ACTE 1
Scène 1 : Nadège / Jacqueline
Deux femmes de ménage entrent dans la salle. Elles entrent par le fond de la salle.
Nadège / Qu'est-ce c'est que ça ?
Jacqueline / Qu'est-ce qu'ils foutent là ? Y'a pas de spectacle aujourd'hui.
Nadège /(Elle crie) Ce soir y'a rien !
Jacqueline / Le spectacle c'est demain.
Nadège / Ils ne sont peut-être pas du coin. (Au public) Vous êtes de la même famille ?
Jacqueline / Attends, je vérifie. (Elle regarde l'affiche) Les abrutis ! Ils ont écrit que c'était aujourd'hui.
Nadège / D'habitude, quand ils jouent, y'a personne, et là ils jouent pas et c'est plein. Vous avez payé ?
Jacqueline / Vous avez tous payé ?
Nadège / On va quand même pas les rembourser. .. Vous pouvez revenir demain ? .. Comment ? .. Oui ou non ?
Jacqueline / Je crois qu'ils n'ont pas envie de partir. Qu'est-ce qu'on va faire ?
Nadège / C'est pas notre problème. Nous, on est payées pour faire le ménage, on fait le ménage. (à un spectateur) Poussez-vous.
Ensuite les deux femmes passent dans les rangées, dérangeant tout le monde (improviser en conséquence) hé oui, y'a encore des gens qui travaillent..
Jacqueline / Ça vous dérangerait de vous lever ?
Nadège / Vous voyez pas qu'on bosse ?
Jacqueline / Moi je te l'dis, les gens ont un culot incroyable.
Nadège / (A un spectateur) Chez vous, c'est vous qui faîtes le ménage ?
Jacqueline / (Selon la réponse) «Ça doit être bien fait». Ou «C'est ça, on va t'croire»
Nadège / (A un autre spectateur) Vous n'êtes pas dans votre canapé !
Jacqueline / (En soupirant) On n'est pas couchées.
Nadège / Bon moi j'en ai marre. Je n'travaille pas dans ces conditions.
Jacqueline / T'as raison. On n'est peut-être pas des stars, mais on n'est pas des bonniches non plus.
Nadège / Je vais voir le directeur (Ou la directrice)
Jacqueline / Il (Ou elle) est arrivé ?
Nadège / J'espère parce que moi je sais pas ce qu'on va faire de ceux là.
Nadège et Jacqueline montent sur scène
Jacqueline / C'est comme chez le docteur, ça fait salle d'attente, non ? .. Vous avez tous attrapé la même chose ? La «maximatose ? Sinon, vous avez déjà vu la pièce ? .. Moi j'l'ai vue.. Les comédiens, c'est vraiment des tocards. En plus, quand ils jouent y'a des faux spectateurs dans la salle qui rient exprès, même quand c'est pas drôle.
Nadège / Et c'est jamais drôle.
Jacqueline / Des fois ils sont obligés de montrer des pancartes. (Elle les montre au public : «Riez» «Applaudissez» Tiens on va faire un essai. (Elle montre les pancartes et les gens réagissent en conséquence. Improviser s'ils ne réagissent pas). On prend des pancartes, parce que des fois, si c'est pas les comédiens qui sont nuls..
Nadège / C'est l'public !
Scène 2 : Nadège / Jacqueline / Directeur
Le Directeur entre et voit la salle, angoissé.
Nadège / (Chuchoté) En plus, ils n'ont pas l'air sympa.
Directeur / Messieurs dames.. Merde.. Euh.. Bonsoir.
Nadège / (Pas aimable) Vous pouvez répondre ? Le directeur, il a dit bonsoir !
Le public répond ou non
Directeur / On a un problème.
Nadège / C’est vous !
Directeur / Ce soir c'est le montage final du décor. Et le montage du décor ça n'se passe pas avec du public...". Alors vous allez.. Comment dire..
Nadège / Vous allez vos bouger les fesses et dégager !
Directeur / Ça ne va pas de parler comme ça !
Nadège / Faut bien, ils comprennent rien.
Jacqueline / Ça ne sert à rien. Je les connais ces gens là. C'est comme mon bonhomme dans l'canapé ; quand il a décidé de pas bouger, ça bouge plus.
Directeur / (Au public) C'est le Directeur qui vous parle.
Nadège / (Crié) C'est le Directeur !
Directeur / C’est bon, c’est bon.
Jacqueline traduit avec des gestes de la main (langage sourd muet personnel)
Directeur / On ne joue pas ce soir !
Jacqueline traduit
Directeur / Vous ne pouvez pas rester !
Jacqueline traduit
Nadège / Ils bougent pas.
Directeur / Merde.. merde, merde.
Jacqueline traduit
Nadège / C'est peut-être des étrangers.
Directeur / The theater is closed !
Nadège / Das Theater ist kaputt
Jacqueline traduit par «Dehors !»
Directeur / Ils commencent à m'énerver.. (Il sort son téléphone)
Nadège / Qu'est-ce que vous faîtes ?
Directeur / Allo, la police ? Ici c'est le théâtre. Oui.. Y'a du monde merci. Seulement ce soir, on ne joue pas.. Et c'est plein. En plus, les gens ne veulent pas partir.. Oui.. C'est ça. Si vous pouviez.. Vous envoyez quelqu'un ? Très bien. Merci.
Directeur / (Il raccroche) Ils vont voir qui c'est qui commande ici.
Nadège / Y'en a qui rigolent..
Directeur / Ils vont moins rigoler tout à l'heure.
Nadège / Qu'est-ce qu'on fait en attendant?
Directeur / Vous vous démerdez.
Le Directeur part dans les coulisses
Scène 3 : Nadège / Jacqueline
Nadège / (Au public) Ce serait mieux que vous partiez. De toutes façons, vous ne raterez rien, le spectacle est nul.
Jacqueline / Nous on l'a vu vingt fois, on n'a toujours pas compris.
Nadège / Forcément, c'est du théâtre contemporain, et le théâtre contemporain, c'est quand tu comprends rien.
Jacqueline / Ça m'étonne pas ; paraît que l'auteur picole.
Nadège / Et le décor, c'est n'importe quoi !
Jacqueline / Les costumes, pareil ! Ils ont plein de trous.
Nadège / Comme les comédiens.
Jacqueline / Ils jouent comme des patates !
Nadège / Et ils jouent que des navets.
Jacqueline / En plus, ils sont moches !
Nadège / Ils ont trente ans de plus que sur l'affiche !
Jacqueline / Ils postillonnent.
Nadège / Ils ont mauvaise haleine.
Jacqueline / Ils ne s'lavent pas les pieds.
Nadège / (Elle regarde dans le public) Y'en a pas un qui bouge..
Jacqueline / (Elle crie) Les voitures immatriculées dans le département (Donner le numéro des départements de la région) gênent le passage. Les propriétaires sont priés de les dégager immédiatement sous peine d'enlèvement ! … Alors ?
Nadège / Attention on va faire la quête !
Jacqueline / J'ai une idée ! (Elle fouille dans une poche de sa tenue et sort une fourchette) Une fourchette ! … (Elle fouille encore) Et une assiette ! (D'un air sadique, elle regarde le public comme si elle allait gratter l'assiette avec la fourchette) .. Attention ! On rigole plus !
Nadège / T'es malade ! Je supporte pas ça.
Jacqueline / Justement ! (Elle regarde à nouveau le public et s'amuse à s'apprêter à gratter l'assiette avec la fourchette)
Nadège / De la musique ! (Sur un ton très posé) Mesdames, mesdemoiselles messieurs, dans le cadre de nos soirées «Soyons mélomanes», nous allons vous interpréter..
En même temps elles se mettent des boules quiès dans les oreilles
Jacqueline / Une petite musique de nuit. (Elles prennent le balai comme si c'était une guitare).
Nadège / Ouais ! Envoie la sauce !
Pendant quelques secondes, on entend une musique de rock métal pendant que les deux femmes parodient ce gendre de concert. Elle sont prises dans leur délire. A la fin, lorsque la musique s'arrête, elles regardent le public.
Jacqueline / Ils sont encore là.
Nadège / On est tombées sur des sourds.
Jacqueline / (Elle brandit son balai) Le dernier qui sort nettoie la salle !
Nadège / Et ça, c'est pas un aspirateur !
Jacqueline / Bon. Qu'est-ce qu'on fait ?
Nadège / Et ben, notre boulot.
Ensuite, pendant environ trente secondes, elles improvisent un balai en se croisant tels le taureau et le toréador au son d'un paso-doble. Sinon elles peuvent chanter un paso-doble en faisant cette danse. En se croisant, elles crient Olé.
Scène 4 : Nadège / Jacqueline / Hector
Hector entre du fond de la scène. En le voyant, les deux femmes s'écrient.
Nadège et Jacqueline / Hector !
Hector / Lui-même. Hector, le roi du décor !
Nadège / T'es au courant ?
Hector / Le Directeur est sens d'ssus dessous. (Il regarde le public) Alors c'est eux. Ils n'ont pas l'air bien terribles. .. (Au public) Bonsoir..
Nadège / Faut pas leur parler.
Hector / Excusez-moi, mais le public ça se respecte. On ne peut pas les laisser repartir sans avoir rien vu.
Jacqueline / Ils n'avaient qu'à pas s’gourer.
Hector / Et si jamais ils demandent qu'on les rembourse
Nadège / Ils vont quand même pas nous faire ça.
Jacqueline / (Chuchoté) C'est vrai qu'ils ont l'air radins..
Nadège / J’ai une idée ; on leur fait un petit numéro, et après ils partent. (Au public) On vous fait un p’tit numéro et après vous vous tirez ! D'accord ?
Le public répond ou non.
Jacqueline / Qu'est-ce qu'on va faire ?
Hector / Un strip-tease !
Nadège / Ca va pas ?
Hector / Y'a des gens qui aiment ça.
Nadège / Tu n'vas pas faire un strip-tease ?
Hector / Ils ont bien le droit de voir le corps d'Hector. Hector ! Les ..
Jacqueline / (Elle crie) Doigts en or !
Hector commence à enlever sa veste
Nadège / Non ! (Elle se met devant lui en écartant les bras)
Hector / Ils en ont vu d'autres !
Jacqueline / Remarque, ça pourrait les faire partir.
Hector / Je n'suis pas assez bien pour eux ?
Nadège / C'est pas ce qu'on a voulu dire.
Hector / Tant pis pour eux, je vais raconter une histoire de Toto. (Au public) Vous aimez les histoires de Toto ?
Jacqueline / Dîtes non !
Le public dit oui ou ne dit rien
Hector / Bien. Alors, c'est Toto..
Nadège / Pas une histoire de Toto ! D'accord, ils n'ont pas l'air très fins, mais quand même, Toto...
Hector / Et la liberté de l'artiste !
Jacqueline / Oh. On va l'aider. J'ai ce qu'il faut !
Elle va prendre des pancartes : Riez, Applaudissez..) Hector ne les voit pas. Pendant l'histoire, elle les montre au public.
Hector / Alors ! C'est Toto qui est à l'école.
Pancarte «Riez»
Hector / A la grande école. Enfin l'école pour les petits. Parce que vous avez l'école maternelle, l'école primaire, le collège, le lycée...
Jacqueline / Abrège !
Hector / Alors, la maîtresse de Toto demande à ses élèves d'apprendre pour les nombres de 0 à 10.
Pancarte «Riez»
Hector / Le soir, Toto mange un œuf avec des patates, de la viande et un dessert. (Au public) Vous suivez ? Alors le lendemain, la maîtresse demande à Toto de réciter les nombres.
Pancarte «Riez»
Hector / Et Toto récite les nombres qu'il a a appris. Un Deux Trois Quatre Cinq Six Sept ! Huit ! Et il s'arrête. Alors, la maîtresse, elle demande à Toto. Mais le neuf, il est où le neuf, Toto ? (Au public) Alors il est où ? Et Toto lui répond. Le neuf, je l'ai mangé hier soir ! Ah ah ah !
Pancarte «Applaudissez»
Hector / J'en connais une autre mais avec dix huîtres. Dix huit ! (Il crie) Dix huit !
Jacqueline / (Crié) Dix huîtres !
Nadège / Ça va, je crois qu'ils ont compris.
Hector / Ils me méritent pas.
Jacqueline / Personne te mérite.
Hector sort
Nadège / Il est vexé.
Jacqueline / A mon avis il va arrêter sa carrière.
Nadège / Son problème c'est qu'il est timide.
Jacqueline / On croirait pas à l'voir. En plus il est amoureux
Nadège / Amoureux ?
Jacqueline / D'une femme..
Nadège / Non ?
Jacqueline / Si. Roberta..
Nadège / Roberta ? Roberta Rembal ?
Jacqueline / Et oui. Devant Roberta Rembal, tout l'monde s'emballe ! Seulement, pour Hector, c'est un amour impossible. Elle n'en veut pas.
Nadège / Roberta, c'est quand même la vedette du spectacle, elle ne va quand même pas se taper le gars qui s'occupe du décor.
Jacqueline / Elle se tape tout c'qui passe, elle n'est pas à ça près.
Nadège / Pauvre Hector.. On y est peut-être allé un peu fort.
Jacqueline / T'as pas tort. (Elle crie vers les coulisses) Hector ! T'es l'plus fort !
Nadège et Jacqueline / Hector ? Hector ?
Les deux femmes sortent pour retrouver Hector
Scène 5 : Directeur / Policier
Directeur / (On les entend discuter derrière le rideau) Vous avez fait vite !
Policier / Chez nous, on des rapides. Alors, il se passe quoi exactement ?
Directeur / La salle est pleine, mais y'a pas de spectacle ce soir.
Policier / Donc c'est une manifestation.
Directeur / Ils ne veulent pas bouger.
Policier / Ok. Je m'en occupe.
Directeur / Je savais que je pouvais compter sur vous.
Le policier et le directeur entrent sur scène (Le Policier est sur-équipé (Bouclier, porte-voix, appareil photo, casques, matraque, radio, etc..)
Policier / Donc ils vous ont pris en otage.
Directeur / Pas du tout, ils croient qu'on va jouer pour eux. Seulement, Ils sont venus une journée en avance.
Policier / Donc ils avaient peur de rater le début. Et donc, c'est vous qui les avez pris en otage.
Directeur / Pas du tout ! Aujourd'hui, c'est fermé.
Policier / Alors comment ils sont rentrés ?
Directeur / C'est fermé ! On ne joue pas ! Faut qu'ils foutent le camp.
Policier / Donc vous préférez jouer sans public. Et donc, faut les faire sortir.
Directeur / C'est ça, faut qu'ils se barrent !
Policier / Ok ! Reçu cinq sur cinq ! Ca va pas traîner..
Directeur / Vous êtes venu tout seul ?
Policier / Et oui. Les collègues sont partis évacuer la classe de maternelle. Y’a une manif à la maternelle.
Directeur / Mais ils sont plus nombreux que vous ?
Policier / Ce qui compte c'est pas le nombre, c'est la qualité.
Directeur / Me les abîmez pas trop ; faudra qu'ils reviennent.
Policier / (Il siffle puis s'adresse au public avec un porte voix) Messieurs dames ! Police nationale ! Vous vous trouvez actuellement dans un lieu privé, non ouvert aujourd'hui, mais qui le sera demain. .. Donc ! Il s'agit d'un attroupement, de plus non déclaré. .. Donc ! En vertu du décret loi du 23 Octobre 1935 et de la l'article 431.3 du Codé Pénal, je vous demande de bien vouloir quitter immédiatement la salle, dans l'ordre des places assises et sans violence ! .. Compris ? J'attends..
Quelques secondes interminables passent
Policier / Je vais pas me répéter !
Quelques secondes après
Policier / S'il vous plaît.
Quelques secondes après
Directeur / Vous voyez, c'est des extrémistes.
Policier / Bien ! (Il appelle ses supérieurs) Allô chef ! Ici Alpha 27. Alpha 27 .. Oui, Vincent. Alors Chef ? Donc je suis au théâtre ! .. Comment qu'est-ce que j'fous au théâtre ? C'est vous qui m'avez envoyé. Ok. Donc y'a un problème. .. Ils veulent pas sortir. .. Comment ? .. Parce que la pièce est bonne ? Mais non. Y'en a pas !.. Ok. Reçu cinq sur cinq. A vos ordres chef ! … Ca va chier. .. C'est qui ? Le meneur ? … Pas lui ; il a une tête de mouton. (Au public) C'est qui ? … (A son chef) Ils savent pas. Donc je m'en occupe (Il raccroche) (Au public) C'est qui, la meneuse ? .. Ok.. On veut jouer au plus con.. On va perdre. Attention, je vais compter jusqu'à trois, et quand je serai arrivé à trois, je vais charger. Attention ! Je compte. 1 ! …. Parce que moi, faut pas m'chercher ! J'vais vous calmer moi !
Quelques secondes interminables passent
Policier / Un ! …... Deux ? …. Ok.. Des «acharnistes». Je connais.. La dernière fois, on avait compté jusqu'à trois, ils comptaient avec nous. Ca nous a pas fait rire. Attention ! Je recompte ! 1 ! (Le public compte avec lui. Panneau avec un 1 qui apparaît au fond de la scène) 1 ! Ah d'accord. On veut jouer.. 1 ! 2 ! .. (Panneau 2) 2 et demi ! J'aime la plaisanterie, mais faut pas que ça dure. Attention !
Directeur / Stop !
Policier / Je fais mon boulot.
Directeur / Je sais, mais si vous chargez, ils vont tout casser. Et déjà le théâtre, ça va mal, alors, ce serait mieux de ne pas trop les provoquer. Vous savez, y'a des public capables de tout.
Policier / La loi c'est la loi !
Directeur / Oui mais moi je suis le Directeur du théâtre.
Policier / Et pourquoi vous les encouragez ?
Directeur / Pas du tout ! Mais si vous les tapez, ça fera de la mauvaise publicité.
Policier / Les chefs, ils m'ont dit de pas hésiter.
Directeur / Vous seriez tellement gentil..
Policier / Gentil, j'ai pas l'habitude.
Directeur / Oh. Vous aimez le théâtre ?
Policier / Je peux pas l'saquer.
Directeur / Et Roberta Rembal !
Policier / Vous savez, moi le handball.
Directeur / Mais non ! Roberta Rembal ! Elle a joué partout. La grande comédienne.
Policier / Ah bon ?
Directeur / Et bien, Roberta Rembal, je pourrais vous la présenter..
Policier / Attendez.. Roberta Rembal ! Roberta Rembal ! Roberta Rembal !
Directeur / Vous la connaissez ?
Policier / Non.
Directeur / Vous l'avez sûrement vue un jour. Elle était dans les calendriers.
Policier / C'est une sainte ?
Directeur / Non. Dans les calendriers. En maillot d'bain. Bon ça fait un moment qu'elle n'y est plus, mais elle, c'était toujours au mois d'août.
Policier / Ah oui ! Le mois d'août ! Ah ben oui que je la connais !
Directeur / Si vous voulez, je peux même vous la présenter..
Policier / Comme dans le calendrier ?
Directeur / C'est un théâtre ici. On ne peut pas tout montrer.
Policier / Je pourrai lui parler ?
Directeur / Elle ne demandera pas mieux. Elle adore parler avec des admirateurs.
Policier / Je pourrai faire une photo avec elle ?
Directeur / Elle sera ravie. Roberta Rembal est très proche de son public.
Policier / C'est comme nous ! Dans la police, on est toujours très proche du public
Directeur / C'est formidable. Donc vous restez.
Policier / Si c'est pour les calendriers, je peux peut-être faire jouer mon droit de «circonspequetion».
Directeur / Circonspection ?
Policier / Je circonssepecte. Tu circonssepectes. Nous circonspequetons. Ca veut dire que dans les cas d'urgence, et en fonction de l'attitude pas comme d'habitude des délinquants, je suis autorisé à improviser.
Directeur / Improviser ! Justement, au théâtre, on improvise beaucoup. Vous improvisez, et vous surveillez, au cas où il y'aurait des débordements.
Policier / Avec moi, ça déborde jamais !
Directeur / Comme ça, si ça tourne mal, vous pourrez intervenir.
Policier / Exact ! Reçu cinq sur cinq ! Et je vais commencer par une tournée générale.
Directeur / Une tournée ?
Policier / D'inspection. Quand on circonspecte, on inspecte.
Le Policier va dans les coulisses. Le Directeur prend son téléphone
Directeur / Allô Roberta ? J'ai besoin de toi. .. Je t'expliquerai mais faut absolument que tu viennes au théâtre. .. Comment ça, tu regardes une merde à la télé. J'ai besoin de toi ! .. Faut que tu t’habilles ?
Policier / (Il sort la tête de derrière le rideau) C’est pas la peine ! A poil !
Directeur / Non. Viens comme tu es. Une tenue très simple. C'est ça, je compte sur toi. Je t'envoie Hector. Tu me sauves la vie. (Il raccroche) Bisou.. Pétasse..
Scène 6 : Directeur / Hector / Spectateur
Pendant ce temps, Hector s'est approché et se tient juste derrière lui.
Directeur / Hector ?
Hector / (Il crie) Présent !
Directeur / (Il sursaute) Tu veux ma mort ?
Hector / On va jouer ?
Directeur / Je n'sais pas.
Hector / Peut-être qu'ils vont revenir demain.
Directeur / T'as raison, je vais leur demander (Au public) Euh.. Messieurs-dames, vous pouvez revenir demain ou faut qu'on vous rembourse ?
Spectateur / Remboursez !
Directeur / (A Hector) On va jouer. Le théâtre est quasiment en faillite. Le propriétaire veut vendre à un promoteur immobilier.
Hector / Un promoteur immobilier ? Pour quoi faire ?
Directeur / Un supermarché.
Hector / Un supermarché ! Comme ça, on aura moins loin pour faire les courses en sortant du boulot.
Directeur / Tu comprends pas ? Ca veut dire qu'il n'y aurait plus de théâtre ? Je perdrais mon boulot
Hector / Et moi ?
Directeur / Je perdrais mon boulot. Tu t'rends compte ? (Au public) Vous préférez garder un théâtre ou avoir un supermarché ?
Spectateur / Un super !
Directeur / Bon, va chercher Roberta. Surtout, tu ne lui dis rien Elle serait capable de refuser de venir.
Hector / (Content) Elle va jouer. Et les autres ?
Directeur / Les autres on leur dit rien. Je peux pas payer tout l'monde.
Hector / Madame Roberta, elle va jouer jouer gratuitement ?
Directeur / J'en sais rien, mais je vais trouver. Va la chercher.
Hector / Ouais ! Je vais chercher madame Roberta.
Hector sort
Scène 7 : Directeur / Alfred Lamper / Spectateur, Spectatrice
Spectateur / Ça commence quand ?
Directeur / Avant la fin d'l'année.
Spectateur / (A sa femme à côté de lui) T'as entendu ? Il se fout de ma gueule.
Spectatrice / Ferme la.
Alfred / (Il entre, du fond de la salle, très remonté. Il est très théâtral) Qu'est-ce que j'apprends ?
Directeur / (Grommelé) Non ! Pas lui.
Alfred / Mais si ! On m'a prévenu. J'ai toujours des admirateurs qui me préviennent. .. Alors comme ça, on essaie de se passer de moi. (Il regarde le public) Du public ? .. Mon public ! Mon public a fait le déplacement, et il ne me verrait pas ?
Directeur / Ils se sont trompés de soir.
Alfred / Prends moi pour une courge. Il est où, mon remplaçant ?
Directeur / T'as pas de remplaçant ? Ce soir, on ne joue pas.
Alfred / Le public ne se déplace jamais pour rien. (A une spectatrice) Vous êtes venue pour moi ? … (Si elle ne répond pas, il lui chuchote : «Répondez pour voir Alfred Lampère .. C'est moi.. (La spectatrice répond). Vous voyez ! La vérité sort toujours d'une bouche innocente ! Vous avez la bouche innocente ?
Directeur / Y'a pas de spectacle ! Y'a eu une erreur dans l'journal. Ils se sont trompés de date !
Alfred / Une erreur dans l'journal ? Alors, pourquoi ils restent ?
Directeur / Ca doit être pour m'emmerder.
Alfred / Ah j'ai compris, vous ne pouvez pas venir demain. Vous avez autre chose ? Un mariage ? Un repas de famille ? Un concours de belote ?
Directeur / J'ai essayé de les faire partir, y'en a pas un qui bouge.
Alfred / Au contraire ! On ne peut pas laisser des gens qui viennent ici pour rêver de moi, partir sans m'avoir vu jouer.
Directeur / En même temps...
Alfred / Attention aux paroles de trop ! Je peux très bien me vexer et refuser de jouer.
Directeur / Ca m'étonnerait.
Alfred / Du théâtre, encore du théâtre, toujours du théâtre !
Directeur / J'ai appelé Roberta.
Alfred / T'as appelé la vieille ?
Directeur / Elle saura quoi faire, elle. Elle peut tout jouer.
Alfred / Il appelle Roberta et il ne m'appelle pas. Mais moi aussi, je peux tout jouer. Je peux jouer n'importe quoi !
Directeur / (Très blasé) Je sais...
Alfred / J'ai joué tous les grands classiques. Tout le monde s'en rappelle.
Directeur / Ça c'est sûr.
Alfred / Ça veut dire quoi ?
Directeur / Qu'ils ne sont pas près d'oublier.
Alfred / Ah oui ! Les critiques ! Mais s'il fallait écouter les critiques, personne n'irait au théâtre. Non. Pour venir au théâtre, il faut avoir une âme d'enfant, ouvrir son cœur, comme on ouvrirait ses yeux. Comme un nouveau né. Le meilleur public au théâtre, c'est ceux qui ne savent pas lire. (A un spectateur ou spectatrice) N'est-ce pas ?
Directeur / Roberta Rembal n'a jamais eu de mauvaises critiques !
Alfred / Forcément ! Elle couche ! Elle a toujours couché ! Avec les critiques, les journalistes, les producteurs, les directeurs de théâtre, ils y sont tous passés. Même le videur, elle est capable de coucher avec pour pas que les gens se barrent ! Y'a qu'avec moi qu'elle n'a pas couché. Je m'demande bien pourquoi.
Directeur / Roberta, c'est quand même notre grande vedette.
Alfred / Féminine ! Mais la vedette masculine, c'est qui ? (A un spectateur, sur un ton pas aimable) Hein, c'est qui ? … C'est moi ! Alfred Lampère. (Il monte sur scène et s'adresse au public) Vous en voulez du théâtre ; je vais vous en r'filer, moi du théâtre ! (Il crie) Vous aimez le Cid ? .. Et bien moi, Alfred Lampère, je vous ai fait une petite parodie.
Directeur / Et ben vlà autre chose
Alfred / Ah ah ah ah ! Oui ! Moi aussi je sais rire ! Hum hum.. D'après Corneille, le Cidre !
Directeur / Le quoi ?
Alfred / Le cidre !
Il récite sa tirade, grandiloquent, comme dans le grand théâtre classique, en surjouant.
«Ô rage ! Tu me sers du jus d'poire ! Ooh : Qu'as tu fait mon amie ?
N'ai-je donc tant vécu que pour boire ceci ?»
Directeur / Tu n’vas pas jouer ça quand même !
Alfred / J'vais m'gêner.
«Et que n'ai-je cueilli dans de jolis pommiers !
N'ai-je fait ça pour des prunes ? Est-ce ma destinée ?»
Directeur / (Il crie vers le public) C'est nul !
Alfred / J’m’en fous, je continuerai.
«Mon bras, qu’avec respect toutes les femmes admirent ;
Mon deuxième bras et mes mains qui sont faites pour cueillir.
Ah ! Qu'il soit bouché ou doux, qu'enfin il me console.
Qu'il apaise mon courroux, .. J'en boirai bien un bol».
Scène 8 : Directeur / Alfred Lamper / Policier
Le Policier entre.
Policier / (Avec un porte-voix) Ici la police nationale ! Je vous ordonne de vous arrêter !
Alfred / «Ô cruel souvenir de mon breuvage aimé ! Du jus d'poire, y'a pas pire pour me le regretter».
Policier / Attention ! Je vais charger.
Alfred / Mais qui est donc ce curieux freluquet qui vient et qui me nargue ? Je n'en ferais qu'une bouchée.. Avec de la moutarde !
Directeur / C'est la police ! Il est venu pour nous aider.
Alfred / Je n'ai besoin de personne en.. Harley Da ? ... Euh... Ni que l'on me sermonne !
Policier / Mais qu'est-ce qu'il dit ?
Directeur / Rien du tout, c'est du théâtre !
Alfred / Parce que, insultes à un représentant de l'autorité, c'est pas autorisé. (Avec son porte-voix) Ici c'est la police ! … Euh .. Française !
Alfred / A un grand tragédien, on envoie la police,
Un sombre, un moins que rien, caché dans les coulisses,
Policier / Je vais pas me calmer..
Alfred / Laissez au moins monsieur me finir cette tirade
Sinon ces pauvres gens en tomberaient malades ;
Car c'est ça le théâtre, un petit bout de moi.
C'est ainsi que je parle, et que parlaient les rois.
Il salue le public. Une pancarte «Applaudissements» apparaît au fond de la scène.
Alfred / Ah la vache ! Quand on est bon, on est bon.
Policier / Il m'a traité de con ?
Directeur / Il a dit bon. Faut pas faire attention
Policier / Parce que s'il a dit un truc qu'il fallait pas dire, faut l'dire !
Alfred / Monsieur ! La culture, ce n'est pas la censure !
Policier / (Énervé) Mais c'est quoi qu'il dit ?
Alfred / La culture ! Voyez ces pauvres gens, il faut bien que je les cultive ! Vous aimez les navets ?
Directeur / (A Alfred) On va se calmer. Venez dans les coulisses.
Alfred / Qu'irai-je faire en coulisses (Regardant le public) quand ma place est ici.
Directeur / Boire un coup.
Alfred / Un coup d'cidre ?
Policier / Et un coup d'matraque ?
Directeur / (Au policier) Plus tard. C'est promis.
Alfred / Alors si c'est pour boire..
Le Directeur et Alfred sortent, suivis du policier
Policier / Je ne bois jamais pendant l'service !
Directeur / Jamais ?
Policier / Sauf en cas d'urgence.
Scène 9 : Nadège / Jacqueline
Jacqueline et Nadège reviennent, en maugréant.
Jacqueline / Vous êtes encore là ?
Nadège / Ils doivent drôlement s'enquiquiner chez eux.
Jacqueline / Faut pas les laisser tout seuls, qu'il a dit l'autre.
Nadège / Tu verras, ils seront encore là à Noël
Jacqueline / (Elle voit un spectateur puis parle en baissant la voix) Oh ! Regarde là !
Nadège / Où ça ? Où ça ?
Jacqueline / Mais si. Là ! Regarde mais discrètement. Regarde comme si tu ne l'voyais pas
Elles se retournent en même temps
Nadège / Elle tourne la tête) La vache ! Brad Pitt ! (Ou autre) Brad Pitt à ….... (Donner le nom de la commune où a lieu le spectacle)
Jacqueline / (En lui indiquant une autre personne) Et celui-là !
Les comédiennes choisissent les noms de personnalités célèbres (Celles données ici le sont à titre d'exemple)
Nadège / Patrick Bruel ! Qu'est-ce qu'il a changé.
Jacqueline / François Mitterand.
Nadège / Ah ben non il est mort.
Jacqueline / Il a l'air de s'emmerder.
Nadège / A cet âge là, ce serait bien mieux couché.
Jacqueline / Sharon Stone !
Nadège / Carla Bruni !
Jacqueline / Il est où Nicolas ?
Nadège / Emmanuel Macron !
Jacqueline / T'es sûre ?
Nadège sort une paire de jumelles de son tablier
Nadège / En tout cas, il y ressemble.
Jacqueline / Donne ! (Elle regarde à travers les jumelles)
Nadège / C'est incroyable. Le tout …..... (Dire le nom de la commune) est venu)
Jacqueline / Et celui-là, c'est qui ?
Nadège / Rambo !
Jacqueline / Il est pas plus vieux que ça, d'habitude ?
Nadège / Il a dû faire un lifting.
Jacqueline / Et l'autre là, t'as vu la tête qu'il a ?
Nadège / C'est sûrement le maire, il a une vraie tête de maire.
Jacqueline / Même le maire est venu.
Nadège / J'espère qu'il a payé sa place..
Scène 10 : Nadège / Jacqueline / Journaliste
Un (ou une journaliste) entre et marche entre les allées.
Jacqueline / Et ça, c'est qui ?
Nadège / J'en sais rien, mais en tout cas, ça fait pas rêver.
Jacqueline / (Au journaliste) Vous êtes qui ?
Journaliste / Je suis grand reporter aux échos de la Gazette. Je viens pour le spectacle. Mais c'est commencé ! Je n'aurais jamais dû arriver en retard.
Nadège / Y'a pas de spectacle.
Journaliste / (Montrant le public) Et ça c'est quoi ?
Nadège / C'est une erreur.
Journaliste / Les gens ne se déplacent jamais pour rien, et moi non plus. (A un spectateur) Vous êtes venu parce que y'avait de la lumière ?
Jacqueline / On vous dit que y'a pas de spectacle ! Vous êtes bouché ou quoi ?
Journaliste / Non. Je suis grand reporter aux échos de la Gazette, mais comme ça ne paye pas dur, je fais aussi de la peinture, mais je peins que des murs. Mais moi, mon rêve à moi, c'est un jour d'être livreur à domicile. Parce que j'adore voyager.
Nadège / (Elle crie) Y'a pas de spectacle !
Journaliste / Vous faîtes grève ? Alors là c'est génial. C'est un scoop. Et vous faîtes grève pourquoi ?
Jacqueline / On fait pas grève, c'est à cause de vous.
Nadège / A cause de votre journal. Vous vous êtes gouré dans la date.
Journaliste / Ca, c'est pas possible.
Jacqueline / Vous avez annoncé le spectacle de demain pour ce soir. Résultat, tout le monde est venu en avance.
Journaliste / Ah bon ? Alors là, ça doit être un coup du bureau. On peut plus faire confiance aux petites mains. Et donc là, vous ne pouvez pas jouer ?
Nadège / Nous, on peut pas. On est le personnel de ménage.
Jacqueline / Le petit personnel. Les obscures, les moins que rien, les sans grade..
Journaliste / Et donc, y'a pas de comédiens.
Nadège / C'est incroyable, il comprend !
Jacqueline / Ils sont pas tous bouchés dans le journalisme.
Journaliste / Donc ce soir, y'a pas de spectacle. Et le public ? Pourquoi il reste ?
Nadège / Il ne veut pas partir.
Jacqueline / Alors que d'habitude, quand la pièce a commencé, au bout d'un quart d'heure, tout le monde se barre.
Journaliste / Mais pourquoi ils restent, puisqu'il n'y a rien à voir ? .. Je sais ! Y'a un pot après !
Jacqueline / On n'a pas d'pot !
Journaliste / Alors ça c'est un scoop ! Un spectacle où y'a pas de spectacle. Je vais faire une photo.
Nadège / On va être dans l'journal !
Journaliste / Pas vous. Le public ! Ils sont plus nombreux.
Le journaliste monte sur scène et se met face au public
Journaliste / Vous pouvez vous rapprocher au milieu ?
Jacqueline / Ils peuvent pas, ils ont les fesses collées au siège !
Journaliste / D’accord.. Attention ! Personne ne bouge ! Souriez ! (II prend la photo) Y'en a qu'un pas souri. On r'commence. Un ! Deux ! Trois ! Ouistiti sex ! Non. Criez Ouistiti sex ! (Il crie) Vous allez sourire, oui ! Un deux trois ! Et voilà c'est dedans.
Jacqueline / Pourquoi vous nous prenez pas en photo ?
Nadège / On n'est pas assez bien pour le journal ?
Journaliste / J'ai des ordres. Je prend toujours le public en photo. Ca en fait plus pour acheter le journal.
Jacqueline / Et pourquoi ça ?
Journaliste / Et bien, les gens disent toujours : «Y'a rien dans l'journal». Mais s'ils sont sur la photo, ils peuvent pas dire que c'est faux puisqu'ils sont dans le journal.
Nadège / Et donc ils l'achètent.
Journaliste / Ils l'achètent et ils encadrent la photo. Et tout ça, grâce à moi.
Jacqueline / Moi ma grand-mère, dans sa vie, elle a été qu'une fois dans l'journal !
Nadège / Elle était en première page ?
Jacqueline / Ben non. Dans la page obsèques. En plus, ça servait à rien, elle savait pas lire.
Journaliste / Et donc, vous allez faire quoi maintenant ?
Nadège / On sait pas, mais le chef a dit qu'il fallait qu'on surveille.
Jacqueline / Et y'a pas de raison qu'on reste debout alors que tout l'monde est assis.
Elles s’assoient face au public
Journaliste / Je peux ?
Nadège / Profitez c'est gratuit.
Jacqueline / On est quand même mieux assis.
Nadège / On serait encore mieux couchées. Dis.. Tas vu.. les têtes qu’ils ont.. Ils ont l'air fatigués.
Jacqueline / Ca me rappelle quand j'étais à la crèche.
Nadège / Quand t'étais bébé ?
Jacqueline / Non. J'étais éducatrice. Et je peux te dire. Y'avait une bande de mioches, une dizaine, ça bougeait plus qu'ici.
Nadège / Là, ça fait plutôt maison de retraite.
Jacqueline / (Au public) Vous avez eu votre tisane ?
Journaliste / Vous êtes bien assis ?
Nadège / Vous voulez un petit oreiller ?
Jacqueline / Ca r’mue pas beaucoup.
Journaliste / .. Si ça s'trouve, y'en a qui sont morts..
Scène 11 : Nadège / Jacqueline / Journaliste / Spectateur / Spectatrice
Jacqueline / Ca va ?
Un spectateur lève la main.
Spectateur / J'ai une question ?
Nadège / Y'en a un qui veut poser une question. Qu'est-ce qu'on fait ?
Jacqueline / J'en sais rien. (Au spectateur) C'est pour quoi ?
Spectateur / C'est où les toilettes ?
Spectatrice (A côté du spectateur) T'es malade ! Tu veux nous faire remarquer.
Spectateur / Et alors ! J'ai l'droit.
Jacqueline / C'est au fond d'la salle. Vous voulez aller aux toilettes ?
Spectateur / Oui. Parce que votre spectacle, il me fait chier..
Spectatrice / Tu vas pas la fermer !
Spectateur / Et alors ! Si au théâtre on n'a pas le droit de dire c'qu'on pense, où c'est qu'on va l'faire ?
Nadège / Monsieur.. je vous en prie. Le spectacle..
Spectateur / Un spectacle, ça ? On comprend rien !
Spectatrice / Tu comprends jamais rien ! C'est du théâtre contemporain. Et dans l'théâtre contemporain, on n'a pas besoin de comprendre pour apprécier.
Spectateur / Alors, ça doit être comme avec toi. J'te comprend jamais, sauf que j'ai du mal à t'apprécier.
Spectatrice / Mais si monsieur en a marre, qu'il foute le camp !
Spectateur / Ca te ferait bien plaisir mais non, j'ai payé, je reste !
Spectatrice / Je l'savais qu'en épousant un con, j'aurais des problèmes.
Spectateur / Comment ?
Jacqueline / Messieurs dames ?
Spectateur et spectatrice / De quoi j'me mêle !
Nadège / Va chercher l'directeur.
Jacqueline sort
Scène 12 : Nadège / Journaliste / Spectateur / Spectatrice
Spectatrice / Pour une fois qu'on sort, monsieur veut faire le malin.
Spectateur / On aurait pu regarder le feuilleton à la télé, mais non, faut qu'on vienne s'emmerder ici à cause qu'y paraît que c'est d’la culture.
Spectatrice / Je te fais remarquer que t'es pas tout seul.
Spectateur / Je l'sais bien qu'avec toi je suis pas tout seul..
Spectatrice / Oh mais si tu veux changer d'femme, te gêne pas. (Elle demande à une femme à côté d'elle) Vous l'voulez ? J'vous l'donne !
Spectateur / Excusez là, c'est ma femme, elle a pas pris ses calmants.
Spectatrice / (Elle se lève, montrant son mari) Qui qu'en veut ? État neuf. Presque jamais servi !
Spectateur / Tu vois, plus j’te regarde, et plus je me dis qu'on devrait faire un break.
Spectatrice / Un break ? Je croyais que tu voulais un camping car ?
Nadège / Monsieur ?
Spectateur / J'te cause ?
Spectatrice / Non mais t'entends comment qu'tu causes. Qu'est-ce que les gens vont penser d'nous ?
Spectateur / Je m'en fous ! Et puis les gens, ils sont sûrement pas comme toi. (Au public) Hein qu'c'est nul ?
Nadège / Monsieur ?
Spectateur / Remboursez !
Scène 13 / Policier / Directeur / Spectateur / Spectatrice
Le directeur arrive affolé.
Nadège / Il veut qu'on rembourse.
Directeur / Jamais !
Le policier entre, prêt à bondir.
Policier / Il est où ?
Spectatrice / C'est malin, tu vas t’faire taper d'ssus.
Spectateur / Tu comprends rien. C'est du théâtre. Au théâtre, ils font pas mal.
Policier / (Avec son porte-voix) Monsieur ! Veuillez sortir.
Spectateur / Je t'emmerde !
Policier / Vous me tutoyez ?
Spectateur / C'est ça, je suis mal poli.
Policier / Je vais charger !
Spectateur / Dégonflé !
Spectatrice / (A son mari) Mais tu vas la fermer !
Policier / Attention !
Spectateur / C'est du chiqué, mais faut reconnaître, il joue bien. .. Abruti !
Spectatrice / C'est un vrai policier !
Spectateur / C'est un faux. T'y connais rien en policiers.
Policier / Je compte jusqu'à trois..
Spectateur / Trois !
Policier / J'y vais !
Directeur / Je viens avec vous.
Le policier et le directeur descendent dans la salle.
Policier / Je vais taper.
Directeur / On ne tape jamais au théâtre ! Monsieur, si vous voulez bien venir..
Spectateur / J'ai payé, je reste !
Spectatrice / Mais fais ce qu'il te dit !
Policier / Je tape ?
Directeur / On tape pas !
Spectateur / Je veux voir le spectacle !
Directeur / (Excédé) Y'a pas de spectacle !
Spectateur / Je veux l'voir quand même !
Directeur / D'accord. Vous allez être sur scène.
Spectateur / En plus, vous allez m’faire jouer ! Je refuse de jouer si je ne suis pas payé.
Spectatrice / C'est pas la peine, il joue comme une vache !
Policier / Je vais taper, et pas pour du faux..
Directeur / (Il crie au policier) Calmez-vous ! (Au spectateur) Allez, vous n'allez pas vous donner en spectacle devant tous ces gens.
Spectateur / Les gens, je les emmerde.
Spectatrice / Tu vas la fermer ta gueule, malpoli !
Directeur / Voyons.. Messieurs dames !
Policier / Je tape ou je tape pas ?
Spectateur / Bon. Je viens, mais attention, y'a des témoins.
Directeur / Ne vous en faîtes pas, vous ne risquez rien.
Policier / C'est pas sûr...
Directeur / Pas taper ! Ca se fait pas ça.
Policier / Ca se fait pas, ça. C’est mon métier. Une vocation. Si je tape pas, je déprime.
Directeur / Vous feriez mieux de sortir.
Spectateur / (Crié) C’est ça. Barre-toi !
Policier / Juste un petit peu ?
Directeur / Non, vous pouvez pas.
Policier / C’est pas gentil. C’est pas du tout gentil.
Le policier sort. Le spectateur va sur scène
Scène 14 / Directeur / Spectateur / Spectatrice
Spectatrice / Et moi, je peux v'nir ? C'est quand même mon mari.
Spectateur / Qu'est-ce qu'on va faire sur la scène ?
Directeur / Rien, mais vous verrez mieux.
Spectateur / Ah ! Tu vois que y'a bien un spectacle.
Directeur / Non. Oui. Non. Bon. Venez avec moi.
Spectateur / J'ai compris ! On va faire le décor ! Tu t'rends compte, j'ai jamais fait un décor ! (Il suit le directeur et s'adresse au public, très fier) Hé les nuls ! C'est pas tout l'monde qu'est capable de faire un décor.
Tous montent sur scène
Spectatrice / Mais tout le monde va nous regarder !
Spectateur / Et alors ! T'as honte de mon corps ?
Directeur / Vous allez vous installer là-bas. Des chaises pour ces messieurs dames !
Les femmes de ménage leur donnent des chaises. Le spectateur et la spectatrice s'assoient au font de la scène
Spectateur / C'est quand même mieux d'ici.
Spectatrice / C'est malin, on va être dans l'journal.
Spectateur / Tu sais jamais apprécier.
Spectatrice / Ferme là.
Spectateur / Ok. Ok. (Il crie vers les acteur) Allez-y faîtes moi rire !
Spectatrice / Tu vas quand même pas leur apprendre à jouer
Spectateur / Je fais dix fois mieux si j'veux. Action !
Spectatrice / Oh le nul ! Action c'est quand c'est du cinéma.
Spectateur / C'est du théâtre comptant pour rien», on dit c'qu'on veut ! .. Action !
Scène 15 / Nadège / Jacqueline / Journaliste / Spectateur / Spectatrice / Roberta Rembal / Hector / Directeur / Policier
Roberta entre. (Robe du soir etc..) Elle est flanquée d'Hector qui porte d'innombrables paquets. Elle en fait des tonnes
Roberta / Je ne l'crois pas ! Non ! Vous y avez pensé ! Oh c'est trop. Hector ! Hector ! Prenez mon pouls !
Hector se précipite et prend son pouls.
Roberta / Ils y ont pensé. Mon anniversaire ! Mais ce n'est pas mon anniversaire. C'est vrai que c'est un secret d'état. Mais qu'est-ce que c'est gentil de me fêter. Mais c'est beaucoup trop ! (Elle envoie des baisers à tout le public) Moui moui moui.. Vous voulez un autographe ? Un selfie ? (Elle donne des photos et prend des sel-fies avec le public) Ils sont tous venus. Je me disais aussi.. Me faire jouer un jour où je ne joue pas, ce n'est pas normal.
Trompette pour annoncer l’entrée du soldat romain
Policier / (Il accourt avec un bouquet de fleurs. Il est habillé en soldat romain) C'est pour vous !
Roberta / Des fleurs ! Vous êtes trop mignon. Oh ! Ca mérite un bisou.
Policier / Je peux avoir un calendrier ?
Roberta / Un calendrier ? Qu'est-ce que c'est que ces calendriers ?
Policier / Si. Quand vous êtes sans.. Enfin.. Comme à la plage..
Roberta / Mais qu'est-ce qu'il raconte ?
Directeur / C'est rien, c'est l'émotion. Il est très émotif.
Roberta / Le pauvre, il est tout chaviré de me voir.
Policier / Je vous connais depuis que je suis tout petit.
Roberta / Il est habillé en soldat romain. Je vais jouer dans un Péplum ! Cléopâtre ! Je ne peux jouer que Cléopâtre.
Directeur Euh.. C'est pour ton anniversaire.
Roberta / C'est pas mon anniversaire.
Directeur / C'est ton anniversaire tous les jours.
Journaliste / Chère mademoiselle Roberta. Je suis grand reporter aux échos d'la Gazette.
Roberta / Les échos d'la Gazette ! C'est trop.
Journaliste / Ca vous fait quel âge ?
Roberta / J't'en pose des questions ?
Directeur / Roberta Rembal aura toujours vingt ans.
Roberta / (Coquette) Et demi, mon ami, et demi.
Directeur / Tu ne les fais pas.
Roberta / (Coquette) Menteur.. (ou menteuse) .. (Voyant le public) Et eux ! Ils sont tous là, mes admirateurs. (Elle crie vers le public) I love you ! Comment ça va ce soir ? …
Directeur / Répondez, merde !
Le public répond (sinon prévoir un panneau ou faire un signe que ça va bien
Directeur / Ma chère Roberta. Oui. (Il fait signe au public) Joyeux anniversaire ! Joyeux anniversaire !
Policier / (Crié) Chantez !
Tout le monde chante (le public aussi) Joyeux anniversaire etc.
Roberta / Je suis.. Bouleversifiée. Oh mais c'est beaucoup trop ! Et mon cadeau ?
Directeur / Merde / Ah oui. Le cadeau. Tout à l'heure. Parce que on t’a préparé plein de surprises.
Roberta / Des surprises ! Oh mes amis, ça me rappelle quand j'étais aux Amériques. Oui. J'ai traversé l'Atlantique. Sur un avion. On me voulait là bas. J'ai été gâtée, mais gâtée !
Scène 16 / Nadège / Jacqueline / Journaliste / Spectateur / Spectatrice / Roberta Rembal / Hector / Directeur / Policier / Alfred
Alfred entre
Alfred / Les américains ont eut beaucoup de chance.
Roberta / Alfred ! Tu es venu !
Alfred / Je ne voulais pas te rater
Roberta / Alfred ! Mon cher Alfred ! Oh my god ! Ca me touche tellement.
Alfred / Et moi, alors, qu'est-ce que ça m'touche !
Roberta / Il faut que j'aille dans ma loge. Que je me prépare ! Que je m'imprègne ! Laissez-moi m'imprégner. Oh mes amis. (Elle envoie des baisers au public) Moui moui moui.. (Roberta voit les deux spectateurs) C'est qui, ça ?
Directeur / Euh.. Des.. Des admirateurs. De grands admirateurs.
Roberta / Messieurs dames.. Je suis enchantée. (Elle sort avec Hector qui porte les paquets)
Spectateur / Je dis quoi ?
Spectatrice / Tu la fermes.
Policier / Je vais l'escorter. (Il sort) Des fois que.. Hein ?
Scène 17 / Nadège / Jacqueline / Journaliste / Spectateur / Spectatrice / Directeur / Alfred / Policier
Directeur / On va faire un spectacle !
Spectateur / C’est pas trop tôt !
Jacqueline / On fait un spectacle pour Roberta ?
Directeur / Un gala de soutien.
Nadège / Pour Roberta ?
Directeur / Pour nous. Et on ne va pas lui dire.
Nadège / Mais c'est pas bien.
Directeur / Je vous rappelle que le propriétaire veut vendre. Faut qu'on ramasse du pognon !
Jacqueline / Ah oui ! Le pognon, je suis pour !
Nadège / Je n'ai jamais joué.
Jacqueline / Je t'aiderai. Avant j'étais à la comédie française !
Nadège / A la comédie française ?
Jacqueline / Oui madame. J’y faisais le ménage, et je peux te dire, c'était moi la meilleure.
Alfred / C'est vrai, je me souviens ; vous étiez inoubliable avec votre balai.
Jacqueline / Oh monsieur Alfred, vous me gênez.
Alfred / Je sais reconnaître le talent, et du talent.., vous en avez.
Jacqueline / Oh monsieur Alfred.. je n'oserai jamais..
Alfred / Mais si. D'ailleurs on va faire un petit exercice. Justement, j'ai un texte.
Directeur / Shakespeare ? Molière ? Marivaux ?
Alfred / Non ma femme. C'est la liste des courses.
Jacqueline / On va jouer la liste des courses ?
Alfred / Comme du théâtre contemporain. J'adore jouer du contemporain.
Jacqueline / Vous connaissez le texte par cœur?
Alfred / Je connais toujours le texte par cœur. .. Moi.
Journaliste / Et moi, je vais faire quoi ?
Alfred / Le souffleur. Au théâtre il faut toujours un souffleur. Vous êtes journaliste, vous savez lire ?
Jacqueline / Un journaliste qui ne sait pas lire, c'est rare.
Directeur / C'est pas sûr, sinon on lirait moins de conneries.
Journaliste / Je vais souffler ? Je vais souffler quoi ?
Alfred / N'importe quoi, c'est du théâtre contemporain.
Journaliste / Mais, le public ?
Alfred / Le public ne connaît pas le texte, on dit c’qu’on veut.
Journaliste / J'ai jamais soufflé.
Alfred / Y'a un début à tout. .. Tenez. Le texte (Il donne la liste de courses à Jacqueline)
Jacqueline / Je vais l'apprendre, le texte. (Elle le lit à toute vitesse) A y'est !
Alfred / Déjà ?
Jacqueline / C'est qu'une liste de course, j'ai presque la même. Pour moi c'est comme du classique.
Le journaliste va se mettre dans un coin de la salle. Dans la scène suivante, les deux comédiens feront passer toutes les émotions à travers les produits en prenant de grandes poses théâtrales et en le disant avec le ton correspondant au sentiment évoqué.
Spectateur / Action !
Spectatrice / N'importe quoi..
Alfred / (Il annonce les tons) Ton de tous les jours ! .. Un kilo de pommes de terre !
Jacqueline / (Elle annonce les tons) Ton de timide ! .. Des.. Des nana.. Des navets.
Alfred / Ton de gourmand ! .. De la confiture de fraise)
Jacqueline / Désespérée !.. Un yaourt … Sans sucre.
Alfred / Connaisseur ! .. Du pain... Frais !
Jacqueline / Déçue ! .. Un poulet !
Policier / (Il surgit) Vous m'avez appelé ?
Alfred / Sortez !
Policier / Je tape ?
Directeur / Laissez les. Ils sont en train de jouer..
Le policier repart
Alfred / Inquiet ! .. Un kilo.. Un kilo de..
Journaliste / De bifteck haché !
Alfred / Et la césure ! Je faisais la césure. Je laissais le spectateur s'interroger.. Je n'annone pas, moi ! Un kilo ! Tiens mettez m'en deux !
Jacqueline / Épuisé ! Un paquet de lessive
Alfred / (Chuchoté comme si c'était un secret) Trois litres de côtes du Rhône..
Jacqueline / Tragédienne ! Douze bouteille d'eau minérale !
Alfred / Dégoûté ! De la salade.
Jacqueline / Douze boîtes de Prozac.
Directeur / Formidable ! C'est.. C'est..
Alfred / C'est génial.
Directeur / Et maintenant.. (Au public) Après l’entracte..
Alfred / On compte sur vous !
Directeur / Parce qu'on ne sait pas encore ce qu'on va jouer.
Nadège / Et en plus !
Tous / On n'a pas répété !
Le rideau se ferme
ACTE 2
Avant l'ouverture du rideau, on entend la spectatrice et le spectateur qui s'expliquent.
Scène 1 : Spectateur / Spectatrice
Spectatrice / Tu peux me dire ce qu'on fout là ?
Spectateur / Tu voulais voir un spectacle, et bien t'es servie.
Spectatrice / Je voulais voir du théâtre ! Je ne voulais pas me donner en spectacle !
Spectateur / Alors, je te sors, je fais des efforts, t’es jamais contente !
Spectatrice / Cette histoire, ça va finir par un drame.
Spectateur / Si jamais y'a un drame, on est bien placés.
Spectatrice / (Elle crie) Si y'en a qui veulent ma place, elle est libre !
Spectateur / Tu ne t'es pas posé la question de savoir pourquoi c'était nous qui étions sur scène ?
Spectatrice / Si tu l'avais fermée, on serait pas comme des andouilles devant tout l'monde.
Spectateur / Mais parce que c'est logique, Ils ont vu qu'on avait des possibilités artistiques. Ils ont pris les meilleurs.
Spectatrice / C'est sûr, c'est toi l'meilleur..
Spectateur / On va pas passer la nuit ici. Qu'est-ce qu'ils foutent ?
Spectatrice / Ils ont bien le droit de prendre une pause.
Spectateur / Je t'en ficherais, moi, des pauses. (Il crie) Alors ça vient ?
Directeur / (Il crie) Tout l'monde en piste ! Plus vite on aura fini, plus vite on ira s'coucher ! (On frappe les trois coups. Le rideau s'ouvre ; le spectateur et la spectatrice sont assis au fond de la salle. D'autres chaises sont également installées).
Scène 2 : Roberta / Hector / Spectateur / Spectatrice / Directeur / Policier / Journaliste
Roberta Rembal (toujours très fière d'elle) entre, flanquée d'Hector qui porte toujours les mêmes et volumineux et encombrants paquets.
Roberta / Mon cher public !
Directeur / Tu veux t’asseoir ? Tu verras mieux.
Roberta / M'asseoir ! Moi ? Jamais ! Je suis une grande actrice ! La plus grande ! Je jouerai même en fauteuil roulant ! Sur mon lit de mort ! Jusqu'à mon dernier souffle ! (Elle tousse et manque de s'étouffer, tous attendent) Je jouerai jusqu'au bout !
Pancarte «Applaudissements»
Spectatrice / Ça c'est une comédienne !
Spectateur / Jusqu’au bout, ça va être mortel.
Directeur / Mais Roberta, c'est un spectacle spécialement créé pour toi !
Roberta / Il n'est pas question que je regarde un spectacle où je ne serais pas dedans. Je ne suis pas spectatrice, je suis le spectacle !
Directeur / Tu n’es pas toute seule.
Roberta / Et bien qu'ils sortent ! Dehors, les amateurs ! (Montrant le public) Regardez ces pauvres gens ! Ils m'attendent ! Ils sont venus pour moi ! Je ne peux pas décevoir mon public !
Directeur / Tu pourrais peut-être passer à la fin..
Roberta / A la fin ? Au début ! Au milieu ! Tout l'temps ! C'est moi qui commence ! Il faut bien que quelqu'un installe l'ambiance ! Qui d'autre que moi pourrait faire chauffer la soupe ? (Méprisante) Et après, peut-être que j'essaierai de regarder vos petits sketchs. .. Hector !
Hector se précipite et se met à côté d'elle. Roberta le regarde avec une moue de dédain puis prend une pose majestueuse.
Roberta / (Elle crie sans se retourner) Je vais commencer par vous interpréter une chanson.
Directeur / Euh.. Euh.. Euh..
Journaliste / (Il souffle) Merde.
Directeur / Merde..
Roberta / Pardon ?
Directeur / Ça veut dire «Bonne chance». (Au public) Hein ? C'est toujours ça qu'on dit. (Un peu ironique en parlant au public) Bonne chance !
Roberta / Une chanson du 18ème siècle.
Spectateur / Ça doit être comme elle.
Roberta / Une chanson d'amour. (Elle crie, fâchée) Il est où l'orchestre ?
Policier / (Il arrive. Il a son casque, une matraque et un bouclier) J'étais en train de..
Roberta / (Elle lui lance un œillade assassine puis s'adresse au public) Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, je vais avoir l'honneur d'interpréter devant vous une chanson que je chantais déjà à mes débuts. Pouvons nous accorder. Donnez-moi le la.
Policier / Le la ? Où ça.
Roberta / La !
Policier / Ici ?
Roberta / Pas un si, un la !
Hector / Un la, c'est une note. C'est comme un mi.
Policier / Faut que je lui fasse un mi ?
Roberta / La ! (Elle fait des vocalises, telle une chanteuse d'Opéra) La la la la la la la la ! (Elle invite le public à en faire autant) La la la la la la la la !
Roberta / Une chanson d'amour qui s'intitule..
Spectateur / Comment veux tu ! Comment veux tu !
Spectatrice / (Elle le frappe. Si possible, une baffe) Tu l'as pas volée, celle-là !
Roberta / Qui s'intitule ?
Journaliste / (Il hurle) Plaisir d'amour !
Roberta / C'est qui ça ?
Journaliste / (Il crie) C'est l'souffleur !
Roberta / Plaisir d'amour.
Spectateur / (Se tenant la joue) Action !
Roberta commence à chanter. Hector fait les chœurs pendant que le policier tape en rythme sur le bouclier. Roberta et Hector chantent absolument faux.
Roberta / Plaisir d’amour ne dure qu’un moment, chagrin d’amour dure toute la vie.
Spectateur / Elle doit être sourde.
Roberta / J’ai tout quitté pour l’ingrate Sylvie, Elle me quitte et prend un autre amant.
Plaisir d’amour ne dure qu’un moment, Chagrin d’amour dure toute la vie.
Directeur / (Il se précipite) C'est formidable, c'est merveilleux ! On l'applaudit très fort.
Roberta / (Elle lui lance un regard assassin) J'ai pas fini !
Tant que cette eau coulera doucement Vers ce ruisseau qui borde la prairie,
Directeur / Tout à l'heure. Tu la chanteras tout à l'heure.
Pancarte applaudissements
Roberta / Je reviendrai ! Jamais je ne vous quitterai ! Vous avez tellement de goût. (Elle envoie des baisers, le policier aussi) Moui, mou, moui.
Directeur / C'est ça. Tu vas revenir. Il faut te faire désirer.
Roberta / Oui. On doit me mériter.
Directeur / C'est ça, on doit te mériter.
Roberta / (Au public, très théâtrale) Plus tard ! … (Puis elle chante encore avec le policier qui frappe son bouclier)
«Plaisir d’amour ne dure qu’un moment, Chagrin d’amour dure toute la vie».
Hector / Roberta, je vous aime !
Roberta / Moi aussi, je m'aime. Tout le monde m'aime.
Hector / Oui mais moi, je vous aime d'amour.
Roberta / Qu'est-ce que vous voulez qu'ça m'foute !
Hector, très abattu, sort avec les paquets.
Scène 3 : Roberta / Spectateur / Spectatrice / Directeur / Policier / Journaliste
Roberta / Moui moui.. (Elle envoie des baisers au public et prend un selfie avec lui)
Spectateur / Si je puis me permettre, à la fin de la chanson, vous avez fait un si bémol à la fin, alors que vous auriez du faire un ré majeur.
Roberta / (Très agacée) Qu'est-ce que c'est qu'ça ?
Spectatrice / C'est mon mari ! Il en tient une couche ! Faut pas faire attention.
Directeur / Laissez madame Rembal tranquille !
Spectateur / Elle nous a fait un si bémol alors qu'il aurait fallu un Ré majeur ! On a payé notre place, on a quand même le droit d'avoir un si bémol.
Policier / (Menaçant) J'vais t'en donner, moi, du si bémol !
Directeur / Euh.. Peut-être que pour la réputation du théâtre.. En plus, on n'est pas tout seuls..
Policier / Je peux pas taper ?
Directeur / Non ! On peut pas.
Spectatrice / Donnez-moi votre matraque, je vais pas l'rater moi !
Policier / Alors, vous la tenez bien comme ça, et surtout, faut toujours taper de haut en bas
Directeur / On tape pas !
Policier / Si on peut plus rendre service...
Roberta / (Au spectateur) Je suppose que vous allez m'apprendre aussi à jouer au théâtre ?
Spectateur / Madame ! A huit ans, je faisais rire toute la famille. Et on est nombreux dans la famille !
Roberta / Un comique ! Quelle horreur !
Spectateur / Et moi, ma spécialité, c'est les imitations.
Roberta / Les imitations. Et bien vous allez nous faire voir ça ! C'est pas souvent qu'on s'amuse !
Spectateur / J'ai commencé tout petit. A six ans, j'imitais le boucher du coin. (Imitant le boucher) «Vous voulez des côtelettes ?» Et j'imite aussi une chèvre! Bée..
Roberta / Pardonnez moi, mais là, vous me faîtes un mouton.
Spectateur / J'ai vécu la à campagne et je sais très bien faire la différence entre une chèvre et un mouton !
Roberta / Et moi, entre un imbécile et un abruti !
Spectateur / Elle peut répéter ?
Spectatrice / (A son mari) Arrête tes conneries !
Spectateur / Je peux pas !
Roberta / Il est nul, il ne sait même pas faire la chèvre.
Spectateur / Qu'est-ce qu'elle a, la Callas ? Très bien. On va demander au public. Faîtes-nous une chèvre ! .. Une chèvre !
Journaliste / (il souffle) Bée !
Roberta / On ne souffle pas !
Le public le fait ou non
Roberta / Une vache !
Spectateur / Moi aussi j'imite la vache, et le ch'val ! (Il imite le hennissement d'un cheval) Et en plus je galope (Il galope sur scène) Mais les bourrins, ça va bien cinq minutes ; maintenant, je fait que des gens connus.
Roberta / Comme moi peut-être ?
Spectateur / J'ai dit, les gens connus.
Roberta / (Au policier) Donnez moi votre matraque.
Directeur / (Il s'interpose) Roberta !
Policier / Moi aussi, je me débrouille en imitation. J'imite n'importe qui !
Spectateur / C'est pas vrai. Alors des comme toi, je m'en tape dix au petit déjeuner !
Roberta / Laissez ce jeune homme !
Spectateur / Je lui cause, à l'autre ?
Policier / On parle pas ainsi à une dame qui est dans le calendrier !
Spectateur / Ok. Je vais prendre mes accessoires (Il prend un couvercle de poubelle et un balai)
Roberta / (Réjouie) Ils vont se battre pour moi. C'est merveilleux.
Roberta et le directeur s'assoient. Le policier et le spectateur se font face et se défient du regard. Les imitations du spectateur peuvent être changées en fonction du choix de l'acteur.
Policier / Euh...
Journaliste / You are talking to me ?
Policier / You are talking to me ? (Prononcer tal)
Spectateur / (Imitant Arletty) Atmosphère ? Atmosphère ! Est-ce que j'ai une gueule d'atmosphère ?
Policier / You are talking to me ?
Spectateur / (Imitant Michel Simon) Je vous assure, cher cousin, vous avez dit bizarre.
Policier / Are you talking to me ? (Imitant robert de Niro)
Spectateur / (Imitant Louis Jouvet) Moi j'ai dit bizarre. Tiens, comme c'est bizarre.
Policier / (Louis de Funès) I repeat / You are talking to me ?
Spectateur / (Imitant Jean-Pierre Marielle) Alors ? Heureuse ?
Policier / (Bourvil) Non mais dîtes don.. You are talking to me ?
Spectateur / (Accent chinois) You are toukin to mi.
Policier / Je peux taper ?
Ensuite les deux hommes tapent sur leur bouclier en rythme comme pour le morceau de Queen jusqu'à ce que le public en fasse autant.
Spectateur / Mon pote tu es un garçon, tu fais du grand bruit, tu joues dans la rue, et t’es nul au foot !
We will, gue will rock you !
We will, we will rock you !
Policier / J'la connais !
Spectateur / Tu as de la boue sur le visage, grosse tâche ! Tu bois comme un trou, trou la la itou
Tout le monde chante (Comédiens et public) (Le panneau pour les paroles est montré par le journaliste)
We will, we will rock you ! We will, we will rock you ! We will, we will rock you ! We will, we will rock you !
Policier / Stop !
Spectateur / Alors c'est qui l'meilleur ?
Policier / On va voir ça. En privé. Ici y'a trop d'monde.
Spectateur / Mais pas d'problème.
Spectatrice / Où tu vas ?
Spectateur / T’occupe ! C'est une affaire entre hommes.
Tous deux sortent
Directeur / Messieurs ! Messieurs ! Roberta, je vous en prie. Ils sont capables de se faire du mal.
Roberta / Vous croyez ? (Contente) J'arrive..
Tous sortent, Nadège entre avec Hector, qui porte toujours des paquets.
Directeur / Vous pouvez les faire patienter ? Faut pas les laisser tout seuls. (Au journaliste) Venez m'aider.
Journaliste / Je n'peux pas ! Sans moi, le spectacle est foutu !
Directeur / Amenez vous, sinon y'a pas que le spectacle qui va être foutu.
Journaliste / Je commence à peine et déjà, on essaie de saboter ma carrière..
Le directeur et le journaliste sortent
Scène 4 : Spectatrice / Hector / Nadège
Hector / Je m'en occupe !
Nadège / Qu'est-ce que tu vas faire ?
Hector / Je vais les endormir.
Nadège / Avec quoi ?
Hector / Je vais les hypnotiser. Une fois j'ai réussi à endormir une poule. J'ai mis quatre heures. Et je peux te dire, c'est pas facile à endormir une poule. (Au public) Regardez moi bien dans les yeux.. Vos paupières sont lourdes, de plus en plus lourdes.. Ne pensez à rien.. Ne pensez à rien ! (Il crie) Détendez-vous !
Nadège / Laisse moi faire. Je vais leur raconter une histoire.
Hector / Une histoire de ..? T'es sûre ?
Nadège / Une histoire pour s'endormir, un conte de fées
Spectatrice / (Elle se lève) Moi aussi j'en connais.
Nadège / Très bien. On s’en fiche. (Tous les trois s'assoient) Nadège. Alors.. Il était une fois.
Hector / J'la connais !
Nadège / Il était une fois une belle jeune fille qui avait perdu sa maman.
Spectatrice / Je sais, et son père avait avait épousé une emmerdeuse, moche, pas sympa et qui avait deux filles qui ressemblaient qu'à leur mère.
Hector / Ça commence mal.
Nadège / La jeune fille s'appelait Cendrillon. A cause qu'il fallait qu'elle enlève toujours les cendres de la cheminée.
Hector / Heureusement qu'elle descendait pas la poubelle ! On l'aurait appelée Poubellion.
Spectatrice / Et pour trouver un prince charmant, avec un nom pareil ce s'rait pas du gâteau.
Nadège / Cendrillon, elle était très gentille.
Spectatrice / Stop, faut dire que c'était aussi la fille d'un premier mariage ! Parce que son père s'était remarié avec une femme. Et il aurait mieux fait de rester couché.
Nadège / Je peux continuer ?
Spectatrice / Faut tout leur dire. (Regardant le public) Tout l’monde n’a pas l’niveau.
Nadège / Alors, la fille.. Du premier mariage.. Elle était belle, mais belle, mais très très très très belle.
Hector / Ce serait plus vivant si on jouait au lieu de raconter.
Nadège / Oh oui ! Je m'appelle Cendrillon et c'est moi la plus belle ! Oh la la que je suis belle !
Spectatrice / Tu parles ! Tu bouffes des épluchures, t'es maigre comme un hareng, et t'es maquillée comme un ramoneur.
Nadège / Tu ce qu'il te dit, le ramoneur ?
Hector / Le dis pas.
Spectatrice / En plus, t'es habillée comme un sac. Un sac à patates !
Nadège / Tu dis ça parce que t'es jalouse !
Spectatrice / Je ne vois pas de quoi je pourrais être jalouse. Et puis, chez moi, y'a rien à changer.
Nadège / C'est pas gentil de dire du mal de sa sœur.
Spectatrice / Demi-sœur ! T'es que ma demi-sœur. C'est pas d'ma faute si ton père a fait les choses à moitié
Nadège / En plus, c'est moi qui me tape tout l'boulot dans la maison !
Spectatrice / Et surtout, c'est mal fait.
Hector / (Il crie) T'as pas balayé dans les coins !
Nadège / C'est toujours moi qui m'tape tout.
Spectatrice / Sauf un prince charmant.
Hector / Mais un jour..
Spectatrice / Qu'est-ce tu fais là ?
Hector / Le narrateur. Faut bien «narrater» le récit sinon le public ne va rien comprendre.
Nadège / Déjà qu'il comprend pas grand chose.
Hector / Mais un jour..
Spectatrice / Quel jour ? Un dimanche ? Un samedi ? Le 1er mai ? Faut être précis !
Hector / C'est écrit, un jour. .. Donc, un jour, le roi qui habitait dans la région donna un grand bal dans son palais car il voulait marier son fils.
Nadège / Le prince charmant.
Spectatrice / Tu parles d'une ambition. Alors, mademoiselle Cendrillon préfère se faire.. Euh.. maquer avec un type plein aux as, plutôt que de faire des études et de ne dépendre de personne !
Hector / Seulement, Cendrillon ne pouvait pas sortir.
Nadège / (Elle crie, surjoué) Je peux pas sortir ! Je peux pas sortir !
Hector / Même pas par la cheminée !
Spectatrice / C'est Cendrillon, c'est pas l'Père Noêl.
Hector / En plus, Cendrillon n'avait rien à s'mettre, alors elle faisait la gueule. Heureusement, sa marraine qui travaillait dans la confection s'est pointée et comme c'était une fée, elle a refilé une de ses robes à Cendrillon en lui disant : Va m'chercher une citrouille et monte dedans, et si à minuit t'es pas rentrée, t'auras l'air d'une vraie courge !
Nadège / Euh oui.. Oh merci, marraine ! Je fonce !
Hector / Et donc, vlà Cendrillon qui s'pointe au château. Et forcément, tout l'monde n'avait jamais vu une nana aussi bien foutue vu qu'elle s'était lavée. Et les sœurs de Cendrillon n'étaient pas contentes.
Spectatrice / Ouais ! Et nous, on sent l'gaz ?
Hector / Mais soudain !
Nadège / Qu'est-ce qui s'passe ?
Hector / Un prince charmant !
Nadège / (Surexcitée) Où ça ?
Hector / (Il désigne une personne dans le public) Là !
Aussitôt, Nadège et la spectatrice se précipitent vers le public.(Elles improvisent en conséquence)
Spectatrice / Je l'ai vu la première.
Nadège / Ah non c’est moi. Dégage. C'est quoi qu'on dit à un prince charmant ?
Spectatrice / On dit un truc pour l'amorcer.
Nadège / Vous habitez chez vos parents ?
Spectatrice / Ca m'étonnerait, il est pas né d'hier.
Nadège / J'ai jamais causé à un prince charmant ! C'est quoi qu'on dit d'habitude ?
Spectatrice / (Au spectateur) Vous avez du pognon ?
Nadège / Il en a pas.
Spectatrice / (Elle s'adresse à un autre spectateur) Vous faîtes quoi comme boulot, directeur ?
Nadège / Ah non. Pas celui-là.
Spectatrice / Y'a pas que l'physique.
Elles peuvent continuer à improviser avant de remonter sur scène.
Nadège / Et celui-là ?
Spectatrice / Ça va pas être facile, il est pas tout seul.
Nadège / Y'a vraiment pas beaucoup d'choix.
Elles remontent sur scène
Hector / Vous n'avez pas ramené de prince charmant ?
Spectatrice / On va quand même pas faire les soldes.
Nadège / Oui, mais qu'est-ce qu'y s'passe dans le conte après ?
Hector / Après, Cendrillon finit par en trouver un. Alors ils dansent, et à un moment, le prince charmant veut rouler une pelle à Cendrillon, mais comme il était minuit moins cinq, Cendrillon était à moitié bourrée vu que y'avait du pinard à boire, mais elle a réussi à s'tailler mais, comme par hasard, elle a oublié une godasse..
Spectatrice / C'était mieux qu'sa culotte.
Nadège / Oui, mais après ?
Hector / Le prince, il lui manquait la paire.
Spectatrice / La paire de godasses !
Nadège / Oui, mais après ?
Hector / Cendrillon s'est remise au boulot alors que dans toute la région, toutes les gonzesses se pointaient au château pour essayer d'enfiler la grolle mais comme c'était du vingt sept, y'avait pas grand monde qu'arrivait à rentrer dedans.
Spectatrice / J'vais jamais arriver à rentrer là d'dans !
Hector / Heureusement, le prince a fait la tournée des villages, et hop il est tombé sur Cendrillon qui l’a enfilée aussitôt.
Spectatrice / La saleté !
Nadège / Et après ?
Hector / Cendrillon s'est transformée en princesse et le prince charmant lui a demandé son deuxième pied, puis les deux mains, puis tout le reste et ils ont eu plein d'enfants.
Nadège / C'est une belle histoire.
Spectatrice / Tu parles. La première fois qu'une pauvre fille sort ; elle se fait avoir par le premier couillon qui passe. Et bien moi si j'avais été Cendrillon, j'aurais demandé à essayer tous les princes du coin, ou alors j'aurais seulement demandé du pognon.
Nadège / Et les enfants ? Vous en faîtes quoi, des enfants ?
Spectatrice / J'aurais pris la pilule.
Hector / Bien. Mesdames et messieurs ! Après vous avoir fait rêver par ce merveilleux conte qui berça nos enfances, maintenant, vous allez vous faire..
Nadège / (Elle crie) Et maintenant, place aux amateurs !
Tous les trois sortent
Scène 5 : Alfred / Jacqueline / Journaliste
Alfred entre.
Alfred / De Lamartine, le lac.
Jacqueline / La Martine comment ?
Alfred / Tout le monde connaît Lamartine. Alphonse Lamartine !
Jacqueline / Alphonse ? Elle fait des courses de bagnole ?
Alfred / Pourquoi ?
Jacqueline / Al fonce ! La Martine.
Alfred / (Au public) Et vous trouvez ça drôle ? … (Se drapant dans une pose très théâtrale) Mesdames, mesdemoiselles, et messieurs.. Le lac !
Jacqueline / Elle fait du hors-bord ? Du ski nautique ?
Alfred / C'est une ode à la nature !
Jacqueline / Ah d'accord ! La Martine à la campagne, la Martine à la mer, Je les ai tous lus.
Alfred / (Se drapant dans sa dignité) Bien. J'ai compris. (Très théâtral) Vous vous passerez de Lamartine comme je me passerai de vous.
Jacqueline / Mais faut pas vous vexer. Allez, dîtes nous un p'tit bout.
Alfred / Non.
Jacqueline / Bon. Bien. Tant pis.
Alfred / De Lamartine ! Le lac !
«Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages..
Dans la nuit éternelle emportés sans retour,
Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges..»
Jacqueline fait semblant de ramer
Alfred / Qu'est-ce que tu fais ?
Jacqueline / Je rame. Je sens qu'on va bien ramer là.
Alfred / J'irai jusqu'au bout du lac !
Jacqueline / J'espère qu'ils savent nager..
Le journaliste entre et se place à côté d'Alfred
Alfred / Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages..
Journaliste / (Il fait le vent) Ouuuuh ! Ouuuuh !
Alfred / Qu'est-ce que vous faîtes ?
Journaliste /Je fais le vent.
Alfred / Vous faîtes quoi ?
Journaliste / Je suis souffleur, et là je fais le vent. Ouuuuh ! Ouuuuh !
Jacqueline fait des moulinets avec ses bras.
Alfred / Et vous, vous faîtes quoi ?
Jacqueline / Je fais une éolienne. Quand y'a du vent, y'a toujours des éoliennes.
Alfred / J'ai pas besoin de vent.
Journaliste / Je peux aussi faire les mouettes.
Alfred / Il n’y a pas de mouettes sur un lac ! Les mouettes, c'est quand la flotte est salée.
Journaliste / Oui mais des fois y'en a.
Alfred / C'est dur la culture
Journaliste / Surtout quand on n'a pas d'chevaux.
Alfred reprend le poème tandis que Jacqueline continue à faire l'éolienne.
Alfred / Dans la nuit éternelle emportés sans retour,
Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges
Journaliste / (Il refait les mouettes)
Alfred / Y'a pas d'mouettes, c'est un lac !
Journaliste / Ah non ! Vous avez dit l'océan. Donc, y'a des mouettes.
Jacqueline / (Jacqueline Imite la sirène d'un bateau) Et y'a aussi des bateaux ! Boouuut Boouuut !
Alfred / Y'a pas de bateaux !
Jacqueline / On peut rien faire.
Alfred / «Jeter l'ancre un seul jour ?
Ô lac ! L'année à peine a fini sa carrière,
Tandis que Jacqueline refait l'éolienne ainsi que le vent, le journaliste va dans tous les sens sur la scène en imitant les mouettes et leurs cris (Il peut tantôt voler, marcher comme une mouette, regarder méchamment le public, etc.. )
Alfred / Et près des flots chéris qu'elle devait revoir,
Regarde ! Je viens seul m'asseoir sur cette pierre
Où tu la vis s'asseoir.
Alfred s'enflamme de plus en plus. On peut entendre éventuellement le souffle d'une tempête, plus éventuellement des mouettes, des sirènes de bateaux, tandis que le journaliste court en tous sens en faisant la mouette.
«Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes,
Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés.
Alfred / (Voyant le journaliste) Il va pas m'emmerder longtemps
Jacqueline lui apporte une carabine, puis elle sort. Le journaliste continue son numéro.
«Ainsi le vent jetait l'écume de tes ondes
Sur ses pieds adorés»
Alfred tire. Le journaliste est touché et meurt d'une manière interminable et sur-jouée. Le bruit de la tempête et des mouettes cesse. Le journaliste n'en finit pas de vaciller avant de s'écrouler et de périr d'interminables derniers gestes et sursauts largement sur-joués tandis qu'Alfred récite encore d'une manière douce et apaisée.
Alfred / «Un soir, t'en souvient-il ? Nous voguions en silence
Le journaliste fait un dernier sur-saut
«On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les cieux,
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence tes flots harmonieux»
Journaliste / (Il se relève) J'ai bien joué, hein ?
Alfred / Ta gueule ! (Il reprend de plus belle)
«Tout à coup des accents inconnus à la terre
Du rivage charmé frappèrent les échos
Le flot fut attentif, et la voix qui m'est chère
laissa tomber ces mots».
Scène 6 : Alfred / Spectateur / Jacqueline / Policier / Spectateur / Directeur / Journaliste
Jacqueline entre, et aidée du policier (qui lui donne des coups de matraque) et du spectateur qui viennent à la rescousse, ils emmènent Alfred de force dans les coulisses tandis que ce dernier continue à clamer les vers.
Alfred / «Ô temps suspends ton vol, et vous heures propices,
Suspendez votre cours.
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours».
Scène 7 : Journaliste / Directeur
Très fier de sa performance, le journaliste salue le public
Journaliste / Je tiens à remercier tous ceux qui ont cru en moi, et d'abord, ma maman, mon papa, mais aussi ma sœur, et vous, public ! Vous sans qui rien ne serait possible ! Vous qui peut-être avez rêvé d'être un jour à la place que j'occupe aujourd'hui. Mais je dois vous le dire, ce métier est un métier difficile, ingrat, mal payé, et très incertain. Et vous, vous n'avez aucune chance.
Directeur / (Il entre et crie du fond de la scène) Pub !
Le journaliste sort. (Éventuellement, pancarte applaudissements)
Journaliste / (Au directeur) Je crois que je les ai scotchés.
Scène 8 : Spectateur / Jacqueline / Directeur / Nadège / Journaliste
Le spectateur s'installe dans une chaise (chaise longue si possible) On entend un jingle. Nadège entre et se place face au public.
Nadège / (Elle se regarde dans un petit miroir, et clame d'un ton désespéré) Oh mais c'est affreux ! J'ai grossi !
Jacqueline / (Elle entre) Pas moi ! Hier j'ai perdu trois grammes.
Nadège / Trois grammes ! Mais comment tu fais ?
Jacqueline / Madame, vous en avez assez de prendre sans arrêt des kilos superflus ? Vous en avez assez de ces graisses qui s'incrustent et qui ne vous lâchent plus ?
Nadège / Mais que faut-il faire ?
Jacqueline / (Elle crie vers le public) Arrêtez d'bouffer !
Spectateur / (Il fait un jingle de pub) Bout bout bout bout bout !
Elles sortent. Le directeur entre. (Il prend longuement sa respiration)
Directeur / La charcuterie Legros ! La charcuterie qu'il vous faut ! (Il sort)
Spectateur / Bout bout bout bout bout !
Nadège et Jacqueline entrent
Nadège / (Elle entre) Madame, vous en avez assez de balayer comme une malade ? Vous en avez assez de courir après la poussière. Vous en avez assez de bosser sous les yeux d'une feignasse qui fout rien de la journée ? (au public) Dîtes oui.
Jacqueline / Nous avons la solution.
Le journaliste entre. Il joue les play-boys.
Nadège / Robert !
Jacqueline / Robert.
Nadège / Il ne fait pas le ménage. Il ne fait pas la vaisselle. Il ne fait pas la cuisine..
Jacqueline / Mais il fait tout l'reste !
Nadège / Avec Robert..
Jacqueline / Envoyez-vous en l'air !
Spectateur / Bout bout bout bout bout !
Jacqueline, Nadège et le journaliste sortent
Scène 9 : Alfred / Roberta / Policier / Spectateur
Après le jingle, Roberta entre
Roberta / Madame, vous en avez assez d'être abordée sans cesse, tout ça parce que vous êtes une femme. Vous en avez assez que les hommes vous dévorent des yeux avec des étincelles sexuelles dans la tête. Nous avons la solution ! (Elle montre un flacon) Purin numéro 1 ! … Avec Purin numéro 1, ils resteront au loin.
Elle s'asperge de ce parfum sous le bras.. L'air coquin, le journaliste entre s'approche très près, puis se pince le nez et repart dégoûté.
Roberta / Purin numéro 1 existe aussi en flacons de un litre, et en jerrycans de vingt. Purin numéro 1, mettez-vous au parfum !
Alfred revient (si possible par le fond de la salle) et reprend son poème
Alfred / «Assez de malheureux ici-bas vous implorent
Coulez, coulez pour eux
Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent
Oubliez les heureux».
Alfred et Roberta s'invectivent
Roberta / T'essaies de saboter ma prestation ?
Alfred / Pour ça, t'as besoin de personne !
Roberta / Ringard !
Alfred / Je ne fais pas d'la pub, moi ! C'est une question d'éthique !
Roberta / L'éthique, c'est moi !
Alfred / Toi, c'est plutôt les étiquettes. Tu finiras sur les boîtes de fromage !
Roberta / Et toi, c'est les asticots qui te finiront !
Alfred / (Il s'adresse à un spectateur)
« Mais je me demande en vain quelques moments encore,
Le temps m'échappe et fuit..»
Roberta / Faut pas l’applaudir ! L'encouragez pas !
Alfred / «Je le dis à cette nuit : Sois plus lente ; et l'aurore
Va dissiper la nuit».
Le policier entre et lui tape dessus
Alfred / (Au policier) Vous n'aimez pas la poésie ?
Policier / Monsieur, je vous prie, observez le silence
Mais parfois quelques vers savent me mettre en transe.
La poésie monsieur, aussi me tatillonne !
Quand on est policier, on n'en est pas moins homme !
Alfred / Et la.. La danse classique ? Vous aimez la danse classique ?
Policier / La contredanse ! On adore la contredanse, dans la police.
Alfred / C'est comment la contredanse ?
Policer / Un pas en avant, et ma main dans la gueule !
Ils sortent, le policier poursuivant Alfred. (Poursuite éventuellement avec musique)
Spectateur / Boouuut ! (Fin de la pub)
Scène 10 : Spectatrice / Journaliste
Ils entrent
Journaliste / C'est un gala de soutien pour le théâtre. Faut leur faire cracher le pognon !
Spectatrice / S'el vos plaît ?
Journaliste / C'est pas assez dramatique. On n'y croit pas.
Spectatrice / S'el vos plaît ! J'ai quinze enfants, trois maris et un chien qui mange que des boulettes !
Journaliste / C'est pas assez triste ! Faut faire comme ça (Il se met à genoux et implore le public) C'est pour le théâtre.
Spectatrice / (Elle se met à genoux) On mange pas tous les jours.
Journaliste / On est obligé de boire pour oublier qu'on mange pas.
Spectatrice / Et on boit d'la flotte !
Journaliste / S'el vos plaît ?
Spectatrice / Donnez ! Donnez ! Ça n'ira que dans nos poches.
Journaliste / Si vous n'savez pas combien donner, donnez plus que votre voisin !
Spectatrice / Donnez tout c'que vous avez.
Journaliste / (Après quelques secondes) La moitié !
Spectatrice / Mille euros ! …. Cent ? !
Journaliste / Dix !
Spectatrice / On descendra pas plus bas.
Journaliste / Ok. Je savais bien qu'il étaient radins dans l'coin.
La spectatrice et le journaliste sortent
Scène 11 : Roberta / Spectateur / Directeur / Jacqueline
Roberta / Qu'on m'apporte une chaise !
Directeur / Une chaise ? Pour quoi faire ?
Roberta / Pour m'asseoir..
Aussitôt, le directeur apporte une chaise.
Roberta / (Elle s'assoit) J'arrête tout !
Directeur / Mais tu ne peux pas ! Ton public ! Tu y penses, à ton public ?
Spectateur / Il s'en remettra !
Roberta / Je n'joue plus !
Directeur / Mais ? Le théâtre ? Le propriétaire veut vendre le théâtre. Si tu ne joues pas, comment ferons nous ? Roberta ? (Au public) N'est-ce pas qu'elle doit jouer ? …
Le public réagit ou non
Spectateur / Ils n'ont pas l'air emballés.
Directeur / Ils t’attendent. Ils sont venus pour toi.. Roberta. Joue ! Bon, on va prendre les grands moyens. (Il crie vers les coulisses) Amenez la spéciale !
Jacqueline arrive à fond de train avec une bouteille d'alcool et la donne à Roberta qui prend une pose en regardant la bouteille.
Roberta / (Elle boit un coup, puis se relève) Puisque que c'est pour le théâtre, je vais me sacrifier ! (Elle prend une pose tragique et regarde la bouteille) Être ou ne pas être, telle est la question.
Spectateur / Excusez-moi, mais vous pourriez peut-être appuyer davantage quand vous dîtes ça. Je vais vous montrer (Il surjoue) Passez moi la bouteille. «Eêêêtre» ou ne pas «êêêêtre», telle est la question».
Roberta / Passez moi la bouteille ! (Elle boit au goulot) «Eeeetre» ou ne pas «êêêêtre», telle est la question».
Spectateur / Vous voyez, c'est tout de suite mieux.
Roberta / (Elle boit à nouveau au goulot et dit le texte d'une manière sur-exagérée) Y a-t-il plus de noblesse d'âme.. A subir la fronde et les flèches de la fortune outrageante, ou bien à s'armer contre une mer de douleurs et d'y faire front pour y mettre fin ? … Pour mettre fin à quoi ?
Spectateur / J'en sais rien.
Roberta / Ok... D'ailleurs, je m'en fous. (Elle boit au goulot).. Et hop, cul sec ! ..
Après quelques secondes, elle se sent mal.
Roberta / Oh mais que se passe t-il ? Est-ce mon foie qui se ferait de la bile ? Que m'a t-on fait boire ? Je sens un gargouillis en plein dans mes entrailles !
Spectateur / C'est pas l'texte !
Roberta / A moi ! A l'assassin ! Juste ciel, je suis perdue, je suis assassinée, on m'a empoisonnée. Tout est fini pour moi et je n'ai plus que faire au monde ! C'en est fait, je n'en puis plus ! Je me meurs, je suis morte, je suis enterrée. N'y a t-il personne qui veuille me ressusciter ? (Elle regarde le public qui ne réagit pas).. Ok, j'ai compris..
Scène 12 : Roberta / Spectateur / Directeur / Jacqueline / Nadège / Médecin / Policier
Nadège entre, affolée, tandis que Roberta est chancelante
Nadège / C'est pas d'la flotte ! C'est la bouteille d'Alfred !
Jacqueline / La bouteille d'Alfred ? La cinquante degrés ?
Le directeur arrive, affolé.
Roberta / (Comme récitant des vers) Qu'est-ce que c'est que cette bibine qui d'un coup me turlupine ?
Directeur / Qu'est-ce qui s'passe ?
Nadège / Elle a bu de la bouteille d'Alfred.
Directeur / (Au public) Y a t-il un médecin dans la salle ?
Nadège / Oui. Un médecin. Un toubib !
Roberta / To be or not to be ! A ah ah !
Spectateur / Ça va pas mieux.
On entend une musique genre aventures, voire de la fumée (machine à fumer). Le médecin surgit dans la salle.
Roberta / Albert Schweitzer !
Médecin / Il était moins une.
Directeur / C’est à cause du cocktail !
Le policier surgit également prêt à bondir
Policier / Un cocktail molotave ?
Directeur / Elle l'a pas lancé, elle l'a bu.
Policier / Il en reste pas, des fois ?
Directeur / C'est trop dangereux, ça vous explose à l'intérieur.
Nadège / Y'a qu'Alfred qui peut la boire.
Jacqueline / Alfred, il peut tout boire.
Médecin / Madame, je vais vous ausculter.
Roberta / Docteur, dois-je me mettre à nu devant vous ?
Policier / C'est pour le calendrier ?
Médecin / Est-ce que ça vous chatouille ou est-ce que ça vous grattouille ?
Roberta / Je ne me déshabille pas ? Vous êtes sûr ?
Médecin / Non ! On ne se déshabille pas.
Roberta / Parce que des fois, même chez le dentiste..
Médecin / Est-ce que ça vous chatouille ou est-ce que ça vous grattouille ?
Roberta / Faudrait pas que je sois une erreur médicale ?
Médecin / (Il crie) Est-ce que ça vous chatouille ou est-ce que ça vous grattouille ?
Policier / Je peux la faire parler si vous voulez ?
Médecin / Merci. C'est gentil mais faut surtout de la douceur. (Il hurle) Est-ce que ça vous chatouille ou est-ce que ça vous grattouille ?
Roberta / Vous criez ? Je l'savais ! Je suis sourde ! J'entends plus rien de l'extérieur. Tout est fini pour moi et je n'ai plus que faire au monde ! C'en est fait, je n'en puis plus ! Je me meurs, je suis morte, je suis enterrée. N'y a t-il personne qui veuille me ressusciter ?
Spectateur / Ben non.
Médecin / Vous n'êtes pas sourde, vous ne comprenez pas.
Roberta / Mon cerveau est atteint, je l'savais ! Je vais me retrouver à la télé. On va me mettre à la météo ! Je suis finie !
Roberta / Comment ?
Médecin / (Il s'énerve) Retenez moi, ou je vais vraiment la finir !
Scène 13 : Roberta / Spectateur / Directeur / Jacqueline / Médecin / Policier / Journaliste
Le journaliste surgit, affolé
Journaliste / «Chers auditeurs, je suis actuellement en direct du théâtre de l'Atterrée, où on vient de tenter d'assassiner Roberta Rembal, la grande comédienne qui nous faisait tellement rêver. Déjà un médecin est sur les lieux et tente de la ranimer. Roberta, comment vous sentez-vous ?
Roberta / Je me meurs ! C'en est fait, je n'en puis plus, je suis morte, je suis enterrée. N'y a t-il personne qui veuille me ressusciter ?
Le policier surgit
Roberta / Y'a t'il quelqu'un ?
Policier / Moi !
Médecin / Foutez moi l'camp !
Policier / J'ai mon brevet de secouriste.
Directeur / Laissez-le médecin faire son travail. (Les autres comédiennes et comédiens entrent) Sortez ! Il n'y a rien à voir.
Policier / (Il sort) On peut même plus rendre service..
Scène 14 : Roberta / Spectateur / Directeur / Jacqueline / Nadège / Médecin / Journaliste
Jacqueline / Elle était si bonne
Nadège / Et si simple !
Hector / (Il entre et crie, cri de désespoir et d'amour) Roberta !
Roberta / Fous moi l'camp !
Journaliste / Madame Roberta. Pouvez-dire un mot aux auditeurs ?
Roberta / M..
Directeur / Un peu de décence. S'il vous plaît, veuillez sortir.
Journaliste / Et la liberté de la presse ! Roberta, tous vos admirateurs s'inquiètent, pouvez-vous dire un mot à vos admirateurs ?
Roberta / Je joue demain soir.
Journaliste / Quel courage !
Roberta / (Elle crie) Ma vie, c'est le théâtre !
Spectateur / Elle nous emmerdera jusqu'au bout, celle-là !
Médecin / (Il crie) Ca vous fait soixante euros.
Roberta / Soixante euros !
Médecin / Y'a le déplacement en plus.
Roberta / Voleur ! Escroc ! Communiste !
Directeur / C'est incroyable. Elle est guérie.
Médecin / Justement ! Soixante euros.
Directeur / Vous voulez pas une photo dédicacée à la place ?
Médecin / Soixante euros !
Directeur / Au prix d'la visite, on est sûr de tomber malade.
Médecin / Je fais mon métier.
Directeur / Vous voulez pas des applaudissements en plus.
Médecin / J'en ai jamais.
Il sort, le public applaudit. (Pancarte «applaudissements»)
Scène 15 / Roberta / Journaliste / Alfred / Spectateur / Journaliste
Alfred entre
Alfred / Roberta ! On me dit que tu aurais tenté de mettre fin à tes jours ?
Journaliste / Mais pourquoi Roberta ? Contrôle fiscal ? Chagrin d'amour ?
Roberta / Me supprimer tout seule ? Jamais ! On a voulu m'assassiner.
Alfred / T'assassiner ? A ton âge ?
Journaliste // Peut-être une jeune comédienne ? Une jalouse ? Des noms, Roberta ? Des noms !
Roberta / Y'a pas que des femmes..
Alfred / Attends ! T'es en train de laisser entendre.. Tu m'accuses ? Assassiner un homme, à la rigueur, mais une femme.. Âgée en plus..
Roberta / Je vais te tuer.
Alfred / Je peux pas mourir, je suis contre !
Spectateur / Faut bien finir un jour.
Alfred sort très théâtralement
Scène 16 / Roberta / Journaliste / Spectateur / Journaliste / Hector
Hector entre, il est très choqué.
Hector / Roberta / Parle-moi / Dis moi des mots !
Roberta / Dégage !
Hector / Roberta ! Non ! Non Non ! Non ! (Menaçant) Je vais faire un truc pas autorisé ! (Il va dans la salle et prend un spectateur en otage. Il choisit dans le public) Pas celui-là. Ah ! (Il il le force à se lever et le menace avec son arme)
Directeur / Qu'est-ce que vous voulez ?
Roberta / Qu'est-ce qui lui prend ?
Hector / Je veux juste des mots d'amour !
Roberta / Plutôt crever.
Hector / Roberta ! Dis moi des mots d'amour où je l'dégomme ! (Il chuchote au spectateur) Tu cries : «Au secours, sauvez-moi. Je suis fils unique ».
Roberta / Vous en faîtes pas, il fait son cinéma.
Hector / C'est pas du cinéma, c'est du théâtre ! .. (A l’homme du public) Alors ?
Homme du public / Au secours ! Sauvez-moi. Je suis fils unique !
Hector / On n'y croit pas. On reprend !
Homme du public / Au secours ! Sauvez-moi ! Je suis fils unique !
Les acteurs applaudissent
Journaliste / (A l'homme du public) Vous avez un message ? Quelles sont vos impressions ? (Il lui souffle la réponse)
Homme du public / Je veux être dans le journal !
Nadège / Quel acteur !
Jacqueline / Il est époustouflant
Spectateur / J'aurais fait mieux.
Scène 17 / Roberta / Journaliste / Spectateur / Journaliste / Hector / Personnage déguisé en animal ou autre
Personnage imprévu / (Costumé en pingouin, lapin, Zorro, Père noël, ou autre) Messieurs dames. C'est ici le spectacle pour les enfants ?
Tous / C'est quoi ça ?
Personnage imprévu / C'est pas là, le spectacle pour les enfants ?
Tous / Dehors !
Le personnage sort
Personnage imprévu / Bande de ringards !
Journaliste / Bougez pas, je fais une photo ! (Il prend Hector et son otage en photo. Ceux-ci prennent une pose pour le journal)
Roberta / Il est pas mal, le mec dans l'public.
Directeur / C'est un vrai jeune premier.
Roberta / J'adore les jeunes premiers.
Scène 18 / Roberta / Journaliste / Spectateur / Journaliste / Hector / Alfred
Alfred / Moi aussi !
Tout le monde le regarde
Hector / (A Roberta) Roberta, dis moi des mots d'amour !
Roberta se place sur scène (comme Juliette sur son balcon) tandis qu'Hector est en bas (Comme Roméo)
Roberta / Si tu m'aimes, proclame-le d'un cœur bien sincère,
Sinon, tu peux t'la mettre sous l'bras.
Hector / Que venez-vous de prononcer ? C'est l'arrêt de ma mort
Je ne partirai point si tu n'oses me suivre
Roberta / Pars devant !
Hector / Par devant ?
Roberta / Pars devant, je te suis.
Hector / C'est pas l'texte.
Roberta / J'improvise !
Hector / Attention ! Ca va mal finir !
Scène 19 / Roberta / Journaliste / Alfred / Policier / Jacqueline / Nadège / Spectateur / Spectatrice / Directeur / Hector
Le policier surgit sur scène
Policier / Quoi ? Que ? Comment ? Quelle heure est-il ?
Nadège / (Elle entre) Ce sont deux êtres dont l'un a une vie pas facile.
Policier / L'un cherche t'il des crosses ? Et l'autre la sortie ?
Nadège / Oh !Lui se prend pour Machin chose, et elle, n'a pas dit oui !
Policier / Aimez-vous les uns les autres, sinon je vais sévir !
Nadège / Et autant vous prévenir, ce s'ra pas du plaisir !
Roberta / De quoi j’me mêle ! Laissez-moi le finir !
Hector / Ram'nez pas votre gain d'sel ! Et donnez-moi une lyre ! (Il lâche l'homme du public) Surtout, restez dans l'coin.
Hector monte sur scène. Jacqueline accourt et lui donne une lyre. Hector commence à en jouer.
Hector / (Il chante) Les portes du pénitencier.. Bientôt, vont se fermer..
Policier / J'la connais !
Directeur / Tu vas pas chanter ça !
Hector / Je connais que celle-là.
Alfred / (Il accourt) Stop ! Y'a ! Y'a ?
Roberta / Les allemands !
Alfred / Non. Y'a le propriétaire !
Tous / Le propriétaire ?
Directeur / Et s'il voit qu'on ne joue pas, il va nous vendre. Il va nous transformer en supermarché, en parking..
Jacqueline / En garage !
Nadège / C'est un magicien ?
Directeur / Non, c'est un con.
Alfred / En garage, ça m'fait pas peur, Une fois fois j'ai joué un garagiste.
Directeur / Mes amis, serrons-nous !
Nadège / Serrons-nous quoi ?
Jacqueline / La vis ?
Alfred / La main ?
Spectatrice / Les pieds ?
Directeur / Non ! Les coudes !
Spectateur / Qu'est-ce qu'on va faire ?
Directeur / On va chanter !
Spectateur / Et eux ?
Directeur / On va les faire chanter.
Alfred / (Avec un accent allemand) Nous afons les moyens dé vous vaire zanter.
Directeur / Et surtout, applaudissez. C'est pas pour nous, c'est pour le propriétaire.
Roberta / Sinon, demain, on fait grève !
Journaliste / On compte sur vous !
Alfred / Ein ! Zwei !
Ils chantent comme dans une chorale, mais bien. (si possible)
Tous / Plaisir d’amour ne dure qu’un moment,
Chagrin d’amour dure toute la vi i e
Un ou une acteur / (Rap) Tant que cette eau coulera doucement
Vers ce ruisseau qui borde la prairie
Un ou une acteur / (Rap) Je t'aimerai te répétait Sylvie
L'eau coule encore, elle a changé pourtant.
Les comédiens peuvent improviser en faisant du rap.
Alfred / (Bruitages de rap) Aie ! «Kartofen Arthung ! Das is das ? Ich liebe nich dich » !
Tous / Plaisir d’amour ne dure qu’un moment.
Souffleur / (Il entre en chantant d'un ton inquiétant) Chagrin d’amour dure toute la vie
Alfred / Le propriétaire !
Directeur / Pas du tout ! C'est le souffleur.
Journaliste / C'est moi ?
Directeur / C'est le souffleur officiel.
Roberta / Alors la fin est proche.
Spectateur / C'est pas trop tôt.
Alfred / Mais on n'a pas joué la pièce ?
Nadège / C'est pas grave.
Hector / Mais pourquoi ?
Tous / (Sauf le souffleur) / On la jouera demain !
Souffleur / A une condition..
Tous / Laquelle ?
Souffleur / (Il crie vers le public) Faudra payer l'entrée !
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