Séniors… Prends pitié !

La petite résidence privée « Les Joyeux Coucous » accueille des pensionnaires âgés, certains toujours très lucides et efficaces dans leurs anciens domaines professionnels et d’autres un peu – beaucoup – fêlés.

Le groupe dont fait partie la résidence est en difficultés.
Faute d’un repreneur avant fin décembre, la fermeture sera inévitable.
Espoir soudain ce jour de novembre ! La directrice, madame HENRIETTE, annonce que des Qataris sont sur le coup pour racheter le groupe ! Libre cours aux fantasmes….
Mais la résidence, petite et peu rentable, risque fort de ne pas intéresser les émirs !
Elle risque donc plutôt de fermer purement et simplement.

Qataris ou fermeture ? Inacceptable ! Ni l’un ni l’autre, pour SYLVAIN, le comptable, et pour ADAM, maire du village (ancien flic et amant d’Henriette) !
Avec l’aide de résident(e)s et de membres du personnel, ils vont tenter de sauver leur résidence confortable.
Le plan ? racheter eux-mêmes l’établissement en coopérative.
Problème, ils n’ont pas le sous… Enfin si… Quoique peut-être, si on prends en compte… Mais non, c’est risqué… A moins que l’on s’arrange pour… Et là je vous dis pas le magot. Mais bon… C’est délicat, très délicat… Faut voir avec LUCIEN !

LUCIEN ? C’est leur ami résident. C’est lui qui détient la clé : il a conservé de son passé trouble 4 valises de faux billets (indétectables) qu’il ne peut écouler que prudemment et donc lentement.
Au train actuel où il puise dans ses valises, il lui restera encore près de 40 millions d’€ en fausses devises inutilisées s’il meurt à 100 ans. Quel gâchis !

Alors on va vous expliquer, en 1h30 environ, les méandres de l’arnaque la plus sympathique du siècle.
Même le père noël est mis dans le coup.
Malgré les facéties de CHARLES (Alzheimer, réincarnation loufoque du général De Gaulle) le succès sera, comme vous le devinez au rendez-vous;
Mais au-delà de tout ce que vous pouvez imaginer car ETIENNE, curé du village, très bien vu à Rome (et même bien plus haut), vient glisser son goupillon dans cette affaire.

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Liste des personnages (12)

HENRIETTEFemme • Adulte
Mme HENRIETTE : La directrice (40 à 65 ans)
GERMAINE ou GermainIndifferent • Adulte/Senior
GERMAIN(E) : Employé(e) à l’entretien. Rôle féminin de préférence.
SYLVAIN(e)Indifferent • Adulte/Senior
SYLVAIN(e) : le comptable. Ancien(ne) trader et informaticien(ne).
LUCIEN(ne)Indifferent • Senior
LUCIEN(ne) : résident ancien faux-monnayeur.
CHARLESHomme • Senior
CHARLES : résident, ancien sous-officier, perd la tête, se prend pour De Gaulle.
YVONNEFemme • Senior
YVONNE : résidente en couple avec Charles.
ADAMHomme • Adulte/Senior
ADAM : maire et ancien lieutenant de police. Amant d’Henriette (40/65)
Le père ETIENNEHomme • Age indifferent
Le Père ETIENNE : curé du village.
IRMAFemme • Senior
IRMA : voyante très lucide. Personnage absent de la version 8 rôles.
CAMILLE (H ou F)Indifferent • Age indifferent
CAMILLE : Animateur (trice) (20 à 50 ans) Absents dans la version 8.
DENIS(e)Indifferent • Senior
DENIS(e) : ancienne chanteuse sans succès. Présente seulement dans la version à 11 personnages.
DISRIBUTIONS POSSIBLESIndifferent • Age indifferent
LES DISTRIBUTIONS POSSIBLES : 9 personnages : 4H5F 5H4F 6H3F 10 personnages : 3H7F 4H6F 5H5F 6H4F 7H3F 11 personnages : 3H8F 4H7F 5H6F 6H5F 7H4F 8H3F

Décor (1)

DECOR UNIQUELa salle de vie d'une résidence pour séniors : tables, chaises... Déco à votre libre imagination.

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Le public est installé. Rideau fermé, les 3 coups !

La sono commence à diffuser « Mon vieux » interprétée par Daniel Guichard.

Laisser chanter jusqu’au couplet 5 durant lequel le rideau s’ouvre : “ on n’recevait jamais personne, ça n’le rendait pas malheureux, Je crois, mon vieux...“

La chorale, soit est déjà en place, soit entre sur scène en chantant la suite en karaoké.

NB : vous pouvez simplifier en faisant chanter vos comédiens en karaoké depuis le début

ou en accompagnant Daniel Guichard.

CAMILLE est aux commandes, tel un chef d’orchestre.

Ils ne chantent pas tous très juste, surtout DENISE, très émue qui sanglote.

 

 

 

ACTE 1

 

Scène 1

CAMILLE, ADAM, CHARLES, DENISE,

IRMA, LUCIEN, SYLVAIN, YVONNE

 

La chorale des résidents.

 

Dans son vieux pardessus râpé,

Les jours de paie quand il rentrait

On l’entendait gueuler un peu

Mon vieux

Nous on connaissait la chanson,

Tout y passait, bourgeois, patrons

La gauche, la droite, même le bon dieu

Avec mon vieux.

Chez nous y-avait pas la télé

C’est dehors que j’allais chercher

Pendant quelques heures l’évasion,

Tu sais, c’est con !

Dire que j’ai passé des années

A côté d’lui sans l’regarder…

On n’a à peine ouvert les yeux

Nous deux…

CAMILLE

Soupir et bras levés vers le ciel, en signe de désespoir.

Stop !…. Mais vous me faites quoi là ? Et Denise ! Pourquoi tu pleurniches en chantant ?

DENISE

Cette chanson… Je repense au vieux pardessus râpé de mon regretté papa…

Et c’était aussi sa chanson préférée.

IRMA

C’est ta faute aussi Camille, là. Dans notre chorale “ les Joyeux Coucous “, on est des personnes sensibles, alors si tu nous branches sur radio nostalgie…

CHARLES

Le mieux ce serait de le faire façon « Ici Londres ».

Vous pouvez ajouter en fond sonore le fameux brouillage (ça se trouve sur internet) tandis que Charles parle avec le ton saccadé qui convient pour imiter De Gaulle.

Les Français parlent aux Français. Voici quelques messages personnels :

« Les dimanches étaient monotones… On ne recevait jamais personne ».

Je répète : « Les dimanches étaient monotones, on n’recevait jamais personne ».

« Dans son vieux pardessus râpé… Les jours de paie quand il rentrait… »

Je répète…

CAMILLE

Oui bon Charles ! On va pas vous écouter élucubrer jusqu’au débarquement. Je sais pas ce que vous avez ce matin mais vous chantez faux ! Allez ! On se le refait ce couplet…

Elle lève les bras, prête à diriger un nouvel essai et donne le ton de la première note…

Les dimanches étaient monotones…. Do… Do…

LUCIEN

Prenant l’initiative de chanter en impro.

C’est p’t être exprès qu’on chante faux

Et qu’on s’emmêl’ tous les pinceaux

Parce qu’on n’veut pas faire des envieux, mon vieux,

SYLVAIN

Alors on chante comme des tocards

Pour pas vexer Daniel Guichard

Tant pis si c’est pas mélodieux, mon vieux

DENISE

Chantant juste cette fois (tonalité montante).

Si on voulait s’lâcher la voix,

On s’rait d’jà tous à l’Olympia,

Elle se tourne vers Camille et pointe son index vers elle.

Toi t’en croirais pas tes oreilles… Ma vieille…

CAMILLE

Applaudissant doucement

Eh ben, tu vois Denise quand tu veux.

Denise flattée se redresse fièrement.

N’empêche que vous aviez bien monté votre coup. Parce que là, ne mes dites pas que c’est de l’impro…

SYLVAIN

Oui bon… On avoue. On a voulu te taquiner.

DENISE

Parce qu’en vrai, moi, j’ai le niveau pro !

LUCIEN

ça va là Denise ! On sait tous que t’es passée à « The voices kids », mais c’était il y a longtemps ! Très longtemps !

ADAM

Moqueur

Si longtemps que ça ne s’appelait pas « the voices kids ».

A cette époque lointaine, c’était « L’école des fan’s ».

CHARLES

Oui, bon, Adam, un peu de respect s’il vous plaît !

ADAM

V’là t-y pas que “Mon Général“ se met à me vouvoyer !

LUCIEN

Maintenant, Camille, si tu veux de l’impro…

Il se tourne vers Denise et chante...

 

A la télé en noir et blanc,

T’avais chanté « prendre un enfant

Par la main » ou par les oreilles, ma vieille…

YVONNE

Elle enchaîne elle aussi en chantant.

J’suis désolée ma pauv’ Denise,

Mais si j’en crois c’que les gens disent

T’as massacré grave Yves Duteil, ma vieille,

C’était y-a plus de 50 ans…

Denise se met à pleurer.

IRMA

Prenant Denise dans ses bras pour la consoler

Voyons, voyons… A mon avis, plutôt que Duteil, en pleine période yéyé, t’aurais mieux fait de chanter un succès anglais.

SYLVAIN

Denise qui chante en anglais… (Il prononce à l’anglaise) Imagine !

CHARLES

Baisemain à Yvonne

Chanter en anglais, Pfff… Cher ami, c’est là une très mauvaise idée. Vous n’êtes pas sans savoir, que j’ai été contraint quant à moi de m’exiler 5 longues années…

CAMILLE

Et c’est reparti !

CHARLES

… 5 longues années au pays des rosbeefs ! Un calvaire, mes amis, un calvaire !

Au milieu de tous ces gens qui parlent avec un accent épouvantable à force de se nourrir de plats plus épouvantables encore… Le plus dur ma chère, cela n’a pas été les bombardiers allemands, mais bien la nourriture britannique.

CAMILLE

Arrêtez ! On ne va jamais y arriver ! Dès que j’essaie de vous remettre dans le ton, vous vous mettez à plaisanter, à déconner grave !

ADAM

Oh la la ! Si on peut plus rigoler !

CAMILLE

Adam, tu es le maire de notre commune et peut-être devrais-tu montrer l’exemple, non ?

CHARLES

Affirmatif !

CAMILLE

Et je vous rappelle que nous chantons « mon vieux » à Noël devant tout le village et aussi quelques cantiques lors de la messe de minuit…

Et… Qu’il y aura même l’Evêque en personne.

YVONNE

Pour ma part, je refuse de chanter dans ces conditions : c’est le pape ou rien !

LUCIEN

Il faut comprendre aussi. On risque de se retrouver à la rue, peut-être en plein hiver, si jamais la résidence ne trouve pas de repreneur.

Alors on n’a pas vraiment le cœur à chanter.

IRMA

Les prenant tous à témoin.

« Pas le cœur à chanter »…

Elle fait des jeux de mots et même pas exprès en plus !

CAMILLE

Justement ! Autant se changer les idées en chantant.

Allez ! Avec moi “ Les Joyeux Coucous “ !

On reprend à « Nous on connaissait la chanson » !

A nouveau doigt levé pour donner le ton.

Nous on connaissait la chanson… Do… Do…

Les 7 choristes

Ils chantent juste cette fois.

Nous on connaissait la chanson,

Tout y passait, bourgeois, patrons,

La gauche, la droite, même le bon dieu

Avec mon vieux.

Chez nous y-avait pas la télé

C’est dehors que j’allais chercher

Pendant quelques heures l’évasion,

Je sais, c’est con…

 

Entrée soudaine de madame Henriette, la directrice.

 

 

Scène 2

LES MÊMES et HENRIETTE

 

HENRIETTE

Bonjour à toutes et tous. Désolée d’interrompre votre répétition, mais j’ai du nouveau.

Tous les autres.

Bonjour !

CHARLES

Du nouveau ? Mais à quel sujet ?

IRMA

Ben… Les problèmes de pognon de la résidence tiens !

HENRIETTE

Exact ! Bien deviné Irma !

DENISE

Elle n’a pas trop de mérite non plus. Elle a été voyante, non ?

IRMA

Et je le reste encore, même à la retraite.

HENRIETTE

Donc, comme vous le savez déjà, notre groupe, “Corpayant“, souhaite céder à des investisseurs privés la gestion de nombreuses résidences et EHPAD dont il a la charge.

Je viens d’être informée qu’il y a une offre de rachat jugée recevable par le tribunal.

Auquel cas, nous allons peut-être changer de propriétaire.

SYLVAIN

En tant que comptable, j’aurais aimé en être informé.

HENRIETTE

Désolée, Sylvain, mais je viens de recevoir l’info il y a quelques minutes.

SYLVAIN

Pardon ! Et c’est qui les repreneurs ?

IRMA

Vision soudaine. Voix forte, yeux fermés, mystérieuse.

Ah !... Je vois… Je vois… Je le vois !

YVONNE

Mais… Vous voyez quoi Irma ?

IRMA

Je le vois !

Bras tendu, elle pointe son doigt vers le public.

Là !

Les autres dirigent leur regard vers le coin indiqué.

CAMILLE

Il n’y a rien !

IRMA

Mais si voyons ! Regardez : Le minaret !

LUCIEN

Mais quel minaret ?

IRMA

Ils vont transformer la résidence en mosquée et construire un minaret dans notre jardin à la place du barbecue et du terrain de boule !

Brouhaha dans les rangs.

CHARLES

Accent gaullien.

Le terrain de boules ? Ah non ! Pas touche à notre terrain de boules !

LUCIEN

Mais qui voudrait construire un minaret dans notre parc ?

IRMA

Ben les Emirs tiens.

CHARLES

Ah mais non ! Sauvons nos cochonnets !

Il se met à chanter.

Formez vos bataillons, marchons, marchons, qu’un sang impur…

YVONNE

Charles !

HENRIETTE

Incroyable Irma ! Je sais pas comment tu as deviné...

LUCIEN

Deviné !... Mais deviné quoi ?

Silence gêné d’Henriette.

ADAM

Deviné que l’offre de rachat validée ce sont des Qataris ! Voilà.

Geste d’agacement d’Henriette.

CAMILLE

Ah ! Et toi Adam, évidemment, t’es déjà au courant !

YVONNE

Tu parles… C’est bien connu : les oreillers ont des oreilles !

Alors madame la directrice… Vous nous dites quoi ? Minaret ou pas minaret ?

HENRIETTE

Je ne sais pas !… C’est bien une offre de rachat par des Qataris qui tient la corde auprès du tribunal. Après… Vont-ils vraiment construire un minaret ?... ça…

LUCIEN

Un minaret ou un nouveau stade de foot de 150 000 places pour la finale de la coupe du monde 2038.

CHARLES

Les Qataris ! Encore les Qataris ! Ils rachètent tout ce qui passe !

Mais n’ayez crainte ma chère, je préviens le général Leclerc et avec sa 2ème division blindée et nous allons repousser les envahisseurs.

CAMILLE

Mon général ! Nous sommes en 2025 ! (Au besoin, actualiser la date)

CHARLES

2025 ? (Il compte un peu sur ses doigts.)

Mon dieu… 2025 et la guerre n’est pas encore finie !

CAMILLE

Et le général Leclerc est mort !

CHARLES

Désemparé.

Leclerc ? Mort ? Mais c’est incroyable ça !

Et on attendait quoi pour me prévenir, hein ?

Leclerc ! Le pauvre…

Soudain ragaillardi.

Je vais de ce pas réunir mon état-major… Ils vont m’entendre !

Il se dirige vers la sortie. Yvonne fonce le rattraper par le bras.

YVONNE

Voyons Charles ! Vous n’allez pas m’abandonner alors que l’ennemi approche !

Restez. Je vous le demande.

CHARLES

Ah… (Infantile) Alors si vous me le demandez, Yvonne, je veux bien.

HENRIETTE

Ecoutez moi s’il vous plaît ! L’option des Qataris, ce n’est peut-être pas le pire.

Il est fort probable que certaines résidences ne seront pas reprises faute de rentabilité.

Et comme vous le savez, ici, notre résidence « les joyeux coucous » est relativement petite et peu rentable... Donc, notre fermeture définitive est sérieusement à envisager.

DENISE

Donc pas de minaret, pas de stade grandiose… Tous à la rue ?

HENRIETTE

Non évidemment ! Vous serez tous relogés ailleurs, mais le calendrier a été avancé.

DENISE

C’est-à-dire ?

HENRIETTE

On fermerait début janvier.

CAMILLE

Eh bien joyeuses fêtes à tous !

HENRIETTE

On m’a juste garanti que vous ne seriez pas à la rue mais ventilés dans d’autres établissements.

YVONNE

Mais je refuse d’être ventilée moi.

CHARLES

Lui réajustant son foulard.

Ma pauvre amie ! Vous qui craignez tant les courants d’air.

HENRIETTE

Je vous tiens tous aussitôt informés quand je sais comment tout cela va se dérouler.

Bon… Je monte informer les autres résidents dans les étages.

Elle sort. Court silence.

 

 

Scène 3

LES MÊMES sans Henriette.

 

Sylvain va vérifier à la porte qu’Henriette s’est éloignée.

SYLVAIN

C’est bon… Elle est bien partie.

LUCIEN

C’est quoi ça ? Tu te crois dans un film d’espionnage ?

CAMILLE

Ah c’est vrai… Tu es là toi !

LUCIEN

Hou là ! Je sens que ma présence dérange. Et ce n’est pas la première fois…

Bon ! C’est quoi le problème ?

ADAM

Te vexe pas Lucien. C’est pas personnel et on t’expliquera le moment venu.

LUCIEN

D’accord ! Le moment semble déjà venu pour tout le monde, mais pas pour moi.

Et… On peut savoir le moment de quoi ?

CAMILLE

Le moment de tout t’expliquer ! C’est comme ça. T’es pas n’importe qui dans cette affaire alors on doit te ménager.

LUCIEN

T’es sérieuse là… En fait, je crois plutôt que tu te fous ouvertement de ma gueule non ?

Un peu de respect ce serait trop demander ?...

CAMILLE

Je te jure que le moment venu tu comprendras et…

LUCIEN

Vous me faites chier avec votre “moment venu“. Eh puis tiens ! Oui, le moment, il est venu que je me casse pour pas supporter davantage vos airs d’Hypocrites.

Il consulte sa montre.

ça tombe à pic, j’ai mon cours d’aquarelle ! ça va me calmer…

Il sort en colère.

 

Scène 4

ADAM, CAMILLE, CHARLES, DENISE,

le père ETIENNE, IRMA, SYLVAIN, YVONNE

 

CAMILLE

Il va falloir mettre Lucien dans le coup. Je me mets à sa place c’est insupportable.

SYLVAIN

Croyez bien qu’Adam et moi regrettons cette situation, mais c’est indispensable de prendre des précautions avec Lucien…  Et puis on n’a plus guère le temps de tergiverser. Vous avez raison : on va lui parler aujourd’hui même et le problème sera résolu.

CAMILLE

Oui enfin… Résolu… Résolu… C’est sans compter sur ce qu’on va lui apprendre et comment il va réagir notre Lucien…

Entrée du père Etienne.

LE PERE ETIENNE

Ah ! Vous êtes encore là. Tant mieux ! Bonjour à tous.

Les autres

Bonjour mon père (ou certains : bonjour monsieur le curé).

LE PERE ETIENNE

Je venais assister un peu à votre répétition de chants pour la messe de noël.

CAMILLE

Désolé monsieur le curé ! Revenez demain. La répétition est terminée pour aujourd’hui.

LE PERE ETIENNE

Ah c’est dommage… Tant pis ! Mais j’ai aussi une excellente nouvelle à vous annoncer…

Vous n’allez pas me croire ! La cagnotte en ligne sur le site de notre paroisse vient de dépasser les 3.200€ !

Tous les autres

Peu enthousiastes

Ah ?

LE PERE ETIENNE

Vous n’avez pas l’air de vous rendre bien compte : 3.200€ !

YVONNE

Mais si ! C’est formidable 3.200€… Sauf que…

IRMA

Sauf que pour racheter la résidence, il faudrait entre 8 à 10 millions !

LE PERE ETIENNE

Je ne sais plus qui a dit ça mais : « Ce n’est qu’un début, continuons le combat ».

Et j’ai donc convaincu notre évêque de relayer notre cagnotte dans toute la paroisse.

DENISE

Mais c’est formidable ça !

CAMILLE

Soit ! Mais sachez, mon père, que notre directrice vient de nous apprendre qu’il y aurait un acheteur potentiel pour notre résidence. Il s’agit de Qataris.

LE PERE ETIENNE

Des Qataris ! Ciel des Qataris !

CHARLES

Du calme curé ! On va construire la ligne Maginot sud entre Perpignan et Menton.

CAMILLE

Mais, la bonne nouvelle, paradoxalement, c’est que notre résidence, peu rentable, risque fort de ne pas intéresser ces généreux émirs.

YVONNE

Et que, par conséquent, la résidence, pas rachetée, pourrait fermer début janvier !

IRMA

Et nous serons alors répartis ici ou là dans d’autres établissements.

CHARLES

Surtout pas en Angleterre à bouffer des gélatines infectes dès le petit-déjeuner !

LE PERE ETIENNE

Il nous reste donc environ un mois pour réussir ce que nous avons entrepris.

Réussir nos deux cagnottes en ligne !

La vôtre... Disons classique ! Et la mienne avec la bénédiction de notre évêque et de notre Seigneur tout puissant !

CAMILLE

Euh… Oui ! Tout à fait.

LE PERE ETIENNE

Mais un mois, c’est court. Bon… Et bien si la répétition est terminée je vous laisse.

Il se dirige vers la sortie donnant vers l’extérieur.

CAMILLE

Je dois vous laisser, moi aussi, J’ai le cours de yoga au 3ème étage.

Camille et le curé sortent chacun d’un côté opposé.

DENISE

Il y croit dur comme fer le curé à sa cagnotte miraculeuse !

SYLVAIN

Tant mieux ! C’est essentiel qu’il y croie… Qui sait ?… Un petit miracle après tout…

YVONNE

Sylvain ! Tu ne serais pas en train de mijoter un truc dans le dos du curé par hasard ?

SYLVAIN

Moi ? Mais quelle idée !

IRMA

Ce qui me chiffonne c’est Lucien… Il a deux enfants et quatre petits-enfants et donc, pour utiliser sa fortune, peut-être d’autres projets que de racheter notre résidence…

CHARLES

Eh bien moi, j’en ai un de projet… J’ai vu une annonce immobilière pour une magnifique propriété à la campagne… Mais bon… C’est pas donné !

YVONNE

Je crois que vous rêvez Charles, mais vous me montrerez ?

CHARLES

Oui. Tout à l’heure, sur votre ordinateur !

YVONNE

J’en reviens à Lucien : qui va lui parler ? Parce que, vu ce qu’on doit lui demander, il va falloir beaucoup de diplomatie !

SYLVAIN

Adam va s’en charger. Il a toutes les cartes en main pour le convaincre.

DENISE

Le convaincre gentiment ?

ADAM

Evidemment !

DENISE

Tant mieux parce que ça devient pesant de le tenir ainsi à l’écart, on vient de constater dans quel état il est à cause de nos cachoteries. Le pauvre !

YVONNE

Le pauvre, le pauvre… C’est pas vraiment le mot qui convient vu ce qu’on sait à son sujet.

IRMA

Au fait ? On en est à combien dans notre… Disons… Notre cagnotte à nous ?

SYLVAIN

Eh bien… Arrêté à hier soir 22h : les dons, enfin les…Les… Bref ! ça se montait à…

Environs 2 millions d’euros.

Retour soudain de Lucien

 

 

 

 

Scène 5

ADAM, CHARLES, DENISE, IRMA, LUCIEN, SYLVAIN, YVONNE.

 

LUCIEN

J’ai entendu “ 2 millions d’euros“…C’est quoi ce pognon ?...

YVONNE

Ben Lucien ?… Et ton cours d’aquarelle ?

LUCIEN

Cours annulé. La prof est en rade avec sa bagnole.

Bon… C’est quoi ces 2 millions d’euros dont vous parlez ?

CHARLES

C’est la somme qui a été parachutée hier soir en Normandie pour aider la résistance à préparer le débarquement.

LUCIEN

Des euros en 1944 ? Vous me prenez vraiment pour un pigeon mon général !

CHARLES

Des pigeons ? Mais voyons mon ami, c’est totalement dépassé ça les pigeons. Ce sont les avions de la Royal Air Force qui ont survolé la Normandie et qui ont largué le pognon.

LUCIEN

Bon... C’est peut-être le moment de me dire ce que vous complotez dans mon dos, non ?

ADAM

OK…

Adam et Sylvain hésitent et s’interrogent du regard et par gestes.

LUCIEN

Mais vous me faites quoi à la fin ? Vous faites vos réunions secrètes à l’heure de mes cours d’aquarelle ou de yoga et quand je pose des questions vous êtes tous évasifs, très évasifs… Je me sens mis à l’écart. Vous n’avez pas confiance en moi ou quoi ?

DENISE

Voyons Lucien ! Ne vous mettez pas de telles idées en tête. Vous êtes des nôtres.

LUCIEN

On dirait pas… Je sens un truc… Une ambiance bizarre.

YVONNE

Chacun jouera son rôle le moment venu et pour vous, Lucien, le moment n’est pas venu.

IRMA

C’est comme en athlétisme : vous serez notre dernier relayeur, celui qui va le plus vite…

Le champion qui refait le retard et qui emporte la médaille d ‘or !

DENISE

La carte maîtresse que l’on sort alors que la partie semblait perdue…

LUCIEN

Vous n’en faites pas un peu trop là ?

ADAM

Bon… D’accord, on va tout t’expliquer. Mais avant, on a besoin de refaire un point entre nous… Tu nous laisses un petit quart d’heure. Tiens ! En attendant, tu peux pas aller nous chercher à boire s’il te plaît ? A ton retour on te dit tout.

LUCIEN

  1. ça marche. Mais quand je reviens vous lâchez le morceau… Promis ?

ADAM

Promis, juré !

CHARLES

On a chanté sans boire un coup pendant une heure, maintenant on cause, on cause…

LUCIEN

  1. J’y vais, je rapporte quoi ?

ADAM

Ce que tu veux, pas d’alcool. Flotte et jus de fruits… Et des verres pour tout le monde.

Lucien compte du doigt les personnes présentes et sort.

 

Scène 6

ADAM, CHARLES, DENISE, le père ETIENNE, IRMA, SYLVAIN, YVONNE.

 

SYLVAIN

Se levant d’un bond.

Adam, fais comme moi avec l’autre porte !

Devant les autres ébahis, Sylvain empoigne une chaise et va coincer la porte par laquelle Lucien est sorti.

Adam l’imite et va barricader l’autre porte mais pas assez vite :

Retour du père Etienne.

Adam bloque la porte derrière le curé.

LE PERE ETIENNE

Incroyable ! Faut que je vous dise sans plus attendre ! Notre évêque m’a envoyé un mail : non seulement il relaie notre cagnotte dans toute la paroisse mais tenez-vous bien !...

Il fait durer le suspense.

Il a transmis notre situation, la résidence, les tuiles de notre église et nos cloches fissurées directement au Vatican pour un soutien international ! C’est ouf non ?

YVONNE

Ça je dois dire que c’est inattendu et inespéré.

DENISE

Et que ça fait chaud au cœur.

IRMA

Maintenant, reste à savoir si le Vatican va relayer l’info et soutenir la démarche.

Le PERE ETIENNE

Mais bien sûr ! Il faut avoir la foi !... Mais j’y pense… Je ne vous ai pas demandé tout à l’heure : votre cagnotte à vous ça marche ?

ADAM

Et bien oui… La… La cagnotte, ça avance, ça avance…

LE PERE ETIENNE

Je vois, vous hésitez à me donner le montant. Vous êtes loin de mes 3.200€ !

SYLVAIN

Oui. Très loin.

 

LE PERE ETIENNE

Ah vous voyez ! Vous faites la fine bouche sur mes 3.200€ mais de votre côté vous êtes à la ramasse comme on dit aujourd’hui. Alors… C’est qui le champion ?

SYLVAIN

C’est vous mon père, incontestablement…

Le curé se dirige vers la sortie en dansant et chantant « We are the champion’s »…

          Adam le rattrape juste avant la porte.

ADAM

Restez mon père ! Je crois souhaitable de vous mettre dans certaines confidences.

Air contrarié de Sylvain et air dubitatif des autres.

LE PERE ETIENNE

A Adam qui ne sait comment poursuivre.

Vous voilà bien mystérieux… Je vous écoute…. Eh bien ?....

Vous préférez peut-être venir à confesse ? C’est possible vendredi entre 10h et midi.

SYLVAIN

OK ! Tu as peut-être raison, Adam… On va jouer en équipe, même si j’avoue qu’au départ je voulais que notre curé reste prudemment à l’écart et joue son rôle en toute innocence.

LE PERE ETIENNE

Heureux les innocents !

DENISE

Euh… le père Etienne a un rôle à jouer ? Mais Sylvain et toi, vous manipulez tout le monde en fait ! A commencer par nous quatre ici présents, les membres du personnel et maintenant le père Etienne ! Et sans compter Lucien…

LE PERE ETIENNE

Attention hein. Moi je suis tenu de respecter les préceptes de notre Sainte Mère l’église.

IRMA

Sylvain, Adam ! ça suffit ! Entre Lucien et le père Etienne qui sont tenus complètement à l’écart et nous autres qui semblons ne savoir qu’une partie de vos magouilles, il serait temps de mettre tout le monde à niveau… Vous ne croyez pas ?

SYLVAIN

  1. On vous dit tout ! Vous allez tous comprendre le bien-fondé de nos cachoteries.

DENISE

On écoute !

ADAM

On n’a pas tout dit pour ne pas vous inquiéter…

Certains aspects de l’opération de rachat comportent des risques.

LE PERE ETIENNE

Emoustillé.

Des risques ? Quel genre ?

CHARLES

Se déplaçant vers une porte un une fenêtre comme pour surveiller.

N’ayez crainte, j’assure nos arrières et si vous avez besoin d’appui aérien, je vois Churchill demain matin.

IRMA

Adam ! C’est quoi précisément les risques dont il est question ?

ADAM

Ben… Notre plan, en fait, c’est pas très, très légal.

LE PERE ETIENNE

Aie ! Aie ! Aie !... D’un autre côté… ça a l’air plutôt excitant…

SYLVAIN

Avant que Lucien ne rapplique, je vous explique en quelques mots. (A Adam.) Je peux ?

ADAM

A toi l’honneur ! Je complète au besoin.

SYLVAIN

Voilà… En fait, Lucien a… Comment dire… Un passé un peu trouble.

YVONNE

Lucien ? Notre Lucien ? Un passé trouble : vous êtes certains ?

ADAM

Yvonne, avant d’être retraité et maire du village, j’étais officier de police…

J’ai gardé des contacts et j’ai vérifié.

DENISE

Lucien ? Mais c’est n’importe quoi ! Et ce serait quoi son passé trouble ?

SYLVAIN

Avant d’arriver ici, il a purgé 4 ans ferme à …...………………… (Prison près de chez vous)

Fausse monnaie !

Ils sont tous effarés.

IRMA

Non ! J’ai peur de comprendre…

Ne me dites pas que tous les billets que nous glissons dans les enveloppes et qu’on envoie par La Poste depuis quelques semaines, c’est que des faux ?

SYLVAIN

Ben.. Si !

YVONNE

J’y crois pas ! Vous nous avez baladés tout ce temps en nous faisant croire que Lucien était plein aux as !

ADAM

Baladés… Baladés… Pas vraiment puisque, même faux, cet argent peut nous sortir d’affaire. Dieu merci !

LE PERE ETIENNE

Laissez Dieu en dehors de cela, tant que je n’en sais pas plus sur vos intentions !

IRMA

Ah ! Des faux billets peuvent nous tirer d’affaire ? Et comment ?

SYLVAIN

On n’a déjà plus de 2 millions d’euros, non ?

LE PERE ETIENNE

Ebahi.

2 millions ! Vous avez bien dit 2 millions !

Dépité.

Mais alors… Avec mes pauvres petits 3200€… I’m not the champion !

IRMA

2 millions de fausses thunes !

SYLVAIN

Au départ oui, mais là, c’est devenu des vraies…

LE PERE ETIENNE

Mais comment c’est possible ?

SYLVAIN

Et bien voilà : avec Adam on a…

DENISE

Mais sa fausse monnaie à Lucien, rassurez-moi… C’était il y a longtemps ?

YVONNE

Tu demandes ça pourquoi, Denise ?

DENISE

Ben c’est important parce que s’il a commencé à exercer son activité avant 2002, il a accumulé une fortune en francs…

Et là… Un magot en francs et ben c’est peau de balle !

YVONNE

T’as pas l’air, Denise, mais t’as l’esprit vachement pratique en fait.

ADAM

Je vous rassure : il y a peu probable qu’il y ait des francs.

Lucien aurait trafiqué surtout après 2005 et jusque 2015, donc après le passage à l’euro.

LE PERE ETIENNE

Yes ! Tout le pognon reste palpable. Merci mon dieu ! (Signe de croix)

SYLVAIN

Il pourrait aussi y avoir des devises étrangères, notamment des dollars.

LE PERE ETIENNE

Des dollars ?

Il sort son téléphone mobile.

IRMA

Vous faites quoi là mon père ?

LE PERE ETIENNE

Je calcule le prix de mes tuiles en dollars…

Il tapote toujours sur son téléphone.

Et aussi le prix des cloches.

Certain(e)s hochent la tête de dépit.

YVONNE

S’adressant à Adam et Sylvain.

Dites-moi les deux tordus, là ! Expliquez-nous comment la monnaie de singe de Lucien se transforme en véritables devises ? C’est qui le magicien ?

SYLVAIN

Moi !... Enfin… Avec Adam et aussi grâce à votre aide précieuse…

IRMA

Ça me désole de l’avouer, mais là… Je ne vois pas !

LE PERE ETIENNE

Peut-être que… Oui ! C’est ça ! J’ai l’idée du siècle là !

Vous me confiez la mission d’aller à Lourdes tremper ces faux billets dans l’eau de la grotte miraculeuse et là je vous en fiche mon billet qu’en moins de 5 minutes…

YVONNE

Sans doute qu’en moins de 5 minutes on aura de l’argent liquide !

DENISE

A votre retour de Lourdes, mon père, on mettra tous les billets à sécher au soleil, sur les fils à linge dans le parc...

IRMA

Fabuleux décor bouddhiste ! Ce serait tellement beau…

YVONNE

Et tellement discret…

CHARLES

Ils seraient tout décolorés et inutilisables pour être parachutés.

YVONNE

Sérieux ! Je me demande bien pourquoi Lucien a conservé depuis tout ce temps cette fortune dans sa chambre, si elle est fausse…

LE PERE ETIENNE

Ah ! Les voies du Seigneur ! Chère Yvonne, les voies du Seigneur !

Il nous envoie un signe !

Et, par principe, il ne faut pas contrarier les signes divins.

YVONNE

Offusquée.

Mon père ! Voyons !

LE PERE ETIENNE

Ignorant le rappel à l’ordre d’Yvonne.

Donc, il y aurait moyen d’utiliser cet argent ? Vous avez parlé de 2 millions déjà…

Tout excité.

Vous vous rendez compte ? Déjà 2 millions et déjà transformés que vous dites ?...

C’est prodigieux !

IRMA

Soit ! Mais de là à atteindre les 8 ou 10 millions d’euros nécessaires…

SYLVAIN

2 millions grâce à la petite valise de Lucien. Ses 3 autres sont cadenassées.

ADAM

On ne sait donc pas le montant total exact.

Vu la taille des trois grosses valises on a juste une idée du volume global…

LE PERE ETIENNE

Ah ! Volume global !… J’adooore ! ça sonne bien ça ! Mieux en tout cas que mes cloches qui déclenchent le hurlement de tous les chiens du village.

ça doit faire quoi ?... Environ un stère… ?

CHARLES

Ça sent le marché noir… Je hais le marché noir.

ADAM

Trois grandes valises bleues et la plus petite verte.

CHARLES

Bleu, vert… Donc pas de marché noir.

DENISE

Mais selon ce qu’il y a dedans, des liasses de biftons de 50 ou des rouleaux de pièces jaunes, c’est pas du tout pareil.

YVONNE

Denise ! T’as déjà vu un trafiquant s’occuper de pièces jaunes ?... A part Bernadette…

LE PERE ETIENNE

Bernadette ? Ah vous voyez que vous aussi vous pensez à Lourdes !

DENISE

Voyons mon père… Elle ne parle pas de votre Bernadette de Lourdes.

Mais de l’autre… L’épouse de l’ex-président… Jacques… Le fondu de tête de veau…

SYLVAIN

Notre complice, celle qui… Enfin celle ou celui qui veut rester anonyme, a subtilisé 4 millions de billets rien que dans la petite valise verte, la seule à n’être pas verrouillée.

Stupeur générale !

LE PERE ETIENNE

C’est 2 millions ou 4 ? En tout cas, j’ai pas l’air con, moi – Pardon ! - avec mes 3200€…

YVONNE

Il a raison le curé : c’est 2 ou c’est 4 millions ?

SYLVAIN.

En fait, il vous faut comprendre que pour transformer les faux billets ça coûte la moitié.

Donc à cet instant il ne nous reste que 2 millions en vrais billets. La moitié.

YVONNE

Comment ça la moitié ?

ADAM

Oui ! La moitié mais des vrais.

LE PERE ETIENNE

Ça gâche un peu la fête mais bon…

DENISE

Ironique.

Ben oui, évidemment ! Vous collez les faux billets 2 par 2 et ça devient des vrais !

LE PERE ETIENNE

A Sylvain et Adam.

En fait, vous, vos miracles… C’est comme notre Seigneur Jésus, mais… A l’envers.

YVONNE

C’est ça : à l’envers ! Ces deux-là nous la font à l’envers !

Va falloir nous expliquer comment vous faites pour avoir de vrais billets avec des faux et aussi le phénomène hallucinant de la division cellulaire des billets.

IRMA

Vous pensez comme moi ?... Il y en a qui prennent leur commission au passage.

CHARLES

Il faudra rendre des comptes après la libération.

ADAM

Hé… Vous ne croyez quand même pas que Sylvain et moi, on empoche une commission au passage ? N’oubliez pas qu’à la base j’étais flic.

IRMA

Ouais… Mais les ripoux, ça existe ! Et puis ne négligeons pas le fait que t’es devenu maire. Et ça… Dès qu’on franchit la barrière entre électeurs et élus, on se croit tout permis et ça dérape, grave ! Y-a des précédents, tellement de précédents fâcheux…

LE PERE ETIENNE

Elle a raison. “L’habit ne fait pas le moine“.

J’ai moi-même quelques collègues qui ont dérapé grave et je ne parle pas de pognon…

SYLVAIN

Arrêtez ! La perte de valeur c’est juste le prix à payer pour blanchir les faux billets.

DENISE

Ah… Et qui c’est-y qui perçoit la différence ?

SYLVAIN

Les donateurs : ceux à qui vous envoyez les faux billets dans les enveloppes.

YVONNE

Des donateurs ? Mais le donateur, enfin… Malgré lui pour le moment, c’est Lucien.

DENISE

Et puis des donateurs ça donne ! ça prend pas !

SYLVAIN

Agacé.

Mais laissez-moi vous expliquer ! Merde !

Donc, au départ, il y a quelques semaines, Adam et moi avons mis en circulation quelques billets, puis des liasses…

IRMA

Qu’est-ce que je disais ? Bonjour l’ancien flic !

SYLVAIN

Agacé.

… quelques liasses, ici ou là, dans la région, pour tester. Aucun problème, aucune détection. Ni à la Poste, ni à …………...………………...…. (banque locale réelle ou fictive).

LE PERE ETIENNE

C’est passionnant ! Pas très réglo, je le concède. Mais passionnant.

IRMA

Lucien est donc un véritable artiste… Bizarre, il n’a pas vraiment le profil !

YVONNE

Bon, c’est pas Van Gogh non plus !

Dis voir Denise… C’est pas toi qui le trouvait bel homme notre Lucien ?

DENISE

N’importe quoi ! J’ai peut-être dit ça, comme ça, une fois en passant...

Encore que, là… Maintenant à bien y regarder…

Se délectant du prénom.

Lucien… Ah Lucien…Lucien et… (Soupir) ses valises… Hum…

LE PERE ETIENNE

Voyons ma fille !

ADAM

Et bien sûr le problème, c’est que Lucien ne sait pas qu’on sait pour son passé, ses valises et ses billets… Du coup, on ignore combien de fric il y a en tout.

LE PERE ETIENNE

Et que ce serait quand même très intéressant de savoir, non ?

IRMA

Ce soir j’entre en transe et demain matin, promis, si Lucien ne crache pas avant, je vous annonce le montant de chaque valise et le total.

SYLVAIN

Donc à ce jour, on a subtilisé environ 4 millions.

Pour les blanchir, j’ai d’abord créé, il y a environ un mois, un compte dans les îles Caïmans, et dans la foulée, j’ai…

Coups à la porte. C’est Lucien qui revient avec la boisson.

 

 

Scène 7

 

ADAM, CHARLES, DENISE, LE PERE ETIENNE,

IRMA, LUCIEN SYLVAIN, YVONNE,

 

LUCIEN (off)

Ouvrez, je suis chargé là. C’est quoi ce bordel de vous enfermer ?

YVONNE

Et merde ! Juste au moment où on allait comprendre pour ces fameux donateurs à qui, au final, on donne la moitié des thunes !

ADAM

Bon, plus un mot ! Sylvain et moi on va s’occuper d’amadouer Lucien et de le mettre à contribution.

CHARLES

Je vous rappelle qu’en certaines circonstances la torture peut se révéler efficace.

YVONNE

Voyons Charles !

CHARLES

Das ist Krieg, meine liebe ! C’est la guerre !

LUCIEN (off)

Hé vous m’entendez ? Mais ouvrez, merde alors !

CHARLES

Ok ! On t’ouvre seulement si tu es revenu avec tes liasses.

Regard noir d’Adam et Sylvain à Charles.

LUCIEN (off)

Je vous préviens dans 10 secondes je lâche le plateau ! 1 – 2 – 3…

SYLVAIN

A tous en se dirigeant vers la porte.

Plus un mot ! Faites-nous confiance.

Lucien entre avec un plateau de rafraichissements.

LUCIEN

Mais c’est quoi cette idée de vous enfermer ?

SYLVAIN

Tu peux comprendre, vu les sujets qu’on aborde, qu’on n’a pas envie de…

LUCIEN

Mais justement ! Je ne sais pas les sujets que vous abordez.

J’ai bien surpris, ici ou là, quelques bribes de conversations qui me font penser que vous complotez au sujet des menaces qui pèsent sur la résidence.

Mais pourquoi sans moi ?... Je croyais qu’on était potes.

Bon… Je suppose que je redresse d’abord les barricades ?...

Il remet la chaise pour barricader la porte, mais de façon à ce qu’elle tombe à la moindre poussée.

Allez ! On m’explique maintenant ? Parce que c’était le deal hein ? J’allais chercher à boire le temps que vous prépariez votre laïus et ensuite vous me déballez toutes vos magouilles.

          Silence gêné des autres…

Ouais, ouais, ouais… Bon… Je vais vous aider un peu.

Vu vos hésitations, ça doit être plutôt louche votre truc… Pas honnête ? Illégal ?

CHARLES

Ben justement…

LUCIEN

Justement quoi ?

SYLVAIN

Tu as dit « illégal »… Et ben C’est ça !

LUCIEN

Tout en posant son plateau et alignant les verres.

Hou là ! Vous mijotez quoi ?

CHARLES

Bon ! On va pas tergiverser sinon c’est la gégène !

YVONNE

Charles !

CHARLES

Oui ma douce ?

YVONNE

Laissez nos amis négocier cela calmement entre eux s’il vous plaît !

DENISE

S’approchant, charmeuse, de Lucien.

Lucien, mon cher Lucien…

IRMA

Ah ? Tu donnes dans « Mon cher Lucien »…

DENISE

Elle vampe Lucien.

Lucien ! Nous pensons toutes et tous, enfin moi surtout, que vous pouvez jouer le rôle essentiel dans le sauvetage de notre belle résidence.

LUCIEN

Moi ?… Vous m’en voyez flatté, ma chère Denise, mais je ne vois pas trop ce que je peux faire de plus. C’est que j’ai déjà versé 37,70€ dans la cagnotte du père Etienne.

LE PERE ETIENNE

C’est peu ! Mais bon… Dieu reconnaîtra les siens…

Enfin… Au prorata de leur participation.

YVONNE

Les yeux au ciel.

37,70€ ! De quoi racheter… Euh… Tenez, la chaise qui bloque la porte d’entrée !

LE PERE ETIENNE

Hep hep hep ! ! Il s’agit de ma cagnotte à moi. Donc ces 37,70€, ce sont… Je regarde…

Calculette de son portable

Voilà !  6 pauvres petites tuiles toutes tristes sur le toit de notre église.

LUCIEN

Chacun fait selon ses moyens.

DENISE

Moyens ? Mais… Vous n’êtes pas quelqu’un de moyen, voyons Lucien !

Vous avez de la valeur !

IRMA

Et mêmes des valeurs… Des bagages bien au-dessus de la moyenne.

LUCIEN

Des bagages… Oui, bon… J’ai arrêté mes études à 16 ans…

CHARLES

Là on tourne autour du pot, on ne va pas y arriver !

Laissez faire l’artillerie !

Lucien, mon cher ami, nous allons posément parler des caisses à munitions pleines à craquer que vous conservez au-dessus de vos armoires…

La chaise remise par Lucien tombe et la porte s’ouvre.

SYLVAIN

Soupir et un peu énervé.

On va jamais y arriver !

 

 

Scène 8

 

LES MÊMES + GERMAINE.

 

Irruption de Germaine, la femme de ménage, avec son matériel dont un aspirateur

GERMAINE

Redressant la chaise.

Quoi que c’est-y que c’te bazar ?

Ah ! Y-a une réunion ici ?... C’était point marqué sur le planning.

Les autres

Bonjour Germaine.

SYLVAIN

C’est une réunion informelle, Germaine.

GERMAINE

Un formel ou deux ou trois, c’est point marqué sur le planning et moi c’est l’heure que je dois nettoyer z-ici. Et ça, que je dois passer l’aspirateur, c’est marqué sur mon planning !

Alors quoi qu’on fait ?

ADAM

Germaine ! Et… Si vous participiez à cette réunion, avec nous tous ? Non ?

GERMAINE

Moi ? Une réunion ? Hou la !

Que j’ai jamais fait ça de ma vie et que c’est pas à mon âge que je va commencer !

Allez, aller ! Tout le monde dehors : c’est l’heure que mon aspirateur doit se dégourdir les tuyaux et s’empiffrer les filtres.

SYLVAIN

Bon… Inutile d’insister… On va laisser la place à notre fée du logis…

GERMAINE

C’est ça : faut point déloger la fée du logis.

CHARLES

Pas question nous restons sur nos positions avancées et je donne l’ordre à chacun de…

ADAM

Allons mes amis… Nous reprendrons nos débats plus tard.

LUCIEN

Zut ! Juste au moment où j’allais enfin savoir. Mais je saurai un jour… Je saurai.

ADAM

Vous en avez pour combien de temps Germaine ?

GERMAINE

A la louche… dix minutes.

ADAM

Bon, nous reprendrons donc nos explications un peu plus tard…

Tous sortent sauf Germaine et Adam. Lequel va refermer la porte.

 

Scène 9

ADAM, GERMAINE, HENRIETTE.

 

Germaine qui pense être seule met son aspirateur en marche.

Adam arrive dans le dos de Germaine et lui tape sur l’épaule. Elle sursaute.

GERMAINE

Fort pour surpasser le bruit de l’aspirateur.

Aaaah ! Mais, vous êtes donc point sorti monsieur le maire.

Faut pas me flanquer la frousse comme ça, c’est que je suis cardiaco-sensible, moi.

ADAM

Il coupe l’aspirateur.

Germaine, je vous ai tendu la perche : c’était l’occasion pour vous de vous joindre à nous tous et de confirmer ce que nous savons.

GERMAINE

Pas question, je vous l’ai dit monsieur le maire, je veux point d’embrouille.

Déjà que c’est compliqué avec la fermeture, le licenciement, le chomdu…

ADAM,

Dommage, Lucien était là et c’était vraiment le moment de…

GERMAINE

Justement ! Il y avait monsieur Lucien et je veux point qu’il apprend que j’ai fouillé, et même plus que ça, dans sa petite valoche.

C’est un brave homme. Enfin… Même s’il semble bien qu’il a fait des bêtises par le passé… Parce que quand même, on dira c’qu’on veut, mais planquer autant de pognon…

ADAM

A ce sujet… Vous ne pourriez pas aller à nouveau regarder d’un peu plus près dans ces valises ? Trouver les clés des 3 autres et jeter un œil, histoire d’avoir une petite idée du montant total quoi…

GERMAINE

Oh que non ! J’ai pas envie de me faire virer encore plus tôt que prévu.

Je vous ai mis dedans le coup de ce que j’avais vu de mes propres yeux, à travers mes propres lunettes, mais que je me mouillerai pas plus profond.

ADAM

D’accord Germaine. Je comprends et je vous laisse à votre travail.

Germaine remet en marche son aspirateur.

Adam va vers la sortie mais Henriette revient en trombe au même instant.

HENRIETTE

Adam ah tu es là !…

Ah… Et vous aussi Germaine.

GERMAINE

Et ben cachez votre joie de voir votre agente de surface préférée, madame la directrice…

HENRIETTE

Mais non, Germaine ! C’est simplement que… Vous pouvez arrêter cet aspirateur ?

GERMAINE

Voilà ! Bon je vais vous laisser, je devine… C’est si charmant !

HENRIETTE

Mais ne vous imaginez surtout pas que… Que… Enfin vous voyez…

GERMAINE

Oh que oui que je vois !

HENRIETTE

Bon… Adam, il faut qu’on cause sérieusement.

ADAM

C’est que Germaine doit nettoyer et qu’elle tient à son planning.

GERMAINE

Elle sort sa feuille de planning.

Là que c’est écrit : Mardi 18h : salle commune.

Et quand que c’est écrit… Et ben que c’est écrit !

ADAM

On va dans ton bureau ?

HENRIETTE

Non il y a la secrétaire intérimaire, ce matin.

ADAM

En cuisine ?

HENRIETTE

Comme l’a dit Germaine, il est 18h… L’équipe est déjà au travail pour le souper.

ADAM

Bon alors la salle d’activités ?

HENRIETTE

Camille donne son cours de yoga !

GERMAINE

Après… Il y aurait bien l’hôtel, mais après tout, ça me regarde point.

ADAM

Mais voyons Germaine ! Vous sous-entendez quoi au juste ?

GERMAINE

Ben… Je sous-entends point.

Je vois ça que tout le monde voit, j’entends ça que tout le monde entend et donc je dis seulement ça que tout le monde dit !

HENRIETTE

Ah ? T’entends ça chéri… Euh…

GERMAINE

Et ben voilà ! Tout est dit ! C’est-y pas mignon !

HENRIETTE

Oh et puis merde ! A quoi bon… Toute la résidence et même le village sont apparemment au courant pour nous deux, alors…

ADAM

Tu crois ?

GERMAINE

Je confirme : ça cause chez le coiffeur, le boucher, le boulanger, le buraliste, à la poste…

Y-a juste au cimetière que ça cause point…

Et encore… Même pas sûr !

HENRIETTE

Oh et puis zut ! Y’en a marre de se cacher !

Mais bon… Germaine ! Là il faut me laisser parler avec Adam, enfin… Avec monsieur le maire. C’est urgent ! Je vous dispense du ménage de cette salle… Ou tenez, revenez dans 10 minutes...  Oui 10 minutes ça devrait suffire.

GERMAINE

Pas de problème, si c’est pour la bonne cause… Mais 10 minutes … Franchement, si vous voulez mon avis, en 10 minutes… ça va point être l’extase du siècle.

Elle sort laissant là son aspirateur.

 

Scène 10

ADAM, HENRIETTE.

 

ADAM

Elle en prend un peu à son aise quand même non ?

HENRIETTE

D’accord. Mais cela dit, on est un peu coincés…

Je crois qu’elle a raison : nous deux, c’est un secret de Polichinelle !

ADAM

Bon… Je crois que tu voulais me parler…

HENRIETTE

Oui. J’ai surpris une conversation entre Yvonne, Irma et Denise.

Et ce n’est pas la première fois que j’entends ici ou là des allusions qui me font penser qu’il se trame quelque chose dans mon dos.

ADAM

Gêné.

Ah ? Quelque chose dans ton dos ? Euh… Comme quoi par exemple ?

HENRIETTE

Elles ne savaient pas que je les entendais et il était question d’un plan, de racheter la résidence, de mystérieuses valises… Pas clair mais bizarre.

ADAM

Ben oui ! La résidence est peut-être sur le point d’être rachetée non ?

C’est toi-même qui nous en a encore parlé à la fin de la répétition de notre chorale.

Alors quoi d’étonnant ?

HENRIETTE

Oui mais, je n’ai jamais parlé de valises. Et puis là, je pense avoir entendu qu’elles envisageaient de devenir elles-mêmes propriétaires de la résidence….

ADAM

Un peu gêné.

Elles plaisantaient. Elles n’ont pas les moyens pour ça.

HENRIETTE

D’accord. Mais il était question d’autres personnes pour réaliser avec elles ce projet…

D’une réserve de fric planquée ici, dans notre résidence !… Tu ne vois pas ?

ADAM

Très gêné et ça se voit.

Ben non… Qui ça peut être à ton avis ?

HENRIETTE

Allez ! Arrête s’il te plaît ! En fait, elles parlaient de Sylvain pour mener la danse… Alors ?… Tu ne vois vraiment pas ?... Et, il était question de toi aussi.

ADAM

Moi ? N’importe quoi !

HENRIETTE

Adam ! Tu mens très mal mon amour.

Silence gêné d’Adam.

ADAM

Bon d’accord. De toute façon, tu finiras bien par l’apprendre et le plus tôt serait le mieux.

HENRIETTE

Ah la bonne heure ! Je t’écoute.

ADAM

Alors voilà, en fait… En fait… En fait c’est délicat, vraiment ! (Silence)

HENRIETTE

Oui… Je t’écoute mon chéri…

ADAM

C’est délicat… Vraiment délicat.

HENRIETTE

Je sais : tu l’as déjà dit ! (Petit silence…) Alors ?

ADAM

Tu sais Henriette que.. Enfin plutôt que… Bref il faudrait que tu saches… C’est au sujet de… C’est gênant… Et merde !

HENRIETTE

Tu me fais peur là.

Elle s’approche de lui et se fait tendre.

Tu sais que tu peux tout me dire… Je serai là, quoiqu’il arrive…

Tu as d’autres soucis ?... Tu es malade ?

ADAM

Mais non, mais non… Qu’est-ce que tu vas imaginer ? Je vais bien.

HENRIETTE

Mets-toi à ma place, tu attends des résultats médicaux et là tu me joues le grand mystère. J’ai de quoi m’inquiéter.

ADAM

Il la prend dans ses bras.

Désolée ma chérie ! Je n’ai rien de grave à t’annoncer, au contraire, mais c’est… C’est… Comment dire ?

HENRIETTE

Un peu agacée, elle s’assied.

Délicat ?

ADAM

C’est ça, tu as trouvé le mot.

HENRIETTE

Tu m’as un peu soufflé, je crois. Bon, chéri…

Allez ! Crache le morceau avant le jugement dernier, je t’en supplie.

ADAM

D’accord, mais d’abord assieds-toi.

HENRIETTE

C’est déjà fait, merci. Je t’écoute.

ADAM

Donc, au sujet de la résidence et de cette histoire de rachat ou de fermeture…. Euh…

HENRIETTE

Oui…

ADAM

Et bien… Eh bien, il y a peut-être une solution.

HENRIETTE

Une solution… Quelle solution ? Tu peux préciser ?

ADAM

Il y a un élément déterminant et qui pourrait tout arranger…

HENRIETTE

Tout arranger… Tout arranger comment ?

ADAM

Comme tu l’as deviné, on va bien essayer de racheter la résidence, voilà !

HENRIETTE

Sur un ton amusé.

ON rachète la résidence, voilà !“…

Ah mais oui, c’est ça, évidemment ! ON rachète la résidence !

Mais comment n’y avais-je pas pensé moi-même en tant que directrice ?

ADAM

Ne ris pas, je suis sérieux. Très sérieux.

HENRIETTE

Attends… Chéri ! Tu as gagné au loto ?...

ADAM

Mais non, je ne joue pas au loto.

HENRIETTE

Agacée.

Ah… Alors avec quoi “ON“ la rachète la résidence hein ?

Avec ton livret A ? Tu vas arrêter de verser la pension à ton ex ?...

Nouveau silence gêné d’Adam.

Mais parle ! Et d’abord c’est qui ce “ON“ qui va racheter la résidence ?

ADAM

Sylvain, moi, les autres pensionnaires, peut-être aussi les personnels. Et toi si tu veux.

HENRIETTE

Ouille, ouille, ouille ! Mais tu rêves là !

Sylvain est notre comptable quand même ! Comment peut-il seulement imaginer que c’est possible ? Il est le mieux placé pour savoir que la plupart des résidents sont à sec à la fin du mois, une fois leur pension payée.

Il y en a même quelques-uns et quelques-unes dans le rouge.

ADAM

L’argent pour racheter viendrait plutôt de…de…

Eh merde ! Je te connais bien, avec tes beaux principes, et j’ose pas te dire…

HENRIETTE

Ben oui, c’est “délicat“ !... Réfléchissons… C’est à cause de mes principes que tu n’oses pas cracher le morceau. Ah !... Au fait, selon toi, c’est quoi mes principes ?

ADAM

La droiture, l’honnêteté…

HENRIETTE

OK, merci chéri, je suis flattée. Donc, si mon honnêteté t’empêche de me parler c’est que… C’est que le pognon pour racheter la résidence ne serait pas très clair…

ADAM

Pas clair du tout !

HENRIETTE

Elle réfléchit quelques secondes puis en mode euréka.

Attends !… Le mois dernier… Le braquage de La Poste à ………………….… ………… (Ville près de chez vous). C’est quelqu’un de la résidence ?... C’est toi ?

ADAM

Non mais ça va pas ! N’oublie pas que je suis maire du village et aussi ancien officier de police… Quand même ! Et puis à La Poste de ………………………………… , ils ont juste volé une centaine d’euros et quelques carnets de timbres.

Mais bon… Ton hypothèse de braquage là et ben on se rapproche un peu.

HENRIETTE

Comment ça on se rapproche un peu ? Bon… On va arrêter les devinettes !

Elle se lève, déterminée, limite menaçante.

ADAM

Ok, ok… Je te dis tout !...  N’empêche que c’est délicat !

HENRIETTE

Stop ! Je t’écoute. Et plus une seule fois tu n’emploies le mot “délicat“. OK ?

ADAM

  1. Et bien voilà : il faut d’abord que tu saches que l’un de tes résidents a dans le passé exercé une activité particulière…

Retour soudain de Germaine.

 

 

SCENE 11

HENRIETTE, GERMAINE, ADAM.

 

HENRIETTE

C’est pas vrai ! Impossible d’avoir un créneau et un endroit pour avoir 10 minutes de tranquillité dans cette résidence !

GERMAINE

Désolée, les dix minutes sont pas passées mais j’ai oublié mon aspirateur.

ADAM

Prenez-le, Germaine, et laissez-nous s’il vous plaît….

GERMAINE

Je vois, je vois… Vous n’en n’êtes qu’aux préliminaires, c’est bien.

“ Pour prendre son pied, faut prendre son temps “.

C’est Joseph, mon ex-mari, qui disait ça. Je vous avais bien dit qu’en 10 minutes, c’était trop juste. Sauf pour les lapins à ce qu’on dit.

HENRIETTE

Dehors Germaine !

GERMAINE

Encore que les lapins, on dit ça, mais….

Mais en fait, je me demande si qu’on a vraiment été y regarder de très près.

Parce que ma sœur Odette, c’est celle qu’a une ferme dans le Berry, et ben Odette elle élève des lapins depuis des années et elle dit qu’il y en a de très chauds, très très chauds même qu’elle dit les lapins… D’où l’expression !

HENRIETTE

Dehors Germaine !

GERMAINE

Vous énervez point madame la directrice.

Je vais sortir si que vous voulez, mais d’abord je voudrais profiter que vous êtes-là pour vous parler de mon licenciement.

Seule à seule si que vous voulez bien.

HENRIETTE

Bon d’accord, mais 5 minutes pas plus !

Chéri… Adam, tu peux nous laisser ?

Va m’attendre… Euh… Dans le parc… Le parc, au moins, c’est calme ! On pourra causer.

Adam se dirige vers la sortie.

GERMAINE

Monsieur le maire, allez d’abord enfiler une petite laine.

Aujourd’hui, fait un vent à décorner les lapins !

Adam sort en soupirant et haussant les épaules

Donc, madame la directrice, comme que vous êtes là, j’voudrais vous causer du sujet dont auquel il s’agit et que c’est bien sûr de la fermeture ou du rachat que j’ai entendu causer… Les Tartaris quoi !

HENRIETTE

Qataris ! Je vois que les nouvelles vont vite.

GERMAINE

Vite et haut ! Parce que là, on cause d’un minaret…

Combien que ça va chercher en hauteur ça, hein ? Un minaret !

C’est que j’ai plus 20 ans moi. Parce qu’à tous les coups qu’y-a point d’ascenseur là-dedans ! Misère de misère !

HENRIETTE

Germaine ! Revenons-en à votre préavis de licenciement s’il vous plait !

GERMAINE

Ah oui ! Et ben z’êtes certaine qu’on aura bien nos 3 mois payés même si qu’on arrête le taf au 1er janvier ?

HENRIETTE

Faudra voir ça avec le repreneur ou le liquidateur.

GERMAINE

Un liquidateur ! Ils vont point nous zigouiller quand même ?

HENRIETTE

Lassée.

Ecoutez, Germaine, je n’en sais pas plus que vous pour le moment et vous serez informée comme tout un chacun, dès que nous en saurons un peu plus.

GERMAINE

Ah ben si que je serai z’informée comme tout un chacun !...

Me v’là que j’suis sauvée !

HENRIETTE

Désolée, j’attends justement un appel important des repreneurs !

GERMAINE

Ah ! Les Tartaris.

HENRIETTE

Les Qataris Germaine ! Les Qa-ta-ris !

Et vous pouvez rester pour passer votre aspirateur.

GERMAINE

Tartaris, Yakaris, Qataris, Ratakis… Que c’est que du pareil au même, c’est tous des voisins entre eux.

Henriette sort, agacée.

Fort à Henriette qui est déjà sortie.

Hé ! La petite laine, pensez à enfiler une petite laine !

Au public.

A tous les coups, vont se ramasser une bonne crève à batifoler dehors comme des ados.

 

 

 

SCENE 12

GERMAINE, DENISE, YVONNE

 

GERMAINE,

Eh ben me v’là pas plus avancée…

Les Tartaris ou les Qataris, que c’est du pareil au même, qu’y z’y vont point nous ménager et que moi pourtant le ménage ça me connaît.

Elle prend le public à témoin.

Et pis, les Qatartaris et ben tiens ! Qu’ils vont nous gérer comme un club de footeballe…

Tiens ! Comme le PSG (prononcer pé-esseu-gé) sauf qu’à la fin du mois on n’aura pas la même paie à 7 chiffres qu’il avait le Kylian avant de se tirer au RéGal de Madrid.

Et puis que s’il y aura un mercato que là j’aurai intérêt à faire briller un max mon CV pour pas que je suis transférée au Racing-Tataouine à astiquer les escaliers des minarets ensablés dans le désert.

Soupir. Elle va mettre en marche son aspirateur : plusieurs essais, en vain.

Ah ben voilà, l’aspirateur est au courant pour les Qartaris, enfin… Au courant façon de parler,… Et du coup, il exerce son droit de retrait.

Elle se met à balayer en chantant et dansant avec son balai.

Suggestion : mettre musique de « Maldon », version francisée de la Cie Créole : paroles disponibles sur le net.

Yvonne et Denise entrent et d’abord chantent et dansent un peu avec Germaine.

Puis, elles vont s’asseoir.

DENISE

Bizarre… Les autres ne sont pas revenus pour reprendre nos explications…

GERMAINE

Je sais pas de quels autres vous parlez, mais c’est aussi bien que je sois pas envahie parce que j’ai déjà été interrompue par des tourtereaux et donc que j’aimerais bien pouvoir finir sans être à nouveau dérangée.

YVONNE

Dites-moi, Germaine, vous êtes certaine de bien balayer dans les coins comme ça ?

GERMAINE

Personne s’est jamais plaint !

Et que c’est un balai “spécial coins nets“…

Avec des poils électrotactiques.

YVONNE

Electrostatiques Germaine, ça doit être ça que vous voulez dire : poils électro-sta-ti-ques.

GERMAINE

C’est ça même que j’ai dit !

Yvonne et Denise s’assoient à une table.

DENISE

Je savais même pas que ça existait là vos balais à poils électrostatiques.

GERMAINE

Mais je déconne… J’ai inventé ça pour rigoler. Ça z’existe point…Enfin pas z-encore.

DENISE

Alors il faudrait songer à déposer le brevet Germaine.

GERMAINE

Sauf que le brevet ça pourra pas se faire : j’ai arrêté mes études au couts élémentaire 2.

YVONNE

Et puis Germaine, mieux que le balai électro-machin… Il y a votre aspirateur non ?

GERMAINE

Sauf que mon aspi, eh ben vous me croirez pas, mais il est raciste !

Dès qu’il a entendu parler des Takaris, et ben Il s’est mis en grève illimitée et sans préavis

Et puis bon… Un balai c’est quand même plus pratique qu’un aspirateur pour danser…

Vous voyez ? (Quelques pas de danse) Elle pense à tout hein la Germaine ?

Elle reprend le balayage en silence.

DENISE

Je t’ai pas dit… Je suis retombée sur le père Etienne. Excité comme une puce qu’il est !

YVONNE

Pas étonnant ! C’est quoi cette fois son délire ?

DENISE

Depuis qu’il sait pour les plus de 2 millions de Sylvain et Adam, il s’est mis en tête de refaire son retard, persuadé qu’avec l’aide du Vatican ce ne sera qu’une formalité.

YVONNE

Peut-être qu’à ce niveau-là ça pourrait fonctionner. Le Vatican… Quand même !

DENISE

Oui bon d’accord. Mais t’as entendu Sylvain ?

Il parle de 8 à 10 millions d’euros ! Le parc, le bâtiment principal, l’annexe, le resto, la piscine, le petit gymnases le restaurant, le grand parc…

Il manque juste le golfe quoi !

GERMAINE

Le golfe ! Faut point lancer des idées en l’air comme ça madame Denise

DENISE

Ah bon ?

GERMAINE.

Ben oui. Parce que si que les émirs du golf ils vous entendaient ils viendraient nous en installer de golfe, avec le minaret au beau milieu.

DENISE

Heureusement que vous êtes là Germaine. Je n’y avais pas pensé !

Je suis tellement angoissée à l’idée qu’on se perde tous de vue, toi et les autres amis, l’ambiance, la chorale…

GERMAINE

Qui écoute tout depuis le début…

Ah çà que oui. Et ça craint que le docteur il va devoir fermer son cabinet si qu’il y-a plus vous autres, les vieux, à soigner.

YVONNE

Merci Germaine pour “ les vieux“…

DENISE

Et toi, Yvonne, tu as une solution si la résidence ferme en janvier ?

YVONNE

D’abord je ne crois pas qu’on va nous mettre sur le trottoir avec nos valises au matin du nouvel an… Ensuite, j’aurais bien la solution d’aller me réfugier chez ma soeur en Alsace …………………………….  (Ou autre région au nord de la Loire, mais pas la vôtre).

Problème : je ne veux pas imposer Charles trop longtemps à ma famille.

DENISE

Incroyable Charles et toi !… Déjà au départ vos prénoms “Charles et Yvonne“ et puis…

YVONNE

Et puis quoi ?... Je sais ce que tu penses : pourquoi je m’attache tant à ce vieil homme qui perd de plus en plus la tête ? C’est ça ?

DENISE

J’avoue. Charles est adorable mais c’est difficile de tenir une conversation avec lui sans qu’il parte soudain de la guerre et qu’il aille hanter la mémoire du général De Gaulle…

YVONNE

Où l’inverse peut-être… La mémoire du général qui vient habiter Charles…

GERMAINE

Vous croyez pas si bien dire. Lundi dernier, j’ai voulu faire le ménage dans sa chambre.

Et ben il ne m’a pas laissé rentrer. Limite agressif !

Il était persuadé que j’étais envoyée par les services secrets allemands. Est-ce que j’ai une tête d’espionne ? Allemande en plus ! Vu comment qu’ça chavire dans sa tête à votre général, il aurait dû choisir la marine pour faire amiral !

YVONNE

Pardonnez le Germaine.

GERMAINE

Bien sûr que je pardonne. Mais bon… C’est point toujours facile.

Bon et bien là je crois que ça brille. Je vais donc aller faire briller ailleurs…

Mesdames, z’avez le salut de la Maréchale en chef des logis qui brillent !

Germaine sort avec tout son matériel.

YVONNE.

Je disais ?... Ah oui ! Au cas où ma sœur ne pourrait nous accueillir temporairement, Il va falloir que je me mette sérieusement à chercher où loger avec Charles et vite.

Faudra que je regarde avec lui cette maison qu’il dit avoir vue sur le net.

Sans trop d’illusion, parce que nos revenus sont plutôt modestes.

DENISE

Un peu moqueuse.

Eh oui ! Il est vrai que ton général n’a qu’une pension d’adjudant-chef…

YVONNE

Ne te moque pas s’il te plaît !

Germaine passe quelques secondes sa tête par la porte pour la réplique suivante.

GERMAINE

Attention ! A vos rangs, fixe !

Amusées, Denise et Yvonne se sont levées et mises au garde à vous.

Germaine disparaît pour de bon.

Entrée de Charles visiblement nerveux et inquiet.

 

 

SCENE 13

CHARLES, DENISE, YVONNE

 

CHARLES

Salut militaire.

Repos soldats !... Yvonne, ma chérie. Je vous cherchais : il faut que l’on parle d’avenir car le ciel s’assombrit… La Wehrmacht est entrée en Pologne ce matin.

YVONNE

Nous parlions justement d’avenir avec Denise et je disais que pour nous deux, il y aurait bien l’idée d’aller nous réfugier chez ma soeur en Alsace, mais ce n’est peut-être pas…

CHARLES

En Alsace ? Mais vous n’y pensez pas sérieusement mon amie !

Il faut nous installer en zone libre. Du moins au début…

Ensuite, nous réfléchirons à une solution pour rejoindre l’Angleterre.

DENISE

Aie !

YVONNE

Charles ! Mon ami. Nous allons trouver une solution pour nous deux, ensemble.

CHARLES

Ensemble !... En zone libre ?

YVONNE

En zone libre : je vous le promets.

DENISE

Et puis voyons Charles, tout n’est pas encore perdu.

Peut-être allons-nous pouvoir rester ici, qui sait !

CHARLES

Ça, ce serait bien ! Avec tous les amis et vous…

Il lui prend la main d’Yvonne et y dépose un baiser.

YVONNE

Mais il faut prévoir “au cas où“ n’est-ce pas ?

CHARLES

Tout à fait. Vous connaissez mes doutes quant à la ligne Maginot !

Consultant sa montre.

Ah ! Il va bientôt être l’heure “ “ notre émission préférée.

YVONNE

La vôtre surtout mon ami. Emission qu’il serait question de supprimer ! (Soupir).

Bon eh bien en route pour “les chiffres et les lettres“ !

CHARLES

Ah, Les lettres… Je devrais penser à écrire mes mémoires un jour.

Sortie de Denise, Yvonne et Charles vers les communs et les logements..

La scène reste vide quelques instants.

Vous pouvez faire entendre le jongle de l’émission « Des chiffres et des lettres ».

 

 

Entracte possible ici.

 

Si pas d’entracte :

Claude et s’installe pour lire son journal.

 

Si entracte :

Claude est déjà installé et lit quand le rideau s’ouvre à nouveau.

ACTE 2

 

Scène 1

HENRIETTE, ADAM, SYLVAIN.

 

Entrée côté parc d’Henriette, énervée, suivie de Sylvain et Adam un peu inquiets.

ADAM

Elle avait raison Germaine. Impossible de rester dans le parc avec ce vent froid !

HENRIETTE

Oublions la météo ! Cette fois, mes gaillards, on ne rigole plus ! Je veux TOUT savoir !

D’ailleurs je vais verrouiller les portes pour éviter les emmerdeurs !

Elle sort une clé et va condamner les 2 portes.

Voilà ! Maintenant, vous allez tout me raconter de vos petits secrets.

ADAM

Bon, tu veux savoir quoi ma chérie ? Euh… Madame la directrice.

SYLVAIN

Tu vois…

T’étonnes pas que tout le monde soit au courant : tu fais gaffe sur gaffe…

Tu lâches des « ma chérie » la plupart du temps sans même t’en rendre dompte.

HENRIETTE

A Adam ? Agacée et déterminée.

Je m’en fous et c’est pas le sujet… N’est-ce pas “mon chéri“ !

ADAM

Eh bien pour répondre à ta … à votre question, Henriette… Euh chérie… Madame la directrice : C’est ça : madame la directrice : Et bien je ne sais pas par où commencer…

HENRIETTE

Là, attention ! Tu es parti pour encore nous débiter du “c’est délicat“…

SYLVAIN

Bon… Je vais l’aider. Adam et moi, on a trouvé un plan pour sauver la résidence.

HENRIETTE

Je sais ! Adam me l’a déjà dit. La question c’est : “comment vous faites“ ?

SYLVAIN

D’abord Il faut créer une association pour ni plus ni moins que permettre de…

HENRIETTE

Une autre association ? Encore ?

Elle se radoucit.

En tout cas, Sylvain, ton association pour répondre aux lettres des enfants au Père-Noël, je trouve ça merveilleux !…

Et puis ce nom : “N’oublie pas mes petits souliers“ ça jette…

Mais franchement…

SYLVAIN

“Mais franchement“, à quelques mois de la fermeture probable de la résidence, à quoi ça rime de créer une telle association ?…

C’est ça que vous voulez dire madame Henriette ?

HENRIETTE

Exactement ! Je dois quand même avouer que pas plus tard qu’hier le receveur de La Poste, devant l’afflux des courriers, m’a appelée pour proposer d’ouvrir une boîte postale.

ADAM

Ah bon ?

HENRIETTE

Une boîte postale ! Vu ce qui se profile… Bon alors Sylvain ? Cette autre association, ce serait donc pour sauver notre bateau qui coule ?

SYLVAIN

Très embarrassé.

C’est délicat.

HENRIETTE

Délicat ! Ah non, tu ne vas pas t’y mettre toi aussi.

SYLVAIN

Pardon !. Vous savez madame la directrice que… Enfin non ! Vous ne savez pas en fait. Mais il serait bien que vous sachiez que… C’est au sujet de… C’est gênant… Et merde !

HENRIETTE

Vous me faites peur là Sylvain.

SYLVAIN

Pas de quoi avoir peur, je vous rassure.

ADAM

Quoique… Mais si ça peut te rassurer, l’adjudant Gerber est au courant !

HENRIETTE

Non ! Gerber ? L’adjudant de gendarmerie trempe dans vos combines ? Bon, cela dit, cela me rassure un peu de savoir que la gendarmerie soutient votre projet.

SYLVAIN

En fait, c’est pas vraiment la gendarmerie…

C’est juste Gerber, tout seul… Ben oui… Sa mère est l’une des résidentes.

HENRIETTE

Madeleine ! Evidemment.

ADAM

Soutenir d’ailleurs, c’est non plus vraiment le mot. Disons qu’il fermera les yeux.

HENRIETTE

Bon… La suite Sylvain, s’il te plaît.

SYLVAIN

Le but c’est de racheter la résidence, nous tous, les résidents et les personnels intéressés.

HENRIETTE

D’abord interloquée.

Ouais, ouais, ouais…

Adam m’a déjà expliqué ce délire. Mais vous rêvez éveillés tous les deux !

Sylvain ! Tu es notre comptable : tu sais très bien qu’en mettant bout à bout les salaires des personnels et les pensions des résidents, en imaginant même les quelques économies de certains, on va juste pouvoir payer le hall d’entrée, le porte parapluies et la tondeuse à gazon…

Et encore… Même pas sûr !

SYLVAIN

Ben ça dépend… On peut sans doute compter sur d’autres fonds…

Nouveau silence gêné.

HENRIETTE

Précise !... C’est toi qui as gagné au loto !

SYLVAIN

Non, je le saurais.

HENRIETTE

Elle réfléchit…

T’as fait un héritage ? L’émir du Qatar a pris ta nièce pour 12ème épouse ?...

SYLVAIN

Je n’ai pas de nièce.

HENRIETTE

Bon… On va arrêter les devinettes !

Adam avait commencé à me parler d’un résident au passé un peu étrange ou particulier… J’ai d’ailleurs ma petite idée…

SYLVAIN

OK… C’est ça l’idée : l’un des résidents a un passé trouble et a amassé un max de blé.

HENRIETTE

Lucien ! C’est Lucien !

SYLVAIN

Ah ! Vous savez pour Lucien ?

HENRIETTE

Je sais juste que c’est celui qui a le mieux le profil…

Impensable le nombre de fois où on l’a surpris, la nuit, dans la cuisine de la résidence, en train de… de… « faire ses courses »…

Bon c’est quoi sa passion en dehors des yaourts aux fraises et des éclairs à la vanille ?

ADAM

La fausse monnaie !

HENRIETTE

La fausse monnaie… OK mais c’est pas avec de la monnaie, fausse de surcroît, qu’il va pouvoir s’acheter la résidence.

ADAM

Oui enfin, quand on dit fausse monnaie c’est plutôt faux billets qu’il faudrait dire.

Bon… Que des petits billets, plus faciles à écouler : des 10, des 20 et quelques 50€…

HENRIETTE

          Silence… Elle est troublée et réfléchit.

Stop ! Pas question de toucher à ces billets. Ce n’est ni légal, ni moral.

ADAM

Pas légal : ça c’est sûr !... Mais pas moral… Pas moral…. Ça se discute…

HENRIETTE

Rappel à l’ordre sec.

Adam !

SYLVAIN

Ben… Il s’agit quand même d’éviter à quelques pauvres vieux plutôt sympathiques -

Très sympathiques mêmes - de se retrouver en plein hiver à la rue ou expédiés vers d’autres résidences hostiles, surpeuplées…

ADAM

Et en prime, ça pourrait éviter bien des soucis à un couple très amoureux.

HENRIETTE

Je vous vois venir…

SYLVAIN

Allez Henriette, réfléchissez…

On n’est pas bien ici ?

La cuisine est bonne, les matelas moelleux, le personnel aux petits soins…

ADAM

La directrice adorable… (il lui caresse la joue) Et adorée.

HENRIETTE

Les éclairs à la vanille succulents… Et accessibles gratuitement !...

Et Lucien… Il en pense quoi de votre plan ?

          Silence gêné d’Adam et Sylvain.

HENRIETTE

Ne me dites pas qu’il ne sait rien de ce projet farfelu…

SYLVAIN

Henriette, on a besoin de votre accord !

Sans vous inutile de continuer. L’échéance est pour janvier…

Il est grand temps qu’Adam aille parler à Lucien.

ADAM

Hein ? Quoi ? Mais pourquoi moi ?

SYLVAIN

T’es son meilleur pote ! Et puis tu es le maire.

Et la complicité du maire ça va le rassurer aussi grave que le soutien de la gendarmerie.

HENRIETTE

Pas faux.

ADAM

Je sais pas quelle idée tu te fais du rôle de maire, Sylvain, mais je dois te dire que…

SYLVAIN

Interrompant Adam et s’adressant à Henriette.

Alors madame la directrice… Vous en dites quoi ?

Petit silence… Henriette réfléchit.

HENRIETTE

Ben… Faudrait déjà savoir pour Lucien, si le montant de son…son… son pécule, voilà :

si son pécule donc, est en rapport avec l’opération envisagée.

SYLVAIN

Attention !... Opération, selon vous, ni légale ni morale…

HENRIETTE

J’ai dit ça ?... Peut-être. Faut voir après tout !...

Alors ce pécule ? … Vous avez une idée ?

ADAM

Pas très précise mais ça doit grimper haut, très haut.

HENRIETTE

Oh et puis zut ! On délire là. Ecouler un seul faux billet, ça doit déjà être risqué.

Alors mettre sur la table des centaines de liasses de faux billets et croire que ça ne sera même pas contrôlé… C’est n’importe quoi !

ADAM

Et puis… Qui parle de payer en faux billets ?

HENRIETTE

Ben… Toi… Vous deux !

SYLVAIN

J’ai juste dit que Lucien avait une fortune en faux billets…

Pas qu’on allait les étaler sur la table pour payer la résidence.

HENRIETTE

Comment ça ?

ADAM

N’oublie pas, chérie, qu’avant d’être ici à la fois pensionnaire et comptable, cet individu a bossé comme trader au fond d’un lagon infesté de requins et de banquiers.

SYLVAIN

Donc, entre les faux billets au départ et la somme qui sera versée à l’arrivée pour le rachat de la résidence, j’ai prévu un petit transit pour tout lessiver dans l’eau claire des Caraïbes.

HENRIETTE

A Sylvain

Quand je pense que je t’ai confié la comptabilité de la résidence !

Et c’est quoi la baguette magique dans ce tour de prestidigitation ?

SYLVAIN

Chaque chose en son temps, madame la directrice.

Lucien essaie d’entrer puis frappe derrière la porte.

LUCIEN

Encore cette porte fermée ! Mais c’est une obsession !

HENRIETTE

Oui c’est fermé ! Réunion exceptionnelle du staff !

LUCIEN

 Off derrière la porte.

Justement je voulais vous voir… Rapport à un bruit qui court.

HENRIETTE

C’est la voix de Lucien non ?

SYLVAIN

Je crois bien…

ADAM

On fait quoi ?

HENRIETTE

Se dirigeant vers la porte avec sa clé.

A ton avis ?

SYLVAIN

Elle a raison, on se jette à l’eau. C’est maintenant ou jamais !

Henriette déverrouille la porte et ne la referme pas à clé.

Entrée de Lucien qui déguste un éclair à la vanille.

 

 

 

 

 

 

Scène 2

HENRIETTE, ADAM, SYLVAIN, LUCIEN

 

SYLVAIN

Ah ! Quand on parle du loup…

LUCIEN

Ah… Je suppose que “le loup“ c’est moi ?... Je dérange peut- être ? Remarquez, j’ai l’habitude depuis quelques semaines. En fait, je ne suis pas le loup mais la brebis galeuse. On m’évite, on me chasse, on parle à voix basse dès que j’approche…

Si au moins je savais pourquoi !…

HENRIETTE

Dites-moi Lucien… Il vient d’où cet éclair à la vanille ?

LUCIEN

Ben… Je crois que je l’ai trouvé posé sur le banc au fond du parc.

Et je l’ai sauvé in-extremis : un vilain corbeau tournait déjà autour.

SYLVAIN

Le loup, la brebis, le corbeau… Manque plus que le renard et la belette !

HENRIETTE

C’est pas dieu possible. Lucien…

Je vais devoir acheter des cadenas pour les poser sur les frigos !

LUCIEN

Acheter des cadenas ? Allez ! Dites-moi combien il vous en faut et cette nuit je vais vous en subtiliser des gratuits sur la rambarde du pont le plus proche.

HENRIETTE

Bien essayé ! Mais si vous savez ouvrir les cadenas sur la rambarde du pont, vous n’aurez aucune difficulté à les ouvrir à nouveau, une fois reposés sur mes frigos… Non ?

SYLVAIN

Là, elle t’a grillé !

LUCIEN

Ok… Mais je maintiens : jusqu’à la fermeture de la résidence, il faut concentrer les dépenses sur les desserts, pas sur les cadenas.

ADAM

Justement au sujet de la fermeture de la résidence, on voudrait te parler.

LUCIEN

Les Qataris ont été doublés par les Inuits ?

ADAM

Non. Mais ils pourraient être doublés par des Français.

LUCIEN

Des Français ! Des “qui ont encore des thunes“ que le fisc n’a pas encore reniflées ?

ADAM

C’est tout à fait ça.

LUCIEN

Voyons, voyons… Qui c’est-y donc de bien gaulois qui pourrait-être sur les rangs pour investir sa fortune dans notre petit paradis hexagonal ?

Bernard Arnault ?... Liliane Bettencourt ?...

SYLVAIN

Eh non… Des « qui en ont mis un max de billets de côté » sans trop se montrer et sans pouvoir les utiliser.

LUCIEN

Avoir du fric et pas pouvoir l’utiliser… Faut-y pas être con pour se mettre dans une situation pareille ! Comment c’est possible ?

ADAM

Réfléchis…

LUCIEN

Ils ont fait un casse et les numéros de billets ont été relevés ?

Les 3 autres font non de la tête.

Ils sont placés sous tutelle ? (Les 3 autres font non de la tête.)

Ils sont manchots des deux bras ? (Les 3 autres font non de la tête.)

C’est de billets de Monopoly ?

SYLVAIN

Ah ! On approche !

LUCIEN

On approche… On approche…

Attendez… des faux billets : C’est ça hein ?

Le type a des faux billets et peut pas les mettre en circuit…

Enfin pas pour une opération aussi couteuse.

ADAM

Comment tu devines tout ! C’est impressionnant.

HENRIETTE

Amusée, à Sylvain et Adam.

Wouah ! Si on ne le connaissait pas, on dirait qu’il a dû tremper là-dedans toute ta vie !

LUCIEN

Ben, j’essaie juste de me mettre à la place du type. Alors oui : écouler quelques biftons ici ou là… Oui, c’est jouable. Mais pour une opération comme le rachat d’une résidence, ça craint si le type se pointe avec ses valoches bleues bourrées de faux billets…

SYLVAIN

Faussement naïf.

Quelles valoches bleues ?

LUCIEN

Non… je dis « valoches » parce qu’il faut bien que le type en question, il les range dans quelque chose ses faux billets. J’aurais pu dire des sacs, des coffres…

SYLVAIN

Oui… Mais tu as dit des valoches et plus précisément des valoches bleues !

LUCIEN

Mais vous m’emmerdez avec vos questions !

J’ai dit bleues comme j’aurais pu dire rouges, oranges ou jaunes.

ADAM

Oui mais Sylvain a raison : tu as dit “bleues“.

LUCIEN

Bon j’ai dit “bleue“. OK et alors ?

Bref ! Si votre type se pointe avec plusieurs millions d’euros en faux biftons, il y aura un contrôle et là c’est direction “nourri logé blanchi parloir“… et sans passer par la case départ pour en revenir au Monopoly.

SYLVAIN

Lucien ! Ecoute moi. Supposons, je dis bien supposons. Le type il est heureux comme un roi dans une résidence 4 étoiles. Confort, copains sympas, personnel dévoué…

HENRIETTE

Il y a même des yaourts aux fraises et des éclairs à la vanille en veux-tu en voilà, en libre-service dans le frigo du restaurant……

LUCIEN

Ah ouais !

SYLVAIN

Et soudain, tout ça risque de s’écrouler.

Résidence rachetée par une multinationale … Euh… Tiens disons : scandinave, une multinationale scandinave : suppression du chauffage, escalopes de phoques au menu, que des chaînes télé en langues inuit…

LUCIEN

Et les éclairs à la vanille ?

ADAM

Nada ! Que des sorbets, parfum hareng fumé !

LUCIEN

Grimaçant de dégout.

Ah !... Rien que d’y penser…

SYLVAIN

Et ce type, il a un max de blé, mais vraiment un max. A sa place… Tu ferais quoi ?

LUCIEN

Je prends les harengs de vitesse et j’achète ma résidence.

SYLVAIN

Eh ben voilà, on y est : bravo Lucien !

LUCIEN

Bravo… Bravo quoi ?

SYLVAIN

Ben… Tu viens de le dire, tu rachètes la résidence.

LUCIEN

Moi ? Mais non, c’est pas moi, c’est votre type là, dans votre délire, c’est lui qui rachète, c’est lui qui est plein aux as !

SYLVAIN

Arrête de jouer au con Lucien ! Pour ta fausse monnaie, on est tous au courant.

LUCIEN

Tous ?

ADAM

Enfin, déjà nous trois ici… Et quelques amis.

LUCIEN

A Henriette.

Dites-leur vous, madame la directrice, que j’ai certains mois du mal à régler mon loyer.

SYLVAIN

Oh ! Oh ! Oh !... Tu parles un peu trop parfois après l’apéro et le pousse-café.

Et tu sors parfois de grosses coupures que tu ne peux pas avoir reçu au distributeur ou à la poste du village... Tiens ! Pour payer parfois tes loyers, je le sais !

HENRIETTE

Quoi ?

LUCIEN

Oui bon… Mais attention hein : c’est juste à la marge les mois où je coince un peu….

Je glisse un ou deux faux biftons dans une liasse de vrais.

HENRIETTE

Et ben, bonjour la confiance !

ADAM

Voyons chérie… Euh… Henriette… pardon

LUCIEN

T’excuses pas Adam ! Là aussi, pour vous deux, c’est pire que pour mes valoches : grillés de chez grillés que vous êtes !

ADAM

A ce point ?

SYLVAIN

Atterris Adam ! Les 3 étages sont au courant depuis des mois... Sans oublier le personnel !

LUCIEN

C’est même le sujet favori à la viellée…

ADAM

Inquiet, à Henriette

J’étais pourtant certain qu’on était discrets. Qu’est-ce qu’on va faire ?

HENRIETTE

Rien !

Elle se rapproche de lui et l’embrasse.

On va tout simplement assumer.

ADAM

Tout simplement assumer… Ouais, ouais, ouais… Finalement assumer, ça me plaît bien !

Il pose son doigt sur sa joue pour réclamer un autre bisou qu’il obtient.

SYLVAIN

Pour en revenir à ce qui nous occupe, Henriette…

Le fait est que je n’ai jamais eu de problème après avoir déposé en banque les liasses données par Lucien pour ses loyers. Et pas davantage de souci avec les liasses prélevées dans l’une de ses valises…

LUCIEN

Hein ? Quoi ? Vous vous êtes servis dans mes valises ?

SYLVAIN

Oui bon… On a juste un peu puisé dans la petite, la verte, qui n’est pas verrouillée… Juste pour faire un test quoi ! pas de quoi en faire un drame !

LUCIEN

Ah ben si ! Entre la curiosité et aller carrément puiser dans mes réserves…

Je dois aller voir ça de près !

Il sort, énervé bousculant Charles qui entre en trombe lui aussi furibard.

 

 

Scène 3

ADAM, CHARLES, DENISE, HENRIETTE, SYLVAIN, YVONNE

 

Entrée de Charles furibard.

Scandaleux ! Jamais on n’a vu ça depuis 60 ans que cette émission existe !

          Entrée d’Yvonne et Denise quelques mètres derrière Charles.

YVONNE

Voyons, mon ami, calmez-vous ! Ce n’est qu’un jeu tout de même…

CHARLES

Me calmer ? Un jeu ? Mais vous ne comprenez pas : il s’agit de notre langue et défendre notre langue c’est aussi important que défendre notre territoire.

HENRIETTE

Que se passe-t-il ? A vous voir dans cet état, je suppose qu’il s’agit « Des chiffres et des lettres » et qu’ils ont admis un mot anglais ?

YVONNE

Même pas !

Ils ont admis un 8 lettres et Charles en avait trouvé un autre dont ils n’ont même pas parlé.

DENISE

Et c’est tout ?

CHARLES

C’est tout ! Quand vous saurez…

Ils ont admis le mot LUCIOLES au pluriel.

Jusque-là, d’accord ! Mais d’habitude ils énoncent les autres solutions et là rien ! Et moi j’avais trouvé un autre 8 lettres.

HENRIETTE

Ah ?

CHARLES

Oui… COUILLES au pluriel.

C’est l’anagramme de LUCIOLES au pluriel aussi !

Rires d’Adam et Sylvain.

DENISE

Eh bien, je pense que justement ils ne les ont pas eues…

CHARLES

Pas eues quoi ?

DENISE

Justement… Pas eu les couilles d’afficher ce mot à une heure de grande écoute.

CHARLES

M’en fous, c’est dans le dictionnaire ! Ils n’ont pas à faire le tri.

YVONNE

D’accord, mais voyons Charles, ce n’était pas une raison pour dérégler la télé en appuyant furieusement sur tous les boutons de la télécommande.

HENRIETTE

Se relevant d’un bond, inquiète

Pardon ? Mais tous les autres doivent être furax !

Couper “Des chiffres et des lettres“, mon dieu ! C’est le sacrilège suprême ici.

DENISE

A voir ! Faudrait faire un vote pour départager avec « les feux de l’amour »

HENRIETTE

A tous les coups, je vais encore devoir appeler le dépanneur pour refaire un réglage…

Se dirigeant, furieuse, vers la sortie.

Franchement Charles, c’est n’importe quoi ! Je dois aller calmer les autres résidents…

          Elle se tourne vers Adam et Sylvain.

Et vous deux, vous ne bougez pas. Je reviens et on termine nos explications…

          Elle sort.

YVONNE

Charles, allons présenter vos excuses à nos amis.

Charles bougonne comme un enfant. Yvonne le prend par le bras : ils sortent.

ADAM

A Sylvain

Et ça continue ! Pas moyen de tenir une explication jusqu’au bout !

ça rentre et ça sort comme dans un moulin !

 

 

Scène 4

ADAM, DENISE, LUCIEN, SYLVAIN

puis HENRIETTE CAMILLE et IRMA,

 

Lucien revient, très énervé, tenant dans une main quelques liasses de billets et dans l’autre sa petite valise verte. Il ouvre la valise en grand, laissant tomber au sol des vieux journaux, et brandit les liasses.

LUCIEN

A part ces quelques liasses, voilà tout ce qu’il reste dans ma petite valise !

DENISE

Ah ouais ! Des vieux journaux à la place de thunes ! C’est comme dans les films !

SYLVAIN

Oui bon…. Des valises, il t’en reste encore 3 autres pleines à craquer.

LUCIEN

C’est pas une raison ! Il y a un mois, cette valise était encore à moitié remplie.

Vous l’avez vidée en à peine un mois ! Mais qu’est-ce que vous avez pu foutre avec tout ce pognon dans un laps de temps aussi court ?

SYLVAIN

On a investi !

LUCIEN

Vous allez vous faire piquer à mettre sur le marché tant de billets d’un coup…

Il se radoucit un peu.

Investi vous dites ? C’est rapport à la résidence ?

ADAM

Evidemment !

LUCIEN

Et… Ils sont partis où mes billets ?

SYLVAIN

Dans toute la zone euro.

LUCIEN

Ah ?

Retour d’Henriette suivie d’Irma et Camille.

HENRIETTE

Plus de peur que de mal ! La télécommande est intacte, juste la pile éjectée !

Le bon peuple est rassuré. Bien. Nous avons été interrompus et je souhaite reprendre notre conversation. Au passage j’ai invité ces deux dames (Irma et Camille) qui en savent probablement déjà plus long que moi.

A Adam et Sylvain

Qui d’autre encore trempe dans vos combines ?

SYLVAIN

Joëlle l’infirmière, Georges le chef cuisinier et ses deux commis, Martin l’homme d’entretien, Germaine et...

HENRIETTE

Ah oui, quand même ! Quasi tout le personnel sauf la directrice quoi !

SYLVAIN

Normal ! Si ça foire le personnel s’en tirera avec des circonstances atténuantes.

Tandis que la directrice en personne…

HENRIETTE

Je devrais vous remercier en fait ?

Bon !... Là, on va faire droit au but ! Lucien ! Le total dans tes valoches… Combien ?

LUCIEN

A quoi ça peut vous servir de savoir ? Tout ce fric est inutilisable. Point !

HENRIETTE

Pas tant que ça puisque tu m’en as déjà refourgué quelques échantillons !

Donc, on va supposer que c’est presque du vrai pognon puisque certains ici affirment que le blanchiment n’est pas l’exclusivité du dentifrice ! Alors ? Combien ?

LUCIEN

Puisque vous insistez… (Gros soupir) Supposons que je vive jusqu’à 100 ans…

Il sort son portable pour l’utiliser en mode calculette.

Donc Il me resterait 30 ans, soit… 360 mois à vivre encore ici aux “Joyeux Coucous“.

(Adapter les calculs selon l’âge du comédien.)

SYLVAIN

Soit bien conscient que si tu ne coopères pas, les joyeux coucous vont fermer en janvier ! Et tes 30 années du reste de ta vie, ce sera à la résidence des “ Coucous déprimés“ !

LUCIEN

Je prélève sur ma réserve chaque mois… Voyons, voyons… On va dire en moyenne 400€ pour compléter ma pension.

HENRIETTE

400€ ?… Tu avais juste parlé de quelques faux billets glissés parfois dans une liasse…

LUCIEN

Oui, mais là maintenant, si on joue dans la même équipe, je dis tout.

IRMA

Bravo mon cher Lucien !

LUCIEN

Et disons 300€ pour mes petits frais annexes et aussi… Environ 500€ par mois pour aider mes enfants et petits-enfants, anniversaires, noëls... Tout ça quoi !

Donc au total : 1200€ par mois en faux billets.

ADAM

Wouah ! 1200€ par mois ! Mais tu vas te retrouver rapidos à sec à ce train-là !

LUCIEN

Je crois pas… J’ai jamais trop surveillé mes dépenses en fait. Alors…

Je sais juste que depuis 8 ans que je suis ici, j’ai déjà vidé une autre petite valise.

Il reprend son téléphone, texte conseillé sur écran.

Donc…360 mois à 1200€, ce qui donne… Voilà : 432.000€ pour assurer mes vieux jours, jusqu’à mon centième anniversaire.

Les autres restent ahuris.

Alors ? Vous voyez ?

ADAM

On voit quoi ?

LUCIEN

Qu’il n’y a pas d’inquiétude à avoir.

SYLVAIN

Pardon ? Mais quand même ! Plus de 400 000€…

LUCIEN

Oui. Donc ?

A nouveau la calculette et texte conseillé sur écran.

Bon… Si je meurs à 100 ans, il restera pour mes héritiers, en faux billets bien sûr…

Voilà… Le total dans mes valises… J’enlève mes 432 000€ de dépenses…

Et voilà ! 39 millions 950 milles euros. Il me reste disponible, tous frais déduits, jusqu’à mes 100 ans presque 40 millions disponibles.

Amusé et désinvolte.

Aïe ! En fait, va falloir que je sois vachement attentif à mes dépenses.

CAMILLE

40 millions, 3 valises… Ça fait autour de 13 millions par valise !... Bizarre !

LUCIEN

Quoi bizarre ?

CAMILLE

Ben… 13 millions par valise, même avec des billets de 100€, ça ferait… ça ferait… 130 milles billets ! Explique-nous comment tu fais pour mettre autant de billets par valise !

LUCIEN

Et bien… Il n’y a pas que ces 3 valises-là, il y a toutes les autres valises.

ADAM

De quoi tu parles ?

LUCIEN

Ben je parle des 36 autres valises qui sont stockées dans le box que je loue à ……………………….……………. (lieu de votre village ou ville voisine).

SYLVAINE

Ah ! Intéressant… Très intéressant !

LUCIEN

Permettez que j’appelle le loueur pour vérifier mon box… Vous m’avez foutu la trouille là !

Il sort son téléphone.

SYLVAIN

A Lucien.

Plus de 40 millions d’euros ! 4 ou 5 fois le prix de la résidence ! Alors là, j’avoue n’avoir pas évalué le talent de cet imposteur et l’ampleur de ses arnaques à leur juste mesure.

LUCIEN

Enervé sur son téléphone.

Eh merde ! Pas de réseau ! Comme d’hab quoi.

Vous savez, pour mes billets, le plus difficile c’est la qualité du papier.

Pour le reste, suffit de régler l’imprimante, de recharger l’encre et les bobines de papier le soir et ça tourne tout seul toute la nuit.

Bon… Je vais chercher du réseau sur le terrain de boules… Enfin à côté du minaret !

Il sort.

ADAM

Mais pourquoi j’ai pas choisi cette filière-là après mon bac, moi, au lieu de faire l’école de police ?

 

 

Scène 5

LES MÊMES sans Lucien, donc :

ADAM, CAMILLE, DENISE, HENRIETTE, IRMA, SYLVAIN

 

HENRIETTE

Reste maintenant à enfin m’expliquer, à nous expliquer, vos magouilles pour blanchir les billets de Monopoly de Lucien… Allez !  Starsky et Hutch ! Je vous écoute !

Les deux compères interpelés se regardent… Sylvain se décide.

SYLVAIN

  1. Donc, on a créé, un compte offshore dans les îles Caïmans, un site en ligne sur le net et l’association “‘N’oublie pas mes petits souliers“…

HENRIETTE

Hein ? L’association ? Votre belle idée de lettres au père Noël ?...

Mais qu’est-ce que ça vient faire là-dedans ?

SYLVAIN

C’est en partie grâce à cette association qu’on peut blanchir la fausse monnaie.

HENRIETTE

D’accord ! En fait, cette belle idée pour émerveiller les enfants avec réponse person-nalisée du père-Noël, ce n’est ni généreux, ni attendrissant. Ce n’est rien qu’une magouille pourrie de plus pour mettre en place cette arnaque monumentale. Je suis déçue.

SYLVAIN

Mais ça n’empêche pas de joindre l’utile à l’agréable. Et puis qui sait…

HENRIETTE

Euh… Qui sait… Quoi ?

ADAM

Ben, ce qu’il veut dire, c’est que si « le pécule » de Lucien est ce qu’on pense, on pourra rétrocéder certaines sommes pour acheter des jouets pour des enfants défavorisés…

HENRIETTE

Ah ! Des jouets pour des enfants défavorisés…

Petit silence…

Bon… Je veux bien y réfléchir. Mais attention hein : ce n’est pas un oui définitif.

Pas la peine d’échafauder des plans sur la comète avant d’avoir l’accord et de savoir pour le montant de son… de son… magot.

YVONNE

A mon avis, vous fantasmez un peu trop sur le magot…

D’accord on a déjà 2 millions blanchis mais il en manque encore entre 6 et 8 !

HENRIETTE

2 millions déjà blanchis ? Et qui ici est déjà au courant pour toute votre usine à gaz ?

Tous lèvent les mains.

Ah oui, quand même ?

IRMA

Tous au courant peut-être, sauf qu’on pensait tous, il y a même pas une heure, que le blé de Lucien, c’était du vrai.

Les autres acquiescent de la tête.

SYLVAIN

Je continue…

Donc sur le site en ligne, on a proposé aux personnes intéressées de verser 20€ par virement sur le compte offshore.

Et en retour, il leur est promis de recevoir 60€, le triple donc, en espèces par courrier.

CAMILLE

Et il y a des gogols pour tenter le coup ?

SYLVAINE

20€ c’est pas un gros risque et les gens à l’esprit joueur sont des millions…

Il leur est ensuite proposé de rejouer 40€.

MARIE

40€ : le risque est multiplié par 2.

SYLVAINE

Justement non. Ils ont versé d’abord 20€ puis vont verser 40€ mais entre ces 2 virements sur notre compte ils ont déjà reçu 60€. Donc ils rejouent seulement ce qu’ils ont déjà reçu.

CAMILLE

D’accooord !... En fait… On s’est laissé embarquer là-dedans comme des nouilles.

Mais avec ces deux-là, on en découvre des vertes et des pas mures à chaque instant.

SYLVAINE

Oui, bon… Ensuite, quand on a reçu les 40€ des donateurs, on leur renvoie le double soit 80€. Ils ont donc alors une avance de 80€ qu’ils peuvent garder ou rejouer.
S’ils rejouent ces 80€, on leur envoie à nouveau le double : 160€. Et ainsi de suite…

CAMILLE

OK ! Les donateurs ont toujours un crédit d’avance… Ce qui explique qu’avec les 4 millions empruntés dans la petite valise verte, vous ayez seulement récolté 2 millions.

MARIE

Et je suppose que vos donateurs n’ont pas été informés qu’ils recevraient de faux billets ?

IRMA

Déjà nous autres on savait pas… Alors les donateurs !

SYLVAINE

Evidemment ! On ne va pas ébruiter la fortune de Lucien et le fait qu’on l’utilise.

CAMILLE

Mais comment les gens peuvent être aussi naïfs.

ADAM

Après tout, vu la qualité des billets, ils ne risquent rien du tout.

Irruption du père Etienne.

 

 

SCENE 6

ADAM, CAMILLE, DENISE, LE PERE ETIENNE,

HENRIETTE, IRMA, SYLVAIN

 

Irruption du père Etienne.

LE PERE ETIENNE

C’est inespéré, prodigieux, fantastique ! Le Vatican !

DENISE

Quoi le Vatican ?

LE PERE ETIENNE

Notre évêque a alerté ses relations haut placées à Rome et notre cagnotte est déjà mise en ligne sur le site du Vatican : la résidence, les tuiles, les cloches… Tout en un !

DENISE

Le Vatican sur internet… Bizarre ! J’aurais pas cru ça possible…

LE PERE ETIENNE

Tout dépend du motif ma fille ! Et là, le motif… les motifs sont on ne peut plus nobles.

IRMA

Surtout les cloches qui nous cassent les oreilles et font aboyer les clébards du village.

LE PERE ETIENNE

Merci mon général.

Bon je vous tiens au courant, je dois y aller. J’ai confession dans 10 minutes.

Il ressort aussi exubérant qu’il est entré.

CAMILLE

Pour en revenir à notre... Notre cagnotte à nous… Si on estime la résidence à 10 millions, on va devoir mettre 20 millions de faux billets en circulation… C’est énorme.

ADAM

Pas tant que ça : ça fait à peine 6 centimes par habitant de la zone euro.

CAMILLE

Vous avez tout calculé hein ?

SYLVAIN

Oui ! Et pour les premiers 4 millions mis en circuit, nous avons limité à 1600 donateurs avec un bénéfice de 1280€ chacun. Et on va continuer avec cette limite.

DENISE

Ouais, ouais, ouais… Je présume que cette limite, c’est pour éviter un changement de trains de vie de vos donateurs, qui pourrait attirer l’attention ?

ADAM

Exact. Mais le problème c’est que si on limite à 6 envois de billets par personne, ça nous oblige à avoir recours à plus de donateurs pour attendre l’objectif des 10 mille euros.

Du coup, les envois par la poste sont multipliés.

MARIE

Et bien évidemment, c’est là qu’interviennent les lettres au père Noël pour noyer le poisson ! Bien pensé ! Et ça fera combien de lettres tout ça ?

SYLVAINE

On ne sait pas précisément mais au rythme actuel c’est 15 lettres du père Noël à écrire, par jour et par résident.

ADAM

Et au moment de poster tous les courriers, Sylvaine et moi, nous glissons les enveloppes contenant les faux billets.

MARIE

Deux psychopathes !... Et les frais d’envoi dans tout ça ?

SYLVAINE

Négligeable : ça ne dépassera pas 3% du prix de la résidence !

Et si ça marche, tout le monde, résidents et membres du personnel seront associés au mène niveau dans la coopérative.

MARIE

La coopérative ! C’est quoi ça encore ?

Vous n’avez pas déjà prévu la couleur des nouveaux paillassons par hasard ?

ADAM

Ah ben merde ! ça on a totalement oublié.

Sylvaine ! Tu peux noter pour les paillassons, s’il te plaît ?

SYLVAINE

Bien sûr monsieur le directeur adjoint.

MARIE

Directeur adjoint toi ? Et… Adjoint de qui ?

ADAM

Mais adjoint de toi ma chérie.

CAMILLE

Vous avez entendu là ? il a dit “ma chérie“ !

IRMA

Oui, oui… Il l’a dit ! Mais c’est pas un scoop non plus !

CAMILLE

N’empêche ! Il l’a dit et devant nous tous. Ça c’est nouveau.

IRMA

C’est vrai que ça nous change du jeu des petites cachotteries habituelles. Eh ben moi je le dis : c’est bien mieux comme ça.

CAMILLE

Ouais… Sauf que ça va être beaucoup moins drôle. N’est-ce pas les chéris ?

MARIE

Voyons les filles ! Un peu de respect pour votre directrice quand même !

ADAM

Et aussi pour votre nouveau futur directeur adjoint.

 

 

SCENE 7

ADAM, CAMILLE, DENISE, LE PERE ETIENNE,

GERMAINE, HENRIETTE, IRMA, LUCIEN, SYLVAIN

 

Entrée de LUCIEN en panique.

LUCIEN

2 de mes 3 valises bleues ont disparu !

SYLVAIN

Hein ? T’es sûr ?

LUCIEN

Ben oui évidemment ! ça devait arriver ! Il y a trop de monde au courant pour mes valises.

Mais qui a pu faire un coup pareil ? Quelqu’un d’ici, c’est quasi certain… Mais qui ?

IRMA

Attendez… Ah…. Je vois… Je vois…

LUCIEN

Oui, bon… Tu vois quoi ?

DENISE

Ne la brusque pas. Moi je commence à y croire à ses dons.

IRMA

Elle entre en transe, yeux fermés…

10 secondes passent…

Je vois une voiture… Une vieille voiture… Noire, le capot très allongé…

CAMILLE

La vieille DS du général !

IRMA

Deux personnes montent à bord… Oui, ce sont eux ! Le général et Yvonne.

CAMILLE

Oui, bon. Ils vont faire un tour à ………………….……. (Ville voisine).

IRMA

… Et je vois 3 valises dans le coffre…. Non … Pas 3… 2 valises seulement… Bleues… Et un sac de voyage rouge

LUCIEN

Deux valises bleues ! Ah l’enfoiré !

LE PERE ETIENNE

Nom de dieu ! Nos deux valises.

LUCIEN

Ah non ! Pas NOS valises… Ces deux-là, elles sont encore à MOI.

Entrée de Germaine, brandissant une lettre.

GERMAINE

Regardez-y donc quoi qu’c’est-y que je viens de trouver en faisant la poussière sur le bureau de l’accueil.

Bon… Je vous cache pas que j’ai lu vu qui z-y avait point d’enveloppe…

Henriette saisit le papier et lit d’abord un peu pour elle-même.

CAMILLE

C’est quoi ?

HENRIETTE

Une lettre du général. Sidérant, je dois dire !

Elle commence à lire :

« Chers amis, je suis désolé, mais tous ces pauvres billets, séquestrés dans ces vieilles valises poussiéreuses, sans espoir de revoir un jour la lumière… J’ai eu pitié !

Pas le temps de vous dire adieu, nous…

LUCIEN

Il a bien fait de pas faire ses adieux, il a évité mon poing sur la gueule, le général !

GERMAINE

Carrément qu’il a encore disjoncté l’amiral !

DENISE

Chut ! La suite…

HENRIETTE

« Nous avons rendez-vous demain matin avec le notaire… »

LE PERE ETIENNE

Le notaire ? Mais quel notaire ?

GERMAINE

P’t-être bien qu’il va hériter d’une mémoire toute neuve …

HENRIETTE

Mais laissez-moi finir ! « … avec le notaire, car je vais acheter pour Yvonne et moi, pour nos vieux jours, la maison de mes rêves et vous y serez tous les bienvenus à l’occasion, enfin si vous ne m’en voulez pas trop. »

LUCIEN

Tu parles qu’on lui en veut pas à cette vieille fripouille…

GERMAINE

Ah elle est belle l’armée française !

HENRIETTE

Poursuivant sa lecture.

… « Sachez qu’Yvonne n’est au courant de rien, je veux lui faire la surprise. Nous vous souhaitons bonne chance pour la suite. Au plaisir de vous recevoir à la Boisserie. Je vous mets l’adresse au verso. »

IRMA

Non ! La Boisserie ! Il a pas osé pousser sa folie jusque-là quand même ?

DENISE

La Boisserie… Tu crois… La vraie Boisserie ?

GERMAINE

Et quoi que c’est-y donc que cette Boiserie ?

HENRIETTE

Elle tourne la page et lit.

1, rue du Général De Gaulle  -  52330 COLOMBEY-LES-DEUX EGLISES.

DENISE

Et ben si ! Il l’a fait !

IRMA

Il nous prend pour des cons là !

CAMILLE

Et il n’a peut-être pas tort vu la situation.

DENISE

Je n’en reviens pas ! Il m’avait parlé de cette idée saugrenue et ça m’avait fait rigoler.

J’ai pensé “un délire de plus“. Je n’aurais jamais imaginé qu’il mijotait de piquer les valises de Lucien pour aller au bout de son rêve !

HENRIETTE

Ah le con ! Le con ! Le con !

GERMAINE

Faudra plus me faire des remarques sur la façon dont que je cause, parce que là, madame la directrice, que vous-y montrez vraiment pas le bon exemple.

SYLVAIN

Le con peut-être… Mais surtout le pigeon !

GERMAINE

Pourquoi “ le pigeon “ ?

CAMILLE

Mais enfin Germaine ! La Boisserie à Colombey c’est la maison du général De gaulle : c’est un musée, il y a des visites, ça doit même être classé site historique,

IRMA

Et donc… Donc ?... (Germaine reste silencieuse) Donc, elle ne peut pas être vendue.

GERMAINE

Ouais…Sauf que notre Tournesol et sa chérie et ben y z-ont rendez-vous chez un notaire !

CAMILLE

Ils sont en train de se faire arnaquer !

LUCIEN

Il faut les rattraper !

IRMA

Ils sont partis il y a plus d’une heure.

HENRIETTE

Tu as vu ça dans ta boule de cristal ?

IRMA

Non. J’étais à la fenêtre et je les ai vus sortir vers leur tacot. Et ils portaient chacun…

CAMILLE

Bravo la boule de cristal !

Elle joue à son tour la voyante, yeux fermés…

Je vois… Je vois… T’as juste tout vu pat ta fenêtre !

IRMA

Même qu’ils ont mis les bagages sur les sièges arrière.

LUCIEN

Bon… Ils sont partis de quel côté ?

IRMA

La DS a tourné à droite sur la route en sortant du parc.

SYLVAIN

Normal ! Ils vont prendre l’autoroute.

Bruit de voiture au dehors…

DENISE

On a une chance de les rattraper.

Leur DS est repérable et ne permet pas de rouler vite.

Bruit de vieille voiture qui toussote… Tous écoutent.

          Henriette et Camille foncent à la fenêtre.

HENRIETTE

Pas la peine… Nos oiseaux sont de retour !

CAMILLE

Moquant Irma, elle joue à nouveau la voyante..

Ah ! Et là je vois… Je vois… Nous voyons 2 valises et un sac rouge sur les sièges arrière.

LUCIEN

Ouf !

Tous se mettent face à la porte par laquelle les “fuyards“ vont revenir. Bien décidés à demander des explications. Poings serrés… Silence lourd.

On entend du bruit dans l’entrée… Charles entre, suivi d’Yvonne.

 

 

SCENE 8

Les mêmes + CHARLES et YVONNE

 

CHARLES

Furieux, il ne laisse le temps à personne de prendre la parole.

La chienlit, mes amis ! C’est la chienlit ! (A Germaine) appelez-moi de toute urgence le ministre de l’intérieur.

GERMAINE

Qui ça ? Moi ?

CHARLES

Qui voulez-vous ? Vous êtes ma secrétaire oui ou non ?

Donc vous dites à Marcellin de me faire évacuer immédiatement ce rond-point.

GERMAINE

Eh ben me v’là t-y point promue secrétaire personnelle de l’amiral Tournesol !

A qui qu’ c’est-y qu’il m’a dit qu’il faut y téléphoner ?

HENRIETTE

En confidence à tous.

Laissez tomber Germaine : pas la peine de dialoguer. Là il est en crise aiguë.

LUCIEN

Crise aiguë… C’est un peu facile quand même. Il peut tout se permettre !

HENRIETTE

Que voulez-vous c’est LE général !

CHARLES

Invraisemblable ! Un attroupement bloque le rond-point d’accès à la bretelle de l’autoroute. Sans doute une grève des Ponts et Chaussées. Ils portent tous des gilets, jaune fluo.

C’est la chienlit ! Il faut envoyer immédiatement les CRS, la légion les parachutistes.

CAMILLE

Aussi efficace et moins brutal : les canadairs mon général ?

DENISE

Pas la peine mon général, le porte-avion Charles De Gaulle est déjà positionné sur …………………………………….. (vous pouvez préciser ici un fleuve ou un canal de votre région) avec ses charges nucléaires.

CHARLES

Très bien, très ben. Mais… Il y a un porte-avions qui porte mon nom ?

ADAM

Bien sûr mon général.

CHARLES

C’est incroyable, on ne m’a même pas demandé mon avis !

ADAM

Et même un aéroport civil de Paris.

HENRIETTE

Et la place de l’étoile rebaptisée à votre nom !

CHARLES

C’est très flatteur, mais c’est aussi un peu gênant.

Ils auraient quand même pu attendre que je sois mort.

HENRIETTE

A Yvonne.

Et toi, tu t’es laissée embarquer comme ça ? Tu n’étais vraiment au courant de rien ?

YVONNE

Non ? Je ne comprends pas votre attitude.

HENRIETTE

Elle tend le courrier laissé par Charles.

Tiens ! Lis.

YVONNE

De plus en plus stupéfaite au fil de la lecture.

Oh nom de dieu… Oh nom de dieu… La Boisserie : carrément !

Là je comprends un peu mieux votre agacement.

Je vous jure que je ne savais pas. Rien !

Sinon, vous pensez bien que  j’aurais raisonné Charles…

HENRIETTE

Oui… On s’en doute. Bon… Tout est bien qui finit bien.

CAMILLE

Et merci les gilets jaunes !

C’est pas fini, mais

Courte fermeture du rideau.

 

Nous passons au soir du 24 décembre. Ajouter rapidement sur scène un sapin de Noël (Prévoir un sapin avec illuminations incorporées, facile à installer.)

+ sur la table centrale de quoi faire un léger apéro.

 

 

EPILOGUE

LE SOIR DU 24 DECEMBRE

 

TOUS.

         

Ils sont assemblés derrière la grande table pour l’apéro.

Durant environ 30 secondes, ils parlent en 2 ou 3 groupes (improviser) sans qu’il soit utile que le public comprenne vraiment leurs conversations.

          Puis Henriette entre un document entre les mains. Le silence se fait d’un coup.

HENRIETTE

Elle affiche une mine plutôt coincée.

Bonsoir mes amis et… joyeux Noël ! Enfin…

LES AUTRES

Joyeux Noël madame la directrice (ou “joyeux Noël Henriette“).

Henriette lève le document puis l’abaisse avec dépit.

ADAM

Non… Ne me dis pas que....

SYLVAIN

On n’a pas fait tout ça pour rien, c’est pas possible !

LUCIEN

Veuillez accoucher madame la directrice, s’il vous plaît.

Dites-moi que mon pognon a servi à quelque chose, je vous en supplie.

Henriette reste prostrée, silencieuse.

CAMILLE

Pardon madame, mais là, on va s’évanouir...

IRMA

Regard vers le fond de la salle, elle s émet à rire.

Je le vois plus ! Je le vois plus !

ADAM

Qui ? Quoi ?

IRMA

Le minaret !

GERMAINE

Ah non ! Que ça suffit grave avec las Qaqataris !

HENRIETTE

Le tribunal a rendu sa décision. Il y avait 3 offres d’achat et… Et…

Elle garde sa mine dépitée quelques secondes puis laisse soudain éclater sa joie.

On a gagné mes amis ! On a gagné !

Tous se mettent à sauter, crier, et danser (durée à définir).

Henriette hausse la voix.

Il y a donc eu un don très mystérieux de 10 millions d’euros pour notre résidence.

Don déposé par une personne richissime dans une banque des îles caïman. Le généreux donateur a mis des conditions : nous devons nous organiser en coopérative entre résidents et membres du personnel

Nous avons 3 mois pour déposer les statuts.

SYLVAIN

Les statuts ? Mais ils sont déjà prêts !

Irruption du Père Etienne, agitant en l’air un chèque.

GERMAINE

Ben qu’il manquait plus que lui !

LE PERE ETIENNE

Il jubile !

Ah ! Mes fils, mes filles, mes amis ! C’est le plus beau Noël de ma vie ! Et de loin !

C’est un miracle ! Un miracle !

CAMILLE

Eh bien… Que se passe-t-il mon père ?

LE PERE ETIENNE

10 millions d’euros ! Là, j’ai dans les mains un chèque de 10 millions d’euros !

La cagnotte du Vatican ! C’est pour nous ! pour vous !

DENISE

Votre toit va être refait à neuf, mon père !

LE PERE ETIENNE

A neuf ? Ah, si vous le dites… Mais on ne m’a pas encore communiqué le nombre des ouvriers… (Flop) Mais je plaisante !

GERMAINE

10 millions ? et ben que c’est peut-être bien le moment d’en profiter pour z-y changer le cordon de l’aspirateur parce que vraiment que ça yoyotte grave !

LE PERE ETIENNE

Il s’arrête de jubiler en constatant la mine effarée des autres.

Et bien, cachez votre joie !

je vous apporte la solution à tous nos problèmes et vous me faites des mines de gamins privés de leurs téléphones portables.

SYLVAIN

Ben... En fait, mon père, c’est que de notre côté on a déjà trouvé une solution à …

CHARLES

Il coupe innocemment la parole au curé.

Oui… On a déjà tous trouvé une solution pour un autre avenir, loin d’ici.

En ce qui me concerne, dans une belle résidence campagnarde en Haute Marne.

Ne voulant pas décevoir le curé en évoquant avoir déjà de quoi sauver leur résidence, les autres embrayent sur le discours de Charles.

CAMILLE

Moi j’ai postulé pour travailler dans un EHPAD, bien triste…

YVONNE

Et moi je vais aller vivre chez ma sœur, enfin… Provisoirement.

LE PERE ETIENNE

Ne me dites pas que vous allez tous partir alors que j’ai là dans la main, le miracle tant attendu. Et le soir de Noël en plus !

On ne refuse pas un cadeau de notre seigneur Jésus !

Silence gêné de tous…

GERMAINE

Ben quoi ? De Jésus ou de Tartempion, que c’est point la question non ?

          Silence

Bon d’accord et ben vous savez quoi, curé ?

Et ben si qu’il en veulent pas de votre chèque miraculeux et ben que je vais me dévouer…

IRMA

A tous

Allez quoi ! Elle a raison Germaine : bien sûr que non, qu’on ne va pas refuser !

GERMAINE

Ah ben voyez mon père ! Qu’y en a quand même une qui se bouge le cul !

IRMA

Mais on est tous tellement surpris que vous ayez réussi, monsieur le curé…

Qu’on a du mal à y croire.

Allez tous ! On va tous rester ici, aux joyeux coucous ! Vous entendez ?

On va rester, tous ensemble ! Tous ensemble, tous ensemble hé !...
          Ils refont tous la fête comme précédemment.

LE PERE ETIENNE

Ah la bonne heure ! Quelle joie de vous voir ainsi.

Et pour remercier notre Seigneur, je vous veux tous ce soir à la messe de minuit.

Et quand je dis “tous“, c’est tous ceux de la résidence et pas que la chorale.

Et qu’on se le dise, tout absent sera illico excommunié et voué aux flammes de l’enfer.

Il sort, radieux, conservant par distraction le chèque qu’il était venu apporter.

LUCIEN

Je ne comprendrai jamais les curés !

Là, il avait vue directe sur le ciel et il s’obstine à remettre des tuiles.

IRMA

Sérieux !

On ne pouvait pas lui dire qu’on avait déjà trouvé 10 millions, vous êtes d’accord ?

SYLVAIN

Tu as raison. J’ai failli vendre la mèche.

Heureusement que Charles m’a coupé dans mon élan. (Salut militaire) Merci Charles.

CHARLES

De rien mon p’tit gars. Repos.

CAMILLE

C’est bien gentil tout ça, mais qu’est-ce qu’on va faire du chèque du curé ?

Tiens d’ailleurs… Il est où son chèque ?

LUCIEN

Il est reparti avec, tiens ! Pas con, lui au moins !

CAMILLE

Arrête Lucien, C’est une simple étourderie sous le coup de l’émotion.

ADAM

Avec ce chèque, je propose de laisser la priorité au curé pour acheter des cloches en or massif et des tuiles en porcelaine de Limoges.

GERMAINE

Ouais… L’inverse que ça serait pas top… Surtout les cloches en porcelaine.

SYLVAIN

Pour le reste… On verra.

CAMILLE

J’ai peut-être une idée…  Vous savez que je dirige une autre chorale ?

IRMA

Oui, tu nous en a parlé : tu remplaces ta collègue malade dans la résidence pour séniors à…………………….………….. (bourgade pas loin de chez vous).

CAMILLE

Justement… Ils sont dans la même situation que nous… Sauf que… Pas de richissime donateur ni de chèque du Vatican…. Ils vont fermer en mars ou avril prochain…

ADAM

Je te vois venir…

CAMILLE

Ben quoi ?

DENISE

Mais oui !... Après tout, pourquoi pas ?

HENRIETTE

On encaisse le chèque du père Etienne…

YVONNE

Et on file le pognon de notre donateur pour sauver nos cousins de…………………. (Bourgade évoquée plus haut). Enfin si notre donateur est d’accord…

SYLVAIN

Sourire malicieux.

Je vais le contacter demain matin au réveil. Mais à priori je suis plutôt confiant.

Nouvelle irruption du père Etienne, brandissant son chèque.

LE PERE ETIENNE

Quel étourdi je fais ! Je suis reparti avec le chèque.

LUCIEN

Etonnant ! J’aurais parié que vous l’aviez gardé exprès !

LE PERE ETIENNE

Faussement dépité et désignant du geste les anciens.

Séniors !

Puis, levant les yeux au ciel.

Prends pitié !

Il donne son chèque à Adam.

ADAM

Solennel, redonnant le chèque à Henriette.

Les séniors soient avec vous !

TOUS LES AUTRES ENSEMBLE

Et avec votre esprit !

FIN de la pièce / fermeture du rideau.

 

 

Musique : Mon vieux et puis… Si vous le voulez…

Suggestion pour prolonger un peu le plaisir…

 

Les comédiens sont alignés face au public

Le père Etienne est à part sur un côté de la scène (micro conseillé)

 

Le père Etienne (ou votre metteur en scène)

Il peut avoir tout ou partie du texte qui suit sous les yeux.

Merci de votre présence. Au départ nous pensions offrir le bénéfice de ce spectacle pour aider au sauvetage des « Joyeux Coucous », mais il semble bien que nous ayons été devancés. C’est donc tout bénéf pour nous : on garde la recette.

Aux dernières nouvelles, nos séniors sont donc devenus proprios de leur résidence en coopérative. Alleluia !

Alors prions mes frères et mes sœurs pour tous ceux qui n’ont pas cette chance.

Pour nos vieux qui croupissent dans des mouroirs infectes sans que ni les administrations concernées, ni davantage nos politiques ne s’en émeuvent sérieusement.

ADAM

Il s’avance d’un pas.

Séniors, prends pitié !

Il recule d’un pas.

Hormis pour le curé, avant chaque réplique suivante « Séniors, prends pitié ! »,

chaque comédien va, comme Adam, s’avancer d’un pas puis reprendre sa place.

Sollicitez le public pour qu’il accompagne cette réplique-là.

LE PERE ETIENNE

Pour nos vieux qui sont alimentés de façon infâme par des centrales de restauration qui se gavent de bénéfices.

CAMILLE

Séniors, prends pitié !

LE PERE ETIENNE

Pour nos vieux, incontinents, dont les couches ne sont changées qu’une fois par jour et jamais la nuit.

CHARLES

Séniors, prends pitié !

LE PERE ETIENNE

Pour nos vieux qui n’ont plus aucune famille, plus aucun ami.

DENISE

Séniors, prends pitié !

LE PERE ETIENNE

Pour nos vieux qui ont une famille mais jamais ou presque de visites.

GERMAINE

Séniors, prends-y par pitié !

LE PERE ETIENNE

Pour nos vieux qui sont encore dans leur logement mais incapables de monter ou descendre la moindre marche d’escalier.

HENRIETTE

Séniors, prends pitié !

LE PERE ETIENNE

Pour nos vieux qui sont encore dans leur logement et qui oublient qu’ils ont branché le four ou laissé le robinet ouvert.

IRMA

Séniors, prends pitié !

LE PERE ETIENNE

Pour nos vieux qui essaient avec courage et détermination de faire leurs démarches en ligne sur internet.

LUCIEN

Séniors, prends pitié !

LE PERE ETIENNE

Pour nos vieux immobilisés qui n’ont plus comme loisir que Koh-Lanta, the Voices, les feux de l’amour, Poutine, Netanyahu ou Cyril Hanouna.

SYLVAIN

Séniors, prends pitié !

LE PERE ETIENNE

Pour nous tous ici, qui un jour connaîtrons peut-être l’un ou l’autre ou plusieurs de ces tourments.

YVONNE

Séniors, prends pitié !

LE PERE ETIENNE

Allez dans la paix du Christ.

 

 

Le public s’est levé et commence à quitter la salle…

Annonce au micro :

Votre attention s’il vous plaît !

Nous venons de constater qu’une valise bleue a disparu en coulisses.

Merci à toute personne ayant des informations à ce sujet de contacter les organisateurs.

Inutile d’en parler à la gendarmerie ou à la police. Merci.


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