Rendez-vous à Nossi-Bé

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Inspirée du conte des “Mille et une nuits”, “Le rendez-vous de Samarkande”, cette saynète a été écrite pour les 3 clowns de la compagnie Dionysienne Maquis’Arts Théâtre, Monsieur JO, Monsieur NI et Monsieur ZIAK.
Monsieur NI espère échapper à son destin en fuyant loin, très loin…

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Monsieur JO arrive guilleret, en chantonnant.

Monsieur NI entre, effrayé, encore sous le coup d’une violente émotion.

Il porte une valise.

Monsieur JO

Bien l’bonjour, monsieur Ni. Vous partez en voyage ?

Monsieur NI

Bon… bon… bonjour, monsieur Jo. Vous… vous êtes pressé ?

Monsieur JO

Oui… et non. Je suis pressé et pas pressé. Cela dépend de vous.

Monsieur NI

Je… je … je préférerais que vous ne le soyez point… ou pas trop.

Monsieur JO, le reprenant

Que vous ne le fussiez point ! Eh bien soit ! Je consens à ne pas l’être trop.

Tout de même je ne voudrais pas manquer mon cours de décontraction transcendantale.

Il regarde l’heure à sa montre.

J’ai quelques minutes à vous consacrer. Que puis-je pour vous ?

Monsieur NI

Savez-vous… savez-vous… savez-vous ce qui vient de m’ arriver ?

Monsieur JO

Partons du postulat suivant : je n’en ai aucune idée. Je vous écoute.

Monsieur NI

C’est… c’est… c’est affreux.

Monsieur JO

Si vous le dites.

Monsieur NI

Jamais… jamais…vous m’entendez ? Jamais… je n’aurais cru.

Monsieur JO, commençant à s’énerver

Je suis tout ouïe, monsieur Ni.

Monsieur NI

Pourquoi moi ? Bon sang ! Pourquoi moi ? Je ne méritais pas cela !

Je suis bon, charitable, j’aime mon prochain comme moi-même.

Je me suis toujours violemment élevé contre la misère dans le monde.

Je suis contre la guerre. Je veux dire contre les guerres. Contre toutes les guerres ! Parce que nous sommes tous frères ! N’est-ce pas, monsieur Jo ?

Monsieur JO

Evidemment, monsieur Ni. Nous sommes tous frères et sœurs.

Monsieur NI

Alors… pour quelle raison… pour quelle raison me choisir ? Moi !

Monsieur JO

Vous avez été choisi ? Vous êtes donc l’heureux élu !

Monsieur NI

Ne m’en parlez pas !

Monsieur JO

C’est vous qui m’en parlez ! Venons en au fait.

Monsieur NI

Oui… le fait. Figurez vous… que je l’ai croisée… ce matin.

Elle ne m’a rien dit. Pas un mot ! Muette ! Comme une tombe !

Néanmoins j’ai compris. A son regard perçant, à son sourire moqueur, à son index menaçant pointé vers moi, j’ai compris vous dis-je !  J’ai compris !

Il fond en larmes

Monsieur JO

Monsieur Ni, allez-vous cesser cette comédie ? Je vous l’ai précisé dés le début de notre entretien : je n’ai pas de temps à perdre avec des hurluberlus de votre espèce. Je suis attendu par mon professeur de décontraction transcendantale.

Qui avez-vous croisé ? Qu’avez-vous compris ?

Monsieur NI, à voix basse, regardant autour de lui, méfiant.

La Mort ! Monsieur Jo. La Mort !

Monsieur JO

Oh ! En êtes-vous certain ? Peut-être l’avez-vous confondue avec l’une de vos connaissances perdue de vue depuis longtemps.

Beaucoup d’humains ressemblent à la Mort sous le poids des ans.

Monsieur NI

Non. Je vous l’assure. Je l’ai reconnue. Elle m’attend ! Ici… bientôt !

Monsieur JO

Il doit y avoir un moyen de lui échapper.

Réfléchissons ensemble, si vous le voulez bien, monsieur Ni.

Monsieur NI

C’est tout réfléchi ! Je pars.

Monsieur JO

Vous avez raison. Il faut fuir. Quand et où partez-vous ?

Monsieur NI

Tout de suite. Pour toujours. Loin… très loin.

Mon avion décolle dans deux heures.

Il sort un billet d’avion de sa poche. Le tend à Monsieur Jo.

Monsieur JO

Nossi-Bé ! Quelle surprenante destination !

Monsieur NI

C’est une petite île de l’océan Indien, au large de Madagascar.

J’y serai demain, à midi.

Croyez moi, il faudrait être folle pour venir me chercher là-bas,

au bout du monde ! N’est-ce pas, monsieur Jo ?

Monsieur JO

Vous avez pris là une sage décision, monsieur Ni.

Monsieur NI

Je compte sur votre discrétion. Pas un mot à qui que ce soit.

Monsieur JO

Ai-je jamais trahi votre confiance, monsieur Ni ?

Hélas ! Je perds un ami ! Mais je préfère vous savoir en vie aux antipodes qu’enterré sous mes pieds.

Monsieur NI

Adieu, monsieur Jo.

Monsieur JO

Adieu, monsieur Ni. Portez vous bien et bon voyage.

Une carte postale avec des palmiers me rendrait fou de joie.

Monsieur NI

Je n’y manquerai pas.

Il part en courant.

Monsieur ZIAK entre.

Monsieur JO

Bien l’bonjour, monsieur Ziak. Comment vous portez-vous ?

Monsieur ZIAK

Ma foi, j’ai connu des jours plus difficiles et des nuits plus exaltantes.

Connaissez-vous la dernière ?

Installé sur un banc, je profitais du soleil matutinal dans le square d’à côté, lorsque…

Monsieur JO

Je suis au regret de vous interrompre, monsieur Ziak.

Je suis attendu. Je n’ai plus une seconde à perdre.

Monsieur ZIAK

Comme vous voudrez. Je m’apprêtais à vous narrer, en deux mots,

la rencontre peu banale que je viens de vivre.

Puisque vous courrez après le temps, reportons ce récit à plus tard.

Monsieur JO

Quelle rencontre ?

Monsieur ZIAK

Alors que je profitais nonchalamment du soleil…

Monsieur JO

Oui, oui, dans le square d’à côté…

Monsieur ZIAK

Une étrange personne s’est assise près de moi, sans que je la visse s’approcher.

Me regardant fixement, elle me dit : « je suis la Mort ».

« Enchanté ! » lui rétorquai-je. « Je suis prêt à vous suivre. Je dois auparavant faire mes adieux à tous ceux qui vont me regretter. Je vous rassure, ce ne sera pas long ».

«Vous avez encore le temps ! » s’exclama-t-elle, d’une voix rassurante.

« Je reviendrai. Le moment venu ».

Puis, d’un air songeur : « Connaissez-vous monsieur Ni ? »

« Si je le connais ! Nous sommes les meilleurs amis du monde ! Que lui voulez vous ? »

« Je l’ai croisé ce matin », me répondit-t-elle. « Je pense l’avoir effrayé.

C’est un malentendu. Je ne lui voulais aucun mal. J’ai maladroitement manifesté ma surprise de le voir ici, aujourd’hui, alors que j’ai rendez-vous avec lui, après-demain, à midi, dans l’île de Nossi-Bé ».

Silence

Vous connaissez Nossi-Bé, monsieur Jo ?

C’est une petite île de l’océan Indien. Au bout du monde.

Un bijou ! Le Pa – ra – dis !

Monsieur JO, partant d’un grand éclat de rire.

Je vous laisse, monsieur Ziak. Il m’est impossible de rester plus longtemps.

Monsieur ZIAK

Quel triste sort est le mien !

On ne me prendra donc jamais au sérieux ?

FIN


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