Si on se sépare, je reste !
Une comédie de François Scharre
Décor : un séjour avec deux gros fauteuils confortables et quelques meubles contemporains. Une table basse avec un ordinateur. Côté jardin, premier plan, la porte de la petite chambre, deuxième plan, la porte d’entrée. En fond de scène, d’un côté, la porte de la cuisine et de l’autre celle de la salle de bain. Côté cour, un passage vers les toilettes et la grande chambre.
Acte 1
Scène 1 :
Au lever du rideau, Bastien est seul en scène. Il est affalé sur un fauteuil devant un écran d’ordinateur. À côté de lui, sur le sol, plusieurs canettes de bière vide. Il tient dans les mains une manette de jeu vidéo. Il a un casque muni d’un micro. Il parle manifestement à un copain avec qui il joue.
BASTIEN - Comment je t’ai bouffé ton drone !... (Il se démène avec sa manette) Tiens ! Prends ça dans ta face ! (Il recommence) Et encore 3000 points de bonus pour moi ! Et tiens ! Bingo ! Encore deux gardes abattus ! Tu dis plus rien, mon gros !...Oh ! Ça va ! Tu vas pas me faire la gueule parce que, pour une fois, c’est moi qui gagne ! Quoi ? Une revanche ? Eh ben, ça marche !
(Léa entre par la porte d’entrée. Elle pose son sac, regarde Bastien dans le fauteuil et soupir en levant les yeux au ciel. Apparemment, Bastien ne l’a pas entendu entrer.)
Viens par là, je vais te foutre une bonne raclée !
LÉA - Quoi ?
BASTIEN - T’en as pas assez eu tout à l’heure ?
LÉA - Non, mais, Bastien, t’es pas bien !
BASTIEN, il ne l’a toujours pas vu. - Tiens ! Prends ça, mon gros !
LÉA réalisant qu’il ne s’adressait pas à elle. - Ah oui ! Bien sûr ! Tu es encore en train de jouer avec JP ! (Elle frappe deux fois très fort dans ses mains) Ouh ouh ! Je suis là !
BASTIEN, sursautant et retirant le casque d’une de ses oreilles. - Oh ! T’es conne ! Tu m’as fait flipper !
LÉA - Sympa, l’accueil !
BASTIEN - Mais non, JP ! C’est pas à toi que je parle ! C’est Léa qui fait exprès de me foutre la trouille ! Tiens ! Amène-moi une bière, chérie !
LÉA - Et "s’il te plaît", ce ne serait pas trop demander ! (Elle sort vers la cuisine et revient aussitôt avec une canette de bière.)
BASTIEN - Tiens ! Prends encore ça !
LÉA, lui tendant la canette de bière. - Tu es passé chez Bricoltou ?
BASTIEN - Il faut me l’ouvrir, ma puce ! Tu vois bien que je ne peux pas, là !
LÉA, elle prend un décapsuleur qui traîne par terre et ouvre la canette. - Tu ne veux pas que je te la boive non plus ? Tu devais rapporter une porte pour les toilettes !
BASTIEN, lâchant une main de son jeu pour attraper la canette. - Oh ! Mais tu le fais exprès, Léa ! Il faut m’en amener une du frigo ! Celle-là, elle est chaude !
LÉA, soupir et va, énervée jusqu’à la cuisine, chercher une autre canette. - Alors tu n’es pas passé chez Bricoltou ?
BASTIEN - Non ! Je n’ai pas eu le temps, ma puce ! (À JP.) Oh tu ne l’as pas vu venir, celle-là, JP ?
LÉA, reviens lui apporter sa canette fraîche. - T’es lourd, Bastien ! Ça fait trois semaines que tu dois aller chercher cette porte !
BASTIEN, prenant la canette. À Léa. - Décapsuleur ! (À JP) Oh, mon cochon ! Tu m’as flingué mes deux gardes d’un coup !
LÉA - J’en ai marre, Bastien !
BASTIEN - Ah ! La vache ! Tu m’as encore bousillé un drone ! Mais je peux encore m’en sortir !
LÉA se plante devant lui. - Tu m’écoutes ! Je te dis que j’en ai marre !
BASTIEN - Reste pas devant, chérie ! Je ne vois plus rien !
LÉA - Il n’y en a que pour tes jeux ! On a plus de vie de couple !
BASTIEN - Pousse-toi Léa ! C’est pas le moment ! Il ne me reste qu’un drone et j’ai perdu mon bras droit dans le dernier assaut !
LÉA - Et t’es en train de perdre ton cerveau dans ton jeu ! En plus, tu ne fais rien pour m’aider ! Pour commencer, tu me rangeras toutes tes canettes vides, là !
BASTIEN - Allez ! Dégage, quoi ! Oh non ! C’est pas vrai ! Tu m’as fait perdre ! T’es chiante, hein ! (À JP) Te marre pas, toi ! Si t’as gagné, c’est parce qu’il y a Léa qui m’a gêné ! Elle est toujours en train de me déconcentrer !
LÉA - Bastien ! On pourrait avoir une discussion sérieuse ?
BASTIEN, à JP. - Un peu, mon neveu ! Tu vas pas me laisser sur une défaite !
LÉA - Mais il va continuer, c’est pas vrai !
BASTIEN - Et là, Léa, tu dégages, je veux plus te voir, d’accord ?
LÉA - Tu ne crois pas si bien dire ! On va prendre un peu de distance tous les deux !
BASTIEN - Alors, mon JP, t’es prêt pour l’ultime combat ? Trois, deux, un partez ! (Léa va débrancher la prise de l’ordinateur) Merde ! L’ordi à planter, JP ! J’ai plus d’images !
LÉA, lui arrache le casque des oreilles. - Oui ! C’est moi qui ai coupé ! Et maintenant, tu n’as plus le son, comme ça, tu vas peut-être pouvoir te concentrer sur moi !
BASTIEN - Non, mais t’es pas bien !
LÉA - C’est vrai, je ne suis pas bien depuis quelque temps !
BASTIEN - On ne débranche jamais un ordi comme ça ! Ça l’esquinte !
LÉA - C’est le seul moyen que j’ai trouvé pour attirer ton attention !
BASTIEN - Ouais ! Eh ben, c’est pas malin !
LÉA - J’en ai marre de tes jeux vidéo !
BASTIEN - Si je ne peux même plus me détendre en rentrant du boulot !
LÉA - OK ! Te détendre, pourquoi pas ! Mais tous les jours, tu rentres et tu te vautres dans ce fauteuil ! Tu ne viens même plus manger avec moi ! Je t’apporte ton repas devant ton jeu !
BASTIEN - Oui, mais c’est parce que là, je viens de m’acheter le dernier "tomb of fire "!
LÉA - Mais on a déjà eu cette discussion ! C’était pareil avec le jeu précédent !
BASTIEN - Je vais faire attention, Léa !
LÉA - Tu m’avais déjà dit ça la dernière fois ! J’en peux plus, Bastien ! Il faut être honnête, il vaut mieux que l’on se sépare !
BASTIEN - Mais non ! Tu déconnes ?
LÉA - J’ai pas du tout la tête à déconner, là, tu vois !
BASTIEN - Oh ! C’est pas parce que je reste un peu longtemps sur mes jeux que l’on va se séparer !
LÉA - Un peu longtemps ? De dix-sept heures trente que tu rentres, jusque deux ou trois heures du mat ! Quand tu n’es pas au boulot, tu es devant ta console ! On est déjà séparé ! Tu vis en couple... avec ta console !
BASTIEN - T’as rencontré quelqu’un ? C’est ça ?
LÉA - Non ! Pas du tout !
BASTIEN - Si ! T’as rencontré quelqu’un et tu trouves un prétexte pour me larguer !
LÉA - Alors déjà, je ne sais pas où j’aurai trouvé le temps de rencontrer quelqu’un !
BASTIEN - C’est vraiment vache ce que tu fais !
LÉA - Non, mais tu ne veux pas te rendre à l’évidence : je veux me séparer de toi non pas pour quelqu’un, mais à cause de toi !
BASTIEN - On était bien tous les deux ! Sinon, on n’aurait pas décidé d’acheter cette maison ensemble ! C’était notre rêve d’avoir cette maison ! Et maintenant, tu veux tout gâcher sur un coup de tête !
LÉA - Mais ce n’est pas un coup de tête, Bastien ! Effectivement, on était bien tous les deux ! Mais quand on a décidé d’acheter cette maison, tu savais qu’il y avait des travaux à faire dedans ! Moi, j’ai cru que l’on allait se retrousser les manches et se faire un super "chez nous" !
BASTIEN - Eh bien quoi ! On n’est pas bien chez nous ?
LÉA - Depuis un an qu’on a acheté, je me démène pour essayer de faire avancer les choses !
BASTIEN - Mais les travaux, ça prend du temps, c’est normal !
LÉA - Ah ! C’est sûr que, quand on ne fait rien, ça prend plus de temps ! Ça peut même prendre toute la vie ! Le carrelage de la salle de bain n’est pas terminé, depuis deux mois que s’est commencé ! Le rideau provisoire de la douche qui tombe sans cesse, ça fait presque un an que l’on doit installer une porte en verre ! Et alors, je ne parle pas de la porte des toilettes ! Super, l’intimité ! Quand on est sur le trône, tout le monde en profite !
BASTIEN - Chaque chose en son temps ! Profitons de notre jeunesse !
LÉA - Ah oui ! Chaque chose en son temps ! Mais ton temps, tu le passes devant ton écran, tu ne le passes pas avec moi ! Alors, explique-moi à quoi ça sert de rester ensemble.
BASTIEN - T’énerves pas, ma puce !
LÉA - Non, non ! Et puis arrête de m’appeler "ma puce", parce que la puce c’est un parasite et le parasite, ici, ce serait plutôt toi !
BASTIEN - Oh ! Mais qu’est-ce que t’as à être énervé comme ça ! T’as tes ragnagnas !
LÉA - Ah ça ! C’est bien une réflexion de mec ! Non, je n’ai pas mes règles si tu veux savoir, mais pour ce que tu m’approches en ce moment, ça ne change pas grand-chose !
BASTIEN - Ah ! c’est ça ! Tu veux un petit câlin ! (Il s’approche d’elle tendrement), Mais il fallait le dire tout de suite, ma chérie !
LÉA - Non, non ! Tu ne m’approches pas ! Tu n’as pas compris, je viens de te dire : on se sépare ! (Elle sort vers la chambre)
BASTIEN - Mais qu’est-ce que tu fais ? Tu ne vas pas faire ta valise quand même ! Réfléchi encore !
LÉA, entre avec un oreiller et des draps dans les bras. - Mais c’est tout réfléchi, mon petit bonhomme !
BASTIEN - Attends avant de partir !
LÉA - Mais, qui t’a dit que je partais ?
BASTIEN - Mais là, qu’est-ce que tu fais ?
LÉA - Je change de chambre !
BASTIEN - Mais non ! C’est ridicule, voyons !
LÉA - Pour ce qu’on y faisait ensemble dans notre lit ! Je ne verrai pas beaucoup la différence ! (Elle sort par l’autre côté)
(Bastien soupire. Il va brancher son ordinateur puis remet son casque sur ses oreilles.)
BASTIEN - Oui, JP !...Non, c’est pas l’ordi qu’a planté ! C’est plutôt Léa qui m’a planté ! Oh ! Ben, elle pique sa crise ! C’est pas la première fois, ça lui passera ! Sauf que cette fois, elle est partie coucher à côté !... Hein ? Non ! Pas avec le voisin ! T’es con toi ! Elle s’installe dans la petite chambre ! Je crois que c’est pour marquer le coup ! Pour ce soir, on arrête ! Je te rappellerai demain et je vais te ratatiner, mon gros ! Quoi ?...Pour Léa ? T’inquiète ! Ce soir, je vais l’amadouer avec un coup de resto en amoureux et après une nuit de folie, je vais la ramener dans ma chambre, la cocotte !
(Il ramasse les canettes vides qui sont à côté du fauteuil et se dirige vers la cuisine. Léa sort de la petite chambre.)
Chérie ! Si on allait au nouveau resto italien, ce soir ! C’est moi qui t’invite !
LÉA, ironique. - Pourquoi ? Ton ordi ne redémarre plus ?
BASTIEN - Non, déconne pas ! On fait la paix ! (Il va pour l’embrasser, elle esquive au dernier moment) Ça va où les bouteilles en verre ?
LÉA s’arrête net. - Quoi ? Tu ne sais pas où vont les bouteilles vides ! Tu vois, Bastien, depuis un an qu’on est ici ! Ça veut dire que c’est moi qui ai toujours jeté tes bières vides ! Voilà le problème !
BASTIEN - Mais je vais changer, promis ! Alors ? Pour le resto ?
LÉA - J’ai pas envie de sortir !
BASTIEN - Tu as raison ! On va rester à la maison ! On a qu’à se faire un petit dîner tous les deux ! Qu’est-ce que tu nous prépares ?
LÉA - Et ben tiens ! "On" reste à la maison et "je" prépare ! Alors tu as raison, je vais "me" préparer un petit repas équilibré et toi, tu te démerdes !
BASTIEN, avec rancœur. - Cool ! Sympa ! Moi qui voulais faire la paix !
LÉA - Mais on n’est pas en guerre, mon petit Bastien ! Je suis fatiguée, je ne me bats plus contre toi ! La guerrière dépose les armes, et la cuisinière rend son tablier ! Je ne file pas à l’anglaise, mais je quitte l’union, si tu vois ce que je veux dire !
BASTIEN - Mais moi, je mange quoi ?
LÉA - Ce que tu as ramené du supermarché tout à l’heure ! Je t’avais fait une liste de courses et normalement, tu avais le temps en sortant du boulot !
BASTIEN - Ah ! Oui, j’ai oublié !
LÉA - Et voilà ! C’est vrai que "tomb of fire" ne pouvait pas attendre !
BASTIEN - Ça ne t’arrive jamais d’oublier ?
LÉA - Si j’oubliais de faire les courses aussi souvent que toi, on ne mangerait pas souvent ! (Elle imite une publicité) "Avec Bastien, j’ai perdu 13 kg en un mois. Faites comme moi : mettez-vous avec un mec qui oublie de faire les courses. Suivez le régime Bastien"
BASTIEN - Bon ! J’ai oublié, j’ai oublié ! Ça va ! Non, mais, sans rire qu’est-ce qui reste à manger ?
LÉA - C’est ton problème, mon grand ! De toute façon, avec tout ça, moi, je n’ai plus faim !
BASTIEN - Bon et ben, je vais voir ce qu’il reste dans le frigo ! (Il sort vers la cuisine)
LÉA, crie vers la cuisine. - T’as qu’à bouffer ta manette de jeu, avec du ketchup c’est peut-être bon ! (Elle sort son portable et compose un numéro) Jenny ! Ça y est ! C’est fait !...Oui, comme on avait dit !...Oh ben, je crois qu’il ne réalise pas vraiment ! Il pense que je le teste !... Eh ! T’avais raison ! Il m’a fait le coup du resto !... Évidemment que j’ai dit non !... Oui ! Je découche ce soir !...Dans la chambre d’à côté ! Il ne viendra plus me réveiller au beau milieu de la nuit, quand il aura enfin fini ses jeux abrutissants ! Oui ! Première étape réussie ! Demain, je passe à l’agence immobilière ! (Elle raccroche)
(Bastien sort de la cuisine, un paquet de chips presque vide à la main, en croisant Léa il lui tend le paquet).
BASTIEN - T’en veux ! Il en reste plus beaucoup !
LÉA, d’un regard dédaigneux. - Non merci !
(Il vient s’asseoir sur son fauteuil, mange quelques chips. Il sort son portable, commence à pianoter dessus et comme il s’aperçoit qu’il a le doigt tout gras, il l’essuie sur son tee-shirt.)
BASTIEN lit le message qu’il est en train d’écrire sur son téléphone. - Pour le resto, j’ai pris une veste ! (Bip de réponse SMS)... Pas pour sortir, abruti ! Si tu préfères, j’ai pris un râteau pour mon dîner aux chandelles ! (Bip de réponse SMS.)... Non, je ne veux pas jardiner, pauvre crétin !...En clair, je mange un reste de chips, sur mon fauteuil, tout seul comme un con !
LÉA revient de la cuisine. - Je viens de trier ce qu’il y avait dans le frigo !
BASTIEN - Ah bon !
LÉA - On change l’organisation! Je prends les trois rayons du haut et toi les trois du bas ! Désormais, chacun fait ses courses, ses repas !
BASTIEN - "Bonjour" la vie de couple !
LÉA - On est plus en couple, Bastien !
BASTIEN essayant de rattraper le coup. - C’est vraiment pas la peine ! On est adulte quand même !
LÉA - Rectification : je suis adulte, tu es ado !
BASTIEN - Et pourquoi on n'ferait pas les courses à tour de rôler !
LÉA - Non, non, non ! Parce que ça va vite devenir, "je" remplis le frigo et "tu" le vides !
BASTIEN - N’importe quoi !
LÉA - Pour les placards de bouffe, idem : je prends les deux du bas et toi les deux au-dessus de l’évier !
(Elle vient prendre le deuxième fauteuil et le traîne péniblement sur le sol.)
BASTIEN - Qu’est-ce que tu fais ?
LÉA - Je prends ce fauteuil, que l’on appellera désormais mon fauteuil et je le mets ici ! (Elle le place au dos de l’autre fauteuil.)
BASTIEN - Oui ! Mais là, je ne te vois plus !
LÉA - C’est bien ! Tu commences à comprendre le concept !
BASTIEN - Quel concept ?
LÉA - Si on se sépare, il faut que tu t’habitues à me voir de moins en moins ! Alors on va aussi séparer cette pièce en deux. Tu vas imaginer une ligne qui passe juste entre les deux fauteuils : cette partie, c’est pour toi et celle-là pour moi !
BASTIEN - C’est nul, ton truc !
LÉA - Peut-être, en attendant, tu va vivre de ce côté, avec "ta" console et moi, de celui-ci, avec "ma" solitude ! (Elle s’assoit dans son fauteuil et commence à lire. Lui est dans l’autre fauteuil. Ils sont donc dos à dos. Un temps.)
BASTIEN, tournant la tête. - On va pas se séparer, Léa, c’est nul !
LÉA - Si, Bastien, ma décision est prise. Demain, je vais passer voir une agence immobilière !
BASTIEN - Pourquoi ? Tu vas chercher une location ?
LÉA - Pour l’instant, non !
BASTIEN - Tu veux du temps pour réfléchir ?
LÉA - Non ! Pour notre séparation, c’est tout réfléchi ! Mais je ne peux pas rembourser le crédit pour ici et me prendre un loyer en plus !
BASTIEN - Alors, je ne comprends pas ! Pourquoi l’agence ?
LÉA - Et bien ! Pour vendre !
BASTIEN - Pour vendre quoi ?
LÉA - Et bien : la maison, gros bêta !
BASTIEN, étonné. - On ne va pas vendre la maison ?
LÉA - Ben si, obligatoirement !
BASTIEN - Ça va pas ! On vient d’acheter il y a un an !
LÉA - Et alors ?
BASTIEN - Alors ! On a encore dix-neuf ans de crédit sur le dos. Crédit qu’on a eu beaucoup de mal à obtenir, je te le rappelle ! Alors, revendre : n’y pense même pas, ma cocotte !
LÉA - Oh que si, j’y pense !
BASTIEN - Pour le crédit, on est à 50 % chacun !
LÉA - Belle connerie qu’on a faite ce jour-là !
BASTIEN - Personne ne t’a forcé, ma petite ! Tu étais même ravi ! Et on a décidé ensemble de l’acquérir cette maison !
LÉA - Mais on a décidé ensemble parce qu’on "était" ensemble ! Maintenant, on se sépare tous les deux, alors on se sépare aussi de la maison, c’est simple !
BASTIEN - Non, ce n’est pas si simple ! Parce que c’est aussi ma maison, et moi, je ne vends pas !
LÉA - Ou alors, il y a une solution !
BASTIEN - Oui ! On ne se sépare plus !
LÉA - Allo ! Bastien, ici Huston ! Redescend sur terre, je ne vais pas changer d’avis au bout de cinq minutes ! La solution si tu veux absolument garder ce pavillon, c’est de racheter ma part !
BASTIEN - Ton crédit ?
LÉA - Oui !
BASTIEN - C’est possible ça ?
LÉA - Oui ! Mais je t’arrête tout de suite : il y a un an, la banque a eu du mal à t’accorder ton prêt, alors, doubler les mensualités avec ta petite paye de garagiste, même pas en rêve, mon gars !
BASTIEN - Mais moi, je veux pas qu’on se sépare et je veux pas vendre !
LÉA - Mais il est bouché, le garçon ! Je te l’avais dit que tes jeux, ça allait t’abrutir ! C’est fini nous deux, point à la ligne !
BASTIEN, provoquant, parce qu’à court d’arguments. - Tu veux qu’on arrête tous les deux, c’est ton problème ! Tu n’as qu’à partir si tu ne veux plus de cette maison. Mais je te préviens, si on se sépare, je reste !
Acte 2
Six semaines plus tard.
Scène 1 : Léa.
(Léa est seule en scène, elle range d’une main la partie de la pièce réservée à Bastien, de l’autre, elle tient son portable.)
LÉA - Non, pas encore... Tu lui as dit quelle heure ? Bon, ben il ne devrait pas tarder !... Je peux lui faire confiance, Jenny, il travaille bien ?... Et il t’avait pris cher ?... Ah ! Quand même ! Il est pas déclaré ? Et il veut être payé en espèce, je suppose ? Quoi ?... Ou en nature ! C’est ça ouais ! (Étonnée.) Non ? Sans déconner ? Et alors ? C’était comment ?... Il est beau gosse au moins ? Oui ! Je me doute que tu ne t’es pas sacrifié pour repeindre ton deux pièces. En clair, tu as joint l’utile à l’agréable !
(On sonne.) Tiens, ça sonne ! C’est sûrement lui ! Allez, je te laisse ma petite Jenny ! Bisous !
(Elle raccroche, rajuste ses cheveux, lisse ses sourcils, rajuste ses vêtements et va ouvrir.)
Scène 2 : Léa, Sylvio.
SYLVIO, sur le pas de la porte. - Bonjour !
LÉA - Bonjour !... Sylvio, c’est ça ? (Ils se serrent la main.)
SYLVIO - C’est ça !...Et toi, heu vous, c’est Léa ?
LÉA - Oui ! C’est ça ! Jenny t’a... Heu, vous a expliqué ! C’est bête, je ne sais pas si je te dis vous, ou si je vous dis tu ?
SYLVIO - On se dit tu, c’est plus cool ! Alors tu veux vendre, mais avant, tu veux finir les plus gros travaux !
LÉA - Exactement ! Mais alors, je te préviens, il y en a un peu partout !
SYLVIO - Moi ça ne me dérange pas, je touche à tous les corps !
LÉA - Tous les corps ? Et bien dit donc, tu es direct, toi !
SYLVIO - Oui ! Plomberie, maçonnerie, électricité, peinture !
LÉA - Ah oui ! (Déçue.) C’est ça tous les corps ! Il y a effectivement de quoi faire dans toutes les pièces !
SYLVIO - Pas de problème ! Moi je déballe mes outils où on me dit ! Si tu me dis : aujourd’hui, un petit coup dans la salle de bain, et ben, allez hop ! Un petit coup dans la salle de bain ! Si tu me dis dans la cuisine, allez, hop ! Un petit coup dans la cuisine !
LÉA - OK, OK ! Et Jenny m’a dit que tu ne veux pas être déclaré !
SYLVIO - Non ! Ça ne vaut pas le coup ! Vu que je touche le chômage, alors, si je déclare, je perds toutes mes indemnités, si tu déduis toutes les charges que l’état prend au passage, vaut mieux rester chez soi à ne rien faire !
LÉA - Alors ça, ce genre de mec, je connais !
SYLVIO, observe les fauteuils. - C’est bizarre de placer deux fauteuils comme ça, dos à dos !
LÉA - C’est parce que je suis séparé avec mon mec !
SYLVIO - Ah oui ! C’est symbolique, tu ne veux plus voir là où il s’asseyait !
LÉA - Non ! Nous avons chacun le nôtre !
SYLVIO - Il n’a pas emporté ses affaires ?
LÉA - Non ! Pour la simple raison qu'il habite toujours là !
SYLVIO - Ah ! OK ! Alors c’est tout frais la séparation ?
LÉA - Ça fait quand même un mois et demi !
SYLVIO - Un mois et demi que tu héberges ton ex ? C’est chelou !
LÉA - En fait, la maison est à nous deux !
SYLVIO - Ah ouais ! Donc tu ne peux pas le virer !
LÉA - T’as tout compris !
SYLVIO - Qui finance les travaux alors ?
LÉA - Eh bien, nous deux ! Enfin, j’espère Parce qu’il n’est pas au courant !
SYLVIO - C’est un intello, ton ex ?
LÉA - Non ! Pourquoi ?
SYLVIO - Il ne bricole pas ?
LÉA - Oh non !
SYLVIO - C’est pour ça que je demandais si c’était un intello !
LÉA - Non, c’est un glandeur ! Mais, attention, pas n’importe lequel : un glandeur professionnel ! Lui, c’est pas un poil qu’il a dans la main, c’est un joystick !
SYLVIO - C’est pas un manuel, quoi ?
LÉA - Si, pour la mécanique voiture, tu lui demandes ce que tu veux, mais arrivé à la maison, il ne fout plus rien !
SYLVIO - Et pourquoi vous vous êtes séparé ? Il t’a trompé ?
LÉA - Oui ! J’en avais marre qu’il passe toutes ses nuits, ici, avec elle !
SYLVIO, étonné. - Tu veux dire, dans cette pièce ?
LÉA - Oui ! Dans le salon ! Pendant que moi, je dormais à côté !
SYLVIO - Là, j’avoue, c’est abusé !
LÉA - Qu’est-ce que tu veux, quand un homme préfère sa console de jeu à sa copine, à un moment donné, on ne peut plus lutter !
SYLVIO - Ah oui, d’accord ! C’est un geek, quoi !
LÉA - Oui ! Mais moi, j’en avais ras le bol de faire la bonniche pour un mec qui ne me regardait plus, qui ne me touchait même plus ! Ah tu sais, on a fait une belle connerie d’acheter cette maison à deux !
SYLVIO - Je crois, oui ! Et vous n’habitiez pas ensemble avant de venir ici ?
LÉA - Non !
SYLVIO - Quand on ne se voit que pour sortir ensemble et faire des galipettes, l’autre nous paraît toujours formidable !
LÉA - Et quand on vit ensemble, on découvre vraiment l’autre avec ses défauts ! Mais là, c’était trop tard !
SYLVIO - Bon alors, ces travaux, c’est quoi exactement ?
LÉA - Alors, dans la salle de bain, il reste le carrelage à poser au mur. Il faut mettre une porte en verre à la douche ! Il y a des problèmes à plusieurs robinets ! Ah oui ! J’oubliais le plus urgent : il faut installer une porte aux toilettes ! (Elle lui montre la direction des toilettes.)
SYLVIO sort un mètre ruban de sa poche et prend les mesures. - Alors, il faudrait un bloc-porte de 73 avec un ouvrant gauche ! Tu veux quoi comme style de porte ?
LÉA - Je veux bien qu’on aille l’acheter ensemble !
SYLVIO - Si tu veux, on prendra ma camionnette, pour le transport, c’est plus pratique !
LÉA - Ça marche ! Dans la petite chambre, il faudrait repeindre et changer la tringle à rideaux !
SYLVIO - Je veux bien faire le tour pour estimer la durée des travaux !
LÉA - Suis-moi ! (Ils sortent vers la petite chambre.)
Scène 3 : Bastien, Léa, Sylvio.
Bastien entre par la porte d’entrée. Il balance sa veste sur le dossier du fauteuil de Léa. Il fait un aller-retour à la cuisine et revient avec une bière. Il se met dans son fauteuil et allume son ordinateur.
LÉA sort de la chambre en riant. - En tout cas, ça fait du bien ! Il y a longtemps que ça ne m’était pas arrivé !
SYLVIO, sortant à son tour. - Tu sais ce qu’on dit : ça vaut autant que de manger un beefsteak !
LÉA en apercevant Bastien est gênée. - Ah ! Tu es rentré ?
BASTIEN - Je dérange, apparemment ?
LÉA - Non ! Tu m’as surprise, c’est tout !
BASTIEN - Je peux savoir qui c’est !
LÉA - Justement, ça tombe bien que tu sois là, je voulais t’en parler ! (Elle fait les présentations) Bastien, Sylvio !
SYLVIO - Salut !
BASTIEN - Bonjour !
LÉA, à Sylvio - Pour la salle de bain, c’est par là ! (Sylvio sort.)
Scène 4 : Bastien, Léa.
BASTIEN - C’est dégueulasse ce que tu fais !
LÉA - Quoi ? Qu’est-ce que tu vas imaginer ?
BASTIEN - C’est pas la peine de faire ta sainte nitouche ! Si tu crois que je n’ai pas compris !
LÉA - T’as compris quoi, gros malin ?
BASTIEN - Tu sors de la chambre avec un type en disant : ça fait du bien !
LÉA - Alors là, t’es complètement à côté mon pauvre ami !
BASTIEN - Et alors, pourquoi tu as dit : ça fait longtemps que ça ne m’était pas arrivé ! C’est dégueulasse, et en plus, moi, je passe pour un con !
LÉA - Mais alors toi, t’as vraiment l’esprit mal tourné ! J’ai dit : ça fait du bien, mais Parce qu’on rigolait, alors ça fait du bien "de rire" !
BASTIEN - Cocu, peut-être, mais pas con ! Et après : la salle de bain c’est par là !
LÉA - Mais, d’où tu me fais une scène, Bastien ! On n’est plus ensemble je te rappelle, mon petit bonhomme !
BASTIEN - Peut-être, mais ramener des mecs ici, pour te faire sauter, c’est ignoble !
LÉA - Déjà, c’est pas des mecs, mais un ! Et en plus, il est venu pour estimer les travaux à faire dans la maison !
BASTIEN - Oh ! L’excuse bidon, là ! T’assumes même pas !
LÉA - Tu veux que je te dise quoi ? Que j’ai profité de ton absence pour sauter sur le premier venu ! Et bien, je te le dis, voilà, tu es content ! Sylvio et moi dans la petite chambre c’était : waouh !
Scène 5 : Bastien, Léa, Sylvio.
SYLVIO sort de la salle de bain. - Léa ! Pour la douche, on peut y aller ensemble, si tu veux !
LÉA, aguicheuse pour faire rager Bastien. - Oui ! C’est vrai que c’est beaucoup mieux à deux !
BASTIEN - Ben, vous gênez pas ! Moi je vous passerai la savonnette !
SYLVIO - Non ! T’as pas compris, je parlais pour aller acheter la porte de douche !
BASTIEN - C’est ça ! En plus, il se fout de ma gueule !
SYLVIO - Eh ! Doucement ! Ne va pas imaginer...
BASTIEN - Te fatigues pas, mon vieux, elle m’a tout raconté ! (Il sort vers la grande chambre en claquant la porte.)
Scène 6 : Léa, Sylvio.
SYLVIO - Qu’est-ce qu’y lui prend ?
LÉA - Je ne sais pas ! Peut-être a-t-il imaginé que toi et moi, dans la chambre...
SYLVIO - Non ! C’est pas vrai ! Quelle horreur !
LÉA - C’est sympa pour moi !
SYLVIO - Oh ! Pardon !
LÉA - Ce serait si horrible ?
SYLVIO - Ce n’est pas ce que je voulais dire !
LÉA - Mais tu l’as dit tout de même !
SYLVIO - Le plus horrible c’est de m’être fait engueuler pour la chose et de ne pas l’avoir faite !
LÉA - T’as l’air déçu ?
SYLVIO - Tu m’excuseras auprès de ton copain !
LÉA - Ce n’est plus mon copain ! Ce n’est pas parce qu’on habite ensemble que j’ai des comptes à lui rendre !
SYLVIO - Tu vas rétablir la vérité, tout de même ?
LÉA - Je ne sais pas ! Moi je trouve ça plutôt marrant qu’il nous croit ensemble !
SYLVIO - Oui, mais moi, pour qui je passe ?
LÉA - Pour quelqu’un qui a du goût !
SYLVIO - Bon ! Revenons aux travaux ! Pour les matériaux, on va les acheter quand !
LÉA - Demain, je finis à 17 heures !
SYLVIO - Alors, 17 h 30 ici ? Je passe te chercher avec ma camionnette ?
LÉA - D’accord ! Tu penses en avoir pour combien de temps pour l’ensemble des travaux ?
SYLVIO - Je pense une vingtaine de jours !
LÉA - Jenny m’a dit pour ton tarif ! C’est toujours valable ?
SYLVIO - 150 € par jour ! Je n’ai pas changé !
Bastien entre dans la pièce et se dirige vers son ordinateur.
LÉA - Bon, alors à demain !
SYLVIO - 17 h 30 ! Je passe te prendre !
LÉA - D’accord ! (Elle va pour lui serrer la main, mais elle se ravise et pour faire rager Bastien, elle lui fait la bise.) Bisou ! (Sylvio sort.)
Scène 5 : Bastien, Léa.
BASTIEN - L’étalon est parti ?
LÉA fait exprès de le narguer. - Mais on se revoit demain ! Tous les jours, ça me change d’avec toi !
BASTIEN - Je préfère que vous ne fassiez pas ça sous mon toit !
LÉA - Sous ton toit ? Ça y est, tu vas me racheter ma part ?
BASTIEN - C’est malin !
LÉA - Alors, n’oublie pas qu’il n’y a que la moitié du toit qui t’appartient !
BASTIEN - Et toi, tu n’as toujours pas trouvé d’acheteur ?
LÉA - Si tu ne faisais pas tout pour faire foirer les choses quand quelqu’un vient visiter !
BASTIEN, hypocrite. - Moi ? Qu’est-ce que j’ai fait encore ?
LÉA - C’est ça ! Fais l’innocent ! Ce couple qui est venu voir la maison, il y a deux jours. Ta chambre qui était dans un état pas possible, avec des slips sales qui traînaient partout !
BASTIEN - Il fallait me prévenir à l’avance, j’aurai fait un effort !
LÉA - C’est pour ça que tu n’as pas arrêté de dire que le toit avait des fuites, que la chasse d’eau ne marchait plus, que c’était humide en hiver !
BASTIEN, moqueur. - Il ne faut pas mentir au futur acheteur !
LÉA - Et cette dame, très maniérée, qui est venue la semaine dernière. Elle avait l’air très intéressée, elle n’avait aucun problème d’argent, elle a juste fait un peu la tête quand elle a vu tous les travaux qu’il restait à faire ! Et toi, tu as porté le coup de grâce en allant faire caca pendant qu’elle était là, alors que tu sais pertinemment qu’il n’y a plus de porte aux toilettes !
BASTIEN - Quand on a envie, on a envie ! C’est pas ma faute ! C’est la nature !
LÉA - C’est ça ! Ouais ! Alors pourquoi tu as hurlé dans la maison : "Léa, il n’y a plus de papier et c’est encore bouché ! Vivement qu’on la vende, cette baraque, j’en ai marre ! "
BASTIEN - J’ai pas envie de vendre ! Tu ne crois pas que je vais t’aider en plus !
LÉA - Oui ! Et bien moi, j’ai pas envie de vivre vingt ans avec mon ex !
BASTIEN - Tu t’en fous, t’as déjà retrouvé quelqu’un !
LÉA - Je t’ai dit que Sylvio est venu pour estimer les travaux !
BASTIEN - Ça risque d’être long entre deux parties de jambes en l’air !
LÉA - Ah, ah ! Très drôle ! La plupart des personnes qui sont venues visiter ont tiqué sur le fait que la maison n’est pas terminée ! Alors quelques travaux pour la mettre en valeur, nous aideraient à la vendre !
BASTIEN - Je ne veux pas vendre !
LÉA - Oui, et bien on commence à le savoir ! Mais c’est aussi dans ton intérêt, Bastien ! Une maison qui a meilleure mine, on la vendra plus cher !
BASTIEN - Et alors toi, tu décides ça toute seule !
LÉA - Tu ne veux pas t’y mettre à faire les travaux, alors j’ai cherché quelqu’un ! C’est Jenny qui me l’a conseillé ! Elle m’a dit qu’il était très bien !
BASTIEN - Et alors, dans la chambre, tout à l’heure, tu l’as testé pour savoir s’il était très bien !
LÉA - Oui ! C’était sûrement mieux qu’avec toi ! Mais on a parlé sérieusement aussi ! Il pense qu’il y a une vingtaine de jours pour les travaux !
BASTIEN - Ah ! Parce qu’il veut te faire faire de la chirurgie ! Alors vingt jours c’est le minimum !
LÉA - Plus je te vois comme ça, moins je regrette de t’avoir quitté !
BASTIEN - Et ton mec, il va envoyer son devis ?
LÉA - Non ! Il travaille au noir pour arrondir ses allocs chômage !
BASTIEN - Belle mentalité !
LÉA - Tu ne l’as jamais fait toi, peut-être de réparer des voitures le week-end pour te faire de l’argent en plus ?
BASTIEN - Mais, c’est pas pareil !
LÉA - Mais bien sûr que c’est pareil ! Il prend 150 € par jour de boulot !
BASTIEN - Sur vingt jours, ça fait 3000 € ! Ah ! Et bien, je pense bien que ça va lui arrondir ses allocs !
LÉA - Il y a les courageux et il y a les autres !
BASTIEN - Et comment tu comptes trouver 3000 € ?
LÉA - Ah non ! Moi je ne vais verser que 1500 € !
BASTIEN - Et le reste en nature ! T’es une sacrée garce !
LÉA - Pas tout à fait ! Les autres 1500 €, je compte sur le deuxième propriétaire de cette maison : c’est à dire, toi !
BASTIEN - Moi ! Alors là, jamais de la vie ! Je ne vais pas payer le gigolo de madame !
LÉA - T’arrêtes pas de me répéter que c’est aussi ta maison, alors c’est normal que tu supportes la moitié des travaux !
BASTIEN - Vingt jours ! Il exagère !
LÉA - Si tu veux que ça aille plus vite, tu n’auras qu’à l’aider au lieu de rester planté des heures devant ta console !
BASTIEN - C’est pas mon truc, le bricolage !
LÉA - Fallait le dire avant d’acheter une maison ! Sylvio sera chef de chantier et toi, son aide de camp !
BASTIEN - Tu veux dire que si j’aide, je serais aux ordres du mec qui va retaper ma baraque et occasionnellement se taper ma femme !
LÉA - Il n’y a jamais eu de femme et il n’y a plus de copine ! Ouh ouh ! Bastien ! Il faut que tu fasses à l’idée !
BASTIEN - Pour l’instant, c’est dur à digérer, tu vois !
LÉA - Moi, j’ai des jours de RTT à récupérer, je vais l’aider, pour essayer de faire avancer les choses plus rapidement !
BASTIEN - Essayer les literies, détendre le chef de chantier !
LÉA - T’es lourd, Bastien ! Si tu ne changes pas, tu resteras tout seul !
BASTIEN, un temps. Sérieux. - Tu ne m’as pas assez fait de mal ! Tu enfonces encore le clou !
LÉA - C’est toi qui l’as cherché ! (Elle va pour sortir.)
BASTIEN - Tu ne peux pas me dire un truc pour me remonter le moral !
LÉA - Ah si ! J’oubliais ! Il faut rajouter le prix des matériaux, porte des w.c., porte de douche, robinets, carrelage, peinture ! Il y en a à peu près pour 2000 € en plus ! Divisé par deux évidemment !
BASTIEN - Tu sais remonter le moral, toi !
Noir
Acte 3
Deux semaines plus tard.
Scène 1 : Léa, Sylvio, Bastien.
SYLVIO, off. - Léa !
LÉA, off. - Oui !
SYLVIO - Tu peux venir m’aider ?
LÉA - J’arrive ! (Elle traverse la scène, elle est habillée de vêtement de travail plein de peinture pour bricoler.) Qu’est-ce que tu veux ?
SYLVIO, off. - J’ai besoin de quelqu’un pour me la tenir !
BASTIEN, off. - Vous êtes vachement discrets tous les deux !
SYLVIO, off. - Ah non ! Reste au-dessus ! Prends les deux mains !
LÉA, off. - J’arrive pas, c’est trop dur !
SYLVIO, off. - Bastien ! Viens !
BASTIEN, entre de la chambre. - Quoi ?
LÉA, entre de la cuisine. - Tu peux lui tenir le robinet, moi j’arrive pas !
BASTIEN, fort pour Sylvio. - Tu sais qu’il y a des pilules pour ça !
SYLVIO, off. - Arrête tes conneries ! Viens m’aider, Léa a de trop petites mains !
BASTIEN, à Léa. - Il ne serait pas un peu prétentieux le chef de chantier, là ?
LÉA - Arrête !
SYLVIO, off. - Ça y est, ça vient !
BASTIEN, moqueur. - Tu vois quand tu veux !
SYLVIO, off. - Flûte ! Je m’en suis foutu partout !
BASTIEN, moqueur. - On va tout savoir sur sa vie ! (Léa et Bastien rigolent.)
LÉA - Arrête ! Il arrive !
SYLVIO, rentre avec un vieux robinet d’évier à la main. - Eh ben, la vache ! Il était sacrément rouillé ce robinet ! (Voyant les deux autres qui rigolent.) Qu’est-ce qu’il y a ? J’ai dit une connerie !
LÉA - Non ! C’est Bastien qui est parti dans un délire !
BASTIEN - La plupart des gens se taisent quand ils se tripotent le robinet, mais toi (Il regarde le public.) tout le monde en a profité !
SYLVIO - Ah oui ! D’accord ! (Il fait la tête.)
LÉA - Allez, mon chéri, ne fais pas la tête, on plaisante ! (Elle fait à Sylvio un petit baiser sur les lèvres.)
SYLVIO, à Léa. - Elle arrive à quelle heure ton acheteuse ?
LÉA - Dix heures, je crois ! Pourquoi, il est quelle heure, là ?
BASTIEN - Dix heures moins cinq !
LÉA - Oh, là là ! Je vais arrêter de papoter ! Vous allez vous débrouiller sans moi, les garçons ! Je vais aller prendre une douche et me changer, il faut qu’il y ait au moins quelqu’un de présentable pour la recevoir !
SYLVIO - Et si elle arrive et que tu n’as pas fini ?
LÉA - Et bien, vous la faites entrer, vous la faites patienter ! Par contre, c’est moi qui lui fais visiter !
BASTIEN - Pourquoi ? Je peux m’en occuper si tu veux !
LÉA - Surtout pas ! Tu fais exprès de tout faire foirer à chaque fois !
BASTIEN - J’accepte déjà ton nouveau mec chez moi...
LÉA - Chez nous !
BASTIEN - Oui ! Enfin, tu ne veux pas en plus que je t’aide à vendre, alors que je n’y tiens pas du tout !
LÉA - Mais tu sais très bien que la loi est avec moi ! C’est maître Ducreux, le notaire qui me l’a dit !
BASTIEN - Mais si t’arrives pas à trouver quelqu’un, tu ne pourras pas vendre !
LÉA - Mais la personne qui doit venir ce matin, madame... Attends, j’ai noté son nom quelque part (Elle va chercher un papier posé sur un meuble.) Solène Duchemin a l’air très intéressé !
SYLVIO - Comment le sais-tu ?
LÉA - C’est l’agence qui me l’a dit ! Alors j’espère bien que cette fois, ce sera la bonne !
SYLVIO - Allez ! Va te changer, l’heure tourne ! (Il lui met la main aux fesses.)
LÉA, plaisantant. - Non, mais dites donc, jeune homme ! (Elle va pour sortir vers la salle de bain.) Je vais avoir de l’eau dans la douche, Sylvio ?
SYLVIO - Oui ! Pourquoi ?
LÉA - Vu que tu tiens le robinet de l’évier dans la main...
SYLVIO - Pas de problème ! J’ai mis un robinet d’arrêt juste pour la cuisine !
BASTIEN - Ce serait drôle qu’on coupe l’eau juste quand tu as du shampoing dans les yeux !
LÉA - Mais c’est qu’il est comique le petit Bastien !
SYLVIO - Ça tomberait bien, toi qui aimes te faire mousser !
LÉA - Va plutôt finir ta peinture ! (Elle disparaît dans la salle de bain.)
Scène 2 : Sylvio, Bastien.
SYLVIO - T’en es où, dans la chambre ?
BASTIEN - J’ai quasiment fini le premier mur !
SYLVIO - C’est tout ce que tu as fait ! En une heure ! Mais tu peins avec tes pieds ou quoi ?
BASTIEN - Non, mais je m’applique !
SYLVIO - En fait, quand tu auras fini la première couche, ce sera suffisamment sec pour attaquer la deuxième !
BASTIEN - Tu penses que ce sera fini quand ?
SYLVIO - Encore deux ou trois jours maxi ! D’ailleurs, il faudrait penser à me régler !
BASTIEN - J’ai aidé tout de même !
SYLVIO - Oui ! Deux dimanches et ce matin ! Ça doit bien faire quatre heures au total !
BASTIEN - Pas plus ?
SYLVIO - Non ! Par contre, Léa m’a filé un coup de main tous les soirs, deux jours complets chaque week-end, sans compter les trois jours de RTT qu’elle a pris la semaine dernière pour faire avancer les travaux !
BASTIEN - Oui ! Mais tu sais comme moi pourquoi elle fait tout ça !
SYLVIO - Oui ! Pour que sa maison soit en meilleur état pour la vente !
BASTIEN - Et surtout pour pouvoir se taper le chef de chantier !
SYLVIO - Ne confonds pas, mon petit Bastien : quand on bosse, on bosse ! On ne mélange pas tout ! En tout cas, Léa a payé sa part !
BASTIEN - Oui ! En nature ! Alors c’est quoi ton tarif ? Un jour travaillé, une nuit offerte ?
SYLVIO - Détrompe-toi ! Chaque semaine, elle m’a réglé la moitié de ce qu’on avait convenu ! Soit 75 € par jour !
BASTIEN - T’as vraiment trouvé le bon plan : un chantier où tu te tapes la patronne et en plus elle te paye ! Je ne compte pas tes indemnités chômage !
SYLVIO - Tu es sordide !
BASTIEN - En fait, t’es un profiteur ! Tu réussis à baiser l’état et ma femme !
SYLVIO - Si tu ne l’avais pas laissée toute seule dans ton lit pendant que tu restais planté devant ton écran !
BASTIEN - C’est pas un chômeur qui va me donner des leçons ! Au moins, j’ai un boulot, moi !
SYLVIO - Et moi, ça fait bientôt trois semaines que je bosse ici, et j’attends toujours la monnaie ! Dix-sept jours fois 75 €, ça fait 1275 € !
BASTIEN - Oui ! Et ben, ce mois-ci, je suis un peu juste !
SYLVIO, efféminé pour le mettre mal à l’aise. - Tu peux payer en nature, si tu veux !
BASTIEN - T’es pas bien !
SYLVIO, efféminé - Viens dans la chambre, je te ferai un prix ! En ce moment, c’est les soldes pour les nouveaux clients !
BASTIEN - Mais t’es un gros malade ! Faut te faire soigner, mon vieux !
SYLVIO, efféminé - Faut passer à la caisse, ou à la casserole !
BASTIEN - Mais ce n’est pas moi qui voulais faire ces travaux à la base !
SYLVIO, arrêtant son jeu. - En attendant, t’es bien content d’avoir une belle salle de bain terminée, et qu’il n’y ait plus d’odeurs de chiottes dans ton salon !
BASTIEN - De toute façon, Léa, elle se fout le doigt dans l’œil ! Je vais la torpiller sa vente de ce matin ! La mémère qui va venir là : Solène Duchemin, elle va repartir en pleurant ! Je vais tout faire pour !
SYLVIO - Tu ne vas pas faire ça ?
BASTIEN - Elle n’y arrivera jamais à vendre ma baraque, Léa !
SYLVIO - Mais tu te rends compte de la connerie de la situation ! Vous n’allez pas habiter la même maison indéfiniment !
BASTIEN - M’en fous ! C’est elle qu’a commencé !
(On sonne.)
Scène 3 : Sylvio, Bastien, Solène.
SYLVIO - C’est sûrement elle !
BASTIEN va se placer derrière la porte d’entrée et parle très fort. - C’est la vieille qui veut acheter ! J’espère qu’on va réussir à la rouler celle-là !
SYLVIO - Tais-toi ! Chut ! Elle va t’entendre !
Bastien ouvre la porte. Sur le seuil se tient Solène, une très belle jeune femme. Les deux hommes sont scotchés devant elle.
SOLÈNE, un temps. - Bonjour ! C’est l’agence qui m’envoie ! Je viens pour visiter !
BASTIEN, acide. - Trop tard ! C’est déjà vendu !
SOLÈNE - C’est vrai ?
SYLVIO - Non, non ! Il plaisante !
SOLÈNE - Je suis Solène Duchemin !
SYLVIO - Oui, bien sûr ! Bonjour, on vous attendait !
(Un temps.)
SOLÈNE avec un sourire. - La vieille peut entrer ?
SYLVIO gêné. - Heu… Oui, oui ! Entrez, madame Duchemin !
SOLÈNE - Mademoiselle ! (Elle entre.)
SYLVIO, à Bastien, qui reste fixé sur Solène, bouche bée. - Et bien, ferme la porte, toi ! Et ferme la bouche, tu vas finir par gober une mouche !
SOLÈNE - Je suis passé plusieurs fois devant la maison depuis que je sais qu’elle est à vendre ! J’aime beaucoup l’extérieur ! (Elle fait quelques pas dans la pièce en regardant autour d’elle.) L’intérieur m’a l’air tout aussi charmant !
BASTIEN, tout en regardant les formes de Solène. - Oui ! C’est charmant !
SYLVIO, même jeu. - Je dirai même, mignon ! On va vous faire visiter, mais pour l’instant, asseyez-vous !
SOLÈNE - Merci ! (Elle s’assoit. Un temps.) Ça sent la peinture, là, non ?
BASTIEN - Oui ! On repeint, vite fait, pour cacher la misère, les traces d’humidité, tout ça !
SOLÈNE - Ah bon ?
SYLVIO - Non ! Non ! (À Bastien.) Faut toujours que tu déconnes, toi ! (À Solène.) En fait, on rafraîchit les peintures et on met la maison en valeur ! Une remise à neuf de la robinetterie (Il montre le robinet qu’il tient à la main.)
BASTIEN - Oui ! Parce qu’on vous prévient tout de suite, ici, l’eau est tellement calcaire que ça bouffe toutes les canalisations et les robinets !
SOLÈNE - Vraiment ? C’est ennuyeux !
BASTIEN - C’est pour ça que chaque année, il faut faire changer toute l’installation !
SYLVIO, se forçant à rire. - Ah, ah, ah ! Tu ne peux pas t’empêcher de plaisanter, Bastien ! vous comprenez bien qu’il vous fait marcher !
SOLÈNE, soulagée. - Ah ! Je préfère !
SYLVIO - Oui ! Pourquoi pas changer les robinets tous les trois mois, aussi, pendant qu’on y est ? Il est très drôle, mais il ne sait pas s’arrêter ! Vous prendrez bien quelque chose à boire ?
BASTIEN - Vas-y, Sylvio ! Ne te gêne pas ! Fais comme chez toi !
SYLVIO, à Solène. - Alcool ou jus de fruits ?
SOLÈNE - Plutôt jus de fruit, s’il vous plaît !
SYLVIO - Eh bien, Bastien ? Tu as entendu mademoiselle ! Elle voudrait du jus de fruits ! Alors, va donc chercher la bouteille de jus d’orange qui est au frigo !
BASTIEN - Je ne suis pas ta bonne !
SYLVIO - Allez ! Ne fais pas ton grognon ! Pour qui tu vas nous faire passer auprès de cette charmante demoiselle ? (Bastien soupire et sort vers la cuisine.)
Sylvio vient s’asseoir sur l’accoudoir du fauteuil de Solène. Il pose son bras sur le dossier.
SOLÈNE - Alors vous c’est Sylvio et lui Bastien, c’est ça !
SYLVIO - Exactement !
SOLÈNE - Je me trompe ou il n’a pas l’air ravi de me voir ?
SYLVIO - En fait, il a trop de souvenirs ici ! Alors, il n’a pas envie de vendre !
SOLÈNE - C’est pour ça, depuis tout à l’heure que...
SYLVIO - Oui ! (Bastien revient avec deux verres et une bouteille de jus d’orange.) Parce qu’il n’y a pas de raison de ne pas apprécier une jolie demoiselle comme vous dans cette maison !
BASTIEN - Je ne le crois pas ! (À Solène.) Il vous drague, et devant moi encore !
SYLVIO, se redressant vivement. - Mais alors là, pas du tout ! Ce n’est pas parce qu’on est aimable avec quelqu’un que tout de suite il faut imaginer...
BASTIEN - Je vous pose ça là !
SOLÈNE - Vous ne nous servez pas, Bastien ?
BASTIEN - Vous, je veux bien (Il lui remplit son verre. Puis, à Sylvio.) Mais toi... je n'suis pas ta bonne. Je vais me chercher une bière ! (Il sort vers la cuisine.)
Scène 4 : Sylvio, Solène.
SOLÈNE - Il a l’air jaloux !
SYLVIO - Il est un peu bourru, comme ça, mais quand on le connaît mieux...
SOLÈNE, un temps, elle hésite. - Il y a longtemps que vous et lui...
SYLVIO, étonné. - Pardon ?
SOLÈNE - Excusez-moi, je n’aurai peut-être pas dû !
SYLVIO - Vous pensez que Bastien et moi, on est...
SOLÈNE, avec un petit sourire amusé. - Ça se voit !
SYLVIO - Ah bon ! Vous avez deviné ça, comme ça ?
SOLÈNE - C’est même une évidence !
SYLVIO réfléchit un peu puis joue le jeu. - On ne peut rien vous cacher à vous ! Ça ne vous met pas mal à l’aise au moins ?
SOLÈNE - Non, non ! Pas du tout ! J’aime bien, au contraire ! En général, les homosexuels, vous avez ce petit côté sympa, épanoui, ouvert !
SYLVIO - C’est vrai, on est tout ça à la fois ! Bon, chez Bastien, ça se voit moins ! Faut dire que lui, il n’assume pas sa condition de gay !
SOLÈNE - Moi je trouve justement que ça le rend plus attachant ! Au fait, pourquoi vendez-vous ?
SYLVIO - Pourquoi on vend ? (Il cherche.) Pourquoi on vend ? Pourquoi on vend ? (Il a trouvé.) Parce que l’on cherche plus grand ! Voilà !
SOLÈNE - Vous voulez agrandir la famille ? C’est vrai que maintenant, avec l’adoption, tout est possible !
SYLVIO - Oui ! C’est ça ! À deux, c’est chouette, mais à trois, on sera plus à l’aise dans une maison à deux niveaux !
SOLÈNE - Ici, c’est de plain-pied ?
SYLVIO - Oui ! Mais les combles peuvent être aménagés !
SOLÈNE, se lève, fait le tour de la pièce. Elle aperçoit une boîte de jeu vidéo. - Ah ! Vous avez le dernier "Tomb of fire" ! Vous aimez ?
SYLVIO - Alors là, je ne peux rien vous dire, parce que les jeux vidéo, je n’y joue jamais, je trouve ça débile !
SOLÈNE - Comment pouvez-vous dire ça si vous n’y jouez jamais ?
SYLVIO - Je connais des couples que ça a complètement détruits ! L’un est fan, l’autre, pas du tout ! Et un jour, ça pète !
SOLÈNE - On sent qu’il y a du vécu là ! Pardon, j’ai peut-être appuyé là où ça fait mal !
SYLVIO - Pas du tout ! Par contre, j’ai une amie proche à qui c’est arrivé ! Les jeux vidéo, ici, c’est Bastien ! D’ailleurs tout ce qui traîne dans cette pièce, c’est Bastien !
(Bastien revient de la cuisine, une canette à la main.) Je vais fixer le nouveau robinet sur l’évier ! Bastien, tu ne décourages pas trop mademoiselle Solène s’il te plaît ! (Il sort.)
Scène 4 : Bastien, Solène.
BASTIEN - Il vous a fait son grand numéro de charme, c’est ça ?
SOLÈNE - Ne soyez pas inquiet comme ça, Bastien ! Je n’aime pas détruire les couples qui vont si bien ensemble !
BASTIEN - Je ne sais pas ce qu’il vous a raconté, mais moi, je voudrais être honnête avec vous ! Vous m’êtes bien sympathique en fait, alors, je ne voudrais pas vous rouler !
SOLÈNE, amusée. - C’est gentil de votre part !
BASTIEN - Dans cette maison, tout déconne ! Pour internet, il n’y a pas de réseau, l’électricité se coupe à chaque orage !
SOLÈNE, toujours aussi amusée. - Et bien, dites-moi, ce n’est pas de chance !
BASTIEN - En plus, vous avez du bol aujourd’hui, on n’entend pas les avions ! D’habitude, c’est infernal ! On est situé juste sous un couloir aérien alors, les uns derrière les autres, les Boeing ou les Airbus se succèdent ! Si encore les fenêtres étaient bien étanches, ça irait à peu près ! Mais là, on est obligé d’arrêter de se parler à chaque passage d’avion, c’est à dire, toutes les deux minutes !
SOLÈNE - C’est quand même dingue l’énergie que vous dépensez pour me décourager !
BASTIEN, pris en défaut. - Pas du tout ! Je préfère être honnête, c’est tout !
SOLÈNE - Ne vous fatiguez pas, je sais pourquoi vous faites tout ça !
BASTIEN - Comment ça ?
SOLÈNE - J’ai fait quatre ans de psycho alors je connais les détours de l’esprit humain !
BASTIEN - Et alors, qu’en déduisez-vous ?
SOLÈNE - Cette maison, c’était votre rêve et depuis que vous êtes ici, vous vous êtes forgé des souvenirs. Maintenant, vous vous sentez tellement chez vous, que vous ne voulez plus vendre !
BASTIEN, arrête d’un coup son numéro. - C’est vrai ! Il y a un peu de ça !
SOLÈNE - C’est votre affect qui parle !
BASTIEN - C’est même complètement ça ! (Il se met en travers du fauteuil, les jambes sur un accoudoir, la nuque sur l’autre.)
SOLÈNE - Vous avez accumulé des souvenirs et vous vous y accrochez !
BASTIEN - Oui ! Mais depuis que mon couple va mal, je ne sais plus ce que je fais !
SOLÈNE - Mais tout cela va passer, Bastien ! Il faut juste assumer ce que vous êtes !
BASTIEN - Ce que je suis ? Je suis un pauvre con ! Voilà ce que je dis tous les matins en me regardant dans ma glace !
SOLÈNE - Mais non ! Vous êtes un être sensible, avec ses qualités et ce que vous avez refoulé au plus profond de vous-même, il faut le laisser sortir !
BASTIEN - Vous savez parler aux gens, Solène ! Je peux vous appeler Solène ?
SOLÈNE - Ça tombe bien, c’est mon prénom !
BASTIEN - Comment sortir de ce guêpier ?
SOLÈNE - La réponse est en vous ! Vous l’aimez, c’est réciproque ! Le dialogue, Bastien, tout peut s’arranger par le dialogue ! L’amour triomphera de toute cette histoire !
BASTIEN, se relève pour s’asseoir correctement. - Merci ! Ça m’a fait du bien de me confier à vous ! (Plaisantant.) Je vous dois quelque chose, docteur ?
SOLÈNE - Vous voyez, là je viens de voir le vrai Bastien ! (Un temps.) J’ai vu la boîte de "Tomb of fire" qui traînait par là !
BASTIEN - Oui, c’est moi, je suis bordélique !
SOLÈNE - Vous le trouvez comment ce jeu ?
BASTIEN - C’est quoi, là ? Encore un truc de psy pour voir dans mon "moi" profond !
SOLÈNE - Pas du tout ! C’est une passionnée de jeux vidéo qui vous demande votre avis sur le dernier "Tomb of fire".
BASTIEN - Ah bon ? Vous aimez les jeux vidéo ?
SOLÈNE - Assez, oui !
BASTIEN - Le jeu en lui-même, pas mal ! Le graphisme, génial, hyper réaliste ! On se croirait vraiment au cœur de l’action ! Par contre, un seul bémol, certaines phases du jeu sont trop prévisibles. Ça gâche un peu le plaisir !
SOLÈNE - Bonne analyse ! Pour le graphisme, merci ! Pour les phases de jeu dont vous parlez, nous en avons déjà parlé chez Sigdom ! Ce sera plus étonnant et inattendu dans la prochaine version !
BASTIEN - Je ne comprends rien ! Je croyais que vous étiez psy !
SOLÈNE - Non ! Je vous ai dit que j’ai fait quatre ans de psycho, mais j’ai arrêté pour ne pas finir barjo !
BASTIEN - Alors vous bossez chez Sigdom ?
SOLÈNE - Oui ! Responsable du graphisme depuis trois ans ! (Sylvio entre.)
BASTIEN - Alors là, chapeau ! Il faut fêter ça ! Un autre jus d’orange pour la belle Solène !
Scène 6 : Sylvio, Bastien, Solène.
SYLVIO, faussement indigné. - Je le crois pas ! Il vous drague ! C’était bien la peine de me faire tout un cinéma tout à l’heure !
BASTIEN, enthousiaste. - Tu sais quoi, Sylvio, Solène Duchemin travaille chez Sigdom !
SYLVIO, sans aucune réaction. - Ouais ! D’accord ! Comme je ne sais pas ce que c’est, je ne suis pas plus avancé !
BASTIEN - Mais si ! Sigdom, la boîte de création de jeux vidéo ! Leader sur le marché français. Marché français qui est quatrième au niveau mondial, il me semble !
SOLÈNE - Troisième même, depuis septembre dernier !
BASTIEN - Tu te rends compte, Solène est responsable du graphisme !
SYLVIO - Ouais ! Et en quoi ça doit me réjouir ?
BASTIEN - Ben, je trouve ça super ! Enfin quelqu’un avec qui je peux parler de ma passion !
SYLVIO - Et c’est pour ça que tu profites d’être seul avec mademoiselle pour lui faire le coup de la drague !
BASTIEN - Mais pas du tout ! Ce n’est pas parce qu’on est aimable avec quelqu’un que tout de suite il faut imaginer...
SYLVIO - Me faire ça à moi ! Ici ! (Il fait semblant de pleurer.)
BASTIEN, étonné. - Qu’est-ce qu’il me fait, lui ?
SYLVIO - T’es qu’un salaud, Bastien !
BASTIEN - C’est pas la peine non plus de te mettre dans cet état-là !
SYLVIO, faussement en colère. - Je me mets dans l’état que je veux, Judas !
BASTIEN, désappointé, à Solène. - Vous comprenez quelque chose, vous ? Parce que moi, là...
SOLÈNE - Je me sens gênée ! Je ne voudrais pas être un sujet de discorde entre vous !
BASTIEN - Mais il n’y a pas de sujet de discorde ! Je ne sais pas pourquoi il réagit comme ça ! (À Sylvio) T’as picolé ou quoi ?
SYLVIO - Oh non ! J’y vois très clair dans ton jeu, au contraire !
BASTIEN - Mais, n’importe quoi !
SYLVIO - Traître !
SOLÈNE - Le dialogue, Bastien ! Tout peut s’arranger par le dialogue !
BASTIEN, ne comprenant pas. - Le dialogue ? Mais j’ai rien à lui dire, moi !
SYLVIO - Même pas "pardon", vilaine !
BASTIEN, étonné. - Non, mais ça va pas ! T’as sniffé trop de peinture, mon vieux ? Solène n’y est pour rien ! Pourquoi tu lui dis ça ?
SYLVIO - Non, toi, vilaine ! (Et il sort vers la cuisine.)
BASTIEN, abasourdi. - Vilaine ! Alors là ! Je m’étais déjà fait insulter dans ma vie, mais alors, "vilaine", jamais !
SOLÈNE - Il est plus sensible que vous ne le croyez !
BASTIEN - Mais il a fumé les joints du robinet, oui ! Je ne l’ai jamais vu comme ça !
SOLÈNE - Il vous aime, c’est tout !
BASTIEN, estomaqué. - Quoi ?
SOLÈNE - Et c’est beaucoup plus intense que vous ne le croyez !
BASTIEN - Non ? Sylvio ! Vous croyiez qu’il est... (Il allait dire homo.)
SOLÈNE, lui coupant la parole. - Très amoureux, ça, c’est sûr ! Vu sa réaction !
BASTIEN - De moi ?
SOLÈNE - Eh bien oui ! Il n’y a pas que le sexe dans le couple : il y a surtout les sentiments !
BASTIEN - Le sexe... mais, mais... ça va pas, non !
SOLÈNE - Ça vous gêne d’en parler ! Excusez-moi, je ne devrais pas insister !
Scène 7 : Léa, Bastien, Solène.
Léa sort de la salle de bain, une serviette dans les cheveux.
LÉA - Bonjour ! Vous êtes Solène Duchemin, sans doute ?
SOLÈNE se lève et va vers elle. - Oui ! Bonjour ! (Elles se serrent la main.)
LÉA - Alors, oubliez tout ce que vous a dit Bastien sur la maison, c’est entièrement faux !
SOLÈNE - Si je l’avais cru, je serais déjà parti en courant !
LÉA - Je suis Léa Leclerc, la propriétaire !
BASTIEN - Pardon Léa ! (Il met la main derrière le pavillon de son oreille.) Je n’ai pas bien entendu, là !
LÉA - Oui ! Pardon ! La copropriétaire avec Bastien que vous connaissez déjà !
BASTIEN - Voilà, je préfère ! Donc les décisions à prendre pour cette maison nous concernent tous les deux !
LÉA - Où est passé Sylvio ?
BASTIEN - Il est parti vexé à la cuisine !
LÉA - Vous vous êtes encore pris la tête tous les deux !
BASTIEN - Non, c’est lui ! Il était bizarre, je te raconterai !
LÉA, à Solène. - Les garçons ne vous ont pas encore fait visiter ?
SOLÈNE - Pas encore !
LÉA, sur un ton de reproche, à Bastien. - Eh ben alors, Bastien ! Mademoiselle est là pour ça et toi, tu oublies l’essentiel !
BASTIEN - Oh ! Ben, t’es gonflé ! C’est toi qui m’as dit tout à l’heure...
LÉA - Oui ! Je t’ai dit : si je ne suis pas sorti de ma douche, tu commences la visite !
BASTIEN - Non, mais là, je ne sais pas si c’est la pleine lune, mais j’en prends pour mon grade aujourd’hui !
LÉA - Maintenant que je suis là, je m’en occupe ! Mademoiselle Duchemin, si vous voulez bien me suivre ! On va commencer par la grande chambre !
SOLÈNE - Très bien ! Je vous suis !
BASTIEN, barrant l’accès à la grande chambre. - Non ! Non ! Pas maintenant !
LÉA - Pourquoi ?
BASTIEN - Ce n’est pas rangé !
LÉA - Pour ce que ça change de d’habitude !
BASTIEN - Non, mais, commencez par les autres pièces, le temps que je mette de l’ordre !
LÉA - Oui, OK, j’ai compris ! Tu vas déranger encore plus, comme la dernière fois, pour dégoûter mademoiselle !
BASTIEN - Mais pas du tout, au contraire ! Je n’ai pas envie que l’on vienne voir ma chambre si elle n’est pas nickel ! (Il rentre dans la grande chambre et referme très vite la porte derrière lui.)
LÉA - Alors là, je ne sais pas ce qu’il a ! Bastien est l’être le plus bordélique que je connaisse !
SOLÈNE - Je n’ai pas bien compris votre lien ! Vous êtes frère et sœur ?
LÉA - Pas du tout ! Bastien et moi nous avons acheté ici il y a un plus d’un an ! On était en couple à l’époque, mais maintenant, c’est terminé !
SOLÈNE - Et Sylvio est arrivé !
LÉA - Voilà !
SOLÈNE - Et le couple s’est reformé différemment !
LÉA - Exactement ! Mais comment vous savez !
SOLÈNE - C’est Sylvio qui m’en a fait la confidence tout à l’heure ! (Un temps.) Et alors ? Ça vous a fait quoi quand vous l’avez su ?
LÉA - Quand j’ai su quoi ?
SOLÈNE - Et bien, que Bastien avait changé, quoi !
LÉA - Et bien, au fur et à mesure, les mois s’écoulent, il s’intéresse de moins en moins à moi ! (Elle désigne l’ordinateur d’un coup de menton.) Il joue des heures avec son copain, là ! Alors moi, un jour, j’ai craqué !
SOLÈNE, étonnée. - Ah bon ! C’est vous qui avez rompu ?
LÉA - Malgré l’achat de cette maison, j’ai dit : stop !
SOLÈNE - Et vous êtes parti !
LÉA - Ah non ! Sûrement pas !
SOLÈNE - Comment ? Vous voulez dire que vous habitez toujours ici ?
LÉA - Oui ! Je n’allais pas lui laisser la maison tout de même !
SOLÈNE - Alors, vous partagez la maison avec Sylvio et Bastien ?
LÉA - Exactement !
SOLÈNE - C’est curieux tout de même comme situation !
LÉA - Je vous accorde que ce n’est pas commun ! C’est pour cela que l’on veut vendre, pour refonder un foyer chacun de son côté !
SOLÈNE, regarde autour d’elle. - En tout cas, la maison me plaît beaucoup !
LÉA - Mais vous voulez acheter seule ou à deux ?
SOLÈNE - Non, je suis seule !
LÉA - Vous connaissez le prix de vente !
SOLÈNE - Oui ! L’agence m’en a parlé ! C’est votre dernier prix ou vous pouvez baisser jusque 210 000 € ?
LÉA - Non ! On vient d’engager des frais pour faire des travaux, c’est justement pour ne pas baisser le prix ! Mais je vous rassure, on ne va pas augmenter non plus ! La maison est habitable en l’état sans avoir à apporter le moindre changement !
SOLÈNE - Pour l’instant, ma banque ne m’accorde pas un prêt aussi important ! Il faut que je retourne les voir !
LÉA - D’abord, je vais vous faire visiter ! Vous allez voir la salle de bain vient d’être refaite. Nous avons terminé la semaine dernière !
Scène 8 : Léa, Sylvio, Solène.
Sylvio entre, il s’approche de Léa par derrière et pose ses mains sur ses épaules.
SYLVIO - Alors, c’est fini cette douche ! (Il l’embrasse dans le cou.) Hum ! Tu sens bon, mon amour !
LÉA - Chéri ! Ce n’est pas le moment ! Il faut que je fasse le tour avec mademoiselle Duchemin !
SOLÈNE - Solène !
LÉA - Oui ! Solène aimerait voir le reste du pavillon ! Tu as terminé dans la cuisine ?
SYLVIO fait un salut militaire. - Oui mon capitaine ! L’évier est opérationnel !
LÉA, à Solène. - Vous connaissez Sylvio !
SOLÈNE - Oui ! C’est lui qui m’a ouvert et offert un jus d’orange !
LÉA - Ça te va bien, mon chéri, le rôle du maître de maison !
SYLVIO - Oui ! (À Solène.) Il faut vous dire que je fais maître de maison, chef de chantier et je m’occupe aussi de la patronne ! (Il commence à faire des chatouilles à Léa.)
LÉA - Arrête, Sylvio ! Pas devant tout le monde !
SOLÈNE - Mais, ôtez-moi d’un doute, Bastien sait que...
LÉA - Que quoi ?
SOLÈNE - Et bien que... vous deux...
SYLVIO - Que nous sommes ensemble ! Oh oui ! Depuis le début !
LÉA - Il a même cru que nous étions ensemble alors que nous ne l’étions pas encore ! Tu te souviens, mon chéri ?
SYLVIO - Oh oui ! La première fois qu’il nous a vus ensemble, il y a cru, alors que ça ne faisait que cinq minutes que l’on se connaissait !
LÉA - C’est presque lui qui nous a donné l’idée !
SOLÈNE - Et comment l’a-t-il pris ?
LÉA - Ça a été dur au début, forcément ! Mais maintenant, il s’est habitué !
SOLÈNE, un peu fascinée et amusée. - Alors ici, c’est l’amour libre si je comprends bien ?
SYLVIO - On ne va pas se cacher comme des collégiens tout de même !
SOLÈNE, à Léa. - Mais vous m’avez dit qu’avec Bastien c’était fini !
LÉA - Ah oui ! Complètement !
SOLÈNE - Et vous arrivez à gérer l’ensemble !
LÉA - Oui ! Pour tout ce que fait Sylvio, on partage moitié-moitié avec Bastien !
SOLÈNE - Vous partagez... vous voulez dire... le temps ?
SYLVIO - Le temps ?
SOLÈNE - Eh bien oui ! Le temps passé avec chacun d’entre vous !
LÉA - Ah non ! Pas le temps, l’argent !
SOLÈNE - Ah ! Parce que vous le payez en plus !
LÉA - Oui ! C’est la moindre des choses !
SOLÈNE, à Sylvio. - Vous êtes un professionnel en quelque sorte !
SYLVIO - Pas encore ! En vérité, je ne déclare pas aux impôts !
SOLÈNE, amusée. - Je m’en doute !
SYLVIO - Mais un jour, je m’installerai à mon compte ! Peut-être même avec du personnel !
SOLÈNE - Avec du personnel ! Et vous pensez que le gouvernement va laisser ouvrir ce genre d’établissement ?
SYLVIO - Oui ! Moi, c’est mon rêve d’ouvrir ma boîte !
SOLÈNE - Ah oui ! Dans une boîte, c’est plus pratique !
SYLVIO - Plus pratique ?
SOLÈNE - Plus discret, quoi !
Scène 9 : Léa, Sylvio, Solène, Bastien.
Bastien sort brusquement de sa chambre et referme derrière lui. Tous le regardent.
BASTIEN - Ça y est, c’est rangé ! (À Solène.) Vous allez pouvoir venir visiter cette pièce ! (Solène s’approche.)
LÉA la retient. - Non, non, non, non ! Laissez-moi d’abord jeter un œil ! Je connais l’animal ! Il a sûrement tout mis sens dessus dessous !
BASTIEN - N’importe quoi, Léa !
Elle ouvre la porte et regarde à l’intérieur de la pièce.
LÉA - À première vue, c’est nickel ! Je dirai même que depuis que je m’occupe de cette pièce, je ne l’ai jamais vu rangé de cette façon !
BASTIEN - Ah ! Tu vois !
LÉA - Oh ! Mais là, il y a un traquenard ! Tu as mis des pièges à souris ?
BASTIEN - Pourquoi pas des mines antipersonnel, tant que tu y es !
LÉA , à Solène. - Attendez-moi là, je vais voir ! (Elle entre dans la chambre et laisse la porte ouverte.)
BASTIEN, à Solène. - Je ne sais pas ce qu’elle s’imagine !
SYLVIO - Avoue que la dernière fois, tu as fait très fort !
BASTIEN - Vous allez avoir une drôle opinion de moi !
SOLÈNE - Depuis que je suis arrivée, plus rien ne m’étonne !
LÉA, entre. - Apparemment, tout est OK ! Vous pouvez y aller, Solène, je vous suis !
BASTIEN - Non, non, non ! C’est ma chambre, c’est moi qui fais visiter !
LÉA - D’accord ! Attention, Solène ! Je n’ai pas confiance ! Il ne va vous dire que des choses négatives sur cette maison !
SOLÈNE - Ne vous inquiétez pas, Léa, nous avons longuement discuté avec Bastien tout à l’heure ! Je saurai dissocier le faux du vrai !
LÉA - Oui, mais depuis que l’on a rompu, Bastien refuse de se séparer de cette maison !
BASTIEN - Mais alors là, n’importe quoi ! Ça dépend des conditions, c’est tout !
Solène puis Bastien entrent dans la chambre et referment la porte.
Scène 10 : Léa, Sylvio.
Léa et Sylvio restent muets un instant.
LÉA - Sylvio !
SYLVIO - Oui !
LÉA - Tu veux bien me pincer le bras, là ! (Elle lui tend son bras.)
SYLVIO - Pourquoi ?
LÉA - Vas-y ! (Il lui pince le bras.) Aïe ! Donc, je ne rêve pas ! T’as bien entendu comme moi, là ?
SYLVIO - De quoi ?
LÉA - De quoi, de quoi ! Il vient de dire : ça dépend des conditions ! Donc, depuis la première fois que je lui ai parlé de vendre, il n’a pas dit un « non » catégorique !
SYLVIO - C’est vrai !
LÉA - Mais, qu’est-ce qui s’est passé pour qu’il change d’avis ?
SYLVIO, faux. - Je ne sais pas !
LÉA - C’est la première fois qu’il ne me met pas des bâtons dans les roues pour faire fuir un acheteur ou une acheteuse ! Il est gentil avec elle, il a rangé sa chambre ! Alors là, bordélique comme il est, je ne savais même pas qu’il savait ranger ! Moi je croyais que le rangement, c’était un truc que ses parents avaient oublié de lui transmettre dans son patrimoine génétique !
SYLVIO - Faut croire que non !
LÉA - Je ne sais pas pourquoi, mais je sens qu’il va nous faire un retour de flamme, le père Bastien, au moment où on s’y attendra le moins !
SYLVIO - Il y a peut-être une explication rationnelle à tout ça !
LÉA - Tu crois ?
SYLVIO - Oui !
LÉA, un temps, elle attend une réponse. - Alors ? Vas-y !
SYLVIO - Tu sais le métier qu’elle fait cette Solène Duchemin ?
LÉA - Non ! Comment je pourrai le savoir ?
SYLVIO - Et bien moi je sais !
LÉA, un temps, elle attend la suite. - Alors, vas-y ! Dis-moi !
SYLVIO - Elle travaille chez Sigdom !
LÉA - Et alors ?
SYLVIO - Sigdom conçoit des jeux vidéo !
LÉA, attend la suite, elle s’énerve. - Tu vas me sortir les mots un par un ou tu peux me faire des phrases plus longues pour m’expliquer tout d’un coup ?
SYLVIO, d’une seule respiration. - Sigdom est une entreprise qui conçoit et exporte des jeux vidéo, leader du marché français, lui-même quatrième au niveau mondial, heu non, troisième même depuis septembre. Solène Duchemin est responsable du graphisme au sein de cette entreprise et c’est elle qui a entre autres créé (Il va chercher la boîte de jeu.) "Tomb of fire ", jeu sur lequel ton ex passe toutes ses nuits ! (Essoufflé, il reprend une grande respiration avant d’ajouter.) Ça va ? C’est pas trop court comme phrase ?
LÉA - Ah ! Alors là, je comprends mieux !
SYLVIO - Bon ! Je vais aller ranger mes outils dans la cuisine avant que tu ne lui fasses visiter ! (Il sort vers la cuisine.)
Scène 11 : Léa, Bastien, Solène.
Solène et Bastien sortent de la chambre.
LÉA - Alors ? Vous trouvez comment ?
SOLÈNE - Pour l’instant, je suis conquise ! J’attends impatiemment de voir le reste !
LÉA - Vous travaillez dans les jeux vidéo m’a dit Sylvio ?
SOLÈNE - Effectivement !
BASTIEN - Tu vois que ça n’est pas uniquement masculin les jeux vidéo !
LÉA - Je n’ai pas dit ça ! Je dis que c’est surtout solitaire !
SOLÈNE - La plupart des jeux vidéo d’aujourd’hui peuvent être joués en réseau, c’est-à-dire à plusieurs !
LÉA - Bastien ne vous a pas dit que c’était une des raisons de notre séparation ?
SOLÈNE - Non ! Je croyais que c’était...
BASTIEN - Oui, mais on a quand même le droit de se détendre le soir en rentrant du boulot !
SOLÈNE - C’est vrai ! Un peu de distraction, ça fait du bien !
LÉA - Ce qu’il ne vous dit pas c’est que ça dure toute la nuit et que monsieur ne s’occupait même plus de moi si je me fais bien comprendre !
Sylvio revient de la cuisine.
BASTIEN - Bon ! Ça va, Léa ! Tu ne vas pas déballer notre vie devant mademoiselle !
SOLÈNE - Figurez-vous que nous avons déjà débattu de ce problème au sein du conseil d’administration de Sigdom : les couples qui se déchirent à cause du jeu vidéo ! Il faut s’imposer des temps maximums de jeu ! Les respecter et avoir une vie de famille et de couple à côté pour l’équilibre de tous !
LÉA - J’aurais dû vous rencontrer avant !
SOLÈNE - Moi, je ne suis pas encore en couple, mais il serait hors de question que mon conjoint passe des heures devant sa console ! Encore moins ses nuits !
LÉA, à Bastien. - Et pan ! Prends ça pour la deuxième couche !
BASTIEN, vexé. - Vous ne voulez pas aller visiter la cuisine ! Vous ne l’avez pas encore vu la cuisine !
Léa et Solène entrent dans la cuisine.
Scène 12 : Sylvio, Bastien.
SYLVIO - Là, elles ne t’ont pas loupé !
BASTIEN - Oh ! Ça va ! Tu ne vas pas t’y mettre, toi aussi !
SYLVIO - Qu’est-ce que tu en penses de Solène ?
BASTIEN - J’en pense qu’elle a de la veine de travailler dans ce genre de boîte ! En plus, elle doit avoir tous les jeux gratos !
SYLVIO - Mais ça, je m’en fous ! Qu’est-ce que tu en penses en tant que femme ?
BASTIEN - Ouais, bof !
SYLVIO, étonné. - Quoi ? Bof ! Mais tu te moques de moi ! C’est une bombe, cette fille !
BASTIEN - J’chais pas ! J’ai pas fait attention !
SYLVIO - Oh, le menteur ! Tu crois que je n’ai pas vu comment tu la regardes depuis le début !
BASTIEN - Ça va pas, non !
SYLVIO - Eh bien, moi, je te promets que si elle venait dans mon lit, j’irais pas dormir dans la baignoire !
BASTIEN - Eh ! T’entends ce que tu dis, là ? Et Léa ? T’en fais quoi de Léa ?
SYLVIO - Quoi ? T’as jamais fait un écart quand tu étais avec elle ?
BASTIEN - Jamais ! Je suis fidèle, moi, monsieur ! Alors tu couches avec ma copine OK, mais tu ne la trompes pas ! Vu ?
SYLVIO - Ça va ! On s’énerve pas ! En attendant, tu ne peux pas dire que Solène te laisse de marbre !
BASTIEN - J’avoue qu’elle a réussi à me faire dire des trucs, tout à l’heure ! Ça m’a fait bizarre ! J’ai eu une discussion avec elle comme je n’en ai jamais eu avec Léa !
SYLVIO - Mais, t’emballe pas, joli cœur, t’as aucune chance !
BASTIEN - Pourquoi tu dis ça ?
SYLVIO - Tu l’as entendu, il y a cinq minutes, elle a dit : pas de console à la maison ! Boum ! Comme ça, au moins, t’es fixé avant de commencer quoi que ce soit !
BASTIEN, résigné. - Ouais ! Alors ça ! Si c’est la dictature à la maison, non merci !
SYLVIO - N’aie pas de regrets, parce que t’es grillé pour une autre raison !
BASTIEN - Ah oui ! Laquelle ?
SYLVIO - Elle te croit pédé !
BASTIEN, étonné. - Non ?
SYLVIO - Si !
BASTIEN - Pourquoi ? J’ai dit quelque chose ?
SYLVIO - Oui !
BASTIEN - Quoi ?
SYLVIO - Quand tu as fait l’outragé parce que, soi-disant, je la draguais ! Elle a cru que tu étais jaloux !
BASTIEN - Tu sais très bien que c’est vis-à-vis de Léa que je réagissais comme ça !
SYLVIO - Moi, j’avais bien compris ! Mais elle : non !
BASTIEN - Alors ?
SYLVIO - Alors, elle a cru qu’on était ensemble !
BASTIEN - Heureusement que tu lui as dit que ce n’était pas vrai !
SYLVIO, reste muet. - ...
BASTIEN - Quoi ? Tu n’as pas laissé croire qu’on était un couple gay ?
SYLVIO, souriant. - Non, je ne lui ai pas laissé croire !
BASTIEN - Ah bon ! Je préfère !
SYLVIO - Je lui ai carrément dit que c’était vrai !
BASTIEN - Mais non ! T’as pas fait ça ?
SYLVIO - Elle avait l’air de tellement y tenir ! Elle m’a fait le numéro de : j’ai tout compris entre vous deux ! Moi, j’ai trouvé ça marrant, alors j’ai joué l’homo jaloux !
BASTIEN - Mais t’es un gros malade ! (Il commence à le poursuivre dans la pièce.) Viens là, que je te casse la gueule !
SYLVIO - Arrête ! C’était pour déconner ! (Ils tournent autour des fauteuils.)
BASTIEN - Oui, et bien, tu "te" fais passer pour un pédé si ça t’amuse, mais moi, je suis grillé avec tes conneries !
SYLVIO, essayant de se justifier. - Mais non, au contraire, elle m’a dit qu’elle les aimait bien !
BASTIEN - C’est ça, oui !
SYLVIO - Elle trouve les homos, sympas, épanouis, ouverts !
BASTIEN, menaçant du poing. - Oui, et bien ce qui va être ouvert bientôt, c’est ton arcade sourcilière !
SYLVIO - Arrête ! Si elles arrivent !
BASTIEN - M’en fous !
Ils tombent à la renverse, sur un fauteuil empoigné par le col. Les deux filles entrent sans les voir. Les garçons restent figés en les regardant.
Scène 13 : Sylvio, Bastien, Léa, Solène.
SOLÈNE - Elle m’a l’air très pratique cette cuisine !
LÉA - Elle est surtout fonctionnelle ! La salle de bain maintenant ! (Elles sortent vers la salle de bain. Les garçons reprennent.)
BASTIEN - Tu vas voir si je suis une tarlouze !
SYLVIO - T’as pas d’humour, vraiment ! (Les filles reviennent, de nouveau les garçons font les statues.)
SOLÈNE - On voit que cela vient d’être refait !
LÉA - Oui ! Et puis la paroi de douche c’est rudement... (Elle aperçoit les garçons immobiles.) Mais qu’est-ce que vous faites ?
Les deux garçons se relèvent péniblement, rajustent leurs vêtements et leur coiffure. Ils se tiennent comme deux petits garçons pris en faute.
LÉA - Alors, dès que je ne suis pas là on en profite pour faire les fous sur les fauteuils ! Je peux savoir ce que vous faisiez là ?
SYLVIO - Mais rien ! Hein, Bastien ?
BASTIEN - C’est vrai, on ne faisait rien !
LÉA - C’était quoi le sujet de la dispute ? Moi, encore une fois !
BASTIEN - Non ! Alors là, pour une fois non ! Hein Sylvio ?
SYLVIO - Ma parole, Léa ! On ne parlait pas de toi !
BASTIEN, à Solène, pour changer de sujet. - Alors ? La maison vous plaît ?
SOLÈNE - De toutes celles que j’ai visitées, je crois que là, j’ai le coup de foudre ! Écoutez, je crois que je vais vous laisser maintenant !
LÉA - N’hésitez pas à revenir voir la maison, ou à appeler pour d’autres renseignements !
SOLÈNE - Je n’y manquerai pas ! Mon plus gros souci, c’est le prix ! Si la banque ne m’accorde pas mon prêt, je retourne dans mon petit deux pièces en ville !
LÉA, lui ouvre la porte d’entrée. - Il ne faut pas dire ça ! Gardez espoir !
SOLÈNE - Alors je vous dis, à bientôt, j’espère !
LÉA - À bientôt, mademoiselle Duchemin !
SYLVIO - Au revoir !
BASTIEN - Au revoir !
Solène sort.
Scène 14 : Sylvio, Bastien, Léa.
Bastien reste pensif.
LÉA, à Bastien. - Alors, on peut savoir ce qui s’est passé pour que tu changes d’avis ?
BASTIEN sort de son nuage. - Quoi ? J’ai changé d’avis ?
LÉA - Tu as bien dit tout à l’heure : ça dépend des conditions, c’est tout !
BASTIEN - Ah bon ! J’ai dit ça ?
LÉA - Ah oui ! Et Sylvio a entendu !
SYLVIO - Je pense qu’il est tombé sous le charme de la belle conceptrice de jeux vidéo !
BASTIEN pris en défaut. - N’importe quoi ! On a discuté et j’ai réfléchi, c’est tout !
LÉA, moqueuse. - Quoi ? Toi, Bastien, tu as réfléchi ! Ne va pas te faire une entorse au cerveau au moins ! Tu veux un doliprane ?
BASTIEN, très sérieux. - Non, mais j’ai mûri, Léa, tu sais !
LÉA - En une heure ?
BASTIEN - Oui ! Je me dis qu’il faut se rendre à l’évidence, on ne va pas pouvoir rester dans cette situation indéfiniment !
LÉA - Alors là, je ne sais pas ce qu’elle t’a dit, mais j’aurais vraiment dû la rencontrer plus tôt cette Solène Duchemin ! Vous la trouvez comment, les garçons ?
SYLVIO - Pas mal ! Pas mal du tout !
BASTIEN - C’est vrai qu’elle est bien roulée quand même, il faut admettre ! Moi, je suis comme Sylvio, si elle venait dans mon lit, je n’irai pas dormir...
SYLVIO, lui coupant la parole. - Bastien !
LÉA - Quoi, Sylvio ? Si elle venait dans ton lit, qu’est-ce que tu ferais ?
SYLVIO, cherchant à se rattraper. - J’irai pas dormir… avec elle, parce que je t’aime, ma chérie !
LÉA - C’est ça, ouais ! Vous êtes des obsédés tous les deux ! Je vous demande comment vous la trouvez en tant qu’acheteuse !
SYLVIO - Moi, je pense qu’elle à l’air d’être emballé !
BASTIEN - Par qui ?
SYLVIO - Par la maison, pas par toi, imbécile !
LÉA - J’espère qu’elle réussira à obtenir son prêt !
BASTIEN - Bon, moi je vais terminer ma peinture ! (Il sort.)
Scène 15 : Sylvio, Solène, Léa puis Bastien.
LÉA - Que je ne vois pas tourner autour de cette panthère, mon petit chéri ! Qu’est-ce qu’elle a de plus que moi ?
SYLVIO, la prend dans ses bras. - Mais rien ! Absolument rien, mon amour ! Je dirai même qu’elle est quelconque !
LÉA - Faux jeton, va ! (On sonne.) Encore une visite ! Mais c’est le défilé ce matin ! (Elle ouvre. C’est Solène sur le pas de la porte.)
SYLVIO - Vous avez oublié quelque chose ?
SOLÈNE - Non ! C’est ma voiture, elle ne démarre plus !
LÉA - Plus d’essence ?
SOLÈNE - Non, non ! Ça fait un moment qu’elle a du mal à partir, mais là, elle ne veut rien savoir !
SYLVIO - Bougez pas ! Je vais aller jeter un œil !
SOLÈNE - Merci !
LÉA, l’arrêtant. - Depuis quand tu t’y connais en mécanique, toi ?
SYLVIO - Tu exagères, je connais quelques trucs !
LÉA - Je vois bien que tu meurs d’envie d’allez voir sous le capot de mademoiselle, mais on a un spécialiste dans la maison, il suffit de l’appeler ! (Plus fort.) Bastien !
BASTIEN, off. - Quoi ?
LÉA - Viens voir ! (Bastien entre avec son rouleau dans la main.) Mademoiselle Duchemin a un problème de mécanique, tu ne veux pas aller voir !
SOLÈNE - Ça ne démarre plus !
BASTIEN - Pas de problème ! (Il se dirige vers la sortie, et au passage met son rouleau dans les mains de Sylvio.) Tiens-moi ça, toi ! (À Solène.) C’est une essence ou une diésel ?
SOLÈNE - Une essence !
SYLVIO, avec un air précieux efféminé. - Te casse pas un ongle, mon lapin !
BASTIEN, hausse les épaules. - Pff ! Pauv'nul ! (Solène et Bastien sortent.)
LÉA - Mais qu’est-ce qui t’a pris ?
SYLVIO - Ah oui ! Tu ne sais pas, toi ! C’est vrai ! Solène Duchemin croit qu’on est homo avec Bastien !
LÉA, amusée. - Non !
SYLVIO - Si ! Alors il est pas prêt de l’emballer, c’est moi qui te le dis !
Acte 4
Un an plus tard.
Scène 1 : Léa, Bastien.
Léa et Bastien sont installés chacun dans leur fauteuil, face à face.
LÉA, levant son verre. - À nos amours !
BASTIEN, levant le sien. - À nos amours !
LÉA - Je suis contente que tout soit rentré dans l’ordre !
BASTIEN - Le dialogue, il n’y a rien de tel !
LÉA - Maintenant que tu te comportes comme un adulte responsable, ça change tout !
BASTIEN - N’exagère pas, Léa ! Je n’étais pas non plus un gamin !
LÉA - Il y a des jours, honnêtement, je me demandais ! Et quand je t’ai dit l’année dernière : on se sépare et on vend, tu as réagi comme un gosse à qui on retire son jouet !
BASTIEN - J’avais pas vu le coup venir, figure-toi, et je suis tombé de haut !
LÉA - Enfin, ça fait plaisir d’avoir trouvé une solution à nos problèmes ! (Un temps.) La petite chambre pour Mathéo, c’est une bonne idée !
BASTIEN - Tu te souviens le jour où l'on a visité ici ? On a tout de suite pensé la même chose : si on a un bébé, cette pièce...
LÉA - Ce sera la chambre d’enfant !
BASTIEN - Et bien, voilà !
LÉA - C’était dans l’ordre des choses !
BASTIEN - Quelques petits changements se sont imposés ! Heureusement, on a trouvé un ouvrier pas cher !
LÉA - Pas cher du tout même !
BASTIEN - Je dirai même plus, on n’aurai pas pu trouver moins cher ailleurs !
LÉA - Il faut dire que c’est son parrain !
BASTIEN - C’est vrai que ça m’aurait fait mal au cœur qu’il nous fasse payer pour refaire la chambre de son filleul !
LÉA - Chut ! Le voilà !
Scène 2 : Léa, Bastien, Sylvio.
Sylvio entre de la petite chambre avec un rouleau de peinture bleu en main.
SYLVIO - Oh ! On parle de moi là !
BASTIEN - Non ! Penses-tu !
LÉA - On parlait du prix de la main-d’œuvre dans le bâtiment !
BASTIEN - Léa disait qu’elle en connaissait un pas terrible...
LÉA - Mais au tarif imbattable !
SYLVIO - Oui ! Et bien, normalement, j’ai pas le droit de faire ça à l’œil !
LÉA - Oh le pauvre chéri, il va avoir un trou dans son chiffre d’affaires !
BASTIEN - C’est vrai que "monsieur" est chef d’entreprise !
SYLVIO - Oui, et bien, ne rigole pas, parce que maintenant, il faut que je justifie tout !
BASTIEN - Tu ne vas pas me reprocher de venir passer quelques heures pour refaire au propre la chambre de Mathéo ! T’as voulu être parrain, tu assumes !
LÉA - Tu as terminé ?
SYLVIO - Oui ! J’allais laver mon rouleau à la salle de bain !
BASTIEN - Tu ne me salis pas le lavabo !
SYLVIO - Mais non ! T’inquiète !
BASTIEN - L’odeur de peinture, ce ne sera pas nocif pour mon fils ?
SYLVIO, prenant une voix efféminée. - Ce n’est pas que ton fils ! De toute façon, j’ai mis une peinture à l’eau ! (À Léa, toujours efféminé.) Depuis que monsieur est papa, il n’y en a que pour son fils !
BASTIEN, même jeu, efféminé. - Ça se voit que ce n’est pas toi qui l’as porté !
SYLVIO - Parce que c’est toi peut-être ?
BASTIEN - Gros malin ! Qui va faire les biberons trois fois par nuit ?
LÉA - Vous savez à quoi vous me faites penser. On dirait deux vieilles poules dans une basse-cour qui se disputent un poussin !
SYLVIO, redevenant sérieux. - Bon, moi je vais laver ça, parce que c’est en train de sécher ! (Et il sort avec son rouleau de peinture vers la salle de bain.)
Scène 3 : Léa, Bastien, Solène.
On sonne. Bastien va ouvrir, c’est Solène. Elle porte un gros cadeau à la main.
SOLÈNE - Coucou !
LÉA se lève. - Bonjour, Solène ! Tu es resplendissante !
SOLÈNE - Toi aussi, ma chérie ! Ça va ? Ça se passe bien ?
LÉA - Super !
BASTIEN - Oh ! C’est quoi ce gros cadeau ?
SOLÈNE - Si je dis ce qu’il contient, il n’y a plus l’effet cadeau !
BASTIEN - Je peux le déballer ?
SOLÈNE - Non ! Tu ne déballes pas ! Et puis, qui te dit que c’est pour toi !
Bastien fait la moue et va poser le cadeau sur un meuble.
LÉA - Non, mais, regardez-moi ça ! Le pauvre chéri, il est privé de cadeau !
SOLÈNE - C’est peut-être un cadeau d’anniversaire !
BASTIEN - L’anniversaire de qui ?
SOLÈNE - Et bien ! Vous ne vous souvenez pas ? Cela fait aujourd’hui juste un an que l’on s’est rencontré !
LÉA - Ah oui ! Tu as raison !
SOLÈNE - Mais ce n’est pas pour ça, le cadeau ! Je vous dirai tout à l’heure !
BASTIEN - Allez ! Asseyez-vous, les filles ! Je vais chercher des toasts que je vous ai préparés ! Un petit coup au four et j’arrive ! (Il sort en cuisine.)
SOLÈNE - Il a mûri en un an !
LÉA - C’est pas compliqué, on ne le reconnaît plus !
SOLÈNE - C’est le fait d’être papa ! Ça responsabilise et il a changé de carapace ! Il a retiré sa coquille d’ado pour passer à l’âge d’homme !
LÉA - C’est vrai que t’as fait psycho, toi, j’oubliais !
SOLÈNE - Quatre ans seulement ! Ça me sert souvent dans la vie de tous les jours !
LÉA - Plus de console dans le salon !
SOLÈNE - Je t’avais dit qu’en posant des barrières, tout est clair, parce que défini !
LÉA - Et alors, vous en êtes comptant chez Sigdom ?
SOLÈNE - Oui ! Il s’investit énormément !
LÉA - Ça fait combien de temps, maintenant ?
SOLÈNE - Ça va faire bientôt quatre mois ! Période d’essai validée !
LÉA - Je n’ai pas compris ce qu’il fait exactement !
SOLÈNE - Avant, on faisait essayer nos jeux à des ados en leur offrant gratuitement et ils nous apportaient leurs critiques !
LÉA - Ah d’accord ! Et donc...
SOLÈNE - Les critiques des jeunes étaient souvent timorées, de peur qu’on ne fasse plus appel à eux ! Bastien, lui, fait partie intégrante de l’entreprise ! Il essaie les jeux, mais apporte son point de vue d’adulte ! Nos jeux vidéo sont pour toutes classes d’âge !
LÉA - Ne cherche pas à me vendre l’article ! J’en ai assez fait les frais !
Scène 4 : Léa, Sylvio, Solène.
Sylvio arrive de la salle de bain.
SOLÈNE - Alors, cette chambre ?
SYLVIO - Terminée ! Bastien s’inquiétait pour l’odeur, mais c’est de la peinture à l’eau ! Il suffit d’aérer quelques jours et on sentira vraiment plus rien !
SOLÈNE - Mais il est aux petits soins, le parrain !
LÉA - De toute façon, tant que Mathéo ne fait pas ses nuits, ça m’étonnerait qu’il reste seul dans sa chambre ?
SYLVIO - Il est où : papa poule ?
LÉA - À la cuisine ! Il fait réchauffer des toasts !
SYLVIO, moqueur. - J’espère qu’il ne va pas oublier d’enlever l’emballage avant de les mettre au four, parce que ça donne vraiment un mauvais goût !
SOLÈNE - Quel emballage ! Il les a faits lui-même !
SYLVIO - Je m’attends au pire !
SOLÈNE - Alors, cette autoentreprise, ça marche ?
SYLVIO - Je dois dire que ça démarre vraiment bien ! Mais alors, les papiers, je ne te raconte pas ! L'administration, ils voudraient décourager les nouvelles entreprises, ils ne s’y prendraient pas autrement !
Scène 5 : Léa, Sylvio, Solène.
On entend un bébé pleurer.
SOLÈNE - Je crois que Mathéo est réveillé !
BASTIEN, passe la tête par la porte de la cuisine. - Quelqu’un peut y aller, j’ai les mains sales !
LÉA - J’y vais ! (Elle se lève et sort vers la grande chambre.)
SOLÈNE - Ça te ferait plaisir d’être papa un jour, Sylvio ?
SYLVIO - Ça fait un moment que j’attendais ta proposition !
SOLÈNE – Non, sérieusement ! Avoir un bébé, c’est là vraiment que tu deviens un homme !
SYLVIO – Holà ! Moi, tu sais, s’il faut s’entraîner pour essayer d’en faire un, pas de problème ! Tous les jours si tu veux !
SOLÈNE – Je ne parle pas sexe, Sylvio je te parle paternité !
SYLVIO – On a le temps ! On verra quand ça arrivera !
LÉA, entre avec un bébé emmailloté, elle essaie de le calmer. - Là, là ! Ça va aller !
SOLÈNE se lève et vient debout, à côté de Léa. - Qu’est-ce qu’il ressemble à Bastien !
LÉA - Oui ! La forme des yeux et surtout, la bouche !
SYLVIO - Ce qui ressemble le plus, c’est sa façon de gémir ! Là, c’est tout son père !
LÉA - Oh ! Sylvio, arrête ! Il ne faut pas qu’il entende du mal de son père ! Il comprend tout à cet âge-là !
SYLVIO, plaisantant, en posture de boxeur. - Quoi ? T’es pas content ? Tu veux te battre ! Viens là, petit ! Quoi ? Pas devant ta mère ! (Il s’approche des deux filles et regarde le bébé.) Regarde-moi quand je te parle ! (Il devient mielleux.) En fait, t’es trop mignon ! Je déclare forfait !
SOLÈNE, au bébé. - Tu vois, Mathéo, ce grand rigolo-là, c’est ton parrain ! C’est lui qui vient de repeindre ta chambre !
LÉA, au bébé. - Tu vas être bien là !
SYLVIO, se reculant pour admirer le tableau. - Ça te va bien un bébé, Léa ! Je trouve que ça t’épanouit !
LÉA - Viens voir par ici, le parrain !
SYLVIO, imitant Marlon Brando dans le parrain avec un accent sicilien. - Tu vois, petit, je suis don Corléone ! Je suis le parrain !
LÉA, lui met le bébé dans les bras. - Tiens ! Au lieu de faire le clown !
SYLVIO, paniqué, ne sachant comment prendre le bébé. - Oh non ! Arrête ! Je ne sais pas comment ça se tient ! Je vais le casser !
SOLÈNE - Alors, le mafioso, on fait moins le malin !
SYLVIO - C’est pas lourd, en fait ! Il ne doit pas dépasser le poids d’un pot de cinq litres !
LÉA - Bonjour la comparaison !
SYLVIO - Oh ! Il m’a souri !
SOLÈNE - C’est sûr qu’il est plus souriant qu’un pot de cinq litres !
LÉA - Solène ! Tu ne trouves pas que ça lui va bien, un bébé ?
SOLÈNE - Oui ! Ça le rend plus tendre, plus romantique !
SYLVIO - Je sens tout de même un léger foutage de gueule, là !
LÉA - Je pense que tu es plus susceptible qu’un pot de cinq litres !
Scène 6 : Léa, Sylvio, Solène, Bastien.
Bastien arrive de la cuisine avec un tablier et un plateau de toasts.
BASTIEN - Attention ! C’est très chaud ! (Il aperçoit Sylvio qui tient son fils.) Eh chérie ! Tu laisses Mathéo dans les bras d’une brute qui travaille dans le bâtiment !
SYLVIO - T’inquiète pas ! Je vais pas te l’abîmer ta huitième merveille du monde !
BASTIEN - Tu le tiens comment, là ! C’est pas un parpaing ! Tu peux le mettre contre toi, il ne mord pas !
SYLVIO - J’ai peur qu’il fuie !
BASTIEN - C’est pas un tube de colle non plus ! Il a une couche et c’est étanche !
SOLÈNE - Ah ! Super la poésie, les garçons !
LÉA - Puisque tout le monde est là, même Mathéo, je voudrais en profiter pour faire une annonce !
BASTIEN - Va sur le bon coin !
SOLÈNE - Arrête Bastien ! (À Léa) Alors ?
LÉA, un temps. - J’attends un bébé ! (Elle fixe Sylvio du regard.)
BASTIEN - Super !
SOLÈNE - Je suis très contente pour vous !
BASTIEN - C’est un garçon ou une fille ?
SOLÈNE - On ne peut pas savoir, Bastien, c’est trop tôt !
BASTIEN - C’est prévu pour quand ?
LÉA - Début décembre !
SOLÈNE - Ce sera un petit Sagittaire alors !
Léa et Sylvio n’ont pas arrêté de se fixer du regard.
BASTIEN, à Solène. - Chérie, récupère ton fils, parce que là, je crois qu’il va tomber par terre !
(Solène prend le bébé dans ses bras.)
SYLVIO, la gorge nouée. - Pourquoi tu ne m’as rien dit ? (Ce ne doit être qu’à ce moment que le public comprend comment les couples sont formés.)
LÉA - Je n’en suis sûr que depuis ce matin !
(Sylvio s’agenouille, son oreille contre le ventre de Léa.)
SOLÈNE - Moi je savais !
BASTIEN - Ah bon !
LÉA - Oui ! J’ai appelé Solène ce matin !
SYLVIO se relève. - Alors, on prévient la copine et le père, on ne lui dit rien !
LÉA - C’était pour vous faire une surprise à tous, ce soir !
BASTIEN - Dit, Léa, je pourrai être le parrain ?
LÉA - Peut-être !
SYLVIO - Je ne suis pas sûr de vouloir d’un parrain qui passe ses journées et ses nuits sur une console de jeu !
BASTIEN - J’ai changé, tu sais !
Solène dépose Mathéo dans les bras de Bastien.
SOLÈNE - Tu vas le coucher s’il te plaît, chéri ! Son doudou est sur la commode de notre chambre !
BASTIEN - Allez, vient voir papa ! On va faire un gros dodo ! (Il sort avec Mathéo dans les bras.)
LÉA - C’est vrai qu’il a l’air métamorphosé !
SOLÈNE - Tu ne peux pas savoir à quel point ! Finis les jeux à la maison ! Vu qu’il y joue toute la journée, pour le boulot, ça ne lui manque pas ! Il m’a même dit l’autre jour que s’il y jouait ici, il aurait l’impression d’être toujours au travail !
SYLVIO - Tu m’as dit qu’il cuisinait ?
SOLÈNE - Oui ! Le soir, c’est souvent lui qui prépare le repas ! Et il m’aide aussi au ménage !
LÉA - Alors là, je suis soufflée ! Je suis un peu jalouse que tu aies réussi là où j’ai échoué ! Mais en fait, je suis très contente pour vous deux !
SOLÈNE - Avec toi, c’était un ado, avec moi, il est passé à l’âge adulte !
Scène 7 : Léa, Sylvio, Solène, Bastien.
Bastien entre.
SYLVIO, à Léa. - On leur dit ?
LÉA - À toi l’honneur !
SYLVIO - Et bien, on vient d’acheter une super maison !
BASTIEN - C’est pas vrai ! Où ça ?
LÉA - Rue des jonquilles !
SYLVIO - C’est à côté ! J’ai fait l’essai, ça fait 4 minutes à pied, à tout casser !
SOLÈNE - C’est génial ça ! Et finalement pour mon prêt, c’est passé ? Rappelle-toi l’an dernier, la banque m’avait refusé mon crédit !
BASTIEN - Heureusement que tu n’as eu à racheter que la moitié de la maison !
SYLVIO, aux deux filles. - Il n’est pas bête ! (À Bastien.) T’as réussi à changer de femme, mais t’as gardé la maison ! En fait, vous êtes ensemble seulement parce que tu cherchais une personne pour racheter la moitié du crédit !
BASTIEN, plaisantant. - Mince ! Je suis démasqué !
SOLÈNE - Alors, ce crédit ?
LÉA - On a fait comme vous !
SYLVIO - On a acheté à deux !
LÉA - Cinquante cinquante !
BASTIEN - Tu m’avais dit que tu ne referais jamais cette bêtise !
LÉA, tenant la main de Sylvio. - Oui, mais là, c’est sérieux ! Il va y avoir le bébé !
SOLÈNE - Alors, racontez-nous, cette maison ?
LÉA - Il y a un grand jardin !
SYLVIO - C’est à retaper, bien sûr, mais, pas de problème, j’ai du courage à revendre !
LÉA - Et Bastien pourra venir donner un coup de main !
BASTIEN - Moi, tu sais, le bricolage !
SYLVIO - Il faut le mériter, si tu veux devenir parrain !
SOLÈNE, va chercher son cadeau. - Bon ! Il va être temps d’ouvrir le cadeau ! (Elle le tend à Sylvio.)
SYLVIO - C’est pour moi ?
SOLÈNE - Non !
LÉA - C’est pour nous deux ?
SOLÈNE - Non plus ! Depuis que j’ai su, ce matin pour votre bébé, je voulais être la première à lui offrir quelque chose !
SYLVIO - Un cadeau de naissance avant la naissance, quoi ! (Il commence à enlever le papier cadeau. Sur le carton, on voit écrit en gros : SIGDOM.)
BASTIEN - Oh ! Moi, je devine ce que c’est ! C’est la dernière version de "Tomb of fire" !
SYLVIO - Un peu violent, pour un nouveau-né !
LÉA inquiète - T’as pas fait ça, Solène ?
SOLÈNE - Pourquoi ? Il faut qu’il s’épanouisse ce petit !
LÉA - Non, mais t’es pas bien ! T’es complètement irresponsable, ma vieille ! Je ne croyais pas ça de toi !
SYLVIO, qui a fini d’ouvrir le carton. - Oh ! Je crois que je vais le garder pour moi jusqu’à la naissance !
LÉA - Ah non, Sylvio ! Tu ne vas pas t’y mettre, toi aussi, aux jeux vidéo ! Bravo, Solène, tu vas foutre mon couple en l’air !
BASTIEN - Un cadeau, ça ne se refuse pas !
SYLVIO - Non, mais chéri, regarde, il est trop beau ! (Et il sort du carton... Un superbe ours en peluche.)
Fin