette piste ??
Patrick : Vous !
Charles : Moi ?
Patrick : Oui, vous avez déclaré « dans mon milieux, il faut être prêt à tuer pour réussir » vous en connaissez beaucoup des métiers aussi proches de vos motivations
Charles : Mais enfin, c'est une façon de parler !
Patrick : Mais où voulez- vous que nous trouvions des pistes, si ce n'est dans votre façon de vous exprimer. Vous vous attendiez à quoi ?
Charles : Je ne sais pas, mais je pensais à des métiers plus conventionnels : comptable, jardinier
Patrick : Avez-vous dit : « je suis prêt à planter des fleurs pour réussir ? »
Charles : Heu, non
Patrick : Dans ce cas, c’est ce qu'il fallait nous dire si vous vouliez qu'on vous conseille d'être jardinier !!!
Charles : Mais c'est n'importe quoi ! Si vous vous contentez de reprendre ce que je dis au pied de la lettre, je ne comprends pas bien à quoi vous servez !!!
Patrick : Et bien prenez ma place !!!
Charles : Non, non, c'est bon !!!
Patrick : D'accord, alors je note : « pas le profil non plus »
Charles : Euh pas le profil pour quoi ?
Patrick : Ben pour être chargé d'insertion en bureau de chômage.
Charles : Ah bon ?
Patrick : Ben oui, je vous ai proposé ma place, vous l'avez refusée !!
Charles : Mais enfin, c'est n'importe quoi...
Patrick : Mais pas du tout monsieur !!!
Charles : Vous me dites « prenez ma place » c'est une façon de parler
Patrick : Absolument pas !! ainsi moi... avant d'arriver à ce poste, je suis venu en consultation, comme vous !!
Charles : Et ?
Patrick : Et le type qui était avant moi m’a dit « prenez ma place » ...
Charles : Et alors ?
Patrick : Je l'ai prise et voilà qui explique ma présence ici
Charles : Voilà surtout qui explique bien des choses...Mais enfin, c'est stupide !!! pour être à cette place, il faut des compétences ! Des diplômes !
Patrick : On m'a proposé la place, je l'ai prise !! j'ai su faire preuve de motivation, d'audace et de réactivité, ce qui ne semble pas être votre cas.
Charles : N'importe quoi !!! bon et mon profil de personnalité ?
Patrick : Alors, résultat formel de la part des 3 spécialistes !!! vous êtes... enfin d’après leur diagnostic concerté ... un gros con !
Charles : Quoi ? C'est ça votre test de personnalité ? On insulte les gens ? ils auraient pu développer.
Patrick : Habituellement, ils développent mais là ça serait devenu assez désagréable pour vous
Charles : Parce que vous trouvez que c'est agréable de se faire traiter de gros con ?
Patrick : Ce n'est pas une insulte, monsieur, c'est un diagnostic ! sachez que les personnes qui ont eu à analyser votre cas, sont d'éminents spécialistes, recommandés par les plus brillantes écoles... l'un d'eux a même produit une thèse du plus grand intérêt sur l'épanouissement des gros cons dans le monde contemporain au regard de la pensée Pavlovienne.
Charles : Et ils se limitent à de tels constats ?
Patrick : J'avoue que d'être pris pour un con par des gens aussi brillants peut être assez déplaisant
Charles : Monsieur, je suis venu pour faire un bilan de mes compétences, pas pour qu'on remette en doute mon intelligence !!!
Patrick : J'entends monsieur, mais, pour que ce bilan ait valeur d'authenticité, nous sommes obligés de prendre en compte vos facultés intellectuelles...enfin si on peut appeler ça des facultés !
Charles : Bon, cessons cette mascarade... appelez-moi votre responsable !!!
Patrick : Je n'ai pas de responsable... mais vous voulez le poste ?
Charles : Pardon ?
Patrick : Vous souhaitez devenir mon responsable ?
Charles : Vous venez de me dire que j'étais un imbécile
Patrick : Pardon, pas un imbécile, un gros con !
Charles : Il y a une différence ?
Patrick : Techniquement, oui.
Charles : Bref, vous me dites que je suis un gros con et vous me proposez de devenir votre chef ?
Patrick : Ah mais monsieur, ce n'est pas incompatible... c'est même souvent très apprécié !!!
Charles : Eh bien j’accepte !!!
Patrick : Tant mieux, (Ils changent de place) Tant mieux, disais-je, parce que je voulais vous dire, monsieur mon supérieur hiérarchique, qu'il y a un emmerdeur qui me tient la grappe depuis 5 minutes... je ne tiens plus à m'en occuper, je vous le laisse !!!
Charles : Non mais dit donc mon petit vieux, un autre ton s'il vous plaît !!! maintenant que je suis votre responsable, ça va changer !!D’abord, on va arrêter ce genre d'entretien absurde et on va aussi arrêter de recruter n'importe comment !
Patrick : Vous avez raison, vous êtes viré !!!
Charles : Mais vous ne pouvez pas, je suis votre supérieur hiérarchique !
Patrick : Ah bon, vous avez un contrat ?
Charles : Ben non !
Patrick : Alors, vous êtes viré ! Donc, je vous invite à revenir à votre place
Charles : Bon, maintenant que la mascarade est finie, nous allons enfin pouvoir revenir à mon cas !
Patrick : Une minute ! Je vois que vous avez travaillé
Charles : Moi ? Mais quand ça ?
Patrick : Mais ici même, en tant que responsable d'agence
Charles : Mais... C’est complètement absurde ! (S’énervant) Vous allez arrêter de me prendre pour un...
Patrick : Un gros con ?
Charles : Ça suffit ! Faites votre boulot sérieusement ou je sens que ça va mal tourner
Patrick : Pas de soucis, je vais vous réinscrire
Charles : Ce serait bien, oui !
Patrick : Cependant, j'aurais besoin de certains éléments, notamment votre contrat de travail !
Charles : Mon... mais enfin, puisque je n'en ai pas ! Vous le savez bien !
Patrick : Ah mais je ne sais rien, moi monsieur ! Il s'avère que vous avez travaillé ! Il me faut donc votre contrat pour que je puisse valider votre dossier
Charles : Ça suffit ! Appelez-moi votre responsable !
Patrick : Je n'en ai pas, je viens de le renvoyer, mais je vais vous accorder une faveur, je vais vous réinscrire quand même. Mais c'est bien parce que c'est vous !
Charles : bon, on va y arriver
Patrick : Cependant, pour ne rien vous cacher, comme votre dossier est incomplet, vous allez être radié pendant 2 mois
Charles : Pardon
Patrick : Eh oui, monsieur, c'est le règlement !
Charles : Mais, mes allocations
Patrick : Ah, suspendues elles aussi, monsieur !
Charles : Mais comment je fais pour vivre ? Je n'ai pas un centime de côté !
Patrick : Faites une réclamation !
Charles : Mais à qui ?
Patrick : Mais à mon supérieur... enfin, dès que j'en aurais un
Charles : Bon, là, ça suffit ! Tu veux jouer au con ? D'accord, je vais te casser la gueule, espèce de … (Chantal le retient)
Chantal : S'il vous plaît monsieur, pas de violence !
Patrick : Calmez-vous ou j'appelle la sécurité ! Clément !
Clément (sortant de la remise) : Hein ?
Charles : Je vous préviens, ça ne se passera pas comme ça ! J'en référerais à qui de droit !
Patrick : Faites, monsieur, Faites !
(Il sort rageusement)
Patrick : Je vous en prie, monsieur, passez une excellente journée !
Charles(menaçant) ; On se reverra !
Acte 1 scène 6 :
Clément Patrick Chantal
Patrick : Et voilà, une radiation, une !
Chantal : Vous devriez faire attention, il vous a quand même menacé !
Patrick : Des menaces de chômeurs, pas grand-chose à craindre,
Chantal : Vous savez, le désespoir, ça peut rendre un homme dangereux.
Patrick : Dangereux pour lui-même en général, et un chômeur qui se suicide, c’est aussi très bon pour les chiffres et justement, je dois faire du chiffre
Chantal : Monsieur Patrick, Je ne conteste pas l'efficacité, mais sur la manière, il y a un peu à redire
Patrick : Ma chère Chantal, le ministère du travail nous demande du résultat, eh bien, je fais du résultat !
Chantal : Mais le résultat, n'est-ce pas de trouver du travail aux gens ?
Patrick : Non, le résultat, c'est de faire baisser le chiffre du chômage
Chantal : Mais c'est en les aidant à trouver du travail qu'on fait baisser le chômage !
Patrick : Chantal, vous auriez sans doute raison si nous étions dans une période de plein emploi, mais du travail, regardez ici, il n'y en a pas ! Malgré ça, le gouvernement veut pouvoir annoncer de bonnes nouvelles aux français, avouez que l'intention est louable, donc, j'y contribue à ma modeste échelle !
Chantal : En faisant tourner bourrique les demandeurs d'emploi ?
Patrick : Chantal, comment comptabilise-t-on le nombre de chômeurs en France ?
Chantal : Je ne sais pas
Patrick : Simplement en comptant le nombre d'inscrits dans nos agences, donc, j'ai juste fait sortir ce monsieur des statistiques pendant deux mois. Il n'est provisoirement plus comptabilisé
Chantal : Mais il est toujours chômeur
Patrick : Ça on s'en fout ! Techniquement, il ne l'est plus. Moi, je fais mon travail, notre société nous demande des résultats, les gens veulent du chiffre, les gouvernants leur en donnent. Si les chiffres sont bons, tout le monde est content.
Chantal : Sauf ce monsieur !
Patrick : Oui mais lui, il ne compte plus, puisqu'il n'est plus rien !
Acte 1 scène 7
Clément Éliane Patrick Chantal
Clément : Monsieur, le rendez-vous suivant est arrivé
Éliane se présente, une dame vêtue très modestement avec de vieux sacs
Patrick (avance vers elle, hésite) : Non, l'armée du salut, c'est bon, j'ai déjà donné...Chantal, c'est pour vous !
Chantal : Ben vous ne vous occupez pas de madame ?
Patrick : Ah non, les chômeurs de prestige, je vous les laisse
Chantal : Bon, eh bien...Je vous en prie madame, suivez-moi, asseyez-vous.
Éliane : Ah c'est bien gentil, (elle s'assied) Waouh !!!elle est confortable votre chaise, ça change de ces saloperies de fauteuils de camping
Chantal : Puis-je vous demander votre nom ?
Éliane : Le mien d'avant ou celui de l'andouille que j'ai épousé ?
Chantal : Euh, celui par lequel vous vous faites appeler aujourd'hui !
Éliane : Alors, c'est Neuneuch
Chantal (étonnée) : C'est votre vrai nom ?
Éliane : Ben non mais c'est comme ça qu'on m'appelle ! Mon nom, c'est Deneullin, enfin c'est le nom que j'ai eu en épousant l'autre feignasse ! Sinon mon nom d'avant, c'est... je sais plus, j'ai oublié.
Chantal : Ce n'est pas grave, votre adresse ?
Éliane : Je suis juste en face
Chantal : Résidence des Charmilles ?
Éliane : Mais non, le terrain vague, là, juste en face, y'a une caravane (Chantal hoche de la tête) ... ben c'est chez moi !
Chantal : Ah d'accord ! Vous avez un numéro de téléphone ?
Éliane : Ben j'ai déjà pas de téléphone ! Alors qu'est-ce que je ferais d'un numéro ?
Chantal Oui, bien sûr. Une adresse mail ?
Éliane : Une quoi ?
Chantal : Vous avez un ordinateur,
Éliane : J’ai même pas l'électricité
Chantal : Oui, évidemment... mais si on veut vous joindre, c'est donc impossible ?
Éliane : Ben si c'est possible, tu vas sur le trottoir et tu gueules (elle se lève de sa chaise et hurle) : « Neuneuche, ramènes ta fraise, et traîne pas en route ! » et j’arrive tout de suite !
Patrick : Ben oui, Chantal, c'est un moyen de communication comme un autre !
Chantal : Sinon vous avez un cv ?
Éliane : Un quoi ?
Chantal : Un Curricu... non, rien ! Donc, vous recherchez un emploi ?
Éliane : Ben à votre avis, pourquoi que je suis là ?
Chantal : Bon, je vais voir, (elle scrute dans son fichier les offres d'emploi) Un restaurant ça vous irait ?
Éliane : Ben si c'est vous qui invitez, parce que je suis un peu juste... financièrement, je veux dire
Chantal : Non, je veux dire faire la plonge dans un restaurant ?
Éliane : La plonge ? Y'a une piscine ?
Chantal : Non, la plonge, ça veut dire la vaisselle !
Éliane : Ben pas trop, déjà que je la fais à la caravane pour l'autre zig, là ! Alors pour des gens que je ne connais pas...
Chantal : Oui, mais là, vous seriez payée !
Éliane (stupéfaite) : on peut être payé en faisant la vaisselle ?
Patrick : Être payé contre une tâche à effectuer, c'est un peu le principe d'un métier !
Éliane : Cochon de René !!!!
Chantal : pardon ?
Éliane : J'pense à mon salopiau d'mari. Dire que ça fait 30 ans que je fais la vaisselle pour sa gueule, et il ne m’a jamais donné un centime !
Chantal : Mais ce n’est pas pareil, c'est votre mari !
Éliane : Alors, c'est encore pire, lui, il arnaque un membre de sa famille ! J'vais aller porter plainte !
Chantal : Si vous voulez, madame, mais nous allons d'abord vous convoquer à une réunion collective afin d'affiner vos objectifs et projets professionnels
Éliane : Une quoi ?
Chantal : Une réunion avec d'autres demandeurs d'emploi.
Éliane : Mais c'est obligatoire ?
Chantal : Oui, bien sûr, pourquoi ?
Éliane : Ben parce que j'ai déjà assez de misère comme ça pour pas avoir à m'emmerder avec celle des autres.
Chantal : Mais non, c'est un moyen d'échanger sur vos expériences avec d'autres demandeurs d'emploi, de partager pour être plus efficaces
Éliane : Vous voulez dire qu'on va tous expliquer pourquoi on ne trouve pas de travail ? En fait on va se donner tous nos trucs pour être plus efficace à rester chômeur ?
Chantal : Oui, mais bon, enfin, je compte sur vous ! C'est lundi à 13h30 !
Éliane : Je serais là, mais faudra me le rappeler !
Chantal : Oui, je vous enverrais un mail (Mine consternée d’Éliane) oui, enfin, je veux dire, je vous le rappellerais dans la rue.
Éliane : Bon ben au revoir madame !
Chantal : Au revoir et à lundi ! (Elle sort) Une inscrite, une !
Acte 1 scène 8 :
Patrick, Chantal, Clément
Patrick : Et ben, elle, quand elle ouvre une poubelle, tu te demandes si c'est pour jeter un truc ou pour faire son shopping.
Chantal : Oh Patrick ! Comment pouvez-vous dire des choses pareilles, est-ce de sa faute si elle est pauvre ? Soyez humain !
Patrick : Mais même en étant humain, celle-là, pour trouver du travail, faudrait qu'elle tente l'agence de Lourdes ! Clément, le prochain rendez-vous, c'est ?
Clément : J’sais pas !
Patrick : C'est écrit, Clément !
Clément : Hein ? Écrit ?
Patrick : Oui, sur le planning que tu as sous les yeux !
Clément : Ah, oui ! Le planning ! Euh, Agnès Bedon
Patrick (Tapant sur le clavier): Agnès Bedon, tu dis ?....Mais enfin, impossible, elle est décédée, il y a 6 mois !
Clément : Ah bon, Ah bah oui, forcément, c'est le planning de l'année dernière !
Patrick : Je ne le crois pas, il est tellement nul qu'il va nous réinscrire des morts !
Clément : Non, c’est, voilà, j'ai le bon, Carmen Simon. Elle doit être là dans 5 minutes
Patrick : OK, si dans 4 minutes 50 elle n'est pas là, je la radie !
Chantal : Décidément, vous n'avez pas la main légère, Patrick
Patrick : Eh oui, peut-être qu'un jour, nous n'aurons plus besoin de ce genre de procédés. Quand il y aura du travail pour tout le monde !
Chantal : Oh mon dieu, ne dites pas ça ! Quelle horreur !
Patrick : Ah bon ?
Chantal : Ce serait terrible qu'il n'y ait plus de chômeurs
Patrick : Mais pourquoi donc ?
Chantal : Eh bien, réfléchissez ! L’agence fermerait et c'est nous qui serions au chômage sauf qu’avec l'agence fermée, ben on ne saurait pas où aller pour trouver un nouveau travail.
Patrick : Chantal, faut arrêter le café ! Ne vous inquiétez pas, ils seraient obligés de ré ouvrir l’agence, juste pour nous ! Et ils devront nous réembaucher
Chantal : Et comme il n'y aurait plus de demandeurs d'emplois, ben on resterait là, à rien faire !
Patrick (regardant passer Clément) : En même temps y'en a certains pour qui ça ne changerait pas grand-chose
Clément (regardant dehors) : Waouh !
Chantal : Qu'est-ce qu’il y a Clément ?
Clément : Je crois que c'est votre rendez-vous !
Acte 1 scène 9 :
Clément, Carmen, Patrick, Chantal
Carmen entre
Carmen (à Clément) : Bonjour, je suis Carmen Simon
Clément : Ah, euh, moi, c'est Clément
Carmen : Enchantée, Clément... (silence) j’avais rendez-vous
Clément : Je suis là, si vous voulez, on prend un verre ?
Carmen : Rendez-vous professionnel !
Patrick : Clément, tu vas laisser mademoiselle, c'est avec moi qu'elle a rendez-vous.
Carmen (souriant à Clément) : Désolée, une autre fois peut-être !
Patrick : Bonjour, Je vous en prie asseyez-vous !
Carmen : Merci
Clément (revenant au bureau de Patrick) : Dès que vous avez fini, on pourrait peut-être se prendre un nouveau rendez-vous
Patrick : Bon, Clément, va donc préparer deux cafés, tu serviras toujours à ça ! Au fait, je ne vous ai pas demandé, vous voulez bien un café ?
Carmen : Avec plaisir
Clément : Votre café, avec de l'eau ?
Carmen : Pardon ?
Patrick : Laissez tomber, mademoiselle, ce serait trop long ! Oui Clément avec de l'eau....
Clément : Chaude l'eau, je sais !
Clément s'en retourne
Carmen (à Patrick) : Il est très gentil
Patrick : Oui, c'est le mot, il est gentil ! Où en étions-nous ?
Carmen : Nous n'avions pas commencé, il me semble !
Patrick : Donc, vous êtes mademoiselle, madame peut être ?
Carmen : Non, non ! Mademoiselle !
Patrick : Ah parfait ! Enfin, je veux dire, je peux renseigner !
Chantal (qui suivait depuis un moment la conversation) : Eh bien, je vois que dans le cas de mademoiselle, vous n'avez pas besoin de vous faire remplacer !
Patrick : Chantal, s'il vous plaît, je suis occupé
Chantal : Ça, pas de doute !
Patrick : Mademoiselle Simon
Carmen : C'est ça !
Patrick : Et vous cherchez dans un domaine spécifique ?
Carmen : Eh bien, c'est-à-dire... Je ne sais pas encore
Patrick : Vous avez une formation, des expériences ??
Carmen : Disons que je travaillais dans un domaine un peu particulier.
Patrick : Un domaine particulier ?
Carmen : Oui, enfin, J'ai travaillé dans le spectacle.
Patrick : Mais encore ?
Carment : Je menais la revue
Patrick : La revue ? Hum !!!!! Intéressant !
Carmen : Dans un cirque.
Patrick (surpris) : un cirque ?
Clément : Ben oui, c'est un spectacle qui se déroule sous chapiteau.
Patrick : Merci Clément, je sais ce que c'est,
Carmen : j'étais écuyère !
Patrick : écuyère ?
Clément : Ben c'est celle qui monte sur les chevaux... Vous savez les chevaux des grosses bêtes avec des sabots… (Regard noir de Patrick)
Patrick : Et vous ne l'êtes plus ?
Carmen : Eh bien, ils ont durci les règles d'indemnisation des gens du spectacle. Je n'ai donc pas pu continuer !
Patrick : Mais, il y a des possibilités ! Regardez, nous avons ici un clown qui s'en va faire des goûters d'anniversaires chez les particuliers !
Carmen : Un clown, ça peut s'entendre, mais moi ? Vous me voyez avec un cheval dans un salon ?
Patrick (pouffant) : Évidement pas ! Mais c'était une idée comme ça !
Chantal : Voyez, mademoiselle, vous avez travaillé avec des chevaux, nous, c'est avec un âne (Clément et Carmen pouffent)
Patrick (piqué au vif) : Mais vous n'avez pas trouvé d'autres cirques qui auraient pu vous permettre de faire plus d'heures ?
Carmen : Non, j'ai fait le tour, il n'y a plus un cirque sur la région. Pas assez rentables ! De toute façon, je suis prête à travailler dans n'importe quoi !
Patrick : Bien, bien. Nous allons trouver
Carmen : Sinon, je suis quelqu'un de volontaire, vous savez !
Patrick : Je n'en doute pas !
Chantal : Ah non, là, vous ne doutez de rien !
Patrick : Chantal, s'il vous plaît, qu'est-ce que vous racontez ?
Chantal : Rien ! Juste que vous avez une certitude très sélective, la dame de tout à l'heure n'a pas pu en profiter
Patrick : Bon, vos petites insinuations, ça va un moment ! Laissez-moi faire mon travail !
Chantal : Absolument, pour une fois que vous le faites avec autant d’enthousiasme !
Patrick : Chantal, vous m'emmerdez !
Carmen : Si je vous dérange... dites-le, je repasserais
Clément (ramenant les cafés) : Non mademoiselle, moi, vous ne me dérangez pas !
Patrick : Clément, retourne sur ton perchoir ! Excusez-moi, je suis à vous !
Clément : Si vous le voulez, moi aussi, je suis à vous !
Patrick (s’énervant) : Clément, dégage. Donc, revenons à nos moutons !
Chantal : Dit le bélier en rut !!!
Patrick (lançant un regard noir à Chantal, puis revenant à Carmen) : Je vous propose donc d'explorer toutes les pistes pour que vous retrouviez au plus vite un emploi, vous êtes volontaire, ça devrait être facile !
Chantal : Excellente démarche
Patrick : Ah vous voyez bien, Chantal !
Chantal : Vous pourriez peut-être convoquer mademoiselle pour la réunion de lundi
Patrick : Chantal, je ne pense pas que ce soit une bonne idée.
Chantal : Pourquoi ? Cette demoiselle peut saisir l'opportunité !
Carmen : Quelle réunion ?
Patrick : Rien de bien passionnant !
Chantal : Au contraire, des offres d'emploi proposées et qui pourraient vous correspondre !
Carmen : eh bien alors, ça m'intéresse
Patrick : Oui, mais...
Carmen : Vous ne voulez pas m'empêcher de tenter ma chance ? Vous parliez d'explorer toutes les pistes, alors pourquoi pas celle-là ?
Chantal : Oui, Patrick, pourquoi pas celle-là ?
Patrick : Non, mais... (il soupire) Bon et bien venez lundi, à 13h30
Carmen : Merci ! Merci beaucoup, Si vous saviez comme ça me fait du bien. (À Clément) bon, c'est toujours d'actualité ce verre que vous me proposiez ?
Clément : Euh, c'est-à-dire que ...
Carmen : Mais dites-moi, vous ne savez pas ce que vous voulez, vous !
Clément : Si, si bien sûr ! Je finis à 16h30
Patrick : 17h Clément, vous devez aider Chantal à préparer les dossiers
Chantal : Laissez donc, Clément, je m'en occuperais seule ! Profitez, vous êtes jeune. Mademoiselle, il pourra être là pour 16h30
Carmen : Alors va pour 16h30
Clément : OK !
Carmen : Ça vous laisse une demi-journée pour trouver un air plus inspiré !!!
Carmen sort
Acte1 scène 10 :
Clément, Patrick, Chantal
Patrick : Mais, faut surtout pas te gêner !
Clément : Ben quoi ?
Patrick : Ben quoi, ben quoi ? Je te signale, bonhomme, que tu es ici pour bosser, pas pour faire du gringue !
Clément : Mais rien dans mon contrat ne m'interdit de prendre un verre. Surtout si on m'y invite !
Patrick : S'il te plaît, évite de jouer à ça avec moi !
Chantal : Oh, il est jaloux ! Vous aimeriez être à sa place !
Patrick : Pas du tout, mais c'est une agence de recherche d'emploi ici, pas un club de rencontre !
Clément : Une agence de recherche d'emploi ? Ça fait 3 mois que j’y suis, je n'ai encore vu personne en trouver un !
Acte 1 scène 11 :
Clément, Patrick, Chantal, Rita
Rita (Sortant de son bureau) : Trouver un travail ici ? quelle étrange idée !
Patrick : Tiens, vous émergez ?
Rita : Comme vous dites !
Chantal : Ah madame, nous avons presque tous les participants de la prochaine réunion.
Rita : Vous n'en aviez pas déjà reçu 3 ?
Chantal : Si, mais vous connaissez Patrick. C'est plus fort que lui, il lui a fallu qu'il en radie un !
Rita : Je reconnais bien là, sa marque de fabrique !
Patrick : En attendant, je fais le travail, je fais du chiffre. Grâce à moi, cette agence va battre des records, vous devriez me remercier !
Rita : Merci de traiter les gens comme de la merde, Patrick, merci de vous complaire dans votre rôle de bourreau, merci pour la suffisance que vous prenez à chacune de nos rencontres... ça vous suffit ?
Patrick : Je n'en demandais pas tant
Chantal : Bon ben puisque vous en êtes aux amabilités, je vais vous laisser.
Acte 1 scène 12 :
Clément, Patrick, Rita
Rita : Qu'est-ce qui lui arrive à Chantal ? Elle devient irritable ?
Patrick : Je n'en sais rien. Et je vais devoir vous laisser, j'ai encore un rendez-vous !
Rita : qui donc ?
Clément : Monsieur Goosens, dans 5 minutes
Patrick : Bien, Clément ! Voilà que vous êtes capable de me donner un renseignement sans qu'on soit obligé de retourner l'agence, sans même que je ne le vous demande ! Ça tient du miracle !
Rita : Pourriez-vous éviter d'être condescendant à ce point ?
Patrick : Mais je suis juste ébahi
Clément : Oui, madame, Monsieur Melin n'est pas si descendant que ça !!!
Patrick : Clément, on dit CONdescendant !!
Clément : C'est ce que je dis ! Pas si descendant que ça ! (Il sort)
Acte 1 scène 13 :
Patrick, Rita
Patrick : Je ne sais jamais s'il est complètement idiot ou s'il se paye ma tête ! (Il regarde sa fiche) Ah Goossens, un ancien ouvrier de Batnord! Il est devenu le délégué syndical des demandeurs d'emploi pour le territoire !
Rita : Bon, je vais vous laisser à votre interrogatoire dégueulasse, en plus un syndicaliste, j'imagine que vous allez vous régaler à le faire souffrir
Patrick : Mais faites-le donc !
Rita : Quoi ?
Patrick : Eh bien, vous occuper de ce pauvre bougre ! Lui dérouler le tapis rouge, vous mettre en empathie, sangloter à ses souffrances, résoudre ses problèmes financiers ! Saint Rita, c'est bien la patronne des causes perdues ? Alors, je vous le laisse ! Mais pensez-y ! Ce type ne vient pas pour votre réconfort, il souhaite juste trouver du travail... et le seul travail que nous soyons en mesure de lui offrir, c'est lundi ! Alors, inévitablement, vous le convoquerez à ce rendez-vous que vous trouvez si abjecte ! Je vous laisse donc avec lui et bon courage ! Je prends ma pose (Il sort irrité, Emile entre)
Acte 1 scène 14 :
Émile, Rita
Rita : Patrick, revenez ici !
Émile entre et se présente devant Rita
Rita (rageant à haute voix) : Ordure, fumier !
Émile : Pardon ?
Rita (Surpris) : Ah excusez-moi, ce n’était pas pour vous ! Je pensais à quelqu'un !
Émile : Un bon ami, à n'en pas douter !
Rita : Oui, ce n’est rien...donc, vous êtes Monsieur Goosens, attendez, je m'occupe de vous (il va s’asseoir au bureau de Patrice) inscrit chez nous depuis...
Émile : Depuis trop longtemps ! Hélas !
Rita : Oui, évidemment ! Donc vous étiez ouvrier chez Batnord. Ils vous ont licencié ?
Émile : C'est ça !
Rita : Mais pour quel motif ?
Émile : Vous pensez vraiment qu'il leur faut une raison pour foutre les gens à la porte ?
Rita : Mais les syndicats ne vous ont pas aidé ?
Émile : Avec les nouvelles lois, les représentants syndicaux étaient dehors depuis belle lurette !
Rita : Et depuis ?
Émile : Ben pour les actionnaires, ça va ! Ils ont pu décider des trucs bien dégueulasses comme, par exemple, faire bosser les ouvriers 40 heures pour être payé 35, obliger au renoncement de certains acquis. Et au final, après avoir lessivé les derniers salariés, ils ont fermé quand même.
Rita : Ils vous ont tous licenciés en même temps ?
Émile : Non, ils ont été bien plus malins que ça, ils ont viré une partie du personnel avant la négociation, pour bien foutre la trouille à ceux qui restaient et les obliger à se soumettre à leurs conditions. Pour moi, par exemple, ça a été plus long, je me souviens, ça s'est passé en douceur, le chef du personnel m'a d'abord convoqué, il m'a expliqué que ça n'allait pas bien mais que c'était provisoire, on risquait quand même de mettre une bonne partie du personnel en chômage technique. Il avait l'air de s’inquiéter pour mon cas, il voulait qu'on trouve une solution. Au début, j’étais persuadé qu'il allait me remercier, alors quand il est devenu si conciliant, j'étais rassuré. Il m'a expliqué que vu mon expérience, je pouvais apporter beaucoup, enfin tout un baratin pour me mettre dans sa poche. En fait, il voulait que je forme les ouvriers d’une usine qui s’était ouverte dans la banlieue d'Istanbul.
Rita : Ah Istanbul ! Les reflets de nacre du Bosphore, le soleil qui se couche sur les minarets de de Sainte Sophie ! L'odeur des loukoums et du poisson grillé sur les allées du bazar égyptien, Dolmabahçe.... (Elle remarque la mine consternée d'Emile) Excusez-moi ! Des souvenirs qui rejaillissent
Émile : Y'a pas de mal, donc je ne savais pas où c'était, il m'a dit : « c'est en Turquie ».
Rita : Ah la Turquie, l'Anatolie, la Cappadoce, la mer de Marmara, les méandres des Dardanelles, le mystère magnétisant des derviches tourneurs...
Emile : Hum !
Rita : Oui, pardon, poursuivez !
Émile : Moi je craignais tellement de perdre ma place que j’étais prêt à accepter n'importe quoi... et puis, j'ai pensé à ma femme, je l'avais emmené qu'une seule fois en vacances, c'était chez un cousin à Martigues.
Rita : Ah Martigues ! La Venise provençale, les canaux...
Émile : Bon, ça suffit, là !
Rita : Oui, oui !
Émile (soupire) : Je me suis dit que c'était l'occasion de lui offrir un petit voyage, vu qu'on n'avait jamais eu les moyens de le faire. Là-bas, on s'est tout de suite plu, les Turcs étaient très gentils. J'étais très heureux de leur apprendre le métier. Tous les soirs, c'était une nouvelle famille qui nous invitait à manger. C'est fou ce qu'ils ont le sens de l'hospitalité, ces gens-là.
Rita : Vous avez goutté les Köftes ? Quel délice !
Émile (excédé) : Oui, j'ai gouté ! C'est pas vrai ! Vous m’embrouillez, vous !!Où en étais-je ? Ah oui ! Au bout de 6 mois, on m'a rappelé en France. Ils étaient très contents de mon travail, et pour me remercier, ils m'ont foutu dehors, comme ils ont fini par virer tous les collègues du site, un plan de sauvegarde de l’emploi , comme on dit de nos jours.
Rita (Hors de lui) : Ah les vaches ! Mais faut pas laisser passer, hein ! Il ne faut pas laisser faire !
Émile : C'est un peu tard, madame ! Les types que j'avais formés là-bas, allaient nous remplacer. Nous, on a occupé l'usine, on n'était pas d'accord, il y a même un ministre et un député qui sont venu nous voir avec la télé. Ils nous ont fait le barnum habituel, qu'ils nous entendaient, que c'était dur mais qu'il fallait comprendre, que de toute façon, ils feraient tout pour qu'on soit recasés ailleurs, et ils ne sont jamais revenus.
Rita : Les salopards, j'te foutrait tout ça devant un peloton d’exécution, ou tiens, mieux ! La tête au bout d'une pique ! Bande d’enc…
Émile : Calmez-vous madame, vous me faites peur !
Rita : Oui, désolé, mais ils m’énervent ces cochons-là !
Émile : C'est le mois suivant, qu'ils ont viré toutes les machines, on a essayé de les empêcher, et ils nous ont envoyé les CRS. Je me souviens, ils m'ont bien entaillé le front... c'est fou comme ça pisse le sang quand t'es blessé à la tête.
Rita (se levant brusquement) : Mon dieu, faites-moi voir ça !
Émile : Non mais ça a cicatrisé depuis.
Rita : ben oui, forcément, je suis bête, Excusez-moi (Elle se met à pleurer)
Émile : Ça va, madame ?
Rita : Oui, ce n’est rien, enfin, si c'est votre faute, avec vos histoires, là ! (Elle refond en larmes)
Émile : Ben, excusez-moi, alors. (Rita lui fait signe de poursuivre) Le même ministre a dit à la télé, que notre conduite était inqualifiable et qu'on ne devait pas céder au terrorisme syndical. Bref, les machines sont parties. Il y a des collègues qui m'en ont voulu pour le coup des Turcs, d'autres pas, ils disaient que je ne pouvais pas savoir, qu'à ma place, ils auraient sans doute fait pareil. Enfin bon, leur plan de reclassement, ils l'ont fait, sur les 750 ouvriers, 47 ont retrouvé un boulot. Pour les autres, il y en a une centaine qui ont reçu une proposition pour aller bosser en Turquie. Ils ont tous refusé. Et puis après, il y a une autre usine qui a fermé dans le secteur, 3000 salariés, on nous avait déjà oublié, le député et le ministre sont allé là-bas, pour rejouer le même film. Moi, j'ose plus sortir de chez moi, j'ai peur de croiser les veuves et les petiots qui ont perdu leur papa, faut dire que 4 collègues se sont suicidés. Ils ne s'en sortaient plus. On nous a transformé en kleenex, on nous a foutu à la poubelle. Voilà comment je suis arrivé chez vous !
Rita (au bord d'une nouvelle crise de larmes) : Et depuis ?
Émile : Je vous raconte, si vous me promettez de ne plus pleurer ! (Rita acquiesce) Depuis ? Ben rien, donc j'ai décidé de me syndiquer. Je ne l’avais jamais fait comme salarié, je me suis dit qu'il fallait faire quelque chose maintenant que j'en étais là parce que ces gens-là, ils veulent maintenant s'en prendre à nos allocs ! Ils ne veulent pas d'assistanat ! Ils ne se sont pas contentés de nous chasser de leur domaine, Ils viennent nous débusquer dans nos terriers pour nous achever. Je me suis donc dit que je ne pouvais plus laisser passer !
Rita : C'est courageux de vous être engagé !
Émile : Vous savez, le courage, j'aimerais parfois en manquer, je me sentirais mieux
Rita : Mais pourquoi dites-vous ça ?
Émile : Parce que c'est plus facile d’être courageux quand on n'a plus rien à perdre. Le désespoir c'est trop souvent l’énergie du courage. Il y a les désespérés optimistes qui ont le courage d'entamer une lutte et les désespérés pessimistes qui se balancent sur les rails. Á un moment, J'ai pensé à la deuxième solution, mais avec la réforme des chemins de fer, il n'y a plus un train qui passe dans le patelin
Rita : Vous plaisantez ?
Émile : Je ne plaisante qu'à moitié madame. J'avais aussi l'option du gaz, mais ils me l'ont coupé !
Rita : Excusez-moi, c'est une question idiote (Elle se met à pleurer)
Émile : Non, mais je n'aurais pas dû, c'est ma faute.
Rita : Oui, donc, vous cherchez dans quel domaine ?
Émile : Tant que je trouve, n'importe quoi !
Rita : Vous seriez prêt à accepter quel salaire ?
Émile : Eh bien, je ne suis pas bien gourmand !
Rita pleure à nouveau
Émile : Mais, qu'est-ce que j'ai dit ?
Rita : Ce n’est rien, mais je vais devoir vous faire une proposition !
Émile : Eh bien, c'est une bonne nouvelle !
Rita : Si on veut... vous pouvez être là, Lundi à 13h30 ?
Émile : euh, oui, bien sûr !
Acte 1 scène 15 :
Émile, Rita, Chantal
Chantal entre
Émile : Eh bien à lundi !
Rita (encore sous le coup) : Oui, à lundi !
Émile (à Chantal) : J'espère qu'elle ne sera pas comme ça lundi
Chantal : Ah non, le lundi, c'est début de semaine, elle est toujours en dépression.
Acte1 scène 16 :
Rita, Chantal
Chantal : Ça y est, nous avons atteint le quota ?
Rita : Oui, nous avons fait le sale boulot.
Chantal : Oh, comme vous exagérez Madame Joncquet. Après tout, il y en aura un qui sera content !
Rita : Qui sait ? peut-être qu’il existe aussi des cochons qui se sentent heureux de devenir du jambon. (Elle part en pleurant et croise Patrick)
Acte 1 scène 17 :
Patrick, Chantal
Patrick : C'est pas vrai, mais avec ce qu'elle fait couler en larmes, ce n'est pas ici qu'elle aurait dû travailler, c’est dans les fontaines de Versailles !
Chantal : Peut-être qu'elle a un cœur, elle !
Patrick : Moi aussi, j'ai un cœur ! Mais j’évite de me lamenter sur tout et n'importe quoi !
Chantal : Il suffit de vous avoir vu avec la jeune fille tout à l'heure, pour savoir que chez vous, quand le cœur parle, c'est toujours avec une arrière-pensée !
Patrick : Vous dites n'importe quoi ! Elle était en âge d’être ma fille !
Chantal : Et alors, les pédophiles, ça existe.
Patrick : Non, là Chantal, je ne vous permets pas ! Je vous le répète, d’ailleurs elle me rappelle beaucoup ma fille !
Chantal : Ne vous foutez pas de moi, elle a 8 ans votre fille ! Elle n'est même pas formée !
Patrick : Tout de suite ! Vous ramenez ça aux formes de cette jeune femme, si vous vous imaginez que je ne pense qu'à ça ! Certes, elle est bien faite avec sa petite poitrine ferme, ses courbes accortes, ses...
Chantal : Bon, ça suffit !!!
Patrick : Pardon, Chantal (Il retourne s'asseoir et se met à rire) Dites-moi, Vous ne seriez pas un peu jalouse ?
Chantal : Moi ? Absolument pas ! Qu'est-ce que vous allez chercher ! Je suis une femme mariée !
Patrick : Justement, c'est bien à cause de ça que je n'ai jamais osé vous complimenter.
Chantal : Que voulez-vous dire ?
Patrick : Eh bien... je vous trouve très... Oh et puis non, ce ne serait pas bien !
Chantal (avec le plus grand intérêt) : si, si allez-y ! J'aimerais savoir
Patrick : Mais Chantal, vous êtes mariée !
Chantal : Et alors, c'est parce que je me suis engagée que je dois renoncer à recevoir des compliments ?
Patrick : Euh, mais vous savez qu'ici les murs ont des oreilles ! Je trouve que vous êtes... (Il fait signe à Chantal de s'approcher et lui chuchote à l'oreille)
Chantal (Ouvre de grands yeux) : Ah bon ? Vous trouvez ?
Patrick : Absolument ! Ça me démangeait d'ailleurs de vous le dire !
Chantal : Je crois voir où ça vous démangeait ! Mais je vous remercie !
Patrick : Vous savez, je ne suis qu'un homme, avec ses faiblesses.
Chantal (regarde son écran) : Oh, en parlant de faiblesse masculine, vous avez vu, monsieur Patrick, en Allemagne, ils recrutent des gens pour tester les prostituées dans les maisons closes. Étrange comme travail, vous ne trouvez pas ?
Patrick : Eh bien, (songeur) c'est un peu comme les gens du guide Michelin, après tout... Vous venez goûter incognito et vous mettez une note !
Chantal : Comparer des filles à un plat, vous ne trouvez pas que c'est limite ?
Patrick : Si, si sûrement !
Chantal : Quand même, on tombe bien bas. Eh bien moi, je préférerais encore que mon mari reste au chômage !
Patrick : Vous n'encouragez pas le sens de l'effort
Chantal : Tu parles d'un effort !
Patrick : Il paraît que pour le même travail en Thaïlande, ils demandent un CAP petite enfance !
Chantal : Patrick ! Je sais que c'est de l'humour, mais, on ne peut pas rire de tout !! Enfin bon, je sais que le fond n'est pas mauvais chez vous ! (Elle sort dans la remise)
Acte 1 scène 18 :
Patrick
Patrick : Comme quoi, il suffit de la flatter un peu pour qu'elle me mange dans la main... Voilà à quoi j'en suis réduit pour me mettre l'équipe dans la poche, faire du gringue à un boudin !
Acte 1 scène 19 :
Patrick, Rita
Rita : Eh bien ? Vous parlez seul, Patrick ?
Patrick : Ah oui, désolé, mais parler seul, ce n'est pas le monopole des gens comme vous !
Rita : Des gens comme moi ?
Patrick : Oui, enfin de ceux qui ne sont pas seuls dans leur tête !
Rita : désolé, mais vous confondez dépressif et schizophrène !
Patrick : Bof, pour moi, ça reste des inutiles.
Rita : Comme ces pauvres gens qui viennent ici et que vous prenez un malin plaisir à humilier !
Patrick : Ces pauvres gens ? Vous parlez d'une bande d'assistés qui vient pleurer misère en omettant de nous préciser qu’ils ont une télé à écran plat, la dernière console de jeux et qui envoient leurs gamins à l'école avec la paire de basket à la mode !
Rita : Eh oui, Patrick, que voulez-vous, on leur rappelle qu'ils ne sont rien s'ils ne consomment pas. Ils craignent pour leurs gamins !
Patrick (en riant) : Pour leurs gamins ?
Rita : Oui, pour leurs gamins, peur qu'ils subissent des brimades s'ils viennent habillés comme des pauvres, alors, la basket à la mode, ça devient un achat de première nécessité. Celle de la dignité superficielle, parce qu'on leur a dit : « si tu ne peux pas les payer, tu as raté ta vie »
Patrick : Eh oui, c'est cruel, un môme !
Rita : Pas autant que certains agents d'insertion.
Patrick : C'est ça, trouvez-leur encore des excuses ! Ils n'ont qu'à se bouger le cul ! Faire comme moi !
Rita : Comme vous ? Mais que faites-vous ici ? Je vous ai observé ce matin, hormis, satisfaire vos instincts en détruisant un chômeur ? Refuser de faire votre travail parce que la dame que vous deviez recevoir, ne correspondait pas à votre bon goût ? Ah par contre, un troisième rendez-vous où vous avez été particulièrement avenant ! Mais, il s'agissait plus de quelqu'un que vous rêviez d'amener dans votre lit plutôt que vers un retour à l'emploi !
Patrick : Vous m'avez fliqué toute la matinée ? Vous n'aviez rien d'autre à foutre ?
Rita : Rien d'autre, non, j'avais une vocation, on m'en a dégoûté. J'en suis à ne plus vouloir participer à cette ignoble mascarade, alors, en effet Patrick, je ne fous plus rien ! Et personne dans ma hiérarchie pour me le reprocher. Finalement, les gens qu'on reçoit, ils sont souvent plus actifs que nous, mais comme ils sont « assistés », ils doivent se justifier de tous leurs faits et gestes, ils doivent rendre compte de tous leurs achats, surtout de ceux qui concernent leurs loisirs, d'ailleurs, on ne supporte pas qu'ils puissent avoir des temps de loisirs, manquerait plus qu'ils soient heureux !
Patrick : On va couper court à ce débat, ça m’embarrasserait de vous voir pleurer encore !
Rita : Ce matin, Patrick, j'ai vu quelque chose qui vous ressemblait. Le problème, c'est qu’avec vous, il ne suffit pas de tirer une chasse d'eau pour que vous disparaissiez ! Bon, revenons à lundi, Nous avons le quota d'inscrits
Patrick : Oui, j'ai vu
Rita : Parfait, je vous laisse organiser les modalités d'accueil, vous vous ferez un plaisir de préparer cette parodie !
Patrick : Vous ne semblez pas très coopérative sur ce projet
Rita : Non, quand je me rends compte que dans mon travail, on me demande de mener des actions dégueulasses, je pense de suite sabotage ! Je sens monter en moi, une envie de désobéissance !
Patrick : Vous seriez prête à refuser ce que vous demandent vos supérieurs ?
Rita : Je suis venue ici parce que je voulais aider les gens, pas les démolir, alors oui, je suis prête. (Elle sort)
Acte 1 scène 20 :
Patrick, Clément
Patrick : ben voilà, suffisait de le dire ! (Il sort un dictaphone de sa poche) conversation enregistrée, le directeur régional sera ravi de savoir qui est la personne qui dirige cette boîte (Il appelle) Clément !
Clément : Oui ?
Patrick : Clément, je vais avoir du boulot, prépare-moi une soupe de tomate ?
Clément : Tout de suite, Monsieur (Il sort)
Patrick tapote sur son ordinateur, Clément revient avec une tasse
Clément : Voilà la soupe
Patrick s’apprête à la boire et regarde à l’intérieur
Patrick : Clément !
Clément : Oui ?
Patrick : Le potage... c'est comme le café, ça se consomme avec de l'eau !
Fin acte 1
Acte 2 : intérieur jour dans une agence Pole emploi, On a configuré la salle en un espace réunion.
Acte 2, scène 1 :
Rita, Chantal, Émile
Chantal (à Rita qui entre) : Bonjour, vous allez bien, madame Joncquet ?
Rita : Bien merci, tout le monde est présent ?
Chantal : Oui, Mademoiselle Simon devrait arriver.
Rita : D'accord, je ne vois pas madame Deneullin, vous avez bien pensé à sa convocation
Chantal : Ah zut, madame Deneullin... c'est vrai (elle se lève, ouvre la porte de la rue et hurle) Éliane, rapplique direct, on a besoin de toi, ici !!!! (Elle ferme la porte et s'adressant calmement à au directeur) elle arrive
Rita : Je ne conteste pas le fait que ce soit une façon de faire des économies, mais songez un peu à la réputation de l'agence !
Chantal : La réputation ? Mais il n'y a que les chômeurs qui la fréquentent, l'agence
Acte 2, Scène 2
Rita Chantal, Émile, Carmen, Éliane, Patrick
Patrick entre en devançant Éliane
Éliane : Et ben la galanterie, on ne connaît pas ?
Patrick : la galanterie ? Je ne la réserve qu'aux femmes élégantes... et puis contrairement à d'autres, je suis pressé, je travaille, moi !
Éliane : Ben c't'e goujat ! J'y crois pas !
Chantal : Excusez-le, madame Deneullin, il est un peu à cran !
Rita : Non, excusez-le, mais juste parce qu’il est toujours comme ça !
Éliane : Ben mon vieux, si j'étais sa mère, je te lui filerais une de ces taloches !
Patrick : Si vous étiez ma mère, je serais sûrement en train de faire la manche à un feu rouge !
Émile : Dites donc, jeune homme, votre statut ne vous donne pas droit à ce genre d'attitude !
Chantal : Calmez-vous monsieur ! On va commencer
Éliane : Sinon, ça m’embête d'arriver comme ça, j'ai oublié quelque chose.
Chantal : Vous avez oublié quoi ?
Éliane : je ne sais pas, mais ça va revenir !
Acte 2, Scène 3 :
Rita, Chantal, Émile, Éliane, Patrick, Clément, Carmen
Clément et Carmen entrent ensemble. Ils semblent former un couple.
Clément : Bonjour, messieurs dames. Excusez-nous, un léger retard
Patrick : En plus d’être en retard, il est contagieux. Mademoiselle, on exige des demandeurs d'emploi, un minimum de ponctualité, je ne sais pas ce qui me retient de vous radier !
Chantal : Patrick ! Juste quelques secondes, vous n'allez pas en faire un plat !
Patrick : Peu importe, ne pas être en retard est la première obligation d'un candidat !
Carmen : Vous étiez plus agréable hier
Rita : Oui, mais hier, vous étiez arrivée seule. Là, vous êtes accompagnée.
Patrick : Qu'est-ce que vous insinuez ? Ça n'a strictement rien à voir !
Émile : Et puis monsieur, dois-je vous faire remarquer que vous-même, n'étiez pas là à l'heure !
Patrick : Dites donc, je n'ai de compte à rendre à personne ! Savez-vous seulement à quelle heure je démarre ?
Rita : Bon, on va se calmer... Nous pouvons commencer ? D'abord, Clément, pouvez-vous préparer du café pour tout le monde
Clément : Oui
Rita : Clément...
Clément : Oui, madame ?
Rita : Pensez à l'eau
Clément : Ah oui, c'est vrai (Il sort)
Rita : Bonjour et merci à tous d'être là. Notre agence, comme vous le savez, est à votre service. C'est pourquoi j'ai, aujourd'hui, une excellente nouvelle à … (il soupire) non, désolée, mais je ne peux me résoudre à faire un truc pareil !
Patrick : c'est encore bibi qui va devoir s'y frotter !
Rita : J'imagine que ce genre d'exercice n'est pas pour vous déplaire !
Patrick : J'assume mes missions, simplement. (il se racle la gorge) Mesdames et Monsieur, bonjour, donc comme notre responsable semble en grande difficulté , je vais faire les choses à sa place. D’abord, sachez que nous vous avons convoqué pour une excellente nouvelle, nous avons un emploi à vous proposer (Rumeur de satisfaction) cependant, il n'y a qu'une seule place pour le moment. Vous voyez que les directives de notre gouvernement portent enfin leurs fruits. Il suffisait de faciliter la tâche de nos entreprises, abroger les contraintes multiples qui rendent l'embauche très complexes. C'est bien grâce à la possibilité donnée entre un salarié et un employeur de renégocier un salaire au-dessous du SMIC, que cette annonce a pu exister.
Émile : Vous voulez dire que c'est un boulot payé sous le SMIC ?
Patrick : Je n'ai pas dit ça. C'est vous qui en déciderez !
Émile : Mais ça n'est pas clair votre truc !
Patrick : Justement, laissez-moi vous expliquer ! Donc, la grande chaîne de restauration « Food Express » propose un poste de plongeur. Un poste qui ne demande que peu de qualifications, par conséquent pour lequel, vous avez tous un profil qui vous permet de postuler. Voici comment notre employeur a décidé de procéder : Il propose comme salaire de base, le SMIC, il vous invite donc à vous livrer à des enchères dégressives et celui qui acceptera le salaire le plus... modeste, pourra se voir attribuer le travail.
Éliane : J'ai rien compris à votre bazar !
Émile : C'est très simple, celui d'entre nous qui sera prêt à bosser pour le plus bas revenu, sera l'esclave désigné !
Patrick : Nous démarrons donc les enchères à 1200€ pour 40 heures semaines !
Émile : Si vous n'entrez pas dans leur jeu, ils sont piégés. Ne proposez rien.
Éliane : ah oui, d'accord... 1150 !
Émile : Non ! Malheureuse, qu'est-ce qui vous prend ?
Éliane : Je ne sais pas, fallait que je tente !
Carmen : 1000 !
Émile : Non ! Pas vous !
Carmen : vous pensez que j'ai le choix ?
Patrick : Monsieur, si le jeu vous dérange, n'y participez pas.
Émile : Bien sûr que non, je ne vais pas participer à cette mascarade.
Patrick : Très bien, Chantal, notifiez le refus de monsieur Goossens.
Chantal : Oui, mais c'est son deuxième.
Patrick : Donc nous allons vous radier !
Émile : Pardon ? Je pensais que c'était basé sur le volontariat !
Patrick : Mais ça l'est !
Émile : Mais si je refuse de participer, vous me radiez et je perds mon allocation ! Vous ne me laissez pas le choix !
Patrick : Désolé, mais le choix vous l'avez ! Seulement, si vous refusez de participer, vous renoncez aussi à vos allocations.
Éliane : 700
Carmen : 700 et je fais 50 heures !
Patrick : Très bien la variation horaire, le directeur de Food Express va certainement être très sensible à ce genre de proposition.
Éliane : 650
Clément : 600 €
Rita : Vous ?
Clément : Ben oui, ici je suis payé 250€ pour ce taf de merde, après tout...
Patrick : Soit, rien ne vous oblige à rester !
Émile : 550 !
Patrick : et ben, voilà, on s'y met !
Émile : C'est odieux !
Patrick : J'ai donc une offre à 550, qui dit mieux ?
Carmen : 500 et 60 heures !
Éliane : 450 et 80 heures !
Silence
Carmen : Non, là, c'est abusé !
Patrick : Allons, un petit effort, monsieur Scipion va être déçu !
Émile (à Éliane) : Vous vous rendez compte ? Vous allez toucher une misère et y passer la majeure partie de votre temps devant la vaisselle sale ?
Éliane : Ça me permettra d'oublier la tête de con qui glande à la maison.
Émile : Comment est-ce possible ? On nous fait croire qu'en luttant contre le chômage, on réduit la misère et au final, on fabrique des travailleurs miséreux !
Patrick : Eh oui, mais le travail, c'est bien le choix de la dignité ! Bravo madame Deneullin !
Émile : Quelle dignité y-a-t-il à quémander une obole ?
Patrick : Ne vous en déplaise, vous vous êtes livré au jeu ! Donc, nous gardons la proposition de madame Deneullin. Si dans les prochaines séances, nous n'avons pas meilleure offre, nous soumettrons celle-ci à monsieur Scipion.
Éliane : Ça veut dire que je ne suis pas prise ?
Patrick : Pas encore, madame. Mais votre offre me semble très satisfaisante !
Émile : Et si l'employeur daigne accepter, il faudra que madame se prosterne pour le remercier ? (S’adressant aux autres) enfin mes amis, combien de temps allez-vous accepter ce genre de marché odieux ? Ils nous traitent comme des moins que rien !
Carmen : Je vous signale que vous étiez prêt à accepter !
Émile : Eh oui, voyez donc à quoi ils nous réduisent ! Je l'ai juste fait pour sauver mes allocs, mais, je n'en suis pas fier ! !
Éliane : En tout cas, j'ai gagné !!!
Émile : Mais vous n'avez rien gagné !
Patrick : Voyons, je vous en prie, un peu de calme ! Je vous rappelle que vous êtes dans une agence de retour à l'emploi, pas dans une poissonnerie. Si nos actions ne vous conviennent pas, vous pouvez toujours aller voir ailleurs !
Carmen : Aller voir où ? J'ai fait les agences intérim, les cabinets de consulting, les organismes d'insertion... il n'y a rien nulle part ! Et ici, on nous lâche une annonce minable comme un bout de viande à une meute de chiens affamés ! Je me dis que si je m'écoutais...
Acte 2, scène 4
Rita, Chantal, Émile, Éliane, Patrick, Clément, Carmen, Charles
Charles entre, il porte un sac
Patrick : Mais qu'est-ce que vous venez faire ici ? Vous n'avez pas compris ? on vous a dit que vous étiez radié !
Charles : Réinscrivez-moi ! Je vous le demande gentiment !
Patrick : Vous êtes fatigant, monsieur, je ne peux rien faire pour vous !
Charles : Bon, puisque gentiment, ça ne marche pas, je vais essayer autrement (Il sort un revolver et une grenade de son sac. Panique et hurlements, Éliane réussit à s’enfuir) personne ne bouge. Je ne plaisante pas
Rita : S'il vous plait, monsieur calmez-vous ! Posez cette arme, vous allez faire une bêtise !
Patrick : mais oui mon vieux, en plus la dame qui vient de sortir va donner l'alerte. Dans 5 minutes l'agence est cernée !
Rita : Oui, monsieur écoutez-le, Madame Deneullin doit déjà être en train de courir vers le commissariat !
La porte s'ouvre, Éliane entre
Éliane : Pardon, j'avais oublié mon sac ! Faites comme si je n'étais pas là !
Charles : Allez-vous asseoir avec les autres ! (À Chantal) et vous fermez cette porte à clé !
Éliane : Excusez-moi, mais faut vraiment que j'y aille, en plus, j'ai oublié quelque chose à la maison, mais je ne sais plus quoi !
(Chantal s’exécute)
Patrick (à Éliane) : Mais ce n'est pas possible d'être aussi con ! Vous pouviez donner l'alerte et au lieu de ça, vous revenez !
Éliane : Oui, ben j'avais oublié mon sac ! Pas envie qu'on me le fauche !
Patrick (hors de lui) : On vous l'aurait rendu votre sac !
Éliane : Oui, on dit ça, on dit ça ! Et puis après, on se fait avoir !
Patrick : Mais qui aurait envie de piquer vos saloperies ?
Charles : Bon, tout le monde se tait, je vous rappelle que je suis armé ! Ça peut partir n'importe quand !
Patrick : OK, OK !
Éliane : N’empêche, la dernière fois, je me suis fait piquer un cendrier de poche !
Patrick : Ah, nom de dieu, on tient un prix Nobel là !
Rita : Patrick, On vous a dit que ça suffit
Patrick : Non, mais vous n'allez pas la défendre ! Pas possible d'être aussi con ! Et c'est pour des gens comme ça que je m'esquinte la santé !
Carmen : Vous savez ce qu'ils vous disent les « gens comme ça » ?
Éliane (à Charles) : Monsieur, pourquoi vous faites ça d’abord ?
Charles (montrant Patrick) : Parce que je ne supporte plus d'être traité comme une merde, par des gens comme ce type, il m'a fait passer un entretien rocambolesque dans le seul but de me radier !
Éliane : un entretien quoi ?
Rita : Rocambolesque, ça veut dire invraisemblable. Ça vient de Rocambole, un personnage de roman
Chantal : Ah oui, le journaliste qui a résolu le mystère de la chambre jaune ?
Clément : Non, lui, c'est Rouletabille
Chantal : Rouletabille ? Ce n'est pas un des pieds nickelés, ça ?
Charles : Silence !!! Vous parlerez littérature quand ce sera terminé !
Rita : Oui, mais ça va se terminer quand ? Que voulez-vous ? Vous avez des revendications ?
Charles : Hein ? Pardon ?
Émile : Eh bien oui, vous faites tout ça, c'est bien pour obtenir quelque-chose !
Charles : Et ben, euh, oui, je veux qu'on me réintègre au fichier des demandeurs d'emplois
Patrick : Mais c'est impossible, je ne peux réintégrer quelqu'un qui a été radié !
Chantal : C'est vrai, monsieur, le logiciel est conçu de la sorte, même avec la meilleure volonté du monde, on ne pourrait pas !
Charles : Alors trouvez-moi un travail ! C'est pour ça qu'on vous paye après tout !
Patrick : Eh bien, ça tombe bien, nous avons justement un poste de plongeur pour une chaîne de restauration
Éliane : Eh, vous ne seriez pas en train de lui filer mon boulot ?
Patrick : Oh, vous ça va ! Si vous n'aviez pas déconné, nous n'en serions pas là !
Charles (braquant l'arme sur le front de Patrick) : Toi, si tu l'ouvres encore une fois, je te fais sauter le caisson !
Patrick : Pardon ! Pardon ! Ne tirez pas !
Charles : Et d'ailleurs, si on en est là, c'est à cause de toi, de ton entretien absurde, c'est toi qui m'as mis dans la merde !
Patrick (Larmoyant) : Oui, je m'en excuse !!!je m'en excuse
Éliane : Et après ça vient m'accuser ! (à Charles) tiens, je suis d'accord avec vous, faites-lui sauter le caisson !
Chantal : Monsieur calmez- vous par pitié !
Rita : Oui, que diriez-vous d'un petit café ? Pour se détendre ?
Éliane : Ma foi, je ne dis pas non
Charles : Après tout, pourquoi pas !
Patrick : C'est ça, Clément, allez faire du café pour tout le monde !
Charles : Pourquoi ce n'est pas vous qui le faites ? Tout le monde est à votre botte ici ? Allez donc faire le café !
Patrick : D'accord, d’accord ! (Il se précipite vers la remise)
Clément : Hey, Patrick !
Patrick : Oui ?
Clément : Dans le café ! Tu n’oublieras pas l'eau
Acte 2, scène 5
Rita, Chantal, Émile, Éliane, Clément, Carmen, Charles
Rita : Bon, nous allons essayer de voir les choses sereinement ! Vous voulez donc qu'on vous trouve un travail ? Patrick vous a proposé le poste de plongeur
Éliane : Mon poste de plongeur ?
Rita : Calmez-vous, madame, comprenez qu'il y a des priorités.
Éliane : Ah ben d'accord, à la caisse des supermarchés, il faut être enceinte ou ancien combattant, pour être prioritaire, ici, il suffit de venir avec un flingue ?
Charles : Je ne veux pas d'un boulot de plongeur, je veux retrouver un travail comme celui que je faisais avant et payé correctement.
Chantal : Vous croyez que c'est ici qu'on va vous trouver ça ?!
Rita : je vous en prie Chantal, pas de sarcasmes !
Charles : Je vous demande juste de faire votre boulot !
Acte 2, scène 6
Rita, Chantal, Emile, Eliane, Patrick, Clément, Carmen, Charles
Patrick (revenant avec les tasses) : Moi, j'ai fait le mien ! Le café se prépare !
Clément : Et ben, ce n’est pas trop tôt !
Patrick : Non mais dis donc, tu vas arrêter de me parler comme çà ? Ça fait 5 minutes que tu te permets bien des largesses, si tu penses que je ne vois pas ton petit manège !
Clément : Et alors, vous, ça doit bien faire 3 mois que vous me parlez comme à un chien... d'ailleurs, je me demande pourquoi je te vouvoie encore ?
Charles : Taisez-vous !
Carmen : Et s'ils ne vous trouvent pas de travail ? Qu'allez-vous faire ?
Charles : Ben, je ne sais pas, qu'est-ce qu'on fait dans ces cas-là ?
Clément : En général, on exécute un otage ! Ça sert à ça, les otages !
Émile : Mais tu n'as pas fini de lui donner des idées à la con ?
Charles : Euh(embarrassé) Soit...Je vais y réfléchir.
Patrick : Mais bon sang, Madame Jonquet, faites quelque chose !
Rita : Je fais ce que je peux, mais vous l'avez peut-être remarqué, la situation est compliquée
Patrick : Mais comment ont-ils pu vous foutre à la tête de cette agence ?
Rita : Ne vous en déplaise, mon pauvre Patrick, peut être simplement parce que je suis la personne la plus compétente et la plus diplômée dans cette agence.
Clément : Pardon, mais il y a plus diplômé que vous.
Rita : Ah bon ? Mais qui donc ?
Clément : Moi, Master 2 de lettres modernes !
Patrick (éclat de rire) : Toi, master 2 ? Décidément, à moins de voir Elon Musk s’inscrire dans cette agence, plus rien ne pourra m'étonner !
Chantal : Mais Clément, avec vos diplômes, qu'est-ce que vous faites ici ?
Clément : Vous savez, madame Dessoutere, Si je suis ici, c'est que je n’ai rien trouvé d'autre. On prend ce qu'on peut. Même avec des diplômes, il ne faut pas être difficile !
Émile : Mais, nom de dieu ! Ce sont donc tes diplômes qui t'ont rendu aussi con ?
Carmen : Mais qu'est-ce qui vous prend ?
Émile : Bien sûr que si, il faut être difficile ! Arrêtez donc avec cette idée à la con, on vous la fait bouffer au biberon et vous vous mettez à y croire ! Faut pas être difficile ! Faut pas être difficile ! Mais c'est écrit ou qu'il ne faut pas être difficile ? Merde alors, toutes ces luttes sociales, pour entendre des jeunes crétins se complaire dans ce genre de connerie !
Chantal : Mais enfin, il fait ce qu'il veut, non ?
Émile : Justement, là, il ne fait pas ce qu'il veut, il fait juste ce qu'on lui a dit de faire. D'ailleurs, qu'est-ce que tu voudrais faire ?
Clément : Ben, je voulais bosser dans le journalisme, mais c'est complètement bouché. Y'a bien fallu que je trouve autre chose.
Émile : Toi, tu écoutes trop nos dirigeants, parce qu’un énarque te dit de renoncer à tes rêves, juste pour te rendre utile à cette société, tu vas bêtement t’exécuter ? Et ben moi, aussi, je vais te donner un conseil ! Choisis et de préférence, choisis seul ce que tu veux faire ! N'écoute pas les conneries qu'on te martèle à longueur de journée, renonce au renoncement ! Qu'est-ce que tu veux être ? Le petit maillon d'un système où tu trouveras ta toute petite utilité ? Mais merde ! Tu veux être utile ou tu veux être heureux ? Pense à ce mot ! ce mot mort, ce mot qui a fini par s’éteindre à cause du désenchantement collectif : la vocation ! LA VOCATION !!! Tu sais, ce rêve d'enfant que tu as gardé enfoui tout au fond de toi ! Ce qui a donné un sens à ton existence etsur lequel, tu vas faire une croix. C'est pas possible, vous allez faire les mêmes erreurs que nous. Remettez-vous à rêver, n'écoutez plus rien, n'écoutez plus ces abrutis qui nous dirigent... Bordel ! Notre erreur, c'est qu’on a passé notre temps à croire qu'il fallait juste se mettre en colère pour changer la société. On s'est fait avoir comme des bleus ! On était complètement à côté de la plaque ! Calmer un peuple en colère, c'est tellement facile, il suffit de lui lâcher un bout de gras, mais face à une révolution de gens qui se mettent à rêver, là, ils seront vraiment dans la merde !
Patrick : Ben voyons! Un million de bisounours dans la rue ! Pathétique !
Carmen : Et alors ? Vous, ça vous mettrait dans la panade, plus personne ici pour venir pour que vous quémander une bouée de sauvetage !
Patrick : Et vous pensez que ça pourrait marcher ? Une société où il n'y aurait que des gens qui font ce qu'ils ont envie de faire ? Non ! On a besoin de gens pour porter des sacs, pour pousser des chariots, ou pour faire l'accueil ici.
Émile : Mais en quoi ça le regarde, lui ? En quoi ça la regarde, elle ? En quoi ça nous regarde nous ? C'est marrant, la seule chose que nos dirigeants veulent bien partager, ce sont leurs problèmes à eux, comme si c’était les nôtres. Eux, ils n'ont que ces problèmes-là, mais ils nous les imposent, alors que nous, on doit gérer notre misère, notre santé, notre chômage, nos rêves morts. Démerdez-vous avec votre quotta d'esclaves nécessaires, il faudra qu'un jour, on renonce à être raisonnable !
Éliane : C'est vrai, ça ! Tiens votre place de vaisséliste, vous pouvez vous la garder ! Moi aussi, je vais réaliser mon rêve !
Chantal (à Éliane) : Mais c'est quoi votre rêve ?
Éliane : Plus rien foutre du tout ! Ni pour la société, ni pour l'autre qui m'attend dehors ! Tiens, en parlant du dehors, ça me tracasse, ce truc que j'ai oublié !
Chantal (à Émile) : C'est malin de lui donner des idées pareilles !
Rita : Bah, ce sont des idées qui valent bien les nôtres, quand on y pense. Ici, on ne prend même plus le temps d'écouter les gens, d'ailleurs, Patrick, vous l'avez bien compris, comme vous dites, ce qui compte ce sont les chiffres. Alors comme il paraît que ça recrute dans l’hôtellerie, on ne demande même pas ce que vous voulez faire, on vous invite... que dis-je, on vous somme de devenir serveur. Le rêve de nos dirigeants c'est qu'on devienne une usine à recycler 3 millions de personnes en loufiats.
Éliane (montrant Patrick) : Ben lui, c'est à la vaisselle qu'il voulait me foutre !
Rita : forcément, en salle, on ne doit mettre que les jeunes gens, beaux et dynamiques, le reste, on le planque dans la cuisine, près des poubelles.
Patrick : Mais changez donc de travail !
Rita : Oui, vous avez raison Patrick, je ne suis sans doute pas faite pour ce métier. On y rentre avec des convictions, des valeurs, accompagner les gens dans un projet, et puis, les directives, les pressions font qu'on ne peut plus. On fait ce qu'on nous demande de faire, radier, détruire, broyer des vies… et il faut aller vite, faut pas perdre de temps, faut remplir les objectifs, à tout prix. Ça devient une habitude, on n'y pense même plus, et puis un jour, un éclair de lucidité, un bilan sur soi-même, et on réalise qu'on est un hologramme froid qui applique une mécanique sans penser, sans réfléchir, juste l'obsession de respecter les consignes de la hiérarchie, alors on se déteste, on se méprise, on se trouve lâche, moche, faible, coincée dans un plan de carrière qui a tourné court. Il y a plusieurs manières de s'en sortir : en quittant le travail... Mais à force de vivre ici, le chômage, on sait ce que c'est et ça fout la trouille. On peut aussi mettre fin à ses jours. Je vous assure que tous les soirs, je suis plantée sur la pointe des pieds penché à la balustrade de mon balcon, mais impossible de trouver la force de passer par-dessus. Dans ma tête j'ai sauté 30, 40 fois et ensuite, je rentre dans l'appartement, presque en rage, en me maudissant, en me reprochant de n'être même pas capable de le faire. Vous avez raison, Patrick, mon burn-out n'est pas celui d'un surmenage, mais celui d'une empathie contrariée, d'ailleurs, on se perd tellement là-dedans qu'un jour, on n'est même plus en empathie pour soi-même.
Charles : Excusez-moi, mais j'ai réfléchi, je sais ce que je vais faire.
Éliane : Ah zut, c'est vrai ! Y'avait ça aussi !
Charles (à Chantal) : Prévenez que dans 15 minutes, je tue un premier otage ! Et j'en butte un ensuite, toutes les demi-heures !
Chantal : Que je prévienne qui ?
Charles : Ah zut, oui, c'est vrai ! Je ne sais pas, on prévient qui dans ces cas-là ?
Chantal : Je n'en sais rien, moi ! Quand on fait une prise d'otage, on s'organise mieux !
Rita : Appelez donc la direction générale ! Le numéro est dans le calepin.
Chantal : Pfuu !!! il est où ? Ah voilà ! (Elle compose le numéro) Allô ? Direction générale du Pôle ? Oui, agence de Roucoing ! Voilà, ma démarche va vous sembler un peu bizarre, Nous avons ici une personne qui fait un scandale ! Oui ! Elle a été désinscrite ! Oui, je sais que vous ne pouvez rien faire dans ces cas-là. Mais voilà, elle insiste... Non, je ne pense pas que le formulaire de contestation suffira. Si elle a une bonne raison de contester ?
Rita (Arrachant le téléphone des mains) : Bon, passez-moi ça... allô, oui, elle a deux excellentes raisons, un revolver et une grenade ? Ça vous semble suffisant ? C'est ça, il nous tient en otages et compte abattre une personne toutes les demi-heures si vous ne lui trouvez pas un emploi correspondant à ses compétences. Ah au fait, il commence le carnage dans 15 minutes ! (Tendant le téléphone à Charles) Ils veulent vous parler
Charles : Pour m'embrouiller ? Merci bien ! Dites-leur que je suis prêt à prendre un poste à 10% en dessous du salaire normal !
Émile : 10% ? même pour notre exécution, ça sera au rabais !
Rita (à Charles) : OK, ils sont prêts à coopérer, ils me demandent juste si vous pouvez leur envoyer un CV ?
Charles : Là, comme ça ? C'est-à-dire que je n'avais pas prévu...
Chantal : Ah ben bravo, vous venez chercher un emploi et vous ne prenez même pas votre CV, comment voulez-vous qu'on vous prenne au sérieux !
Charles : Oui, ben je n’avais pas prévu que ça se passe comme ça !
Clément : Vous pensiez peut-être qu’on allait vous demander de revenir à un deuxième rendez-vous en vous disant « surtout n'oubliez pas de vous munir d'un CV, ainsi que votre revolver et votre grenade » ?
Charles : Arrêtez de m'embrouiller ! C'est ma première prise d’otages!
Carmen : Et il faut que ça tombe sur nous !
Chantal : Calmez-vous, nous devons avoir le dossier de monsieur rangé quelque part (à Charles) Je peux aller à mon bureau ?
Charles : Faites donc !
Chantal : C'est donc monsieur...
Charles : Charles Bertillon
Chantal : Ben je ne vous trouve pas !
Charles : Normal, cet abruti m'a radié !
Chantal : Ah ben oui, c'est vrai, je suis bête (Elle part en fou-rire) Il est radié et je cherche dans les dossiers, Rôoooo la maligne !
Rita : Chantal ! On attend !
Chantal : Ah oui, ce n’est pas grave, je vais regarder dans les archives … c'est bon, j'ai trouvé … (parlant seule) quand j'y pense, il était radié et je cherchais dans les fichiers !
Rita : Chantal...
Chantal : Quoi ?
Rita : Ferme ta gueule !
Chantal : Oh ben, c'est tout, hein ! Si on ne peut plus rien dire...
Rita : On a le CV de monsieur, nous pouvons vous le faxer... parfait. Oui, mais faites vite ! (Elle raccroche) Ils ont juste besoin d'un peu de temps !
Éliane : Oui, ils sont en train de vous enfumer !
Patrick : Mais non, enfin, pourquoi vous lui dites ça ?
Éliane : Si, j'ai vu ça un jour dans un film chez ma fille, pendant que le bandit braque la banque, ils préparent des gars pour entrer en force et ils ont demandé à un type dans la banque de mettre une drogue dans le café du braqueur (Charles crache la gorgée de café qu'il vient de prendre)
Patrick : Je vous jure que le café est tout ce qu’il y a de plus normal... (à Éliane) Non mais ça ne va pas de lui mettre des trucs comme ça en tête ?
Éliane : N’empêche que dans le film, le mec se fait buter.
Charles : Taisez-vous !
Éliane :(montrant Patrick) Ben, énervez-vous sur lui... après tout, si y'a de la drogue dans le café, c'est de sa faute
Rita : Oh, silence ! (À Charles) alors, qu'est-ce qu'on décide ?
Charles : Je... pense qu'il faut leur mettre la pression !
Éliane : Ben à part tuer quelqu'un, je ne vois pas...
Patrick (à Éliane) : Vous ne pouvez pas la fermer, vous ?
Éliane : Oh, ça va, je voulais lui rendre service !
Charles : Bon, je vais en choisir un premier si je n’ai pas de réponse rapide. Pas de volontaire ? ça m'aiderait.
Patrick : Je peux juste vous donner un conseil, vous devriez d’abord tuer un demandeur d'emplois, ça marquera plus les esprits !
Émile : Pensez donc, les gens se foutent de nous ! Ou alors dans ce cas, un jeune, ça va émouvoir l'opinion !
Clément : Au contraire, un vieux et au chômage, en plus on économise sur la caisse de retraite. Peut-être qu'ils vous remercieront pour service rendu !
Carmen : Mais vous vous entendez ? C’est chacun sa peau !
Patrick : Et bien vas-y toi, si tu te sens l'envie de te sacrifier !
Clément : Ah non, ne touchez pas Carmen ! Prenez-moi plutôt
Carmen : Clément ? Pourquoi tu ferais ça ? Tu me connais à peine ?
Clément : Ben, je ne sais pas, c'est venu comme ça ! Quand j'y pense, c'est très con
Carmen : Ça me touche beaucoup, Clément !
(Ils s'embrassent tendrement)
Clément : C’est très con, mais ça vaut le coup !
Éliane : Bon ça suffit, cette jeune fille a raison, alors puisqu'il faut que quelqu'un se dévoue.
Rita : Vous n'allez pas...
Éliane : Si, si (montrant Rita) : Tuez celle-là, elle a envie de mourir !
Rita : Non, mais ça va pas, j'ai jamais dit que je voulais mourir
Éliane : Et qui c'est qui veut toujours se balancer de son balcon ? Là, vous avez plus besoin de rien faire, il fait le travail pour vous !
Rita : Elle va se taire un peu la SDF ?
Éliane : Et ben voilà ! On veut aider et on se fait insulter. Ce que c'est de rendre service !
Charles (à Patrick) : Je pourrais m'occuper de toi ! Après tout, c'est ta faute, si on en est là !
Les autres (en chœur) : Oui, oui !
Patrick (se terrant dans un coin) : Non, non, je vous assure, je ne voulais pas le faire ! Pitié, pas moi.
Émile : Dites donc, vous aussi, vous refusez des propositions ?
Charles : Bon ça suffit ! Si vous croyez que ça me réjouit de devoir tuer quelqu'un !
Émile : Et bien ne le faites pas ! On est tous de cet avis, non ?
Les autres : Oui, oui !!!
Charles : Trop tard, je suis arrivé à un stade où je n'ai plus le choix. (Des sirènes de police résonnent à l’extérieur) D'ailleurs, la cavalerie est là. (Charles se gratte anxieusement la tête)
Rita : Vous pouvez encore vous rendre, vous n'avez pas fait de bêtise irréversible. Vous ne prendriez jamais que quelques mois
Éliane : Et puis parfois, je me dis qu'en prison, on n'est pas plus mal, c'est vrai, quoi, logé, nourri, et tout ça, aux frais de la princesse. D'ailleurs quand on y pense, c’est pas normal ! Je me dis qu'on devrait faire payer les gens pour leur séjour en prison.
Chantal : Bien d'accord avec vous et s'ils ne payent pas, ben... on les fout dehors
Charles : Silence, bon dieu !
Le téléphone sonne.
Charles : (à Rita) allez décrocher !!!
Rita : Allô ? (Il se raidit) Monsieur la ministre ? Oui, il est là, à côté de moi.
Chantal : C'est le ministre ?
Éliane : Elle l'appelle monsieur le ministre, qui voulez-vous que ça soit ? Ou alors, c'est une sacrée mytho !
Rita : Oui... mais, je ne peux... Vous comprenez bien la gravité de la situation ? Il va y avoir des morts... Allez-vous faire voir ! (Il raccroche)
Chantal : Mais ça ne va pas ? Comment vous parlez au ministre, vous !
Charles : Quoi ? Qu'est-ce qui se passe ?
Rita : Ils pensent que vous bluffez. Ils ne céderont pas !
Charles : Mais ils ne peuvent pas ! Ils n'ont pas le droit !
Émile : Qu'est-ce que vous voulez que ça leur foute ! La mort de 4 chômeurs, d'un stagiaire ? De quelques salariés d'une agence d'emploi ? Vous avez mal ciblé votre attaque ! Vous auriez dû braquer le siège du patronat, vous auriez déjà le boulot
Charles : je n’ai pas réfléchi ! quand on veut de l'argent, on braque une banque, ben quand on veut du travail, on braque un bureau de chômage, c'est logique
Clément : Sauf que dans une banque, il y a vraiment de l'argent !
Carmen : Alors qu'est ce qui va se passer maintenant ?
Charles (hésitant) : Je vais leur prouver à ces salauds qu'ils se trompent. (Il hésite, semble mal à l’aise) Désolé, je vais devoir passer à l'acte !
Chantal : Vous allez donc en tuer un d'entre nous ? Comment pouvez-vous faire ça ? Comment pouvez-vous choisir ?
Charles : Eh bien, on va faire ça à la courte paille !
Chantal : Mais on n'a pas de pailles !
Éliane : Bah faites donc une roulette russe, ça ira plus vite !
Charles : Bon décidez-vous ! Il y en a un qui doit venir avec moi... ou je butte tout le monde
Rita : Ça suffit ! On va arrêter ce petit jeu, il vous faut un martyr ? D'accord, je viens !
Éliane : Et ben, vous voyez, vous m'engueuliez tout à l'heure et finalement, vous voulez y allez quand même !
Patrick : Courage madame Jonquet, Je ne sais pas quoi vous dire !
Rita : De grâce, ne dites rien alors ! Ça m'aidera
Éliane : c'est qu'un mauvais moment à passer !
Rita : C'est ça, un mauvais moment.
Charles : ( À Chantal) Donnez-moi la clé. (À Rita) Vous venez avec moi dans le bureau à côté. Et que personne ne bouge.
Ils sortent
Acte 2, scène 7
Chantal, Émile, Éliane, Patrick, Clément, Carmen
Patrick :Eh ben, qui l'eût cru ? elle a un sacré cran ! Elle fait ça pour nous
Émile : Pour nous, vite dit ! Si ça tombe, dehors, ils vont le laisser nous massacrer jusqu'au dernier. Elle ne sera que la première. Finalement, on ne représente pas grand-chose pour les autres dehors.
Carmen : On ne pourrait pas casser la vitre de la porte ?
Patrice : Impossible, c'est du vitrage sécurité... Ça résiste à tout, cette merde !
Carmen : Ce n'est pas possible, ils vont bien finir par réagir ?
Chantal : Ne vous inquiétez pas. On s'en sortira !
Carmen : Mais qu'est-ce-que vous en savez ? Regardez, il va tous nous tuer ! Et on est là à attendre comme des vaches dans un abattoir. Il n'y a pas une autre clé ?
Chantal : L'autre clé c'est madame Joncquet qui l'a sur elle, on est coincé. La police va bien finir par intervenir !
Patrick : Tu parles ! Ils ne bougent pas ... mais qu'est-ce qu'ils foutent ?
Émile : je vous le dis, pour nous ça ne presse pas
Grosse détonation
Chantal : (hurle) Vous pensez qu'il l'a fait ?
Patrick : Je ne sais pas...
Acte 2, scène 8
Rita, Chantal, Émile, Éliane, Patrick, Clément, Carmen, Charles
Charles et Rita rentrent en urgence
Charles : Qu'est-ce-que c'est que ce bazar ?
Chantal : Ah ben, il ne vous a pas tué ?
Rita : Non, désolée d'être encore en vie, Chantal !
Charles : Mais ce raffut ne venait pas d'ici ?
Carmen : Mais, non, ça vient de dehors
Éliane : Nom de diou ! Je me souviens, ce que j'ai oublié ! La bouteille de gaz...j'ai oublié d’éteindre la bouteille de gaz, dans la caravane !
Carmen (qui est allé voir à la fenêtre) : En effet, elle est totalement détruite !
Éliane : C'est pas vrai, quelle poisse ! j'ose pas regarder, et mon mari ? Vous le voyez ?
Carmen : C’est le vieux monsieur avec un survêtement et une barbe ?
Éliane : Oui
Carmen : Des voisins l’emmènent, ça va, il a l'air sain et sauf !
Éliane : Il est vivant ? décidément, c'est pas mon jour !
Chantal : Mon dieu, mais j'y pense, il faut actualiser votre dossier !
Éliane : Hein ?
Chantal : Eh bien oui, vous venez de changer de domicile, si j'ai bien compris ?
Émile : Vous ne perdez pas de temps, vous !
Patrick : Mais ce n’est pas possible, il y a un forcené armé jusqu'aux dents qui veut tous nous buter et elle, elle gère l’administratif. Ma pauvre Chantal, qu'est-ce que vous avez dans le citron ?
Chantal : Oui, et bien, il faut bien que ce soit fait. Ce n'est pas vous qui parlez sans cesse de conscience professionnelle ? (À Éliane) Donc, vous êtes sans domicile fixe à présent
Éliane : Mais non, j'ai une maison avec piscine sur la Riviera !
Chantal : C'est vrai ? Vous pouvez me donner votre nouvelle adresse ?
Éliane (à Patrick) : Vous avez raison, elle a rien dans le citron !
Émile : Enfin, bon, vous ne l'avez pas tué ! C'est le principal !
Charles : Pas facile de tuer quelqu'un en le regardant dans les yeux (à Patrick) Vous voyez, j'aurais fait un très mauvais tueur à gages !
Le téléphone sonne à nouveau, Rita se précipite
Rita : Allô ? Oui ? Non il n'a encore tué personne Mais ce n'est pas passé loin, il était sur le point de le faire !
Charles : Dites-leur que si rien n'est fait de suite, je fais tout péter ! Avec ça ! (Il tend la grenade)
Rita : Oui, vous l'avez entendu ? Il parlait de sa grenade, vous comprenez ce que ça veut dire ?
Éliane : Ben que vous devrez refaire toute la décoration de l'agence. En même temps, c’est un mal pour un bien parce que c'est bien moche ici !
Charles : Je leur laisse 5 minutes, et puis boum !
Chantal : Je vous en prie monsieur ! On n'arrive jamais à rien avec la violence !
Charles : On n'arrive à rien avec la violence ? (Fou rire) parce que tu penses que si j'étais venu sans ce revolver et cette grenade, ta responsable serait en ligne avec un ministre ? C'est terrible mais la violence c'est la seule solution pour être écouté ! J'ai obtenu plus de résultats en quelques minutes avec un flingue et une grenade que pendant 5 ans avec un bonjour et un merci. Il n'y a que la peur qui les font réagir ! Putain de gouvernement !
Chantal : Mais si vous n'en vouliez pas de ce gouvernement, il vous suffisait de voter contre, on est en démocratie et jusqu'à preuve du contraire, la majorité des gens l'ont choisi ce gouvernement
Charles : On est en démocratie ? Ici ? (Il éclate de rire)
Chantal : Oui, allez donc voir certains pays, vous verrez ce que c'est qu'une dictature.
Charles : Mais ce n'est pas parce que nous ne sommes pas en dictature, que ça veut dire qu'on est en démocratie. La démocratie, c’est décider ensemble. Nous on ne choisit rien, ou pas grand-chose. Ils décident de faire seuls les fondations de la maison et nous, on vote juste pour choisir la couleur du papier peint... vous appelez ça une démocratie ? Il faut se soumettre pendant 5 ans à un pouvoir parce que la majorité d'entre nous a voté pour un gars dans une campagne qui a duré 2 mois, désolé mais ce n'est pas ça la démocratie, ça, c'est juste la dictature de la majorité. Et encore, c'est la majorité d'un instant. Elle n’a voté pas pour un programme, juste pour un candidat qu’elle trouvait plus poli ou plus charismatique ou plus sympa… Et ce n'est même pas la majorité du peuple, non, juste la majorité de ceux qui votent ! Croire que tu es citoyen parce que tu as mis un bulletin dans une urne, c'est aussi stupide que de croire que tu es musicien parce que tu as mis une pièce dans un juke-box !
Émile : Et puis les dictature, ils ne dénoncent que celles qui les arrangent ! Il y en a certaines que nos dirigeants trouvent sympathiques ? Je connais des pays où on vous décapite pour un blasphème, où on pratique encore l'esclavage, où on enferme des opposants mais ces dictatures, on ne dénonce jamais leurs crimes, au contraire, on déroule le tapis rouge au despote qui les dirige parce qu’ils nous achètent des trains ou des avions. D'autres dictatures, pour les mêmes actes, sont jugés comme des états totalitaires, juste parce qu’ils refusent de faire des affaires avec nous.
Charles : Finalement, ce n'est pas tant à la hauteur de leur crime qu'on juge les dictateurs mais à l'épaisseur de leur carnet de commandes.
Rita (toujours au téléphone) : Si j'ai bougé ? (Ironique) Bon, Il va falloir que je vous explique, il nous séquestre avec une arme à feu, à partir de là, vous avouerez que ce n'est pas évident de bouger, même aller fumer une cigarette dans la rue, je n’ai pas osé lui demander mais je ne suis pas certaine qu'il soit chaud... (s'emportant) Mais bordel, je suis calme! C'est juste que vous me posez des questions vraiment idiotes !... Oui ? D'accord ! D'accord ! Je lui dis. (À Charles) Ils sont prêts à accepter vos requêtes. Mais avant ça, vous devrez nous libérer
Charles : Oh, mais qu'est-ce qui me dit que je ne serais pas arrêté dès que je vous aurais relâché ?
Éliane : Ben c'est vrai, ça !
Rita : Il veut des garanties de ne pas se faire arrêter... D'accord ! (À Charles) Ils vont vous faxer une amnistie présidentielle, avec ça, vous devenez intouchable.
Charles : C'est sérieux ?
Rita : Un document officiel signé du président !
Émile : Ben dans le pire des cas, ça vous fera un bel autographe
Charles : (à Rita) Et pour le travail ?
Rita : Oui, il veut savoir pour le travail... Oui... Parfait, je lui dis, Ils vous ont trouvé un poste de commercial, au tarif souhaité.
Charles : C'est-à-dire ?
Rita : Avec 10% de moins que votre salaire précédent !
Éliane : C'est bête, vous ne disiez rien, ils vous auraient payé au même tarif !
Carmen : Dites, ça marche bien votre truc ! Vous ne pouvez pas me prêter votre flingue quand vous aurez fini ?
Rita : (à Carmen) S'il vous plaît ! (à Charles) Ils demandent juste qu'en échange, la chose ne s’ébruite pas ! Officiellement, il ne s'est rien passé.
Émile : On dirait qu’ils ont la trouille que vous donniez des idées à d'autres !
Rita (raccroche le téléphone) : Ils vont envoyer le contrat et l'amnistie par fax, c'est l'affaire de quelques minutes.
Chantal (à Charles) : Ben voyez, vous y êtes arrivé quand même ! C'est une nouvelle vie qui commence !
Charles : Ou c'est juste retrouver ma vie d'avant !
Éliane : Au fait, pour moi aussi, va falloir commencer par trouver un nouveau logement !
Chantal : Je suis désolée pour vous... si je peux vous aider.
Patrick : Je m'en occupe, Chantal, j'ai un petit studio que je loue habituellement. Là, il est vide, je vous le laisse, le temps de trouver ailleurs.
Chantal : Et bien Patrick, je ne vous reconnais plus !
Patrick : Moi non plus ! Je ne sais pas, peut-être le contre-coup d'être encore vivant.
Rita : Ou juste le fait de vous être senti sur le même bateau que ceux qui viennent ici ? Aussi impuissant et démuni ?
Patrick : C’est sans doute ça. À la base, je n’étais pas un gros enfoiré, je pense que je le suis devenu avec le temps, un de ces enfoirés parvenu, qui a réussi à sortir de la nasse de la misère sociale. Je vivais avec la certitude que si moi, je l'avais fait, alors tout le monde pouvait le faire. Que de ce fait, personne n'avait d'excuses à être pauvre... ça t'incite à mépriser tous ces crevards que tu vois s'enliser dans la mouise. Tu t'offres avec ta respectabilité de pacotille, de bonnes vieilles idées reçues, comme celles de la méritocratie sociale, de l'ascension qui va du cul de bas de fosse pour arriver aux hautes sphères de la société, sauf que la haute sphère, on n'y accède pas sans hériter de la carte de membre de papa. Mais quand j'y pense, prôner les valeurs libérales quand tu es un salarié, c'est comme être pro corrida quand tu es un taureau ! Finalement, on admire des gens pour qui on n’est rien ! Ils vous chient sur la gueule et on les remercie juste de ne pas tirer la chasse d'eau.
Émile : Heureux que vous en preniez conscience !
Patrick : Je crois que j'en ai toujours eu conscience. Mon père passait ses journées à picoler, ma mère à supporter ses colères en pleurant et en m'engueulant parce que y'a que sur moi qu'elle pouvait passer ses nerfs. Dans la maison, ça puait la lose ! J'ai toujours pensé que si je n'avais pas fait de grandes études, c’était leur faute ! Quand j'ai eu mon atome de reconnaissance sociale, je me suis mis à haïr tout ce qui ressemblait à mes parents, à haïr les pauvres, leur cortège de lamentation. Finalement, de me retrouver ici, en attendant le même sort que vous, ça m'a rappelé d'où je venais (S'adressant à tous) Alors excusez-moi de ce que j'ai pu être.
Éliane : Mais z'êtes tout excusé ! Surtout si je viens habiter dans votre baraque !
Émile : Au fond, vous en voulez aux vôtres de ne pas être né au bon endroit ! D 'avoir dû vous démerder seul pour arriver à quelque chose
Clément : Enfin, la réussite, la réussite, on ne me parle que de ça ? Elle ne peut donc exister que professionnellement ? Quand on y pense, dans les relations sociales, tout repose sur votre profession. C'est vrai, quand quelqu'un vous demande : « que faites-vous dans la vie ? » ça veut juste dire : quel est votre travail ? Moi quand on me pose cette question, j'aimerais répondre que dans la vie, je me balade sur les chemins de halage des canaux, que je me tire la nouille au soleil couchant dans les dunes, que j'aime manger du risotto, que j'aime lire Mallarmé dans ma chambre quand tombent les premières brumes d'automne, bref ce que je fais dans la vie, c'est tout, sauf en lien avec un travail. Finalement, tu n'existes que par ton job, sauf qu'il n'y en a pas assez pour tout le monde du travail. On est quand même un sacré paquet à ne « rien faire dans la vie » et donc à ne pas exister.
Carmen : Et ben balade, paresser au soleil, lire et dormir ? Voilà un beau projet, ça me plaît !
Patrick : Dites-moi, Clément, vous qui êtes si diplômé ? comment ça se fait que vous n'êtes pas foutu de me faire un café ?
Clément : Ça ne vous est pas venu à l'idée simplement que je n’en ai rien à foutre de votre café et que ça m'emmerde royalement de vous le servir. (Il fait mine de s'en aller et revient vers Patrick) Tiens d'ailleurs, j’oublie parfois l'eau, mais je n'oublie jamais de cracher dedans ! Vous m'avez tellement fait chier !
Patrick : Désolé d'avoir été pénible à ce point
Clément : Pire que mes vieux, et ce n’est pas peu dire !
Patrick : Ils font quoi, vos parents ?
Clément : Rien de bien excitant, ils sont profs !
Patrick (Ironique) : ah, des feignasses de fonctionnaires !
Clément : C'est ça ! Ma mère dans une classe maternelle, et mon père dans un collège de banlieue... Ses élèves l'ont rendu dépressif, de ce fait, le plus gros de son salaire, il le file à un psychanalyste.
Chantal : Pas facile les enfants à cet âge-là.
Clément : Á n'importe quel âge d'ailleurs, de petits cons, ils deviennent jeunes cons, puis grands cons et enfin vieux cons, il y a qu'à la mort qu'ils se reposent. Par contre, je n’ai jamais bien compris pourquoi un professeur avait besoin de consulter un psy.
Chantal : Ben ça peut sans doute les aider à voir les choses autrement
Clément : Vous savez, un psy et un élève de 5eme, c'est exactement la chose !
Chantal : Ah bon ?
Clément : Dans les deux cas, ça finit toujours sur des conversations autours de la chatte à ta mère !
Rita (arrive avec des documents en main et les donne à Charles) Et voilà, tout y est. Vous pouvez donc y aller.
Charles : Merci et désolé pour tout ce bazar. Vous ne sortez pas ?
Rita : Non, nous avons obligation de rester ici, le temps que tout soit réglé. C'est le protocole !
Éliane : On ne peut plus rentrer chez nous ?
Émile : Ben là, t'as plus de chez toi !
Éliane : Bah oui, c’est vrai ! (Montrant Patrick) Enfin, rentrer chez lui ?
Rita : Patience, ça ne devrait pas tarder !
Patrick : (à Charles) Bon allez-y et excusez-moi encore !
Charles : Non, c'est moi qui suis désolé ! Je ne voulais pas que ça se passe comme ça.
Il sort
Patrick : Vous oubliez vos armes !
Charles :(revenant) C’est vrai, j'ai plus ma tête.
Chantal : En même temps, vous n'en avez plus besoin !
Charles : Moi, non, mais mon fils, oui (Regard incrédule du groupe) ce sont ses jouets !
Rita : Vous voulez dire que c’étaient des armes factices ? Mais si vous aviez dû mettre vos menaces à exécution ?
Charles : Eh bien, j'étais dans la merde ...remarquez, de toute façon, j'y étais déjà !
Émile : Charles !
Charles : Oui ?
Émile : Je ne souhaite jamais revivre pareille expérience mais merci pour tout ce qu'elle m'a apportée
Charles : De rien (Il sort)
Acte 2 scène 9
Rita, Chantal, Émile, Éliane, Patrick, Clément, Carmen
Clément : Alors, ça y est ? Tout est fini ?
Carmen : Ben ça a l'air de te décevoir ?
Clément : Non, ce n’est pas ça... mais, j'étais bien ici avec toi !
Carmen : Moi aussi, mais on pourrait se voir ailleurs ! Je me dis même qu'on pourrait faire un bout de chemin ensemble !
Clément : Qu'est-ce que tu veux qu'on fasse comme chemin ? Je ne peux rien t'offrir. Je gagne des clopinettes.
Carmen : Et alors ? Qu'est-ce que ça peut faire ? Faut avoir une situation pour s'aimer ?
Clément : Amour ? Déjà ?
Carmen : Ben oui, ça te gène ?
Clément : Heu, non ... mais …
Carmen : Mais quoi ?
Émile : C'est vrai, ça... Mais quoi ??,
Clément : Mais, rien. Tu as raison ! Tu sais quoi ? On va se tirer ! Vivre dans un monde où on ne nous emmerde pas avec le travail, avec les budgets, avec les crédits à la consommation, avec la semaine de 40 heures, avec ce système pourri. On va se trouver une baraque paumée sur un lopin de plage et vivre sans s'emmerder avec les impératifs, les horaires, les rendez-vous importants...
Chantal : Et comment vous allez vivre ? Il faut de l'argent, non ?
Carmen : On se débrouillera ! On limitera nos besoins ! ! Pour moi, la vraie pauvreté, ce n'est pas d'être sans argent, c’est de ne plus rien trouver de grisant dans la vie, la plus grande des misères c'est de t'emmerder sur un yacht ! Finalement, on nous fait croire que la réussite ne dépendait que de l'argent accumulé. Pourtant, je me dis qu'elle devrait se mesurer au nombre de bons souvenirs vécus. Alors, on va passer notre vie à ça
Éliane : À quoi ?
Carmen : Á capitaliser les beaux souvenirs. Et puis, on n’arrête pas de nous dire que notre génération n'aura pas de retraite, eh bien, c'est décidé ma retraite, je la prends maintenant !
Clément : Ben voilà ! Et merde aux convenances et au travail ! (À Émile) Vous avez raison monsieur, avant d'être utiles, sachons être heureux !
Émile : Au moins, cette réunion aura au moins servi à quelque chose
Éliane : Je vous préviens dans 5 minutes, je sors !
Rita : Calmez-vous, ils vont arriver ! Ils doivent régler la situation avec Mr Bertillon et ils s'occupent de nous.
Bruits de coups de feu dehors.
Chantal : Qu'est-ce que c'est encore ?
Ils se dirigent tous vers la porte extérieure
Chantal : Mon dieu ! Ils ont abattu Monsieur Bertillon ! C’est affreux !
Tous se reculent, silence et ambiance lourde
Voix extérieure : Mesdames et messieurs, Vous n'avez plus rien à craindre ! Restez à l’intérieur, le terroriste qui vous menaçait, a été neutralisé.
Émile : Neutralisé ? Plus rien à craindre ? Les salauds…plus rien à craindre. Ce qu'il ne faut pas entendre. Ils l'ont tué ! Il servira d'exemple pour tous ceux qui voudraient se rebeller. Toujours tirer sur le premier qui se lève, ça dissuadera les autres !
Patrick : Tout ça, c'est ma faute ! Si je ne l'avais pas radié...
Émile : Mais non, ce n'est pas votre faute. On appelle ça la fatalité. Ce qu'on produit encore de mieux dans notre pays, c'est du désespoir ! Alors forcément, certains en abusent. C'est leur art de nous rendre fou qui l'a tué. Et justement, on dira que c'est un coup de folie qui est responsable de sa mort comme on dit que c’est le froid qui tue les sans-abris. Il faut trouver des prétextes intermédiaires pour laver notre société de tous ses crimes! Le libéralisme, ça aime les génocides sournois !
Patrick : C'est dégueulasse ! On ne va pas laisser passer !
Émile : Et qu'allez-vous faire ? Personne ne vous écoutera ! Il est rentré armé. Pour tout le monde, il n'a eu que ce qu'il méritait ! Et si d'aventure, vous témoignez, on invoquera le syndrome de Stockholm. Vous vous êtes attaché à votre bourreau, donc vous n'êtes plus crédible.
Patrick (Soupire) : Dans 5 minutes, on sortira tous d'ici.
Rita : Oui, on reprendra notre vie d'avant, l'air de rien.
Carmen : Ou on en démarrera une nouvelle
Clément : Ou alors, faut la repenser la vie d'avant, histoire qu'il ne soit pas mort pour rien ! Y'a sans doute besoin d'autre chose qu'un flingue pour changer le monde. Y'a juste besoin de le voir autrement ! De réaliser ses rêves... mais pas le rêve qu'ils nous obligent à faire. Pas le rêve individuel de la grande réussite sociale, pas le rêve de la villa, de la grosse bagnole, du yacht, du jet. Non, le grand rêve collectif !
Patrick : Lequel ?
Clément : Je ne sais pas, un monde où on n'est plus esclaves de nos envies, de nos besoins, de nos frustrations ! Sans l'envie de posséder à tout va et à tout prix, à force de préférer les objets aux gens, on veut juste devenir des gens-objets.
Chantal : Des gens-objets ?
Clément : Oui, des gens qui veulent posséder, consommer et qui deviennent esclaves de ce qu’ils possèdent... enfin les gens des rêves programmés ! Ceux qui nous font croire que le seul sens de notre existence c'est de gagner plus en bossant plus pour être heureux!
Rita : Enfin, en attendant, on va reprendre le court des choses... essayer de vous trouver du boulot.
Éliane : En parlant de ça, ça marche toujours la place de vaisseliste ? (Rita hoche de la tête) ben ça fait au moins une bonne nouvelle. Bon, c'est pas tout, mais je vais peut-être quand même aller voir mon abruti de mari
Chantal : J’espère que tout va bien pour lui !
Éliane : Rassurez-vous, ce sont toujours les mauvaises herbes qui résistent le mieux !
Chantal : Au revoir, Éliane, et à bientôt !
Éliane : Au revoir.
Émile : Attendez, Éliane, je vais vous accompagner. (Aux autres) Au revoir !
Chantal : Au revoir, Monsieur Émile.
Rita : Au revoir !
Éliane (à Rita) : Par contre, vous pourriez me dire où vous habitez ?
Rita : Pourquoi donc ? Vous voulez passer me dire bonjour ?
Éliane : Non, c'est juste pour lever la tête quand j'arrive devant, je voudrais pas vous prendre sur le coin de la figure si vous vous décidez à sauter.
Rita : Je vous rassure, je regarderais avant de sauter
Éliane : Quoique à la limite, je me dis que si vous voulez vraiment me faire plaisir, ben ne sautez pas !
Rita : Merci ! Merci beaucoup.
Éliane et Émile sortent.
Acte 2 scène 10
Rita, Chantal, Patrick, Clément, Carmen.
Patrick : Clément, tu vas vraiment ne plus rien foutre ?
Clément : Oui
Patrick : Tu ne manques pas de courage ?
Clément : De ne plus rien foutre, du courage ?
Patrick : Non, du courage d'avoir choisi de ne rien foutre !
Clément : Tu trouves que ça demande du courage ?
Patrick : Oui, ne serait-ce que parce que tu vas subir les jugements des connards de mon espèce !
Clément : Vu comme ça. C'est marrant, le fait que tu me le dises et l'idée de les faire chier, ça me donne un peu plus de motivation encore
Patrick : Bonne chance en tout cas, et finalement, dans mon café, je pense que ça me manquera, le goût de tes crachats !
Clément : Recrutes en un autre, aussi jeune que moi, fais-le chier comme tu l'as fait avec moi et je ne te donne pas huit jours avant de retrouver la même saveur !
Carmen : Clément, je ne veux pas t'affoler, mais j'ai vraiment hâte d'aller rien faire avec toi !
Patrick : Elle a raison, le temps est précieux, même quand tu l'utilises à glander
Carmen : Surtout quand tu l'utilises à glander !
Clément : Chantal, Rita, vous me manquerez !
Chantal : Merci, Clément, très touchée ! Vous êtes sincère ?
Clément : Non, mais je voulais vous faire plaisir !
Carmen et Clément s'en vont
Acte 2 scène 11
Rita, Chantal, Patrick
Chantal (à son bureau) : Finalement, c'est un garçon attachant, ils vont bien ensemble ! (Elle se penche sur son écran de pc) Oh ben, ça alors, un mail de « Rapid-Burger »
Rita : Et qu'est-ce que ça dit ?
Chantal : Madame, monsieur, nous avons découvert les méthodes de recrutement de notre concurrent Food-Express, aussi souhaiterions-nous, sur des modalités similaires, proposer un poste de commis de cuisine, pourriez-vous, à cet effet, convoquer 3 candidats non diplômés et nous soumettre la proposition la plus raisonnable émanant de cette réunion... Monsieur Joncquet, qu'est-ce qu'on fait ?
Rita (Morne) : Que voulez-vous que nous fassions ? On convoque, les affaires reprennent !
FIN