Le public est installé. Rideau fermé, les 3 coups !
La sono commence à diffuser « Mon vieux » interprétée par Daniel Guichard.
Laisser chanter jusqu’au couplet 5 durant lequel le rideau s’ouvre : “ on n’recevait jamais personne, ça n’le rendait pas malheureux, Je crois, mon vieux...“
La chorale, soit est déjà en place, soit entre sur scène en chantant la suite en karaoké.
NB : vous pouvez simplifier en faisant chanter vos comédiens en karaoké depuis le début
ou en accompagnant Daniel Guichard.
CAMILLE est aux commandes, tel un chef d’orchestre.
Ils ne chantent pas tous très juste, surtout DENISE, très émue qui sanglote.
ACTE 1
Scène 1
CAMILLE, ADAM, CHARLES, DENISE,
IRMA, LUCIEN, SYLVAIN, YVONNE
La chorale des résidents.
Dans son vieux pardessus râpé,
Les jours de paie quand il rentrait
On l’entendait gueuler un peu
Mon vieux
Nous on connaissait la chanson,
Tout y passait, bourgeois, patrons
La gauche, la droite, même le bon dieu
Avec mon vieux.
Chez nous y-avait pas la télé
C’est dehors que j’allais chercher
Pendant quelques heures l’évasion,
Tu sais, c’est con !
Dire que j’ai passé des années
A côté d’lui sans l’regarder…
On n’a à peine ouvert les yeux
Nous deux…
CAMILLE
Soupir et bras levés vers le ciel, en signe de désespoir.
Stop !…. Mais vous me faites quoi là ? Et Denise ! Pourquoi tu pleurniches en chantant ?
DENISE
Cette chanson… Je repense au vieux pardessus râpé de mon regretté papa…
Et c’était aussi sa chanson préférée.
IRMA
C’est ta faute aussi Camille, là. Dans notre chorale “ les Joyeux Coucous “, on est des personnes sensibles, alors si tu nous branches sur radio nostalgie…
CHARLES
Le mieux ce serait de le faire façon « Ici Londres ».
Vous pouvez ajouter en fond sonore le fameux brouillage (ça se trouve sur internet) tandis que Charles parle avec le ton saccadé qui convient pour imiter De Gaulle.
Les Français parlent aux Français. Voici quelques messages personnels :
« Les dimanches étaient monotones… On ne recevait jamais personne ».
Je répète : « Les dimanches étaient monotones, on n’recevait jamais personne ».
« Dans son vieux pardessus râpé… Les jours de paie quand il rentrait… »
Je répète…
CAMILLE
Oui bon Charles ! On va pas vous écouter élucubrer jusqu’au débarquement. Je sais pas ce que vous avez ce matin mais vous chantez faux ! Allez ! On se le refait ce couplet…
Elle lève les bras, prête à diriger un nouvel essai et donne le ton de la première note…
Les dimanches étaient monotones…. Do… Do…
LUCIEN
Prenant l’initiative de chanter en impro.
C’est p’t être exprès qu’on chante faux
Et qu’on s’emmêl’ tous les pinceaux
Parce qu’on n’veut pas faire des envieux, mon vieux,
SYLVAIN
Alors on chante comme des tocards
Pour pas vexer Daniel Guichard
Tant pis si c’est pas mélodieux, mon vieux
DENISE
Chantant juste cette fois (tonalité montante).
Si on voulait s’lâcher la voix,
On s’rait d’jà tous à l’Olympia,
Elle se tourne vers Camille et pointe son index vers elle.
Toi t’en croirais pas tes oreilles… Ma vieille…
CAMILLE
Applaudissant doucement
Eh ben, tu vois Denise quand tu veux.
Denise flattée se redresse fièrement.
N’empêche que vous aviez bien monté votre coup. Parce que là, ne mes dites pas que c’est de l’impro…
SYLVAIN
Oui bon… On avoue. On a voulu te taquiner.
DENISE
Parce qu’en vrai, moi, j’ai le niveau pro !
LUCIEN
ça va là Denise ! On sait tous que t’es passée à « The voices kids », mais c’était il y a longtemps ! Très longtemps !
ADAM
Moqueur
Si longtemps que ça ne s’appelait pas « the voices kids ».
A cette époque lointaine, c’était « L’école des fan’s ».
CHARLES
Oui, bon, Adam, un peu de respect s’il vous plaît !
ADAM
V’là t-y pas que “Mon Général“ se met à me vouvoyer !
LUCIEN
Maintenant, Camille, si tu veux de l’impro…
Il se tourne vers Denise et chante...
A la télé en noir et blanc,
T’avais chanté « prendre un enfant
Par la main » ou par les oreilles, ma vieille…
YVONNE
Elle enchaîne elle aussi en chantant.
J’suis désolée ma pauv’ Denise,
Mais si j’en crois c’que les gens disent
T’as massacré grave Yves Duteil, ma vieille,
C’était y-a plus de 50 ans…
Denise se met à pleurer.
IRMA
Prenant Denise dans ses bras pour la consoler
Voyons, voyons… A mon avis, plutôt que Duteil, en pleine période yéyé, t’aurais mieux fait de chanter un succès anglais.
SYLVAIN
Denise qui chante en anglais… (Il prononce à l’anglaise) Imagine !
CHARLES
Baisemain à Yvonne
Chanter en anglais, Pfff… Cher ami, c’est là une très mauvaise idée. Vous n’êtes pas sans savoir, que j’ai été contraint quant à moi de m’exiler 5 longues années…
CAMILLE
Et c’est reparti !
CHARLES
… 5 longues années au pays des rosbeefs ! Un calvaire, mes amis, un calvaire !
Au milieu de tous ces gens qui parlent avec un accent épouvantable à force de se nourrir de plats plus épouvantables encore… Le plus dur ma chère, cela n’a pas été les bombardiers allemands, mais bien la nourriture britannique.
CAMILLE
Arrêtez ! On ne va jamais y arriver ! Dès que j’essaie de vous remettre dans le ton, vous vous mettez à plaisanter, à déconner grave !
ADAM
Oh la la ! Si on peut plus rigoler !
CAMILLE
Adam, tu es le maire de notre commune et peut-être devrais-tu montrer l’exemple, non ?
CHARLES
Affirmatif !
CAMILLE
Et je vous rappelle que nous chantons « mon vieux » à Noël devant tout le village et aussi quelques cantiques lors de la messe de minuit…
Et… Qu’il y aura même l’Evêque en personne.
YVONNE
Pour ma part, je refuse de chanter dans ces conditions : c’est le pape ou rien !
LUCIEN
Il faut comprendre aussi. On risque de se retrouver à la rue, peut-être en plein hiver, si jamais la résidence ne trouve pas de repreneur.
Alors on n’a pas vraiment le cœur à chanter.
IRMA
Les prenant tous à témoin.
« Pas le cœur à chanter »…
Elle fait des jeux de mots et même pas exprès en plus !
CAMILLE
Justement ! Autant se changer les idées en chantant.
Allez ! Avec moi “ Les Joyeux Coucous “ !
On reprend à « Nous on connaissait la chanson » !
A nouveau doigt levé pour donner le ton.
Nous on connaissait la chanson… Do… Do…
Les 7 choristes
Ils chantent juste cette fois.
Nous on connaissait la chanson,
Tout y passait, bourgeois, patrons,
La gauche, la droite, même le bon dieu
Avec mon vieux.
Chez nous y-avait pas la télé
C’est dehors que j’allais chercher
Pendant quelques heures l’évasion,
Je sais, c’est con…
Entrée soudaine de madame Henriette, la directrice.
Scène 2
LES MÊMES et HENRIETTE
HENRIETTE
Bonjour à toutes et tous. Désolée d’interrompre votre répétition, mais j’ai du nouveau.
Tous les autres.
Bonjour !
CHARLES
Du nouveau ? Mais à quel sujet ?
IRMA
Ben… Les problèmes de pognon de la résidence tiens !
HENRIETTE
Exact ! Bien deviné Irma !
DENISE
Elle n’a pas trop de mérite non plus. Elle a été voyante, non ?
IRMA
Et je le reste encore, même à la retraite.
HENRIETTE
Donc, comme vous le savez déjà, notre groupe, “Corpayant“, souhaite céder à des investisseurs privés la gestion de nombreuses résidences et EHPAD dont il a la charge.
Je viens d’être informée qu’il y a une offre de rachat jugée recevable par le tribunal.
Auquel cas, nous allons peut-être changer de propriétaire.
SYLVAIN
En tant que comptable, j’aurais aimé en être informé.
HENRIETTE
Désolée, Sylvain, mais je viens de recevoir l’info il y a quelques minutes.
SYLVAIN
Pardon ! Et c’est qui les repreneurs ?
IRMA
Vision soudaine. Voix forte, yeux fermés, mystérieuse.
Ah !... Je vois… Je vois… Je le vois !
YVONNE
Mais… Vous voyez quoi Irma ?
IRMA
Je le vois !
Bras tendu, elle pointe son doigt vers le public.
Là !
Les autres dirigent leur regard vers le coin indiqué.
CAMILLE
Il n’y a rien !
IRMA
Mais si voyons ! Regardez : Le minaret !
LUCIEN
Mais quel minaret ?
IRMA
Ils vont transformer la résidence en mosquée et construire un minaret dans notre jardin à la place du barbecue et du terrain de boule !
Brouhaha dans les rangs.
CHARLES
Accent gaullien.
Le terrain de boules ? Ah non ! Pas touche à notre terrain de boules !
LUCIEN
Mais qui voudrait construire un minaret dans notre parc ?
IRMA
Ben les Emirs tiens.
CHARLES
Ah mais non ! Sauvons nos cochonnets !
Il se met à chanter.
Formez vos bataillons, marchons, marchons, qu’un sang impur…
YVONNE
Charles !
HENRIETTE
Incroyable Irma ! Je sais pas comment tu as deviné...
LUCIEN
Deviné !... Mais deviné quoi ?
Silence gêné d’Henriette.
ADAM
Deviné que l’offre de rachat validée ce sont des Qataris ! Voilà.
Geste d’agacement d’Henriette.
CAMILLE
Ah ! Et toi Adam, évidemment, t’es déjà au courant !
YVONNE
Tu parles… C’est bien connu : les oreillers ont des oreilles !
Alors madame la directrice… Vous nous dites quoi ? Minaret ou pas minaret ?
HENRIETTE
Je ne sais pas !… C’est bien une offre de rachat par des Qataris qui tient la corde auprès du tribunal. Après… Vont-ils vraiment construire un minaret ?... ça…
LUCIEN
Un minaret ou un nouveau stade de foot de 150 000 places pour la finale de la coupe du monde 2038.
CHARLES
Les Qataris ! Encore les Qataris ! Ils rachètent tout ce qui passe !
Mais n’ayez crainte ma chère, je préviens le général Leclerc et avec sa 2ème division blindée et nous allons repousser les envahisseurs.
CAMILLE
Mon général ! Nous sommes en 2025 ! (Au besoin, actualiser la date)
CHARLES
2025 ? (Il compte un peu sur ses doigts.)
Mon dieu… 2025 et la guerre n’est pas encore finie !
CAMILLE
Et le général Leclerc est mort !
CHARLES
Désemparé.
Leclerc ? Mort ? Mais c’est incroyable ça !
Et on attendait quoi pour me prévenir, hein ?
Leclerc ! Le pauvre…
Soudain ragaillardi.
Je vais de ce pas réunir mon état-major… Ils vont m’entendre !
Il se dirige vers la sortie. Yvonne fonce le rattraper par le bras.
YVONNE
Voyons Charles ! Vous n’allez pas m’abandonner alors que l’ennemi approche !
Restez. Je vous le demande.
CHARLES
Ah… (Infantile) Alors si vous me le demandez, Yvonne, je veux bien.
HENRIETTE
Ecoutez moi s’il vous plaît ! L’option des Qataris, ce n’est peut-être pas le pire.
Il est fort probable que certaines résidences ne seront pas reprises faute de rentabilité.
Et comme vous le savez, ici, notre résidence « les joyeux coucous » est relativement petite et peu rentable... Donc, notre fermeture définitive est sérieusement à envisager.
DENISE
Donc pas de minaret, pas de stade grandiose… Tous à la rue ?
HENRIETTE
Non évidemment ! Vous serez tous relogés ailleurs, mais le calendrier a été avancé.
DENISE
C’est-à-dire ?
HENRIETTE
On fermerait début janvier.
CAMILLE
Eh bien joyeuses fêtes à tous !
HENRIETTE
On m’a juste garanti que vous ne seriez pas à la rue mais ventilés dans d’autres établissements.
YVONNE
Mais je refuse d’être ventilée moi.
CHARLES
Lui réajustant son foulard.
Ma pauvre amie ! Vous qui craignez tant les courants d’air.
HENRIETTE
Je vous tiens tous aussitôt informés quand je sais comment tout cela va se dérouler.
Bon… Je monte informer les autres résidents dans les étages.
Elle sort. Court silence.
Scène 3
LES MÊMES sans Henriette.
Sylvain va vérifier à la porte qu’Henriette s’est éloignée.
SYLVAIN
C’est bon… Elle est bien partie.
LUCIEN
C’est quoi ça ? Tu te crois dans un film d’espionnage ?
CAMILLE
Ah c’est vrai… Tu es là toi !
LUCIEN
Hou là ! Je sens que ma présence dérange. Et ce n’est pas la première fois…
Bon ! C’est quoi le problème ?
ADAM
Te vexe pas Lucien. C’est pas personnel et on t’expliquera le moment venu.
LUCIEN
D’accord ! Le moment semble déjà venu pour tout le monde, mais pas pour moi.
Et… On peut savoir le moment de quoi ?
CAMILLE
Le moment de tout t’expliquer ! C’est comme ça. T’es pas n’importe qui dans cette affaire alors on doit te ménager.
LUCIEN
T’es sérieuse là… En fait, je crois plutôt que tu te fous ouvertement de ma gueule non ?
Un peu de respect ce serait trop demander ?...
CAMILLE
Je te jure que le moment venu tu comprendras et…
LUCIEN
Vous me faites chier avec votre “moment venu“. Eh puis tiens ! Oui, le moment, il est venu que je me casse pour pas supporter davantage vos airs d’Hypocrites.
Il consulte sa montre.
ça tombe à pic, j’ai mon cours d’aquarelle ! ça va me calmer…
Il sort en colère.
Scène 4
ADAM, CAMILLE, CHARLES, DENISE,
le père ETIENNE, IRMA, SYLVAIN, YVONNE
CAMILLE
Il va falloir mettre Lucien dans le coup. Je me mets à sa place c’est insupportable.
SYLVAIN
Croyez bien qu’Adam et moi regrettons cette situation, mais c’est indispensable de prendre des précautions avec Lucien… Et puis on n’a plus guère le temps de tergiverser. Vous avez raison : on va lui parler aujourd’hui même et le problème sera résolu.
CAMILLE
Oui enfin… Résolu… Résolu… C’est sans compter sur ce qu’on va lui apprendre et comment il va réagir notre Lucien…
Entrée du père Etienne.
LE PERE ETIENNE
Ah ! Vous êtes encore là. Tant mieux ! Bonjour à tous.
Les autres
Bonjour mon père (ou certains : bonjour monsieur le curé).
LE PERE ETIENNE
Je venais assister un peu à votre répétition de chants pour la messe de noël.
CAMILLE
Désolé monsieur le curé ! Revenez demain. La répétition est terminée pour aujourd’hui.
LE PERE ETIENNE
Ah c’est dommage… Tant pis ! Mais j’ai aussi une excellente nouvelle à vous annoncer…
Vous n’allez pas me croire ! La cagnotte en ligne sur le site de notre paroisse vient de dépasser les 3.200€ !
Tous les autres
Peu enthousiastes
Ah ?
LE PERE ETIENNE
Vous n’avez pas l’air de vous rendre bien compte : 3.200€ !
YVONNE
Mais si ! C’est formidable 3.200€… Sauf que…
IRMA
Sauf que pour racheter la résidence, il faudrait entre 8 à 10 millions !
LE PERE ETIENNE
Je ne sais plus qui a dit ça mais : « Ce n’est qu’un début, continuons le combat ».
Et j’ai donc convaincu notre évêque de relayer notre cagnotte dans toute la paroisse.
DENISE
Mais c’est formidable ça !
CAMILLE
Soit ! Mais sachez, mon père, que notre directrice vient de nous apprendre qu’il y aurait un acheteur potentiel pour notre résidence. Il s’agit de Qataris.
LE PERE ETIENNE
Des Qataris ! Ciel des Qataris !
CHARLES
Du calme curé ! On va construire la ligne Maginot sud entre Perpignan et Menton.
CAMILLE
Mais, la bonne nouvelle, paradoxalement, c’est que notre résidence, peu rentable, risque fort de ne pas intéresser ces généreux émirs.
YVONNE
Et que, par conséquent, la résidence, pas rachetée, pourrait fermer début janvier !
IRMA
Et nous serons alors répartis ici ou là dans d’autres établissements.
CHARLES
Surtout pas en Angleterre à bouffer des gélatines infectes dès le petit-déjeuner !
LE PERE ETIENNE
Il nous reste donc environ un mois pour réussir ce que nous avons entrepris.
Réussir nos deux cagnottes en ligne !
La vôtre... Disons classique ! Et la mienne avec la bénédiction de notre évêque et de notre Seigneur tout puissant !
CAMILLE
Euh… Oui ! Tout à fait.
LE PERE ETIENNE
Mais un mois, c’est court. Bon… Et bien si la répétition est terminée je vous laisse.
Il se dirige vers la sortie donnant vers l’extérieur.
CAMILLE
Je dois vous laisser, moi aussi, J’ai le cours de yoga au 3ème étage.
Camille et le curé sortent chacun d’un côté opposé.
DENISE
Il y croit dur comme fer le curé à sa cagnotte miraculeuse !
SYLVAIN
Tant mieux ! C’est essentiel qu’il y croie… Qui sait ?… Un petit miracle après tout…
YVONNE
Sylvain ! Tu ne serais pas en train de mijoter un truc dans le dos du curé par hasard ?
SYLVAIN
Moi ? Mais quelle idée !
IRMA
Ce qui me chiffonne c’est Lucien… Il a deux enfants et quatre petits-enfants et donc, pour utiliser sa fortune, peut-être d’autres projets que de racheter notre résidence…
CHARLES
Eh bien moi, j’en ai un de projet… J’ai vu une annonce immobilière pour une magnifique propriété à la campagne… Mais bon… C’est pas donné !
YVONNE
Je crois que vous rêvez Charles, mais vous me montrerez ?
CHARLES
Oui. Tout à l’heure, sur votre ordinateur !
YVONNE
J’en reviens à Lucien : qui va lui parler ? Parce que, vu ce qu’on doit lui demander, il va falloir beaucoup de diplomatie !
SYLVAIN
Adam va s’en charger. Il a toutes les cartes en main pour le convaincre.
DENISE
Le convaincre gentiment ?
ADAM
Evidemment !
DENISE
Tant mieux parce que ça devient pesant de le tenir ainsi à l’écart, on vient de constater dans quel état il est à cause de nos cachoteries. Le pauvre !
YVONNE
Le pauvre, le pauvre… C’est pas vraiment le mot qui convient vu ce qu’on sait à son sujet.
IRMA
Au fait ? On en est à combien dans notre… Disons… Notre cagnotte à nous ?
SYLVAIN
Eh bien… Arrêté à hier soir 22h : les dons, enfin les…Les… Bref ! ça se montait à…
Environs 2 millions d’euros.
Retour soudain de Lucien
Scène 5
ADAM, CHARLES, DENISE, IRMA, LUCIEN, SYLVAIN, YVONNE.
LUCIEN
J’ai entendu “ 2 millions d’euros“…C’est quoi ce pognon ?...
YVONNE
Ben Lucien ?… Et ton cours d’aquarelle ?
LUCIEN
Cours annulé. La prof est en rade avec sa bagnole.
Bon… C’est quoi ces 2 millions d’euros dont vous parlez ?
CHARLES
C’est la somme qui a été parachutée hier soir en Normandie pour aider la résistance à préparer le débarquement.
LUCIEN
Des euros en 1944 ? Vous me prenez vraiment pour un pigeon mon général !
CHARLES
Des pigeons ? Mais voyons mon ami, c’est totalement dépassé ça les pigeons. Ce sont les avions de la Royal Air Force qui ont survolé la Normandie et qui ont largué le pognon.
LUCIEN
Bon... C’est peut-être le moment de me dire ce que vous complotez dans mon dos, non ?
ADAM
OK…
Adam et Sylvain hésitent et s’interrogent du regard et par gestes.
LUCIEN
Mais vous me faites quoi à la fin ? Vous faites vos réunions secrètes à l’heure de mes cours d’aquarelle ou de yoga et quand je pose des questions vous êtes tous évasifs, très évasifs… Je me sens mis à l’écart. Vous n’avez pas confiance en moi ou quoi ?
DENISE
Voyons Lucien ! Ne vous mettez pas de telles idées en tête. Vous êtes des nôtres.
LUCIEN
On dirait pas… Je sens un truc… Une ambiance bizarre.
YVONNE
Chacun jouera son rôle le moment venu et pour vous, Lucien, le moment n’est pas venu.
IRMA
C’est comme en athlétisme : vous serez notre dernier relayeur, celui qui va le plus vite…
Le champion qui refait le retard et qui emporte la médaille d ‘or !
DENISE
La carte maîtresse que l’on sort alors que la partie semblait perdue…
LUCIEN
Vous n’en faites pas un peu trop là ?
ADAM
Bon… D’accord, on va tout t’expliquer. Mais avant, on a besoin de refaire un point entre nous… Tu nous laisses un petit quart d’heure. Tiens ! En attendant, tu peux pas aller nous chercher à boire s’il te plaît ? A ton retour on te dit tout.
LUCIEN
- ça marche. Mais quand je reviens vous lâchez le morceau… Promis ?
ADAM
Promis, juré !
CHARLES
On a chanté sans boire un coup pendant une heure, maintenant on cause, on cause…
LUCIEN
- J’y vais, je rapporte quoi ?
ADAM
Ce que tu veux, pas d’alcool. Flotte et jus de fruits… Et des verres pour tout le monde.
Lucien compte du doigt les personnes présentes et sort.
Scène 6
ADAM, CHARLES, DENISE, le père ETIENNE, IRMA, SYLVAIN, YVONNE.
SYLVAIN
Se levant d’un bond.
Adam, fais comme moi avec l’autre porte !
Devant les autres ébahis, Sylvain empoigne une chaise et va coincer la porte par laquelle Lucien est sorti.
Adam l’imite et va barricader l’autre porte mais pas assez vite :
Retour du père Etienne.
Adam bloque la porte derrière le curé.
LE PERE ETIENNE
Incroyable ! Faut que je vous dise sans plus attendre ! Notre évêque m’a envoyé un mail : non seulement il relaie notre cagnotte dans toute la paroisse mais tenez-vous bien !...
Il fait durer le suspense.
Il a transmis notre situation, la résidence, les tuiles de notre église et nos cloches fissurées directement au Vatican pour un soutien international ! C’est ouf non ?
YVONNE
Ça je dois dire que c’est inattendu et inespéré.
DENISE
Et que ça fait chaud au cœur.
IRMA
Maintenant, reste à savoir si le Vatican va relayer l’info et soutenir la démarche.
Le PERE ETIENNE
Mais bien sûr ! Il faut avoir la foi !... Mais j’y pense… Je ne vous ai pas demandé tout à l’heure : votre cagnotte à vous ça marche ?
ADAM
Et bien oui… La… La cagnotte, ça avance, ça avance…
LE PERE ETIENNE
Je vois, vous hésitez à me donner le montant. Vous êtes loin de mes 3.200€ !
SYLVAIN
Oui. Très loin.
LE PERE ETIENNE
Ah vous voyez ! Vous faites la fine bouche sur mes 3.200€ mais de votre côté vous êtes à la ramasse comme on dit aujourd’hui. Alors… C’est qui le champion ?
SYLVAIN
C’est vous mon père, incontestablement…
Le curé se dirige vers la sortie en dansant et chantant « We are the champion’s »…
Adam le rattrape juste avant la porte.
ADAM
Restez mon père ! Je crois souhaitable de vous mettre dans certaines confidences.
Air contrarié de Sylvain et air dubitatif des autres.
LE PERE ETIENNE
A Adam qui ne sait comment poursuivre.
Vous voilà bien mystérieux… Je vous écoute…. Eh bien ?....
Vous préférez peut-être venir à confesse ? C’est possible vendredi entre 10h et midi.
SYLVAIN
OK ! Tu as peut-être raison, Adam… On va jouer en équipe, même si j’avoue qu’au départ je voulais que notre curé reste prudemment à l’écart et joue son rôle en toute innocence.
LE PERE ETIENNE
Heureux les innocents !
DENISE
Euh… le père Etienne a un rôle à jouer ? Mais Sylvain et toi, vous manipulez tout le monde en fait ! A commencer par nous quatre ici présents, les membres du personnel et maintenant le père Etienne ! Et sans compter Lucien…
LE PERE ETIENNE
Attention hein. Moi je suis tenu de respecter les préceptes de notre Sainte Mère l’église.
IRMA
Sylvain, Adam ! ça suffit ! Entre Lucien et le père Etienne qui sont tenus complètement à l’écart et nous autres qui semblons ne savoir qu’une partie de vos magouilles, il serait temps de mettre tout le monde à niveau… Vous ne croyez pas ?
SYLVAIN
- On vous dit tout ! Vous allez tous comprendre le bien-fondé de nos cachoteries.
DENISE
On écoute !
ADAM
On n’a pas tout dit pour ne pas vous inquiéter…
Certains aspects de l’opération de rachat comportent des risques.
LE PERE ETIENNE
Emoustillé.
Des risques ? Quel genre ?
CHARLES
Se déplaçant vers une porte un une fenêtre comme pour surveiller.
N’ayez crainte, j’assure nos arrières et si vous avez besoin d’appui aérien, je vois Churchill demain matin.
IRMA
Adam ! C’est quoi précisément les risques dont il est question ?
ADAM
Ben… Notre plan, en fait, c’est pas très, très légal.
LE PERE ETIENNE
Aie ! Aie ! Aie !... D’un autre côté… ça a l’air plutôt excitant…
SYLVAIN
Avant que Lucien ne rapplique, je vous explique en quelques mots. (A Adam.) Je peux ?
ADAM
A toi l’honneur ! Je complète au besoin.
SYLVAIN
Voilà… En fait, Lucien a… Comment dire… Un passé un peu trouble.
YVONNE
Lucien ? Notre Lucien ? Un passé trouble : vous êtes certains ?
ADAM
Yvonne, avant d’être retraité et maire du village, j’étais officier de police…
J’ai gardé des contacts et j’ai vérifié.
DENISE
Lucien ? Mais c’est n’importe quoi ! Et ce serait quoi son passé trouble ?
SYLVAIN
Avant d’arriver ici, il a purgé 4 ans ferme à …...………………… (Prison près de chez vous)
Fausse monnaie !
Ils sont tous effarés.
IRMA
Non ! J’ai peur de comprendre…
Ne me dites pas que tous les billets que nous glissons dans les enveloppes et qu’on envoie par La Poste depuis quelques semaines, c’est que des faux ?
SYLVAIN
Ben.. Si !
YVONNE
J’y crois pas ! Vous nous avez baladés tout ce temps en nous faisant croire que Lucien était plein aux as !
ADAM
Baladés… Baladés… Pas vraiment puisque, même faux, cet argent peut nous sortir d’affaire. Dieu merci !
LE PERE ETIENNE
Laissez Dieu en dehors de cela, tant que je n’en sais pas plus sur vos intentions !
IRMA
Ah ! Des faux billets peuvent nous tirer d’affaire ? Et comment ?
SYLVAIN
On n’a déjà plus de 2 millions d’euros, non ?
LE PERE ETIENNE
Ebahi.
2 millions ! Vous avez bien dit 2 millions !
Dépité.
Mais alors… Avec mes pauvres petits 3200€… I’m not the champion !
IRMA
2 millions de fausses thunes !
SYLVAIN
Au départ oui, mais là, c’est devenu des vraies…
LE PERE ETIENNE
Mais comment c’est possible ?
SYLVAIN
Et bien voilà : avec Adam on a…
DENISE
Mais sa fausse monnaie à Lucien, rassurez-moi… C’était il y a longtemps ?
YVONNE
Tu demandes ça pourquoi, Denise ?
DENISE
Ben c’est important parce que s’il a commencé à exercer son activité avant 2002, il a accumulé une fortune en francs…
Et là… Un magot en francs et ben c’est peau de balle !
YVONNE
T’as pas l’air, Denise, mais t’as l’esprit vachement pratique en fait.
ADAM
Je vous rassure : il y a peu probable qu’il y ait des francs.
Lucien aurait trafiqué surtout après 2005 et jusque 2015, donc après le passage à l’euro.
LE PERE ETIENNE
Yes ! Tout le pognon reste palpable. Merci mon dieu ! (Signe de croix)
SYLVAIN
Il pourrait aussi y avoir des devises étrangères, notamment des dollars.
LE PERE ETIENNE
Des dollars ?
Il sort son téléphone mobile.
IRMA
Vous faites quoi là mon père ?
LE PERE ETIENNE
Je calcule le prix de mes tuiles en dollars…
Il tapote toujours sur son téléphone.
Et aussi le prix des cloches.
Certain(e)s hochent la tête de dépit.
YVONNE
S’adressant à Adam et Sylvain.
Dites-moi les deux tordus, là ! Expliquez-nous comment la monnaie de singe de Lucien se transforme en véritables devises ? C’est qui le magicien ?
SYLVAIN
Moi !... Enfin… Avec Adam et aussi grâce à votre aide précieuse…
IRMA
Ça me désole de l’avouer, mais là… Je ne vois pas !
LE PERE ETIENNE
Peut-être que… Oui ! C’est ça ! J’ai l’idée du siècle là !
Vous me confiez la mission d’aller à Lourdes tremper ces faux billets dans l’eau de la grotte miraculeuse et là je vous en fiche mon billet qu’en moins de 5 minutes…
YVONNE
Sans doute qu’en moins de 5 minutes on aura de l’argent liquide !
DENISE
A votre retour de Lourdes, mon père, on mettra tous les billets à sécher au soleil, sur les fils à linge dans le parc...
IRMA
Fabuleux décor bouddhiste ! Ce serait tellement beau…
YVONNE
Et tellement discret…
CHARLES
Ils seraient tout décolorés et inutilisables pour être parachutés.
YVONNE
Sérieux ! Je me demande bien pourquoi Lucien a conservé depuis tout ce temps cette fortune dans sa chambre, si elle est fausse…
LE PERE ETIENNE
Ah ! Les voies du Seigneur ! Chère Yvonne, les voies du Seigneur !
Il nous envoie un signe !
Et, par principe, il ne faut pas contrarier les signes divins.
YVONNE
Offusquée.
Mon père ! Voyons !
LE PERE ETIENNE
Ignorant le rappel à l’ordre d’Yvonne.
Donc, il y aurait moyen d’utiliser cet argent ? Vous avez parlé de 2 millions déjà…
Tout excité.
Vous vous rendez compte ? Déjà 2 millions et déjà transformés que vous dites ?...
C’est prodigieux !
IRMA
Soit ! Mais de là à atteindre les 8 ou 10 millions d’euros nécessaires…
SYLVAIN
2 millions grâce à la petite valise de Lucien. Ses 3 autres sont cadenassées.
ADAM
On ne sait donc pas le montant total exact.
Vu la taille des trois grosses valises on a juste une idée du volume global…
LE PERE ETIENNE
Ah ! Volume global !… J’adooore ! ça sonne bien ça ! Mieux en tout cas que mes cloches qui déclenchent le hurlement de tous les chiens du village.
ça doit faire quoi ?... Environ un stère… ?
CHARLES
Ça sent le marché noir… Je hais le marché noir.
ADAM
Trois grandes valises bleues et la plus petite verte.
CHARLES
Bleu, vert… Donc pas de marché noir.
DENISE
Mais selon ce qu’il y a dedans, des liasses de biftons de 50 ou des rouleaux de pièces jaunes, c’est pas du tout pareil.
YVONNE
Denise ! T’as déjà vu un trafiquant s’occuper de pièces jaunes ?... A part Bernadette…
LE PERE ETIENNE
Bernadette ? Ah vous voyez que vous aussi vous pensez à Lourdes !
DENISE
Voyons mon père… Elle ne parle pas de votre Bernadette de Lourdes.
Mais de l’autre… L’épouse de l’ex-président… Jacques… Le fondu de tête de veau…
SYLVAIN
Notre complice, celle qui… Enfin celle ou celui qui veut rester anonyme, a subtilisé 4 millions de billets rien que dans la petite valise verte, la seule à n’être pas verrouillée.
Stupeur générale !
LE PERE ETIENNE
C’est 2 millions ou 4 ? En tout cas, j’ai pas l’air con, moi – Pardon ! - avec mes 3200€…
YVONNE
Il a raison le curé : c’est 2 ou c’est 4 millions ?
SYLVAIN.
En fait, il vous faut comprendre que pour transformer les faux billets ça coûte la moitié.
Donc à cet instant il ne nous reste que 2 millions en vrais billets. La moitié.
YVONNE
Comment ça la moitié ?
ADAM
Oui ! La moitié mais des vrais.
LE PERE ETIENNE
Ça gâche un peu la fête mais bon…
DENISE
Ironique.
Ben oui, évidemment ! Vous collez les faux billets 2 par 2 et ça devient des vrais !
LE PERE ETIENNE
A Sylvain et Adam.
En fait, vous, vos miracles… C’est comme notre Seigneur Jésus, mais… A l’envers.
YVONNE
C’est ça : à l’envers ! Ces deux-là nous la font à l’envers !
Va falloir nous expliquer comment vous faites pour avoir de vrais billets avec des faux et aussi le phénomène hallucinant de la division cellulaire des billets.
IRMA
Vous pensez comme moi ?... Il y en a qui prennent leur commission au passage.
CHARLES
Il faudra rendre des comptes après la libération.
ADAM
Hé… Vous ne croyez quand même pas que Sylvain et moi, on empoche une commission au passage ? N’oubliez pas qu’à la base j’étais flic.
IRMA
Ouais… Mais les ripoux, ça existe ! Et puis ne négligeons pas le fait que t’es devenu maire. Et ça… Dès qu’on franchit la barrière entre électeurs et élus, on se croit tout permis et ça dérape, grave ! Y-a des précédents, tellement de précédents fâcheux…
LE PERE ETIENNE
Elle a raison. “L’habit ne fait pas le moine“.
J’ai moi-même quelques collègues qui ont dérapé grave et je ne parle pas de pognon…
SYLVAIN
Arrêtez ! La perte de valeur c’est juste le prix à payer pour blanchir les faux billets.
DENISE
Ah… Et qui c’est-y qui perçoit la différence ?
SYLVAIN
Les donateurs : ceux à qui vous envoyez les faux billets dans les enveloppes.
YVONNE
Des donateurs ? Mais le donateur, enfin… Malgré lui pour le moment, c’est Lucien.
DENISE
Et puis des donateurs ça donne ! ça prend pas !
SYLVAIN
Agacé.
Mais laissez-moi vous expliquer ! Merde !
Donc, au départ, il y a quelques semaines, Adam et moi avons mis en circulation quelques billets, puis des liasses…
IRMA
Qu’est-ce que je disais ? Bonjour l’ancien flic !
SYLVAIN
Agacé.
… quelques liasses, ici ou là, dans la région, pour tester. Aucun problème, aucune détection. Ni à la Poste, ni à …………...………………...…. (banque locale réelle ou fictive).
LE PERE ETIENNE
C’est passionnant ! Pas très réglo, je le concède. Mais passionnant.
IRMA
Lucien est donc un véritable artiste… Bizarre, il n’a pas vraiment le profil !
YVONNE
Bon, c’est pas Van Gogh non plus !
Dis voir Denise… C’est pas toi qui le trouvait bel homme notre Lucien ?
DENISE
N’importe quoi ! J’ai peut-être dit ça, comme ça, une fois en passant...
Encore que, là… Maintenant à bien y regarder…
Se délectant du prénom.
Lucien… Ah Lucien…Lucien et… (Soupir) ses valises… Hum…
LE PERE ETIENNE
Voyons ma fille !
ADAM
Et bien sûr le problème, c’est que Lucien ne sait pas qu’on sait pour son passé, ses valises et ses billets… Du coup, on ignore combien de fric il y a en tout.
LE PERE ETIENNE
Et que ce serait quand même très intéressant de savoir, non ?
IRMA
Ce soir j’entre en transe et demain matin, promis, si Lucien ne crache pas avant, je vous annonce le montant de chaque valise et le total.
SYLVAIN
Donc à ce jour, on a subtilisé environ 4 millions.
Pour les blanchir, j’ai d’abord créé, il y a environ un mois, un compte dans les îles Caïmans, et dans la foulée, j’ai…
Coups à la porte. C’est Lucien qui revient avec la boisson.
Scène 7
ADAM, CHARLES, DENISE, LE PERE ETIENNE,
IRMA, LUCIEN SYLVAIN, YVONNE,
LUCIEN (off)
Ouvrez, je suis chargé là. C’est quoi ce bordel de vous enfermer ?
YVONNE
Et merde ! Juste au moment où on allait comprendre pour ces fameux donateurs à qui, au final, on donne la moitié des thunes !
ADAM
Bon, plus un mot ! Sylvain et moi on va s’occuper d’amadouer Lucien et de le mettre à contribution.
CHARLES
Je vous rappelle qu’en certaines circonstances la torture peut se révéler efficace.
YVONNE
Voyons Charles !
CHARLES
Das ist Krieg, meine liebe ! C’est la guerre !
LUCIEN (off)
Hé vous m’entendez ? Mais ouvrez, merde alors !
CHARLES
Ok ! On t’ouvre seulement si tu es revenu avec tes liasses.
Regard noir d’Adam et Sylvain à Charles.
LUCIEN (off)
Je vous préviens dans 10 secondes je lâche le plateau ! 1 – 2 – 3…
SYLVAIN
A tous en se dirigeant vers la porte.
Plus un mot ! Faites-nous confiance.
Lucien entre avec un plateau de rafraichissements.
LUCIEN
Mais c’est quoi cette idée de vous enfermer ?
SYLVAIN
Tu peux comprendre, vu les sujets qu’on aborde, qu’on n’a pas envie de…
LUCIEN
Mais justement ! Je ne sais pas les sujets que vous abordez.
J’ai bien surpris, ici ou là, quelques bribes de conversations qui me font penser que vous complotez au sujet des menaces qui pèsent sur la résidence.
Mais pourquoi sans moi ?... Je croyais qu’on était potes.
Bon… Je suppose que je redresse d’abord les barricades ?...
Il remet la chaise pour barricader la porte, mais de façon à ce qu’elle tombe à la moindre poussée.
Allez ! On m’explique maintenant ? Parce que c’était le deal hein ? J’allais chercher à boire le temps que vous prépariez votre laïus et ensuite vous me déballez toutes vos magouilles.
Silence gêné des autres…
Ouais, ouais, ouais… Bon… Je vais vous aider un peu.
Vu vos hésitations, ça doit être plutôt louche votre truc… Pas honnête ? Illégal ?
CHARLES
Ben justement…
LUCIEN
Justement quoi ?
SYLVAIN
Tu as dit « illégal »… Et ben C’est ça !
LUCIEN
Tout en posant son plateau et alignant les verres.
Hou là ! Vous mijotez quoi ?
CHARLES
Bon ! On va pas tergiverser sinon c’est la gégène !
YVONNE
Charles !
CHARLES
Oui ma douce ?
YVONNE
Laissez nos amis négocier cela calmement entre eux s’il vous plaît !
DENISE
S’approchant, charmeuse, de Lucien.
Lucien, mon cher Lucien…
IRMA
Ah ? Tu donnes dans « Mon cher Lucien »…
DENISE
Elle vampe Lucien.
Lucien ! Nous pensons toutes et tous, enfin moi surtout, que vous pouvez jouer le rôle essentiel dans le sauvetage de notre belle résidence.
LUCIEN
Moi ?… Vous m’en voyez flatté, ma chère Denise, mais je ne vois pas trop ce que je peux faire de plus. C’est que j’ai déjà versé 37,70€ dans la cagnotte du père Etienne.
LE PERE ETIENNE
C’est peu ! Mais bon… Dieu reconnaîtra les siens…
Enfin… Au prorata de leur participation.
YVONNE
Les yeux au ciel.
37,70€ ! De quoi racheter… Euh… Tenez, la chaise qui bloque la porte d’entrée !
LE PERE ETIENNE
Hep hep hep ! ! Il s’agit de ma cagnotte à moi. Donc ces 37,70€, ce sont… Je regarde…
Calculette de son portable…
Voilà ! 6 pauvres petites tuiles toutes tristes sur le toit de notre église.
LUCIEN
Chacun fait selon ses moyens.
DENISE
Moyens ? Mais… Vous n’êtes pas quelqu’un de moyen, voyons Lucien !
Vous avez de la valeur !
IRMA
Et mêmes des valeurs… Des bagages bien au-dessus de la moyenne.
LUCIEN
Des bagages… Oui, bon… J’ai arrêté mes études à 16 ans…
CHARLES
Là on tourne autour du pot, on ne va pas y arriver !
Laissez faire l’artillerie !
Lucien, mon cher ami, nous allons posément parler des caisses à munitions pleines à craquer que vous conservez au-dessus de vos armoires…
La chaise remise par Lucien tombe et la porte s’ouvre.
SYLVAIN
Soupir et un peu énervé.
On va jamais y arriver !
Scène 8
LES MÊMES + GERMAINE.
Irruption de Germaine, la femme de ménage, avec son matériel dont un aspirateur
GERMAINE
Redressant la chaise.
Quoi que c’est-y que c’te bazar ?
Ah ! Y-a une réunion ici ?... C’était point marqué sur le planning.
Les autres
Bonjour Germaine.
SYLVAIN
C’est une réunion informelle, Germaine.
GERMAINE
Un formel ou deux ou trois, c’est point marqué sur le planning et moi c’est l’heure que je dois nettoyer z-ici. Et ça, que je dois passer l’aspirateur, c’est marqué sur mon planning !
Alors quoi qu’on fait ?
ADAM
Germaine ! Et… Si vous participiez à cette réunion, avec nous tous ? Non ?
GERMAINE
Moi ? Une réunion ? Hou la !
Que j’ai jamais fait ça de ma vie et que c’est pas à mon âge que je va commencer !
Allez, aller ! Tout le monde dehors : c’est l’heure que mon aspirateur doit se dégourdir les tuyaux et s’empiffrer les filtres.
SYLVAIN
Bon… Inutile d’insister… On va laisser la place à notre fée du logis…
GERMAINE
C’est ça : faut point déloger la fée du logis.
CHARLES
Pas question nous restons sur nos positions avancées et je donne l’ordre à chacun de…
ADAM
Allons mes amis… Nous reprendrons nos débats plus tard.
LUCIEN
Zut ! Juste au moment où j’allais enfin savoir. Mais je saurai un jour… Je saurai.
ADAM
Vous en avez pour combien de temps Germaine ?
GERMAINE
A la louche… dix minutes.
ADAM
Bon, nous reprendrons donc nos explications un peu plus tard…
Tous sortent sauf Germaine et Adam. Lequel va refermer la porte.
Scène 9
ADAM, GERMAINE, HENRIETTE.
Germaine qui pense être seule met son aspirateur en marche.
Adam arrive dans le dos de Germaine et lui tape sur l’épaule. Elle sursaute.
GERMAINE
Fort pour surpasser le bruit de l’aspirateur.
Aaaah ! Mais, vous êtes donc point sorti monsieur le maire.
Faut pas me flanquer la frousse comme ça, c’est que je suis cardiaco-sensible, moi.
ADAM
Il coupe l’aspirateur.
Germaine, je vous ai tendu la perche : c’était l’occasion pour vous de vous joindre à nous tous et de confirmer ce que nous savons.
GERMAINE
Pas question, je vous l’ai dit monsieur le maire, je veux point d’embrouille.
Déjà que c’est compliqué avec la fermeture, le licenciement, le chomdu…
ADAM,
Dommage, Lucien était là et c’était vraiment le moment de…
GERMAINE
Justement ! Il y avait monsieur Lucien et je veux point qu’il apprend que j’ai fouillé, et même plus que ça, dans sa petite valoche.
C’est un brave homme. Enfin… Même s’il semble bien qu’il a fait des bêtises par le passé… Parce que quand même, on dira c’qu’on veut, mais planquer autant de pognon…
ADAM
A ce sujet… Vous ne pourriez pas aller à nouveau regarder d’un peu plus près dans ces valises ? Trouver les clés des 3 autres et jeter un œil, histoire d’avoir une petite idée du montant total quoi…
GERMAINE
Oh que non ! J’ai pas envie de me faire virer encore plus tôt que prévu.
Je vous ai mis dedans le coup de ce que j’avais vu de mes propres yeux, à travers mes propres lunettes, mais que je me mouillerai pas plus profond.
ADAM
D’accord Germaine. Je comprends et je vous laisse à votre travail.
Germaine remet en marche son aspirateur.
Adam va vers la sortie mais Henriette revient en trombe au même instant.
HENRIETTE
Adam ah tu es là !…
Ah… Et vous aussi Germaine.
GERMAINE
Et ben cachez votre joie de voir votre agente de surface préférée, madame la directrice…
HENRIETTE
Mais non, Germaine ! C’est simplement que… Vous pouvez arrêter cet aspirateur ?
GERMAINE
Voilà ! Bon je vais vous laisser, je devine… C’est si charmant !
HENRIETTE
Mais ne vous imaginez surtout pas que… Que… Enfin vous voyez…
GERMAINE
Oh que oui que je vois !
HENRIETTE
Bon… Adam, il faut qu’on cause sérieusement.
ADAM
C’est que Germaine doit nettoyer et qu’elle tient à son planning.
GERMAINE
Elle sort sa feuille de planning.
Là que c’est écrit : Mardi 18h : salle commune.
Et quand que c’est écrit… Et ben que c’est écrit !
ADAM
On va dans ton bureau ?
HENRIETTE
Non il y a la secrétaire intérimaire, ce matin.
ADAM
En cuisine ?
HENRIETTE
Comme l’a dit Germaine, il est 18h… L’équipe est déjà au travail pour le souper.
ADAM
Bon alors la salle d’activités ?
HENRIETTE
Camille donne son cours de yoga !
GERMAINE
Après… Il y aurait bien l’hôtel, mais après tout, ça me regarde point.
ADAM
Mais voyons Germaine ! Vous sous-entendez quoi au juste ?
GERMAINE
Ben… Je sous-entends point.
Je vois ça que tout le monde voit, j’entends ça que tout le monde entend et donc je dis seulement ça que tout le monde dit !
HENRIETTE
Ah ? T’entends ça chéri… Euh…
GERMAINE
Et ben voilà ! Tout est dit ! C’est-y pas mignon !
HENRIETTE
Oh et puis merde ! A quoi bon… Toute la résidence et même le village sont apparemment au courant pour nous deux, alors…
ADAM
Tu crois ?
GERMAINE
Je confirme : ça cause chez le coiffeur, le boucher, le boulanger, le buraliste, à la poste…
Y-a juste au cimetière que ça cause point…
Et encore… Même pas sûr !
HENRIETTE
Oh et puis zut ! Y’en a marre de se cacher !
Mais bon… Germaine ! Là il faut me laisser parler avec Adam, enfin… Avec monsieur le maire. C’est urgent ! Je vous dispense du ménage de cette salle… Ou tenez, revenez dans 10 minutes... Oui 10 minutes ça devrait suffire.
GERMAINE
Pas de problème, si c’est pour la bonne cause… Mais 10 minutes … Franchement, si vous voulez mon avis, en 10 minutes… ça va point être l’extase du siècle.
Elle sort laissant là son aspirateur.
Scène 10
ADAM, HENRIETTE.
ADAM
Elle en prend un peu à son aise quand même non ?
HENRIETTE
D’accord. Mais cela dit, on est un peu coincés…
Je crois qu’elle a raison : nous deux, c’est un secret de Polichinelle !
ADAM
Bon… Je crois que tu voulais me parler…
HENRIETTE
Oui. J’ai surpris une conversation entre Yvonne, Irma et Denise.
Et ce n’est pas la première fois que j’entends ici ou là des allusions qui me font penser qu’il se trame quelque chose dans mon dos.
ADAM
Gêné.
Ah ? Quelque chose dans ton dos ? Euh… Comme quoi par exemple ?
HENRIETTE
Elles ne savaient pas que je les entendais et il était question d’un plan, de racheter la résidence, de mystérieuses valises… Pas clair mais bizarre.
ADAM
Ben oui ! La résidence est peut-être sur le point d’être rachetée non ?
C’est toi-même qui nous en a encore parlé à la fin de la répétition de notre chorale.
Alors quoi d’étonnant ?
HENRIETTE
Oui mais, je n’ai jamais parlé de valises. Et puis là, je pense avoir entendu qu’elles envisageaient de devenir elles-mêmes propriétaires de la résidence….
ADAM
Un peu gêné.
Elles plaisantaient. Elles n’ont pas les moyens pour ça.
HENRIETTE
D’accord. Mais il était question d’autres personnes pour réaliser avec elles ce projet…
D’une réserve de fric planquée ici, dans notre résidence !… Tu ne vois pas ?
ADAM
Très gêné et ça se voit.
Ben non… Qui ça peut être à ton avis ?
HENRIETTE
Allez ! Arrête s’il te plaît ! En fait, elles parlaient de Sylvain pour mener la danse… Alors ?… Tu ne vois vraiment pas ?... Et, il était question de toi aussi.
ADAM
Moi ? N’importe quoi !
HENRIETTE
Adam ! Tu mens très mal mon amour.
Silence gêné d’Adam.
ADAM
Bon d’accord. De toute façon, tu finiras bien par l’apprendre et le plus tôt serait le mieux.
HENRIETTE
Ah la bonne heure ! Je t’écoute.
ADAM
Alors voilà, en fait… En fait… En fait c’est délicat, vraiment ! (Silence)
HENRIETTE
Oui… Je t’écoute mon chéri…
ADAM
C’est délicat… Vraiment délicat.
HENRIETTE
Je sais : tu l’as déjà dit ! (Petit silence…) Alors ?
ADAM
Tu sais Henriette que.. Enfin plutôt que… Bref il faudrait que tu saches… C’est au sujet de… C’est gênant… Et merde !
HENRIETTE
Tu me fais peur là.
Elle s’approche de lui et se fait tendre.
Tu sais que tu peux tout me dire… Je serai là, quoiqu’il arrive…
Tu as d’autres soucis ?... Tu es malade ?
ADAM
Mais non, mais non… Qu’est-ce que tu vas imaginer ? Je vais bien.
HENRIETTE
Mets-toi à ma place, tu attends des résultats médicaux et là tu me joues le grand mystère. J’ai de quoi m’inquiéter.
ADAM
Il la prend dans ses bras.
Désolée ma chérie ! Je n’ai rien de grave à t’annoncer, au contraire, mais c’est… C’est… Comment dire ?
HENRIETTE
Un peu agacée, elle s’assied.
Délicat ?
ADAM
C’est ça, tu as trouvé le mot.
HENRIETTE
Tu m’as un peu soufflé, je crois. Bon, chéri…
Allez ! Crache le morceau avant le jugement dernier, je t’en supplie.
ADAM
D’accord, mais d’abord assieds-toi.
HENRIETTE
C’est déjà fait, merci. Je t’écoute.
ADAM
Donc, au sujet de la résidence et de cette histoire de rachat ou de fermeture…. Euh…
HENRIETTE
Oui…
ADAM
Et bien… Eh bien, il y a peut-être une solution.
HENRIETTE
Une solution… Quelle solution ? Tu peux préciser ?
ADAM
Il y a un élément déterminant et qui pourrait tout arranger…
HENRIETTE
Tout arranger… Tout arranger comment ?
ADAM
Comme tu l’as deviné, on va bien essayer de racheter la résidence, voilà !
HENRIETTE
Sur un ton amusé.
“ON rachète la résidence, voilà !“…
Ah mais oui, c’est ça, évidemment ! ON rachète la résidence !
Mais comment n’y avais-je pas pensé moi-même en tant que directrice ?
ADAM
Ne ris pas, je suis sérieux. Très sérieux.
HENRIETTE
Attends… Chéri ! Tu as gagné au loto ?...
ADAM
Mais non, je ne joue pas au loto.
HENRIETTE
Agacée.
Ah… Alors avec quoi “ON“ la rachète la résidence hein ?
Avec ton livret A ? Tu vas arrêter de verser la pension à ton ex ?...
Nouveau silence gêné d’Adam.
Mais parle ! Et d’abord c’est qui ce “ON“ qui va racheter la résidence ?
ADAM
Sylvain, moi, les autres pensionnaires, peut-être aussi les personnels. Et toi si tu veux.
HENRIETTE
Ouille, ouille, ouille ! Mais tu rêves là !
Sylvain est notre comptable quand même ! Comment peut-il seulement imaginer que c’est possible ? Il est le mieux placé pour savoir que la plupart des résidents sont à sec à la fin du mois, une fois leur pension payée.
Il y en a même quelques-uns et quelques-unes dans le rouge.
ADAM
L’argent pour racheter viendrait plutôt de…de…
Eh merde ! Je te connais bien, avec tes beaux principes, et j’ose pas te dire…
HENRIETTE
Ben oui, c’est “délicat“ !... Réfléchissons… C’est à cause de mes principes que tu n’oses pas cracher le morceau. Ah !... Au fait, selon toi, c’est quoi mes principes ?
ADAM
La droiture, l’honnêteté…
HENRIETTE
OK, merci chéri, je suis flattée. Donc, si mon honnêteté t’empêche de me parler c’est que… C’est que le pognon pour racheter la résidence ne serait pas très clair…
ADAM
Pas clair du tout !
HENRIETTE
Elle réfléchit quelques secondes puis en mode euréka.
Attends !… Le mois dernier… Le braquage de La Poste à ………………….… ………… (Ville près de chez vous). C’est quelqu’un de la résidence ?... C’est toi ?
ADAM
Non mais ça va pas ! N’oublie pas que je suis maire du village et aussi ancien officier de police… Quand même ! Et puis à La Poste de ………………………………… , ils ont juste volé une centaine d’euros et quelques carnets de timbres.
Mais bon… Ton hypothèse de braquage là et ben on se rapproche un peu.
HENRIETTE
Comment ça on se rapproche un peu ? Bon… On va arrêter les devinettes !
Elle se lève, déterminée, limite menaçante.
ADAM
Ok, ok… Je te dis tout !... N’empêche que c’est délicat !
HENRIETTE
Stop ! Je t’écoute. Et plus une seule fois tu n’emploies le mot “délicat“. OK ?
ADAM
- Et bien voilà : il faut d’abord que tu saches que l’un de tes résidents a dans le passé exercé une activité particulière…
Retour soudain de Germaine.
SCENE 11
HENRIETTE, GERMAINE, ADAM.
HENRIETTE
C’est pas vrai ! Impossible d’avoir un créneau et un endroit pour avoir 10 minutes de tranquillité dans cette résidence !
GERMAINE
Désolée, les dix minutes sont pas passées mais j’ai oublié mon aspirateur.
ADAM
Prenez-le, Germaine, et laissez-nous s’il vous plaît….
GERMAINE
Je vois, je vois… Vous n’en n’êtes qu’aux préliminaires, c’est bien.
“ Pour prendre son pied, faut prendre son temps “.
C’est Joseph, mon ex-mari, qui disait ça. Je vous avais bien dit qu’en 10 minutes, c’était trop juste. Sauf pour les lapins à ce qu’on dit.
HENRIETTE
Dehors Germaine !
GERMAINE
Encore que les lapins, on dit ça, mais….
Mais en fait, je me demande si qu’on a vraiment été y regarder de très près.
Parce que ma sœur Odette, c’est celle qu’a une ferme dans le Berry, et ben Odette elle élève des lapins depuis des années et elle dit qu’il y en a de très chauds, très très chauds même qu’elle dit les lapins… D’où l’expression !
HENRIETTE
Dehors Germaine !
GERMAINE
Vous énervez point madame la directrice.
Je vais sortir si que vous voulez, mais d’abord je voudrais profiter que vous êtes-là pour vous parler de mon licenciement.
Seule à seule si que vous voulez bien.
HENRIETTE
Bon d’accord, mais 5 minutes pas plus !
Chéri… Adam, tu peux nous laisser ?
Va m’attendre… Euh… Dans le parc… Le parc, au moins, c’est calme ! On pourra causer.
Adam se dirige vers la sortie.
GERMAINE
Monsieur le maire, allez d’abord enfiler une petite laine.
Aujourd’hui, fait un vent à décorner les lapins !
Adam sort en soupirant et haussant les épaules
Donc, madame la directrice, comme que vous êtes là, j’voudrais vous causer du sujet dont auquel il s’agit et que c’est bien sûr de la fermeture ou du rachat que j’ai entendu causer… Les Tartaris quoi !
HENRIETTE
Qataris ! Je vois que les nouvelles vont vite.
GERMAINE
Vite et haut ! Parce que là, on cause d’un minaret…
Combien que ça va chercher en hauteur ça, hein ? Un minaret !
C’est que j’ai plus 20 ans moi. Parce qu’à tous les coups qu’y-a point d’ascenseur là-dedans ! Misère de misère !
HENRIETTE
Germaine ! Revenons-en à votre préavis de licenciement s’il vous plait !
GERMAINE
Ah oui ! Et ben z’êtes certaine qu’on aura bien nos 3 mois payés même si qu’on arrête le taf au 1er janvier ?
HENRIETTE
Faudra voir ça avec le repreneur ou le liquidateur.
GERMAINE
Un liquidateur ! Ils vont point nous zigouiller quand même ?
HENRIETTE
Lassée.
Ecoutez, Germaine, je n’en sais pas plus que vous pour le moment et vous serez informée comme tout un chacun, dès que nous en saurons un peu plus.
GERMAINE
Ah ben si que je serai z’informée comme tout un chacun !...
Me v’là que j’suis sauvée !
HENRIETTE
Désolée, j’attends justement un appel important des repreneurs !
GERMAINE
Ah ! Les Tartaris.
HENRIETTE
Les Qataris Germaine ! Les Qa-ta-ris !
Et vous pouvez rester pour passer votre aspirateur.
GERMAINE
Tartaris, Yakaris, Qataris, Ratakis… Que c’est que du pareil au même, c’est tous des voisins entre eux.
Henriette sort, agacée.
Fort à Henriette qui est déjà sortie.
Hé ! La petite laine, pensez à enfiler une petite laine !
Au public.
A tous les coups, vont se ramasser une bonne crève à batifoler dehors comme des ados.
SCENE 12
GERMAINE, DENISE, YVONNE
GERMAINE,
Eh ben me v’là pas plus avancée…
Les Tartaris ou les Qataris, que c’est du pareil au même, qu’y z’y vont point nous ménager et que moi pourtant le ménage ça me connaît.
Elle prend le public à témoin.
Et pis, les Qatartaris et ben tiens ! Qu’ils vont nous gérer comme un club de footeballe…
Tiens ! Comme le PSG (prononcer pé-esseu-gé) sauf qu’à la fin du mois on n’aura pas la même paie à 7 chiffres qu’il avait le Kylian avant de se tirer au RéGal de Madrid.
Et puis que s’il y aura un mercato que là j’aurai intérêt à faire briller un max mon CV pour pas que je suis transférée au Racing-Tataouine à astiquer les escaliers des minarets ensablés dans le désert.
Soupir. Elle va mettre en marche son aspirateur : plusieurs essais, en vain.
Ah ben voilà, l’aspirateur est au courant pour les Qartaris, enfin… Au courant façon de parler,… Et du coup, il exerce son droit de retrait.
Elle se met à balayer en chantant et dansant avec son balai.
Suggestion : mettre musique de « Maldon », version francisée de la Cie Créole : paroles disponibles sur le net.
Yvonne et Denise entrent et d’abord chantent et dansent un peu avec Germaine.
Puis, elles vont s’asseoir.
DENISE
Bizarre… Les autres ne sont pas revenus pour reprendre nos explications…
GERMAINE
Je sais pas de quels autres vous parlez, mais c’est aussi bien que je sois pas envahie parce que j’ai déjà été interrompue par des tourtereaux et donc que j’aimerais bien pouvoir finir sans être à nouveau dérangée.
YVONNE
Dites-moi, Germaine, vous êtes certaine de bien balayer dans les coins comme ça ?
GERMAINE
Personne s’est jamais plaint !
Et que c’est un balai “spécial coins nets“…
Avec des poils électrotactiques.
YVONNE
Electrostatiques Germaine, ça doit être ça que vous voulez dire : poils électro-sta-ti-ques.
GERMAINE
C’est ça même que j’ai dit !
Yvonne et Denise s’assoient à une table.
DENISE
Je savais même pas que ça existait là vos balais à poils électrostatiques.
GERMAINE
Mais je déconne… J’ai inventé ça pour rigoler. Ça z’existe point…Enfin pas z-encore.
DENISE
Alors il faudrait songer à déposer le brevet Germaine.
GERMAINE
Sauf que le brevet ça pourra pas se faire : j’ai arrêté mes études au couts élémentaire 2.
YVONNE
Et puis Germaine, mieux que le balai électro-machin… Il y a votre aspirateur non ?
GERMAINE
Sauf que mon aspi, eh ben vous me croirez pas, mais il est raciste !
Dès qu’il a entendu parler des Takaris, et ben Il s’est mis en grève illimitée et sans préavis
Et puis bon… Un balai c’est quand même plus pratique qu’un aspirateur pour danser…
Vous voyez ? (Quelques pas de danse) Elle pense à tout hein la Germaine ?
Elle reprend le balayage en silence.
DENISE
Je t’ai pas dit… Je suis retombée sur le père Etienne. Excité comme une puce qu’il est !
YVONNE
Pas étonnant ! C’est quoi cette fois son délire ?
DENISE
Depuis qu’il sait pour les plus de 2 millions de Sylvain et Adam, il s’est mis en tête de refaire son retard, persuadé qu’avec l’aide du Vatican ce ne sera qu’une formalité.
YVONNE
Peut-être qu’à ce niveau-là ça pourrait fonctionner. Le Vatican… Quand même !
DENISE
Oui bon d’accord. Mais t’as entendu Sylvain ?
Il parle de 8 à 10 millions d’euros ! Le parc, le bâtiment principal, l’annexe, le resto, la piscine, le petit gymnases le restaurant, le grand parc…
Il manque juste le golfe quoi !
GERMAINE
Le golfe ! Faut point lancer des idées en l’air comme ça madame Denise
DENISE
Ah bon ?
GERMAINE.
Ben oui. Parce que si que les émirs du golf ils vous entendaient ils viendraient nous en installer de golfe, avec le minaret au beau milieu.
DENISE
Heureusement que vous êtes là Germaine. Je n’y avais pas pensé !
Je suis tellement angoissée à l’idée qu’on se perde tous de vue, toi et les autres amis, l’ambiance, la chorale…
GERMAINE
Qui écoute tout depuis le début…
Ah çà que oui. Et ça craint que le docteur il va devoir fermer son cabinet si qu’il y-a plus vous autres, les vieux, à soigner.
YVONNE
Merci Germaine pour “ les vieux“…
DENISE
Et toi, Yvonne, tu as une solution si la résidence ferme en janvier ?
YVONNE
D’abord je ne crois pas qu’on va nous mettre sur le trottoir avec nos valises au matin du nouvel an… Ensuite, j’aurais bien la solution d’aller me réfugier chez ma soeur en Alsace ……………………………. (Ou autre région au nord de la Loire, mais pas la vôtre).
Problème : je ne veux pas imposer Charles trop longtemps à ma famille.
DENISE
Incroyable Charles et toi !… Déjà au départ vos prénoms “Charles et Yvonne“ et puis…
YVONNE
Et puis quoi ?... Je sais ce que tu penses : pourquoi je m’attache tant à ce vieil homme qui perd de plus en plus la tête ? C’est ça ?
DENISE
J’avoue. Charles est adorable mais c’est difficile de tenir une conversation avec lui sans qu’il parte soudain de la guerre et qu’il aille hanter la mémoire du général De Gaulle…
YVONNE
Où l’inverse peut-être… La mémoire du général qui vient habiter Charles…
GERMAINE
Vous croyez pas si bien dire. Lundi dernier, j’ai voulu faire le ménage dans sa chambre.
Et ben il ne m’a pas laissé rentrer. Limite agressif !
Il était persuadé que j’étais envoyée par les services secrets allemands. Est-ce que j’ai une tête d’espionne ? Allemande en plus ! Vu comment qu’ça chavire dans sa tête à votre général, il aurait dû choisir la marine pour faire amiral !
YVONNE
Pardonnez le Germaine.
GERMAINE
Bien sûr que je pardonne. Mais bon… C’est point toujours facile.
Bon et bien là je crois que ça brille. Je vais donc aller faire briller ailleurs…
Mesdames, z’avez le salut de la Maréchale en chef des logis qui brillent !
Germaine sort avec tout son matériel.
YVONNE.
Je disais ?... Ah oui ! Au cas où ma sœur ne pourrait nous accueillir temporairement, Il va falloir que je me mette sérieusement à chercher où loger avec Charles et vite.
Faudra que je regarde avec lui cette maison qu’il dit avoir vue sur le net.
Sans trop d’illusion, parce que nos revenus sont plutôt modestes.
DENISE
Un peu moqueuse.
Eh oui ! Il est vrai que ton général n’a qu’une pension d’adjudant-chef…
YVONNE
Ne te moque pas s’il te plaît !
Germaine passe quelques secondes sa tête par la porte pour la réplique suivante.
GERMAINE
Attention ! A vos rangs, fixe !
Amusées, Denise et Yvonne se sont levées et mises au garde à vous.
Germaine disparaît pour de bon.
Entrée de Charles visiblement nerveux et inquiet.
SCENE 13
CHARLES, DENISE, YVONNE
CHARLES
Salut militaire.
Repos soldats !... Yvonne, ma chérie. Je vous cherchais : il faut que l’on parle d’avenir car le ciel s’assombrit… La Wehrmacht est entrée en Pologne ce matin.
YVONNE
Nous parlions justement d’avenir avec Denise et je disais que pour nous deux, il y aurait bien l’idée d’aller nous réfugier chez ma soeur en Alsace, mais ce n’est peut-être pas…
CHARLES
En Alsace ? Mais vous n’y pensez pas sérieusement mon amie !
Il faut nous installer en zone libre. Du moins au début…
Ensuite, nous réfléchirons à une solution pour rejoindre l’Angleterre.
DENISE
Aie !
YVONNE
Charles ! Mon ami. Nous allons trouver une solution pour nous deux, ensemble.
CHARLES
Ensemble !... En zone libre ?
YVONNE
En zone libre : je vous le promets.
DENISE
Et puis voyons Charles, tout n’est pas encore perdu.
Peut-être allons-nous pouvoir rester ici, qui sait !
CHARLES
Ça, ce serait bien ! Avec tous les amis et vous…
Il lui prend la main d’Yvonne et y dépose un baiser.
YVONNE
Mais il faut prévoir “au cas où“ n’est-ce pas ?
CHARLES
Tout à fait. Vous connaissez mes doutes quant à la ligne Maginot !
Consultant sa montre.
Ah ! Il va bientôt être l’heure “ “ notre émission préférée.
YVONNE
La vôtre surtout mon ami. Emission qu’il serait question de supprimer ! (Soupir).
Bon eh bien en route pour “les chiffres et les lettres“ !
CHARLES
Ah, Les lettres… Je devrais penser à écrire mes mémoires un jour.
Sortie de Denise, Yvonne et Charles vers les communs et les logements..
La scène reste vide quelques instants.
Vous pouvez faire entendre le jongle de l’émission « Des chiffres et des lettres ».
Entracte possible ici.
Si pas d’entracte :
Claude et s’installe pour lire son journal.
Si entracte :
Claude est déjà installé et lit quand le rideau s’ouvre à nouveau.
ACTE 2
Scène 1
HENRIETTE, ADAM, SYLVAIN.
Entrée côté parc d’Henriette, énervée, suivie de Sylvain et Adam un peu inquiets.
ADAM
Elle avait raison Germaine. Impossible de rester dans le parc avec ce vent froid !
HENRIETTE
Oublions la météo ! Cette fois, mes gaillards, on ne rigole plus ! Je veux TOUT savoir !
D’ailleurs je vais verrouiller les portes pour éviter les emmerdeurs !
Elle sort une clé et va condamner les 2 portes.
Voilà ! Maintenant, vous allez tout me raconter de vos petits secrets.
ADAM
Bon, tu veux savoir quoi ma chérie ? Euh… Madame la directrice.
SYLVAIN
Tu vois…
T’étonnes pas que tout le monde soit au courant : tu fais gaffe sur gaffe…
Tu lâches des « ma chérie » la plupart du temps sans même t’en rendre dompte.
HENRIETTE
A Adam ? Agacée et déterminée.
Je m’en fous et c’est pas le sujet… N’est-ce pas “mon chéri“ !
ADAM
Eh bien pour répondre à ta … à votre question, Henriette… Euh chérie… Madame la directrice : C’est ça : madame la directrice : Et bien je ne sais pas par où commencer…
HENRIETTE
Là, attention ! Tu es parti pour encore nous débiter du “c’est délicat“…
SYLVAIN
Bon… Je vais l’aider. Adam et moi, on a trouvé un plan pour sauver la résidence.
HENRIETTE
Je sais ! Adam me l’a déjà dit. La question c’est : “comment vous faites“ ?
SYLVAIN
D’abord Il faut créer une association pour ni plus ni moins que permettre de…
HENRIETTE
Une autre association ? Encore ?
Elle se radoucit.
En tout cas, Sylvain, ton association pour répondre aux lettres des enfants au Père-Noël, je trouve ça merveilleux !…
Et puis ce nom : “N’oublie pas mes petits souliers“ ça jette…
Mais franchement…
SYLVAIN
“Mais franchement“, à quelques mois de la fermeture probable de la résidence, à quoi ça rime de créer une telle association ?…
C’est ça que vous voulez dire madame Henriette ?
HENRIETTE
Exactement ! Je dois quand même avouer que pas plus tard qu’hier le receveur de La Poste, devant l’afflux des courriers, m’a appelée pour proposer d’ouvrir une boîte postale.
ADAM
Ah bon ?
HENRIETTE
Une boîte postale ! Vu ce qui se profile… Bon alors Sylvain ? Cette autre association, ce serait donc pour sauver notre bateau qui coule ?
SYLVAIN
Très embarrassé.
C’est délicat.
HENRIETTE
Délicat ! Ah non, tu ne vas pas t’y mettre toi aussi.
SYLVAIN
Pardon !. Vous savez madame la directrice que… Enfin non ! Vous ne savez pas en fait. Mais il serait bien que vous sachiez que… C’est au sujet de… C’est gênant… Et merde !
HENRIETTE
Vous me faites peur là Sylvain.
SYLVAIN
Pas de quoi avoir peur, je vous rassure.
ADAM
Quoique… Mais si ça peut te rassurer, l’adjudant Gerber est au courant !
HENRIETTE
Non ! Gerber ? L’adjudant de gendarmerie trempe dans vos combines ? Bon, cela dit, cela me rassure un peu de savoir que la gendarmerie soutient votre projet.
SYLVAIN
En fait, c’est pas vraiment la gendarmerie…
C’est juste Gerber, tout seul… Ben oui… Sa mère est l’une des résidentes.
HENRIETTE
Madeleine ! Evidemment.
ADAM
Soutenir d’ailleurs, c’est non plus vraiment le mot. Disons qu’il fermera les yeux.
HENRIETTE
Bon… La suite Sylvain, s’il te plaît.
SYLVAIN
Le but c’est de racheter la résidence, nous tous, les résidents et les personnels intéressés.
HENRIETTE
D’abord interloquée.
Ouais, ouais, ouais…
Adam m’a déjà expliqué ce délire. Mais vous rêvez éveillés tous les deux !
Sylvain ! Tu es notre comptable : tu sais très bien qu’en mettant bout à bout les salaires des personnels et les pensions des résidents, en imaginant même les quelques économies de certains, on va juste pouvoir payer le hall d’entrée, le porte parapluies et la tondeuse à gazon…
Et encore… Même pas sûr !
SYLVAIN
Ben ça dépend… On peut sans doute compter sur d’autres fonds…
Nouveau silence gêné.
HENRIETTE
Précise !... C’est toi qui as gagné au loto !
SYLVAIN
Non, je le saurais.
HENRIETTE
Elle réfléchit…
T’as fait un héritage ? L’émir du Qatar a pris ta nièce pour 12ème épouse ?...
SYLVAIN
Je n’ai pas de nièce.
HENRIETTE
Bon… On va arrêter les devinettes !
Adam avait commencé à me parler d’un résident au passé un peu étrange ou particulier… J’ai d’ailleurs ma petite idée…
SYLVAIN
OK… C’est ça l’idée : l’un des résidents a un passé trouble et a amassé un max de blé.
HENRIETTE
Lucien ! C’est Lucien !
SYLVAIN
Ah ! Vous savez pour Lucien ?
HENRIETTE
Je sais juste que c’est celui qui a le mieux le profil…
Impensable le nombre de fois où on l’a surpris, la nuit, dans la cuisine de la résidence, en train de… de… « faire ses courses »…
Bon c’est quoi sa passion en dehors des yaourts aux fraises et des éclairs à la vanille ?
ADAM
La fausse monnaie !
HENRIETTE
La fausse monnaie… OK mais c’est pas avec de la monnaie, fausse de surcroît, qu’il va pouvoir s’acheter la résidence.
ADAM
Oui enfin, quand on dit fausse monnaie c’est plutôt faux billets qu’il faudrait dire.
Bon… Que des petits billets, plus faciles à écouler : des 10, des 20 et quelques 50€…
HENRIETTE
Silence… Elle est troublée et réfléchit.
Stop ! Pas question de toucher à ces billets. Ce n’est ni légal, ni moral.
ADAM
Pas légal : ça c’est sûr !... Mais pas moral… Pas moral…. Ça se discute…
HENRIETTE
Rappel à l’ordre sec.
Adam !
SYLVAIN
Ben… Il s’agit quand même d’éviter à quelques pauvres vieux plutôt sympathiques -
Très sympathiques mêmes - de se retrouver en plein hiver à la rue ou expédiés vers d’autres résidences hostiles, surpeuplées…
ADAM
Et en prime, ça pourrait éviter bien des soucis à un couple très amoureux.
HENRIETTE
Je vous vois venir…
SYLVAIN
Allez Henriette, réfléchissez…
On n’est pas bien ici ?
La cuisine est bonne, les matelas moelleux, le personnel aux petits soins…
ADAM
La directrice adorable… (il lui caresse la joue) Et adorée.
HENRIETTE
Les éclairs à la vanille succulents… Et accessibles gratuitement !...
Et Lucien… Il en pense quoi de votre plan ?
Silence gêné d’Adam et Sylvain.
HENRIETTE
Ne me dites pas qu’il ne sait rien de ce projet farfelu…
SYLVAIN
Henriette, on a besoin de votre accord !
Sans vous inutile de continuer. L’échéance est pour janvier…
Il est grand temps qu’Adam aille parler à Lucien.
ADAM
Hein ? Quoi ? Mais pourquoi moi ?
SYLVAIN
T’es son meilleur pote ! Et puis tu es le maire.
Et la complicité du maire ça va le rassurer aussi grave que le soutien de la gendarmerie.
HENRIETTE
Pas faux.
ADAM
Je sais pas quelle idée tu te fais du rôle de maire, Sylvain, mais je dois te dire que…
SYLVAIN
Interrompant Adam et s’adressant à Henriette.
Alors madame la directrice… Vous en dites quoi ?
Petit silence… Henriette réfléchit.
HENRIETTE
Ben… Faudrait déjà savoir pour Lucien, si le montant de son…son… son pécule, voilà :
si son pécule donc, est en rapport avec l’opération envisagée.
SYLVAIN
Attention !... Opération, selon vous, ni légale ni morale…
HENRIETTE
J’ai dit ça ?... Peut-être. Faut voir après tout !...
Alors ce pécule ? … Vous avez une idée ?
ADAM
Pas très précise mais ça doit grimper haut, très haut.
HENRIETTE
Oh et puis zut ! On délire là. Ecouler un seul faux billet, ça doit déjà être risqué.
Alors mettre sur la table des centaines de liasses de faux billets et croire que ça ne sera même pas contrôlé… C’est n’importe quoi !
ADAM
Et puis… Qui parle de payer en faux billets ?
HENRIETTE
Ben… Toi… Vous deux !
SYLVAIN
J’ai juste dit que Lucien avait une fortune en faux billets…
Pas qu’on allait les étaler sur la table pour payer la résidence.
HENRIETTE
Comment ça ?
ADAM
N’oublie pas, chérie, qu’avant d’être ici à la fois pensionnaire et comptable, cet individu a bossé comme trader au fond d’un lagon infesté de requins et de banquiers.
SYLVAIN
Donc, entre les faux billets au départ et la somme qui sera versée à l’arrivée pour le rachat de la résidence, j’ai prévu un petit transit pour tout lessiver dans l’eau claire des Caraïbes.
HENRIETTE
A Sylvain
Quand je pense que je t’ai confié la comptabilité de la résidence !
Et c’est quoi la baguette magique dans ce tour de prestidigitation ?
SYLVAIN
Chaque chose en son temps, madame la directrice.
Lucien essaie d’entrer puis frappe derrière la porte.
LUCIEN
Encore cette porte fermée ! Mais c’est une obsession !
HENRIETTE
Oui c’est fermé ! Réunion exceptionnelle du staff !
LUCIEN
Off derrière la porte.
Justement je voulais vous voir… Rapport à un bruit qui court.
HENRIETTE
C’est la voix de Lucien non ?
SYLVAIN
Je crois bien…
ADAM
On fait quoi ?
HENRIETTE
Se dirigeant vers la porte avec sa clé.
A ton avis ?
SYLVAIN
Elle a raison, on se jette à l’eau. C’est maintenant ou jamais !
Henriette déverrouille la porte et ne la referme pas à clé.
Entrée de Lucien qui déguste un éclair à la vanille.
Scène 2
HENRIETTE, ADAM, SYLVAIN, LUCIEN
SYLVAIN
Ah ! Quand on parle du loup…
LUCIEN
Ah… Je suppose que “le loup“ c’est moi ?... Je dérange peut- être ? Remarquez, j’ai l’habitude depuis quelques semaines. En fait, je ne suis pas le loup mais la brebis galeuse. On m’évite, on me chasse, on parle à voix basse dès que j’approche…
Si au moins je savais pourquoi !…
HENRIETTE
Dites-moi Lucien… Il vient d’où cet éclair à la vanille ?
LUCIEN
Ben… Je crois que je l’ai trouvé posé sur le banc au fond du parc.
Et je l’ai sauvé in-extremis : un vilain corbeau tournait déjà autour.
SYLVAIN
Le loup, la brebis, le corbeau… Manque plus que le renard et la belette !
HENRIETTE
C’est pas dieu possible. Lucien…
Je vais devoir acheter des cadenas pour les poser sur les frigos !
LUCIEN
Acheter des cadenas ? Allez ! Dites-moi combien il vous en faut et cette nuit je vais vous en subtiliser des gratuits sur la rambarde du pont le plus proche.
HENRIETTE
Bien essayé ! Mais si vous savez ouvrir les cadenas sur la rambarde du pont, vous n’aurez aucune difficulté à les ouvrir à nouveau, une fois reposés sur mes frigos… Non ?
SYLVAIN
Là, elle t’a grillé !
LUCIEN
Ok… Mais je maintiens : jusqu’à la fermeture de la résidence, il faut concentrer les dépenses sur les desserts, pas sur les cadenas.
ADAM
Justement au sujet de la fermeture de la résidence, on voudrait te parler.
LUCIEN
Les Qataris ont été doublés par les Inuits ?
ADAM
Non. Mais ils pourraient être doublés par des Français.
LUCIEN
Des Français ! Des “qui ont encore des thunes“ que le fisc n’a pas encore reniflées ?
ADAM
C’est tout à fait ça.
LUCIEN
Voyons, voyons… Qui c’est-y donc de bien gaulois qui pourrait-être sur les rangs pour investir sa fortune dans notre petit paradis hexagonal ?
Bernard Arnault ?... Liliane Bettencourt ?...
SYLVAIN
Eh non… Des « qui en ont mis un max de billets de côté » sans trop se montrer et sans pouvoir les utiliser.
LUCIEN
Avoir du fric et pas pouvoir l’utiliser… Faut-y pas être con pour se mettre dans une situation pareille ! Comment c’est possible ?
ADAM
Réfléchis…
LUCIEN
Ils ont fait un casse et les numéros de billets ont été relevés ?
Les 3 autres font non de la tête.
Ils sont placés sous tutelle ? (Les 3 autres font non de la tête.)
Ils sont manchots des deux bras ? (Les 3 autres font non de la tête.)
C’est de billets de Monopoly ?
SYLVAIN
Ah ! On approche !
LUCIEN
On approche… On approche…
Attendez… des faux billets : C’est ça hein ?
Le type a des faux billets et peut pas les mettre en circuit…
Enfin pas pour une opération aussi couteuse.
ADAM
Comment tu devines tout ! C’est impressionnant.
HENRIETTE
Amusée, à Sylvain et Adam.
Wouah ! Si on ne le connaissait pas, on dirait qu’il a dû tremper là-dedans toute ta vie !
LUCIEN
Ben, j’essaie juste de me mettre à la place du type. Alors oui : écouler quelques biftons ici ou là… Oui, c’est jouable. Mais pour une opération comme le rachat d’une résidence, ça craint si le type se pointe avec ses valoches bleues bourrées de faux billets…
SYLVAIN
Faussement naïf.
Quelles valoches bleues ?
LUCIEN
Non… je dis « valoches » parce qu’il faut bien que le type en question, il les range dans quelque chose ses faux billets. J’aurais pu dire des sacs, des coffres…
SYLVAIN
Oui… Mais tu as dit des valoches et plus précisément des valoches bleues !
LUCIEN
Mais vous m’emmerdez avec vos questions !
J’ai dit bleues comme j’aurais pu dire rouges, oranges ou jaunes.
ADAM
Oui mais Sylvain a raison : tu as dit “bleues“.
LUCIEN
Bon j’ai dit “bleue“. OK et alors ?
Bref ! Si votre type se pointe avec plusieurs millions d’euros en faux biftons, il y aura un contrôle et là c’est direction “nourri logé blanchi parloir“… et sans passer par la case départ pour en revenir au Monopoly.
SYLVAIN
Lucien ! Ecoute moi. Supposons, je dis bien supposons. Le type il est heureux comme un roi dans une résidence 4 étoiles. Confort, copains sympas, personnel dévoué…
HENRIETTE
Il y a même des yaourts aux fraises et des éclairs à la vanille en veux-tu en voilà, en libre-service dans le frigo du restaurant……
LUCIEN
Ah ouais !
SYLVAIN
Et soudain, tout ça risque de s’écrouler.
Résidence rachetée par une multinationale … Euh… Tiens disons : scandinave, une multinationale scandinave : suppression du chauffage, escalopes de phoques au menu, que des chaînes télé en langues inuit…
LUCIEN
Et les éclairs à la vanille ?
ADAM
Nada ! Que des sorbets, parfum hareng fumé !
LUCIEN
Grimaçant de dégout.
Ah !... Rien que d’y penser…
SYLVAIN
Et ce type, il a un max de blé, mais vraiment un max. A sa place… Tu ferais quoi ?
LUCIEN
Je prends les harengs de vitesse et j’achète ma résidence.
SYLVAIN
Eh ben voilà, on y est : bravo Lucien !
LUCIEN
Bravo… Bravo quoi ?
SYLVAIN
Ben… Tu viens de le dire, tu rachètes la résidence.
LUCIEN
Moi ? Mais non, c’est pas moi, c’est votre type là, dans votre délire, c’est lui qui rachète, c’est lui qui est plein aux as !
SYLVAIN
Arrête de jouer au con Lucien ! Pour ta fausse monnaie, on est tous au courant.
LUCIEN
Tous ?
ADAM
Enfin, déjà nous trois ici… Et quelques amis.
LUCIEN
A Henriette.
Dites-leur vous, madame la directrice, que j’ai certains mois du mal à régler mon loyer.
SYLVAIN
Oh ! Oh ! Oh !... Tu parles un peu trop parfois après l’apéro et le pousse-café.
Et tu sors parfois de grosses coupures que tu ne peux pas avoir reçu au distributeur ou à la poste du village... Tiens ! Pour payer parfois tes loyers, je le sais !
HENRIETTE
Quoi ?
LUCIEN
Oui bon… Mais attention hein : c’est juste à la marge les mois où je coince un peu….
Je glisse un ou deux faux biftons dans une liasse de vrais.
HENRIETTE
Et ben, bonjour la confiance !
ADAM
Voyons chérie… Euh… Henriette… pardon
LUCIEN
T’excuses pas Adam ! Là aussi, pour vous deux, c’est pire que pour mes valoches : grillés de chez grillés que vous êtes !
ADAM
A ce point ?
SYLVAIN
Atterris Adam ! Les 3 étages sont au courant depuis des mois... Sans oublier le personnel !
LUCIEN
C’est même le sujet favori à la viellée…
ADAM
Inquiet, à Henriette
J’étais pourtant certain qu’on était discrets. Qu’est-ce qu’on va faire ?
HENRIETTE
Rien !
Elle se rapproche de lui et l’embrasse.
On va tout simplement assumer.
ADAM
Tout simplement assumer… Ouais, ouais, ouais… Finalement assumer, ça me plaît bien !
Il pose son doigt sur sa joue pour réclamer un autre bisou qu’il obtient.
SYLVAIN
Pour en revenir à ce qui nous occupe, Henriette…
Le fait est que je n’ai jamais eu de problème après avoir déposé en banque les liasses données par Lucien pour ses loyers. Et pas davantage de souci avec les liasses prélevées dans l’une de ses valises…
LUCIEN
Hein ? Quoi ? Vous vous êtes servis dans mes valises ?
SYLVAIN
Oui bon… On a juste un peu puisé dans la petite, la verte, qui n’est pas verrouillée… Juste pour faire un test quoi ! pas de quoi en faire un drame !
LUCIEN
Ah ben si ! Entre la curiosité et aller carrément puiser dans mes réserves…
Je dois aller voir ça de près !
Il sort, énervé bousculant Charles qui entre en trombe lui aussi furibard.
Scène 3
ADAM, CHARLES, DENISE, HENRIETTE, SYLVAIN, YVONNE
Entrée de Charles furibard.
Scandaleux ! Jamais on n’a vu ça depuis 60 ans que cette émission existe !
Entrée d’Yvonne et Denise quelques mètres derrière Charles.
YVONNE
Voyons, mon ami, calmez-vous ! Ce n’est qu’un jeu tout de même…
CHARLES
Me calmer ? Un jeu ? Mais vous ne comprenez pas : il s’agit de notre langue et défendre notre langue c’est aussi important que défendre notre territoire.
HENRIETTE
Que se passe-t-il ? A vous voir dans cet état, je suppose qu’il s’agit « Des chiffres et des lettres » et qu’ils ont admis un mot anglais ?
YVONNE
Même pas !
Ils ont admis un 8 lettres et Charles en avait trouvé un autre dont ils n’ont même pas parlé.
DENISE
Et c’est tout ?
CHARLES
C’est tout ! Quand vous saurez…
Ils ont admis le mot LUCIOLES au pluriel.
Jusque-là, d’accord ! Mais d’habitude ils énoncent les autres solutions et là rien ! Et moi j’avais trouvé un autre 8 lettres.
HENRIETTE
Ah ?
CHARLES
Oui… COUILLES au pluriel.
C’est l’anagramme de LUCIOLES au pluriel aussi !
Rires d’Adam et Sylvain.
DENISE
Eh bien, je pense que justement ils ne les ont pas eues…
CHARLES
Pas eues quoi ?
DENISE
Justement… Pas eu les couilles d’afficher ce mot à une heure de grande écoute.
CHARLES
M’en fous, c’est dans le dictionnaire ! Ils n’ont pas à faire le tri.
YVONNE
D’accord, mais voyons Charles, ce n’était pas une raison pour dérégler la télé en appuyant furieusement sur tous les boutons de la télécommande.
HENRIETTE
Se relevant d’un bond, inquiète
Pardon ? Mais tous les autres doivent être furax !
Couper “Des chiffres et des lettres“, mon dieu ! C’est le sacrilège suprême ici.
DENISE
A voir ! Faudrait faire un vote pour départager avec « les feux de l’amour »
HENRIETTE
A tous les coups, je vais encore devoir appeler le dépanneur pour refaire un réglage…
Se dirigeant, furieuse, vers la sortie.
Franchement Charles, c’est n’importe quoi ! Je dois aller calmer les autres résidents…
Elle se tourne vers Adam et Sylvain.
Et vous deux, vous ne bougez pas. Je reviens et on termine nos explications…
Elle sort.
YVONNE
Charles, allons présenter vos excuses à nos amis.
Charles bougonne comme un enfant. Yvonne le prend par le bras : ils sortent.
ADAM
A Sylvain
Et ça continue ! Pas moyen de tenir une explication jusqu’au bout !
ça rentre et ça sort comme dans un moulin !
Scène 4
ADAM, DENISE, LUCIEN, SYLVAIN
puis HENRIETTE CAMILLE et IRMA,
Lucien revient, très énervé, tenant dans une main quelques liasses de billets et dans l’autre sa petite valise verte. Il ouvre la valise en grand, laissant tomber au sol des vieux journaux, et brandit les liasses.
LUCIEN
A part ces quelques liasses, voilà tout ce qu’il reste dans ma petite valise !
DENISE
Ah ouais ! Des vieux journaux à la place de thunes ! C’est comme dans les films !
SYLVAIN
Oui bon…. Des valises, il t’en reste encore 3 autres pleines à craquer.
LUCIEN
C’est pas une raison ! Il y a un mois, cette valise était encore à moitié remplie.
Vous l’avez vidée en à peine un mois ! Mais qu’est-ce que vous avez pu foutre avec tout ce pognon dans un laps de temps aussi court ?
SYLVAIN
On a investi !
LUCIEN
Vous allez vous faire piquer à mettre sur le marché tant de billets d’un coup…
Il se radoucit un peu.
Investi vous dites ? C’est rapport à la résidence ?
ADAM
Evidemment !
LUCIEN
Et… Ils sont partis où mes billets ?
SYLVAIN
Dans toute la zone euro.
LUCIEN
Ah ?
Retour d’Henriette suivie d’Irma et Camille.
HENRIETTE
Plus de peur que de mal ! La télécommande est intacte, juste la pile éjectée !
Le bon peuple est rassuré. Bien. Nous avons été interrompus et je souhaite reprendre notre conversation. Au passage j’ai invité ces deux dames (Irma et Camille) qui en savent probablement déjà plus long que moi.
A Adam et Sylvain
Qui d’autre encore trempe dans vos combines ?
SYLVAIN
Joëlle l’infirmière, Georges le chef cuisinier et ses deux commis, Martin l’homme d’entretien, Germaine et...
HENRIETTE
Ah oui, quand même ! Quasi tout le personnel sauf la directrice quoi !
SYLVAIN
Normal ! Si ça foire le personnel s’en tirera avec des circonstances atténuantes.
Tandis que la directrice en personne…
HENRIETTE
Je devrais vous remercier en fait ?
Bon !... Là, on va faire droit au but ! Lucien ! Le total dans tes valoches… Combien ?
LUCIEN
A quoi ça peut vous servir de savoir ? Tout ce fric est inutilisable. Point !
HENRIETTE
Pas tant que ça puisque tu m’en as déjà refourgué quelques échantillons !
Donc, on va supposer que c’est presque du vrai pognon puisque certains ici affirment que le blanchiment n’est pas l’exclusivité du dentifrice ! Alors ? Combien ?
LUCIEN
Puisque vous insistez… (Gros soupir) Supposons que je vive jusqu’à 100 ans…
Il sort son portable pour l’utiliser en mode calculette.
Donc Il me resterait 30 ans, soit… 360 mois à vivre encore ici aux “Joyeux Coucous“.
(Adapter les calculs selon l’âge du comédien.)
SYLVAIN
Soit bien conscient que si tu ne coopères pas, les joyeux coucous vont fermer en janvier ! Et tes 30 années du reste de ta vie, ce sera à la résidence des “ Coucous déprimés“ !
LUCIEN
Je prélève sur ma réserve chaque mois… Voyons, voyons… On va dire en moyenne 400€ pour compléter ma pension.
HENRIETTE
400€ ?… Tu avais juste parlé de quelques faux billets glissés parfois dans une liasse…
LUCIEN
Oui, mais là maintenant, si on joue dans la même équipe, je dis tout.
IRMA
Bravo mon cher Lucien !
LUCIEN
Et disons 300€ pour mes petits frais annexes et aussi… Environ 500€ par mois pour aider mes enfants et petits-enfants, anniversaires, noëls... Tout ça quoi !
Donc au total : 1200€ par mois en faux billets.
ADAM
Wouah ! 1200€ par mois ! Mais tu vas te retrouver rapidos à sec à ce train-là !
LUCIEN
Je crois pas… J’ai jamais trop surveillé mes dépenses en fait. Alors…
Je sais juste que depuis 8 ans que je suis ici, j’ai déjà vidé une autre petite valise.
Il reprend son téléphone, texte conseillé sur écran.
Donc…360 mois à 1200€, ce qui donne… Voilà : 432.000€ pour assurer mes vieux jours, jusqu’à mon centième anniversaire.
Les autres restent ahuris.
Alors ? Vous voyez ?
ADAM
On voit quoi ?
LUCIEN
Qu’il n’y a pas d’inquiétude à avoir.
SYLVAIN
Pardon ? Mais quand même ! Plus de 400 000€…
LUCIEN
Oui. Donc ?
A nouveau la calculette et texte conseillé sur écran.
Bon… Si je meurs à 100 ans, il restera pour mes héritiers, en faux billets bien sûr…
Voilà… Le total dans mes valises… J’enlève mes 432 000€ de dépenses…
Et voilà ! 39 millions 950 milles euros. Il me reste disponible, tous frais déduits, jusqu’à mes 100 ans presque 40 millions disponibles.
Amusé et désinvolte.
Aïe ! En fait, va falloir que je sois vachement attentif à mes dépenses.
CAMILLE
40 millions, 3 valises… Ça fait autour de 13 millions par valise !... Bizarre !
LUCIEN
Quoi bizarre ?
CAMILLE
Ben… 13 millions par valise, même avec des billets de 100€, ça ferait… ça ferait… 130 milles billets ! Explique-nous comment tu fais pour mettre autant de billets par valise !
LUCIEN
Et bien… Il n’y a pas que ces 3 valises-là, il y a toutes les autres valises.
ADAM
De quoi tu parles ?
LUCIEN
Ben je parle des 36 autres valises qui sont stockées dans le box que je loue à ……………………….……………. (lieu de votre village ou ville voisine).
SYLVAINE
Ah ! Intéressant… Très intéressant !
LUCIEN
Permettez que j’appelle le loueur pour vérifier mon box… Vous m’avez foutu la trouille là !
Il sort son téléphone.
SYLVAIN
A Lucien.
Plus de 40 millions d’euros ! 4 ou 5 fois le prix de la résidence ! Alors là, j’avoue n’avoir pas évalué le talent de cet imposteur et l’ampleur de ses arnaques à leur juste mesure.
LUCIEN
Enervé sur son téléphone.
Eh merde ! Pas de réseau ! Comme d’hab quoi.
Vous savez, pour mes billets, le plus difficile c’est la qualité du papier.
Pour le reste, suffit de régler l’imprimante, de recharger l’encre et les bobines de papier le soir et ça tourne tout seul toute la nuit.
Bon… Je vais chercher du réseau sur le terrain de boules… Enfin à côté du minaret !
Il sort.
ADAM
Mais pourquoi j’ai pas choisi cette filière-là après mon bac, moi, au lieu de faire l’école de police ?
Scène 5
LES MÊMES sans Lucien, donc :
ADAM, CAMILLE, DENISE, HENRIETTE, IRMA, SYLVAIN
HENRIETTE
Reste maintenant à enfin m’expliquer, à nous expliquer, vos magouilles pour blanchir les billets de Monopoly de Lucien… Allez ! Starsky et Hutch ! Je vous écoute !
Les deux compères interpelés se regardent… Sylvain se décide.
SYLVAIN
- Donc, on a créé, un compte offshore dans les îles Caïmans, un site en ligne sur le net et l’association “‘N’oublie pas mes petits souliers“…
HENRIETTE
Hein ? L’association ? Votre belle idée de lettres au père Noël ?...
Mais qu’est-ce que ça vient faire là-dedans ?
SYLVAIN
C’est en partie grâce à cette association qu’on peut blanchir la fausse monnaie.
HENRIETTE
D’accord ! En fait, cette belle idée pour émerveiller les enfants avec réponse person-nalisée du père-Noël, ce n’est ni généreux, ni attendrissant. Ce n’est rien qu’une magouille pourrie de plus pour mettre en place cette arnaque monumentale. Je suis déçue.
SYLVAIN
Mais ça n’empêche pas de joindre l’utile à l’agréable. Et puis qui sait…
HENRIETTE
Euh… Qui sait… Quoi ?
ADAM
Ben, ce qu’il veut dire, c’est que si « le pécule » de Lucien est ce qu’on pense, on pourra rétrocéder certaines sommes pour acheter des jouets pour des enfants défavorisés…
HENRIETTE
Ah ! Des jouets pour des enfants défavorisés…
Petit silence…
Bon… Je veux bien y réfléchir. Mais attention hein : ce n’est pas un oui définitif.
Pas la peine d’échafauder des plans sur la comète avant d’avoir l’accord et de savoir pour le montant de son… de son… magot.
YVONNE
A mon avis, vous fantasmez un peu trop sur le magot…
D’accord on a déjà 2 millions blanchis mais il en manque encore entre 6 et 8 !
HENRIETTE
2 millions déjà blanchis ? Et qui ici est déjà au courant pour toute votre usine à gaz ?
Tous lèvent les mains.
Ah oui, quand même ?
IRMA
Tous au courant peut-être, sauf qu’on pensait tous, il y a même pas une heure, que le blé de Lucien, c’était du vrai.
Les autres acquiescent de la tête.
SYLVAIN
Je continue…
Donc sur le site en ligne, on a proposé aux personnes intéressées de verser 20€ par virement sur le compte offshore.
Et en retour, il leur est promis de recevoir 60€, le triple donc, en espèces par courrier.
CAMILLE
Et il y a des gogols pour tenter le coup ?
SYLVAINE
20€ c’est pas un gros risque et les gens à l’esprit joueur sont des millions…
Il leur est ensuite proposé de rejouer 40€.
MARIE
40€ : le risque est multiplié par 2.
SYLVAINE
Justement non. Ils ont versé d’abord 20€ puis vont verser 40€ mais entre ces 2 virements sur notre compte ils ont déjà reçu 60€. Donc ils rejouent seulement ce qu’ils ont déjà reçu.
CAMILLE
D’accooord !... En fait… On s’est laissé embarquer là-dedans comme des nouilles.
Mais avec ces deux-là, on en découvre des vertes et des pas mures à chaque instant.
SYLVAINE
Oui, bon… Ensuite, quand on a reçu les 40€ des donateurs, on leur renvoie le double soit 80€. Ils ont donc alors une avance de 80€ qu’ils peuvent garder ou rejouer.
S’ils rejouent ces 80€, on leur envoie à nouveau le double : 160€. Et ainsi de suite…
CAMILLE
OK ! Les donateurs ont toujours un crédit d’avance… Ce qui explique qu’avec les 4 millions empruntés dans la petite valise verte, vous ayez seulement récolté 2 millions.
MARIE
Et je suppose que vos donateurs n’ont pas été informés qu’ils recevraient de faux billets ?
IRMA
Déjà nous autres on savait pas… Alors les donateurs !
SYLVAINE
Evidemment ! On ne va pas ébruiter la fortune de Lucien et le fait qu’on l’utilise.
CAMILLE
Mais comment les gens peuvent être aussi naïfs.
ADAM
Après tout, vu la qualité des billets, ils ne risquent rien du tout.
Irruption du père Etienne.
SCENE 6
ADAM, CAMILLE, DENISE, LE PERE ETIENNE,
HENRIETTE, IRMA, SYLVAIN
Irruption du père Etienne.
LE PERE ETIENNE
C’est inespéré, prodigieux, fantastique ! Le Vatican !
DENISE
Quoi le Vatican ?
LE PERE ETIENNE
Notre évêque a alerté ses relations haut placées à Rome et notre cagnotte est déjà mise en ligne sur le site du Vatican : la résidence, les tuiles, les cloches… Tout en un !
DENISE
Le Vatican sur internet… Bizarre ! J’aurais pas cru ça possible…
LE PERE ETIENNE
Tout dépend du motif ma fille ! Et là, le motif… les motifs sont on ne peut plus nobles.
IRMA
Surtout les cloches qui nous cassent les oreilles et font aboyer les clébards du village.
LE PERE ETIENNE
Merci mon général.
Bon je vous tiens au courant, je dois y aller. J’ai confession dans 10 minutes.
Il ressort aussi exubérant qu’il est entré.
CAMILLE
Pour en revenir à notre... Notre cagnotte à nous… Si on estime la résidence à 10 millions, on va devoir mettre 20 millions de faux billets en circulation… C’est énorme.
ADAM
Pas tant que ça : ça fait à peine 6 centimes par habitant de la zone euro.
CAMILLE
Vous avez tout calculé hein ?
SYLVAIN
Oui ! Et pour les premiers 4 millions mis en circuit, nous avons limité à 1600 donateurs avec un bénéfice de 1280€ chacun. Et on va continuer avec cette limite.
DENISE
Ouais, ouais, ouais… Je présume que cette limite, c’est pour éviter un changement de trains de vie de vos donateurs, qui pourrait attirer l’attention ?
ADAM
Exact. Mais le problème c’est que si on limite à 6 envois de billets par personne, ça nous oblige à avoir recours à plus de donateurs pour attendre l’objectif des 10 mille euros.
Du coup, les envois par la poste sont multipliés.
MARIE
Et bien évidemment, c’est là qu’interviennent les lettres au père Noël pour noyer le poisson ! Bien pensé ! Et ça fera combien de lettres tout ça ?
SYLVAINE
On ne sait pas précisément mais au rythme actuel c’est 15 lettres du père Noël à écrire, par jour et par résident.
ADAM
Et au moment de poster tous les courriers, Sylvaine et moi, nous glissons les enveloppes contenant les faux billets.
MARIE
Deux psychopathes !... Et les frais d’envoi dans tout ça ?
SYLVAINE
Négligeable : ça ne dépassera pas 3% du prix de la résidence !
Et si ça marche, tout le monde, résidents et membres du personnel seront associés au mène niveau dans la coopérative.
MARIE
La coopérative ! C’est quoi ça encore ?
Vous n’avez pas déjà prévu la couleur des nouveaux paillassons par hasard ?
ADAM
Ah ben merde ! ça on a totalement oublié.
Sylvaine ! Tu peux noter pour les paillassons, s’il te plaît ?
SYLVAINE
Bien sûr monsieur le directeur adjoint.
MARIE
Directeur adjoint toi ? Et… Adjoint de qui ?
ADAM
Mais adjoint de toi ma chérie.
CAMILLE
Vous avez entendu là ? il a dit “ma chérie“ !
IRMA
Oui, oui… Il l’a dit ! Mais c’est pas un scoop non plus !
CAMILLE
N’empêche ! Il l’a dit et devant nous tous. Ça c’est nouveau.
IRMA
C’est vrai que ça nous change du jeu des petites cachotteries habituelles. Eh ben moi je le dis : c’est bien mieux comme ça.
CAMILLE
Ouais… Sauf que ça va être beaucoup moins drôle. N’est-ce pas les chéris ?
MARIE
Voyons les filles ! Un peu de respect pour votre directrice quand même !
ADAM
Et aussi pour votre nouveau futur directeur adjoint.
SCENE 7
ADAM, CAMILLE, DENISE, LE PERE ETIENNE,
GERMAINE, HENRIETTE, IRMA, LUCIEN, SYLVAIN
Entrée de LUCIEN en panique.
LUCIEN
2 de mes 3 valises bleues ont disparu !
SYLVAIN
Hein ? T’es sûr ?
LUCIEN
Ben oui évidemment ! ça devait arriver ! Il y a trop de monde au courant pour mes valises.
Mais qui a pu faire un coup pareil ? Quelqu’un d’ici, c’est quasi certain… Mais qui ?
IRMA
Attendez… Ah…. Je vois… Je vois…
LUCIEN
Oui, bon… Tu vois quoi ?
DENISE
Ne la brusque pas. Moi je commence à y croire à ses dons.
IRMA
Elle entre en transe, yeux fermés…
10 secondes passent…
Je vois une voiture… Une vieille voiture… Noire, le capot très allongé…
CAMILLE
La vieille DS du général !
IRMA
Deux personnes montent à bord… Oui, ce sont eux ! Le général et Yvonne.
CAMILLE
Oui, bon. Ils vont faire un tour à ………………….……. (Ville voisine).
IRMA
… Et je vois 3 valises dans le coffre…. Non … Pas 3… 2 valises seulement… Bleues… Et un sac de voyage rouge
LUCIEN
Deux valises bleues ! Ah l’enfoiré !
LE PERE ETIENNE
Nom de dieu ! Nos deux valises.
LUCIEN
Ah non ! Pas NOS valises… Ces deux-là, elles sont encore à MOI.
Entrée de Germaine, brandissant une lettre.
GERMAINE
Regardez-y donc quoi qu’c’est-y que je viens de trouver en faisant la poussière sur le bureau de l’accueil.
Bon… Je vous cache pas que j’ai lu vu qui z-y avait point d’enveloppe…
Henriette saisit le papier et lit d’abord un peu pour elle-même.
CAMILLE
C’est quoi ?
HENRIETTE
Une lettre du général. Sidérant, je dois dire !
Elle commence à lire :
« Chers amis, je suis désolé, mais tous ces pauvres billets, séquestrés dans ces vieilles valises poussiéreuses, sans espoir de revoir un jour la lumière… J’ai eu pitié !
Pas le temps de vous dire adieu, nous…
LUCIEN
Il a bien fait de pas faire ses adieux, il a évité mon poing sur la gueule, le général !
GERMAINE
Carrément qu’il a encore disjoncté l’amiral !
DENISE
Chut ! La suite…
HENRIETTE
« Nous avons rendez-vous demain matin avec le notaire… »
LE PERE ETIENNE
Le notaire ? Mais quel notaire ?
GERMAINE
P’t-être bien qu’il va hériter d’une mémoire toute neuve …
HENRIETTE
Mais laissez-moi finir ! « … avec le notaire, car je vais acheter pour Yvonne et moi, pour nos vieux jours, la maison de mes rêves et vous y serez tous les bienvenus à l’occasion, enfin si vous ne m’en voulez pas trop. »
LUCIEN
Tu parles qu’on lui en veut pas à cette vieille fripouille…
GERMAINE
Ah elle est belle l’armée française !
HENRIETTE
Poursuivant sa lecture.
… « Sachez qu’Yvonne n’est au courant de rien, je veux lui faire la surprise. Nous vous souhaitons bonne chance pour la suite. Au plaisir de vous recevoir à la Boisserie. Je vous mets l’adresse au verso. »
IRMA
Non ! La Boisserie ! Il a pas osé pousser sa folie jusque-là quand même ?
DENISE
La Boisserie… Tu crois… La vraie Boisserie ?
GERMAINE
Et quoi que c’est-y donc que cette Boiserie ?
HENRIETTE
Elle tourne la page et lit.
1, rue du Général De Gaulle - 52330 COLOMBEY-LES-DEUX EGLISES.
DENISE
Et ben si ! Il l’a fait !
IRMA
Il nous prend pour des cons là !
CAMILLE
Et il n’a peut-être pas tort vu la situation.
DENISE
Je n’en reviens pas ! Il m’avait parlé de cette idée saugrenue et ça m’avait fait rigoler.
J’ai pensé “un délire de plus“. Je n’aurais jamais imaginé qu’il mijotait de piquer les valises de Lucien pour aller au bout de son rêve !
HENRIETTE
Ah le con ! Le con ! Le con !
GERMAINE
Faudra plus me faire des remarques sur la façon dont que je cause, parce que là, madame la directrice, que vous-y montrez vraiment pas le bon exemple.
SYLVAIN
Le con peut-être… Mais surtout le pigeon !
GERMAINE
Pourquoi “ le pigeon “ ?
CAMILLE
Mais enfin Germaine ! La Boisserie à Colombey c’est la maison du général De gaulle : c’est un musée, il y a des visites, ça doit même être classé site historique,
IRMA
Et donc… Donc ?... (Germaine reste silencieuse) Donc, elle ne peut pas être vendue.
GERMAINE
Ouais…Sauf que notre Tournesol et sa chérie et ben y z-ont rendez-vous chez un notaire !
CAMILLE
Ils sont en train de se faire arnaquer !
LUCIEN
Il faut les rattraper !
IRMA
Ils sont partis il y a plus d’une heure.
HENRIETTE
Tu as vu ça dans ta boule de cristal ?
IRMA
Non. J’étais à la fenêtre et je les ai vus sortir vers leur tacot. Et ils portaient chacun…
CAMILLE
Bravo la boule de cristal !
Elle joue à son tour la voyante, yeux fermés…
Je vois… Je vois… T’as juste tout vu pat ta fenêtre !
IRMA
Même qu’ils ont mis les bagages sur les sièges arrière.
LUCIEN
Bon… Ils sont partis de quel côté ?
IRMA
La DS a tourné à droite sur la route en sortant du parc.
SYLVAIN
Normal ! Ils vont prendre l’autoroute.
Bruit de voiture au dehors…
DENISE
On a une chance de les rattraper.
Leur DS est repérable et ne permet pas de rouler vite.
Bruit de vieille voiture qui toussote… Tous écoutent.
Henriette et Camille foncent à la fenêtre.
HENRIETTE
Pas la peine… Nos oiseaux sont de retour !
CAMILLE
Moquant Irma, elle joue à nouveau la voyante..
Ah ! Et là je vois… Je vois… Nous voyons 2 valises et un sac rouge sur les sièges arrière.
LUCIEN
Ouf !
Tous se mettent face à la porte par laquelle les “fuyards“ vont revenir. Bien décidés à demander des explications. Poings serrés… Silence lourd.
On entend du bruit dans l’entrée… Charles entre, suivi d’Yvonne.
SCENE 8
Les mêmes + CHARLES et YVONNE
CHARLES
Furieux, il ne laisse le temps à personne de prendre la parole.
La chienlit, mes amis ! C’est la chienlit ! (A Germaine) appelez-moi de toute urgence le ministre de l’intérieur.
GERMAINE
Qui ça ? Moi ?
CHARLES
Qui voulez-vous ? Vous êtes ma secrétaire oui ou non ?
Donc vous dites à Marcellin de me faire évacuer immédiatement ce rond-point.
GERMAINE
Eh ben me v’là t-y point promue secrétaire personnelle de l’amiral Tournesol !
A qui qu’ c’est-y qu’il m’a dit qu’il faut y téléphoner ?
HENRIETTE
En confidence à tous.
Laissez tomber Germaine : pas la peine de dialoguer. Là il est en crise aiguë.
LUCIEN
Crise aiguë… C’est un peu facile quand même. Il peut tout se permettre !
HENRIETTE
Que voulez-vous c’est LE général !
CHARLES
Invraisemblable ! Un attroupement bloque le rond-point d’accès à la bretelle de l’autoroute. Sans doute une grève des Ponts et Chaussées. Ils portent tous des gilets, jaune fluo.
C’est la chienlit ! Il faut envoyer immédiatement les CRS, la légion les parachutistes.
CAMILLE
Aussi efficace et moins brutal : les canadairs mon général ?
DENISE
Pas la peine mon général, le porte-avion Charles De Gaulle est déjà positionné sur …………………………………….. (vous pouvez préciser ici un fleuve ou un canal de votre région) avec ses charges nucléaires.
CHARLES
Très bien, très ben. Mais… Il y a un porte-avions qui porte mon nom ?
ADAM
Bien sûr mon général.
CHARLES
C’est incroyable, on ne m’a même pas demandé mon avis !
ADAM
Et même un aéroport civil de Paris.
HENRIETTE
Et la place de l’étoile rebaptisée à votre nom !
CHARLES
C’est très flatteur, mais c’est aussi un peu gênant.
Ils auraient quand même pu attendre que je sois mort.
HENRIETTE
A Yvonne.
Et toi, tu t’es laissée embarquer comme ça ? Tu n’étais vraiment au courant de rien ?
YVONNE
Non ? Je ne comprends pas votre attitude.
HENRIETTE
Elle tend le courrier laissé par Charles.
Tiens ! Lis.
YVONNE
De plus en plus stupéfaite au fil de la lecture.
Oh nom de dieu… Oh nom de dieu… La Boisserie : carrément !
Là je comprends un peu mieux votre agacement.
Je vous jure que je ne savais pas. Rien !
Sinon, vous pensez bien que j’aurais raisonné Charles…
HENRIETTE
Oui… On s’en doute. Bon… Tout est bien qui finit bien.
CAMILLE
Et merci les gilets jaunes !
C’est pas fini, mais
Courte fermeture du rideau.
Nous passons au soir du 24 décembre. Ajouter rapidement sur scène un sapin de Noël (Prévoir un sapin avec illuminations incorporées, facile à installer.)
+ sur la table centrale de quoi faire un léger apéro.
EPILOGUE
LE SOIR DU 24 DECEMBRE
TOUS.
Ils sont assemblés derrière la grande table pour l’apéro.
Durant environ 30 secondes, ils parlent en 2 ou 3 groupes (improviser) sans qu’il soit utile que le public comprenne vraiment leurs conversations.
Puis Henriette entre un document entre les mains. Le silence se fait d’un coup.
HENRIETTE
Elle affiche une mine plutôt coincée.
Bonsoir mes amis et… joyeux Noël ! Enfin…
LES AUTRES
Joyeux Noël madame la directrice (ou “joyeux Noël Henriette“).
Henriette lève le document puis l’abaisse avec dépit.
ADAM
Non… Ne me dis pas que....
SYLVAIN
On n’a pas fait tout ça pour rien, c’est pas possible !
LUCIEN
Veuillez accoucher madame la directrice, s’il vous plaît.
Dites-moi que mon pognon a servi à quelque chose, je vous en supplie.
Henriette reste prostrée, silencieuse.
CAMILLE
Pardon madame, mais là, on va s’évanouir...
IRMA
Regard vers le fond de la salle, elle s émet à rire.
Je le vois plus ! Je le vois plus !
ADAM
Qui ? Quoi ?
IRMA
Le minaret !
GERMAINE
Ah non ! Que ça suffit grave avec las Qaqataris !
HENRIETTE
Le tribunal a rendu sa décision. Il y avait 3 offres d’achat et… Et…
Elle garde sa mine dépitée quelques secondes puis laisse soudain éclater sa joie.
On a gagné mes amis ! On a gagné !
Tous se mettent à sauter, crier, et danser (durée à définir).
Henriette hausse la voix.
Il y a donc eu un don très mystérieux de 10 millions d’euros pour notre résidence.
Don déposé par une personne richissime dans une banque des îles caïman. Le généreux donateur a mis des conditions : nous devons nous organiser en coopérative entre résidents et membres du personnel
Nous avons 3 mois pour déposer les statuts.
SYLVAIN
Les statuts ? Mais ils sont déjà prêts !
Irruption du Père Etienne, agitant en l’air un chèque.
GERMAINE
Ben qu’il manquait plus que lui !
LE PERE ETIENNE
Il jubile !
Ah ! Mes fils, mes filles, mes amis ! C’est le plus beau Noël de ma vie ! Et de loin !
C’est un miracle ! Un miracle !
CAMILLE
Eh bien… Que se passe-t-il mon père ?
LE PERE ETIENNE
10 millions d’euros ! Là, j’ai dans les mains un chèque de 10 millions d’euros !
La cagnotte du Vatican ! C’est pour nous ! pour vous !
DENISE
Votre toit va être refait à neuf, mon père !
LE PERE ETIENNE
A neuf ? Ah, si vous le dites… Mais on ne m’a pas encore communiqué le nombre des ouvriers… (Flop) Mais je plaisante !
GERMAINE
10 millions ? et ben que c’est peut-être bien le moment d’en profiter pour z-y changer le cordon de l’aspirateur parce que vraiment que ça yoyotte grave !
LE PERE ETIENNE
Il s’arrête de jubiler en constatant la mine effarée des autres.
Et bien, cachez votre joie !
je vous apporte la solution à tous nos problèmes et vous me faites des mines de gamins privés de leurs téléphones portables.
SYLVAIN
Ben... En fait, mon père, c’est que de notre côté on a déjà trouvé une solution à …
CHARLES
Il coupe innocemment la parole au curé.
Oui… On a déjà tous trouvé une solution pour un autre avenir, loin d’ici.
En ce qui me concerne, dans une belle résidence campagnarde en Haute Marne.
Ne voulant pas décevoir le curé en évoquant avoir déjà de quoi sauver leur résidence, les autres embrayent sur le discours de Charles.
CAMILLE
Moi j’ai postulé pour travailler dans un EHPAD, bien triste…
YVONNE
Et moi je vais aller vivre chez ma sœur, enfin… Provisoirement.
LE PERE ETIENNE
Ne me dites pas que vous allez tous partir alors que j’ai là dans la main, le miracle tant attendu. Et le soir de Noël en plus !
On ne refuse pas un cadeau de notre seigneur Jésus !
Silence gêné de tous…
GERMAINE
Ben quoi ? De Jésus ou de Tartempion, que c’est point la question non ?
Silence
Bon d’accord et ben vous savez quoi, curé ?
Et ben si qu’il en veulent pas de votre chèque miraculeux et ben que je vais me dévouer…
IRMA
A tous
Allez quoi ! Elle a raison Germaine : bien sûr que non, qu’on ne va pas refuser !
GERMAINE
Ah ben voyez mon père ! Qu’y en a quand même une qui se bouge le cul !
IRMA
Mais on est tous tellement surpris que vous ayez réussi, monsieur le curé…
Qu’on a du mal à y croire.
Allez tous ! On va tous rester ici, aux joyeux coucous ! Vous entendez ?
On va rester, tous ensemble ! Tous ensemble, tous ensemble hé !...
Ils refont tous la fête comme précédemment.
LE PERE ETIENNE
Ah la bonne heure ! Quelle joie de vous voir ainsi.
Et pour remercier notre Seigneur, je vous veux tous ce soir à la messe de minuit.
Et quand je dis “tous“, c’est tous ceux de la résidence et pas que la chorale.
Et qu’on se le dise, tout absent sera illico excommunié et voué aux flammes de l’enfer.
Il sort, radieux, conservant par distraction le chèque qu’il était venu apporter.
LUCIEN
Je ne comprendrai jamais les curés !
Là, il avait vue directe sur le ciel et il s’obstine à remettre des tuiles.
IRMA
Sérieux !
On ne pouvait pas lui dire qu’on avait déjà trouvé 10 millions, vous êtes d’accord ?
SYLVAIN
Tu as raison. J’ai failli vendre la mèche.
Heureusement que Charles m’a coupé dans mon élan. (Salut militaire) Merci Charles.
CHARLES
De rien mon p’tit gars. Repos.
CAMILLE
C’est bien gentil tout ça, mais qu’est-ce qu’on va faire du chèque du curé ?
Tiens d’ailleurs… Il est où son chèque ?
LUCIEN
Il est reparti avec, tiens ! Pas con, lui au moins !
CAMILLE
Arrête Lucien, C’est une simple étourderie sous le coup de l’émotion.
ADAM
Avec ce chèque, je propose de laisser la priorité au curé pour acheter des cloches en or massif et des tuiles en porcelaine de Limoges.
GERMAINE
Ouais… L’inverse que ça serait pas top… Surtout les cloches en porcelaine.
SYLVAIN
Pour le reste… On verra.
CAMILLE
J’ai peut-être une idée… Vous savez que je dirige une autre chorale ?
IRMA
Oui, tu nous en a parlé : tu remplaces ta collègue malade dans la résidence pour séniors à…………………….………….. (bourgade pas loin de chez vous).
CAMILLE
Justement… Ils sont dans la même situation que nous… Sauf que… Pas de richissime donateur ni de chèque du Vatican…. Ils vont fermer en mars ou avril prochain…
ADAM
Je te vois venir…
CAMILLE
Ben quoi ?
DENISE
Mais oui !... Après tout, pourquoi pas ?
HENRIETTE
On encaisse le chèque du père Etienne…
YVONNE
Et on file le pognon de notre donateur pour sauver nos cousins de…………………. (Bourgade évoquée plus haut). Enfin si notre donateur est d’accord…
SYLVAIN
Sourire malicieux.
Je vais le contacter demain matin au réveil. Mais à priori je suis plutôt confiant.
Nouvelle irruption du père Etienne, brandissant son chèque.
LE PERE ETIENNE
Quel étourdi je fais ! Je suis reparti avec le chèque.
LUCIEN
Etonnant ! J’aurais parié que vous l’aviez gardé exprès !
LE PERE ETIENNE
Faussement dépité et désignant du geste les anciens.
Séniors !
Puis, levant les yeux au ciel.
Prends pitié !
Il donne son chèque à Adam.
ADAM
Solennel, redonnant le chèque à Henriette.
Les séniors soient avec vous !
TOUS LES AUTRES ENSEMBLE
Et avec votre esprit !
FIN de la pièce / fermeture du rideau.
Musique : Mon vieux et puis… Si vous le voulez…
Suggestion pour prolonger un peu le plaisir…
Les comédiens sont alignés face au public
Le père Etienne est à part sur un côté de la scène (micro conseillé)
Le père Etienne (ou votre metteur en scène)
Il peut avoir tout ou partie du texte qui suit sous les yeux.
Merci de votre présence. Au départ nous pensions offrir le bénéfice de ce spectacle pour aider au sauvetage des « Joyeux Coucous », mais il semble bien que nous ayons été devancés. C’est donc tout bénéf pour nous : on garde la recette.
Aux dernières nouvelles, nos séniors sont donc devenus proprios de leur résidence en coopérative. Alleluia !
Alors prions mes frères et mes sœurs pour tous ceux qui n’ont pas cette chance.
Pour nos vieux qui croupissent dans des mouroirs infectes sans que ni les administrations concernées, ni davantage nos politiques ne s’en émeuvent sérieusement.
ADAM
Il s’avance d’un pas.
Séniors, prends pitié !
Il recule d’un pas.
Hormis pour le curé, avant chaque réplique suivante « Séniors, prends pitié ! »,
chaque comédien va, comme Adam, s’avancer d’un pas puis reprendre sa place.
Sollicitez le public pour qu’il accompagne cette réplique-là.
LE PERE ETIENNE
Pour nos vieux qui sont alimentés de façon infâme par des centrales de restauration qui se gavent de bénéfices.
CAMILLE
Séniors, prends pitié !
LE PERE ETIENNE
Pour nos vieux, incontinents, dont les couches ne sont changées qu’une fois par jour et jamais la nuit.
CHARLES
Séniors, prends pitié !
LE PERE ETIENNE
Pour nos vieux qui n’ont plus aucune famille, plus aucun ami.
DENISE
Séniors, prends pitié !
LE PERE ETIENNE
Pour nos vieux qui ont une famille mais jamais ou presque de visites.
GERMAINE
Séniors, prends-y par pitié !
LE PERE ETIENNE
Pour nos vieux qui sont encore dans leur logement mais incapables de monter ou descendre la moindre marche d’escalier.
HENRIETTE
Séniors, prends pitié !
LE PERE ETIENNE
Pour nos vieux qui sont encore dans leur logement et qui oublient qu’ils ont branché le four ou laissé le robinet ouvert.
IRMA
Séniors, prends pitié !
LE PERE ETIENNE
Pour nos vieux qui essaient avec courage et détermination de faire leurs démarches en ligne sur internet.
LUCIEN
Séniors, prends pitié !
LE PERE ETIENNE
Pour nos vieux immobilisés qui n’ont plus comme loisir que Koh-Lanta, the Voices, les feux de l’amour, Poutine, Netanyahu ou Cyril Hanouna.
SYLVAIN
Séniors, prends pitié !
LE PERE ETIENNE
Pour nous tous ici, qui un jour connaîtrons peut-être l’un ou l’autre ou plusieurs de ces tourments.
YVONNE
Séniors, prends pitié !
LE PERE ETIENNE
Allez dans la paix du Christ.
Le public s’est levé et commence à quitter la salle…
Annonce au micro :
Votre attention s’il vous plaît !
Nous venons de constater qu’une valise bleue a disparu en coulisses.
Merci à toute personne ayant des informations à ce sujet de contacter les organisateurs.
Inutile d’en parler à la gendarmerie ou à la police. Merci.