Travaux forcés

Après le décès de leur tante (sans enfants), les membres d’une famille n’ont qu’une solution : remettre en état le bar-hôtel pour le revendre à un meilleur prix et ainsi augmenter leur part d’héritage. Le problème est que l’entente entre eux n’est pas vraiment au rendez-vous… De plus, un mystérieux individu profite de la nuit pour fouiller les lieux. Des disputes, des gifles qui claquent, des maladresses, vont compliquer la tâche. Le tout agrémenté par les citations d’un latin plus qu’approximatif du curé, venu les aider dans cette “épreuve”, pour le plus grand bonheur du public !

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Acte 1

 

 

Thérèse et Liliane entrent dans le bar.

Liliane, soupire en se déchaussant - Pfou… J’ai les pieds en compote… j’aurais pas dû mettre des talons hauts.

Thérèse - Tu les supportes pas ?

Liliane - Si, mais le problème ici c’est les pavés dans les rues, les chemins pas goudronnés… J’ai passé mon temps à marcher sur la pointe des pieds pour pas les abîmer…

Thérèse - C’est vrai qu’à la campagne on est mieux en baskets !

Liliane – Oui mais, pour une cérémonie, bonjour l’élégance et puis avec des talons, je suis plus grande… enfin, moins petite.

Thérèse - Tu sais, cinq centimètres de plus ou de moins, ça change pas grand- chose…

Liliane - Quand même… Remarque, c’est bien d’être petite, on se fait plus facilement câliner…

Thérèse - Je suis certaine que mon frère fait ça très bien…

Liliane - Oh oui… Paul est très tendre... tendre et solide à la fois. Ça me change de Francis.

Thérèse - En parlant de lui, ça a dû te faire tout drôle de le revoir !

Liliane - Je m’y étais préparée, psychologiquement parlant.

Thérèse - Il ne t’a pas lâchée des yeux.

Liliane - Oui, j’ai remarqué. Il faut dire qu’il était très discret ! Il n’y a que Paul pour ne s’être rendu compte de rien !

Thérèse - Pas si sûr… mais tel que je le connais, s’il s’en est aperçu, il ne fera pas de vagues, d’une part parce que c’est son cousin et d’autre part parce qu’il lui a piqué sa femme.

Liliane - Il ne lui a rien piqué du tout ! Je n’en pouvais plus de Francis et de tous ses mensonges ! Paul m’a toujours soutenue dans les moments difficiles, en toute amitié. Ce n’est que lorsque j’ai pris la décision de divorcer qu’il a avoué m’aimer depuis toujours.

Thérèse - Je sais. Il avait promis à Francis que s’il se mariait un jour il serait son témoin. Il n’avait pas prévu qu’il tomberait amoureux de la mariée ! Malgré tout il a tenu sa promesse et respecté ton choix.

 

 

 

 

Liliane - Ah la la, j’étais si jeune ! Francis était exubérant, amusant, beau parleur. Ton frère, lui, était discret, calme, sérieux… Je pensais qu’il était faible, légèrement ennuyeux. Je m’étais bien trompée.

Thérèse - C’est loin tout ça…

Liliane - Oui, ça va faire un bail et tu sais quoi ? Pas un jour j’ai regretté d’avoir quitté Francis.

Thérèse - Et moi je suis ravie que tu sois ma belle-sœur.

Liliane - Pareil pour moi. Ça me change de Mathilde. Autant Francis était fêtard, autant sa sœur était sinistre !

Thérèse - Et elle n’a pas l’air de s’être améliorée… C’est la seule de mes cousines que j’ai jamais pu encadrer !

Liliane – Tu m’étonnes…

Thérèse - Je plains son fils…

Liliane - Mmh… Enfin, dans deux jours, chacun repartira de son côté.

Thérèse - Rosine a préparé les chambres. (Rosine arrive à son tour.) - La voilà ! Les autres ne sont pas avec toi ?

Rosine - Ils arrivent… (Elle s’assoit près d’elles.) - Je sais pas vous, mais moi je la redoutais cette journée. Finalement ça s’est bien passé.

Thérèse - Oui… et puis c’était l’occasion de se revoir, ça faisait longtemps.

Liliane - Alors moi, j’ai été scotchée… je m’attendais pas à ce qu’il y ait un orchestre... vous vous rendez compte !

Thérèse - Et les fleurs ! C’était fou ! Des monceaux de lys, de roses, d’orchidées…

Liliane – Et puis elle en a eu des compliments votre tante Marthe !

Thérèse - En même temps, c’était pas le jour à lui faire des reproches.

Rosine - Pourtant il y aurait eu de quoi dire…

Thérèse - C’est sûr, mais bon… en tout cas c’était très réussi.

Liliane - Elle a été gâtée !

Rosine - On n’est jamais si bien servi que par soi-même !

Liliane - Comment ça ?

 

 

 

 

Rosine - Avec la convention obsèques, elle avait tout prévu et depuis longtemps !

Thérèse - Tu veux dire que personne ne s’est occupé de son enterrement ?

Rosine - Mais elle voulait pas ! C’est elle qui a pensé à tout : les fleurs, la musique, les textes…

Liliane - Les textes aussi ?!

Thérèse - C’est elle qui avait écrit ses propres louanges ?!

Rosine - Puisque je vous le dis !

Thérèse - Je comprends mieux pourquoi le curé n’a voulu laissé parler personne…

Rosine - Elle disait que tous autant qu’on était on se moquait pas mal d’elle, qu’elle se moquait de nous tous aussi et qu’il était pas question qu’on lui fasse un enterrement de pauvre. Je lui avais fait remarquer que moi j’étais restée là, eh ben elle a ricané en me disant que si je restais avec elle c’était que par intérêt et qu’elle était bien bonne de s’occuper de moi.

Thérèse - Mais, tu travaillais ici !

Rosine - Je m’occupais des chambres et du bar, enfin, surtout du bar parce que l’hôtel marche plus depuis longtemps… En échange j’étais logée, nourrie, blanchie et elle me donnait un peu d’argent de poche quand j’allais au cinéma ou que j’avais quelque chose à m’acheter.

Liliane - C’était de l’exploitation !

Rosine - Oh, c’est pas grave, j’ai pas de gros besoins. Par contre, une fois que la succession va être liquidée, je me demande ce que je vais faire…

Thérèse - Moi, je me demande comment elle a pu se payer un tel enterrement…

Rosine - Elle devait avoir des sous de côté.

Liliane – Attendez, mais rien que le cercueil… il était magnifique !

Rosine - C’était de l’ébène et les poignées étaient dorées à l’or fin !

Thérèse - Ça vaut une fortune !

Rosine - Elle l’avait acheté depuis au moins un an déjà. Il était entreposé dans une des chambres et elle y allait régulièrement pour l’admirer.

Liliane - C’est morbide…

Thérèse - C’est surtout ruineux !

 

 

 

Liliane - Toutes ses économies ont dû y passer…

Thérèse, amère - Comme ça elle était certaine de rien nous laisser.

Liliane – Par contre, elle a complètement négligé son bar-hôtel… quand on voit l’état des lieux…

Rosine - Elle disait que ça suffisait bien pour les clients. Il faut dire qu’ils se bousculaient pas à la porte.

Thérèse - Tu m’étonnes, ça donne pas envie.

Rosine - Remarquez ça me laissait du temps de libre pour m’occuper du père Noël…

Liliane - Du Père Noël ?!

Rosine - Ben oui… du curé, quoi. Noël c’est son prénom. Je vais à la cure, je lui prépare ses repas, je lui fais son ménage… en échange il me donne un peu d’argent de poche.

Francis, Paul, Mathilde et Barnabé arrivent.

Francis, radieux - Ben voilà, ça, c’est fait !

Le curé arrive à son tour.

Paul - Entrez monsieur le curé. Vous boirez bien quelque chose ?

Francis - Cette blague ! Et nous aussi, ça s’arrose !

Le curé - Allons voyons, mon fils…

Francis - Oh ça va… C’est un secret pour personne qu’elle nous aimait pas et on lui le rendait bien.

Le curé - Un peu de charité chrétienne, mon fils.

Francis - De charité crétine vous voulez dire !

Tous s’installent au différentes tables et sur les tabourets du bar. Rosine et Paul se mettent derrière le bar et servent. Chacun dit ce qu’il veut boire. Liliane apporte les boissons.

Liliane - Tu veux quoi Barnabé?

Barnabé - Euh…

Mathilde - Une grenadine !

Barnabé - Ah… alors avec de la limonade…

 

 

 

 

Mathilde - Sans limonade. De l’eau plate.

Barnabé - Mais…

Mathilde - Le sirop est déjà suffisamment sucré. Tu n’as pas à en rajouter.

Liliane se dirige vers le zinc.

Mathilde, à Liliane - Et moi ! Tu pourrais me demander ce que je veux !

Liliane - Je t’écoute, très chère Mathilde…

Mathilde - Tu m’apportes un verre d’eau.

Liliane - Avec une paille ?

Mathilde est outrée, Liliane sert les boissons.

Paul - Qu’est-ce que je vous sers monsieur le curé ?

Francis - Tu lui sers un jaune et à moi aussi.

Le curé - Pastis durum et (ète) hypocras, vésiculum crassus !

Rosine - Ça veut dire quoi ?

Le curé - L’abus d’alcool est dangereux pour la santé.

Francis - Oh dites, curé, faut pas charrier. Vous l’avez bien sifflé votre vin de messe tout à l’heure, même que vous vous êtes resservi deux fois.

Le curé - Moi ? Vous vous méprenez mon fils…

Francis - Dites pas non ! Vous avez agité votre clochette pour la communion, mais j’ai relevé la tête, je vous ai vu.

Le curé - In vino véritas…

Rosine - Ça veut dire quoi ?

Francis - La vérité est dans le vin, ça, je connais. Allez curé, pas de chichis, vous prendrez quoi ?

Le curé - Bon ben, dans ce cas, un whisky, s’il y en a….

Paul le sert.

Mathilde - Monsieur le curé, j’ai un reproche à vous faire.

Le curé - Je vous écoute ma fille…

Mathilde - Alors et d’une, je ne suis pas votre fille et de deux, votre attitude a été détestable !

 

 

 

Le curé - Pourquoi une telle colère ?

Mathilde - Barnabé voulait dire quelques mots et vous avez refusé qu’il s’exprime. D’ailleurs vous avez refusé ce droit bien légitime à chacun d’entre nous.

Le curé - Je n’ai fait que respecter une des volontés de votre tante Marthe…

Mathilde - Sachez que mon fils est un poète et que c’est très frustrant pour lui de n’avoir pu déclamer ses vers.

Liliane - Il n’a qu’à les dire maintenant…

Paul - Mais oui, nous l’écouterons avec plaisir…

Thérèse - Vas-y Barnabé...

Barnabé se tortille, gêné.

Mathilde - Eh bien ! Qu’est-ce que tu attends !

Barnabé - C’est que…

Mathilde - Arrête de faire des manières !

Rosine - C’est si beau les poèmes…

Barnabé - Bon ben, voilà (Il se râcle la gorge.)

Chère grand tante Marthe

« Si tu m’as jamais invité

C’est faute à ta timidité

Tu me traitais toujours de niais

Les rares fois où je te voyais

Et c’était pour faire de l’humour

Que tu me jouais de sales tours

Pour les Noëls tu donnais rien

Comme si tu étais radin

Mais c’était sûrement pas pour ça

Les moyens tu les avais pas.

Si t’as jamais ouvert ton cœur

C’était par fierté, par pudeur.

Ta seule passion c’était le foot,

Une seule équipe entre toutes

A ton avis était la reine

C’était celle de Saint-Etienne.

Alors moi, pour te rendre hommage

Pour faire honneur à ton grand âge

Devant ta tombe à ciel ouvert

Je crierai fort : allez les Verts ! »

 

 

 

 

 

 

Consternation générale, fou rire de Francis, Mathilde lui caresse les cheveux, très fière.

Francis - Bravo mon neveu, j’aurais pas fait mieux. Ç’aurait été dommage de rater ça !

Mathilde, à Thérèse - Dis donc, ta fille ne se serait pas trompée de jour par hasard ?

Rosine - C’est vrai ça, elle est où Zoé ?

Thérèse - Elle arrive tout droit d’Angleterre, c’est vite fait de prendre du retard.

Mathilde - Il suffit de s’organiser, d’anticiper, mais je suppose que c’était trop lui demander…

Thérèse - Elle est adulte, je n’ai pas à lui dicter sa conduite, ni à prendre des décisions à sa place.

Mathilde - J’étais certaine de ta réaction. Aucune autorité, aucune éducation, aucun bon principe inculqué à ta fille !

Thérèse - Et aucun risque que je suive ton exemple ! On a le résultat sous les yeux. Ton fils est complètement sous ta coupe, incapable de s’assumer tout seul, terrorisé à l’idée de te déplaire.

Mathilde, se tournant vers son fils, d’un air menaçant - Tu te sens brimé, toi ?

Barnabé - Non non…

Mathilde - Tu n’es pas bien avec moi ?

Barnabé - Si si…

Mathilde, à Thérèse - Tu vois ! Barnabé est tout simplement bien élevé et tant pis si ça te défrise. Venant de la mère complètement irresponsable que tu es, je ne suis pas étonnée du résultat obtenu avec Zoé.

Paul - Allons allons, c’est quoi ce règlement de compte ? Chacun élève ses enfants à sa façon. On ne doit pas juger…

Liliane, à Mathilde - Il a raison Mathilde, ne sois pas si agressive.

Mathilde - Alors vous deux, pour les leçons de morale, vous repasserez ! (A Liliane.) - Toi tu as quitté mon frère du jour au lendemain…

Liliane - C’est faux !

Francis - Là, Mathilde, tu pousses un peu…

Mathilde, à Paul - Et toi, Judas, tu as trahi ton cousin de la pire des façons !

Paul - Je ne peux pas te laisser dire ça. Ecoute…

 

 

 

 

Mathilde - Rien du tout ! Quant à Thérèse a toujours été laxiste. Pire, elle a voulu un enfant mais n’a pas voulu du père. Tu trouves ça normal ?

Le curé - Du calme ma fille, la tolérance est la base de…

Mathilde - Je ne suis toujours pas votre fille et ne vous mêlez pas de ça. Qu’est-ce que vous y connaissez, vous, en éducation des enfants ?!

Thérèse - En tout cas je ne suis pas une mère abusive, moi !

Mathilde - C’est sûr. Il y a combien de temps que tu n’as pas vu ta fille ?

Thérèse - Un peu plus d’un an, mais la question n’est pas là…

Mathilde - Oh que si ! Dieu sait la vie qu’elle mène et de quoi elle vit !

Thérèse - C’est quoi ces insinuations ? Tu touches pas à Zoé, sinon…

Mathilde - Je vais me gêner…

Thérèse et Mathilde s’empoignent, se tirent les cheveux, se battent. Paul et Francis s’interposent, parviennent à les séparer.

Paul, à Mathilde- Lâche-la !

Francis - Arrêtez bon sang !

Le curé - Uppercut hématome est !

Rosine - Ça veut dire quoi ?

Le curé - La violence ne résout rien.

Les deux cousines finissent par se calmer, boivent un verre d’eau etc…

Zoé arrive enfin. Extravertie, genre gothique.

Thérèse - Ah ! La voilà ! Bonjour ma chérie ! Le voyage s’est bien passé ?

Zoé - Ouais, tout baigne. Apparemment y a de l’eau dans le gaz ici, vous tirez tous une de ces tronches… y a un lézard ?

Liliane - Non… on se demandait seulement pourquoi tu n’étais pas arrivée plus tôt.

Zoé - Le ferry c’était ok, mais la route pour arriver dans ce bled… un peu galère.

Mathilde - Il suffisait de partir plus tôt, voire la veille, mais ça, c’était trop te demander, je suppose.

 

 

 

 

Zoé - Moi aussi je suis contente de te revoir ! T’as pas changée… enfin, physiquement les années t’ont pas fait de cadeau, mais alors question caractère t’es comme dans mes souvenirs.

Mathilde - Quelle insolence !

Zoé embrasse les autres.

Zoé - Je pensais pas être autant à la bourre…

Francis - C’est pas grave, la tante Marthe risque pas de t’en vouloir !

Rosine - La dernière fois que tu es venue tu devais avoir sept ou huit ans.

Zoé - C’est possible… Le seul souvenir que j’ai de la tante c’est qu’elle avait les joues pire qu’une râpe à fromage. Elle piquait quand je l’embrassais.

Rosine - Tu m’étonnes pas, elle se rasait. Pourtant je lui ai dit cent fois : « Plus tu les rases, plus les poils repoussent durs ! »

Zoé - Au fait, c’est quoi ce marmot dans un couffin sur le pas de la porte ?

Liliane - Qu’est-ce que tu dis ?!

Paul - Un bébé ?!

Francis - C’est quoi ce délire ?

Thérèse - Il faut aller le chercher !

Tous se précipitent. Paul pose le couffin sur une table. Tous se penchent. Le bébé se met à pleurer très fort. Chacun le berce à son tour, lui donne sa sucette, essaie des « gouzi gouzi, gaga, gouzou gouzou », rien n’y fait. Finalement il atterrit dans les bras de Barnabé.

Barnabé - Bonjour bébé, moi je suis Barnabé, tu es tout beau bébé, blond comme les blés, babille beau bébé…

Le bébé s’arrête net et rit.

Francis - Ouf ! Ça fait du bien !

Rosine - Regardez, il y a une enveloppe dans le couffin !

Thérèse y recouche le bébé, prend l’enveloppe, l’ouvre et lit.

Thérèse - « Barnabé, c’est ton fils, je te le laisse, tu n’as qu’à t’en occuper ! »

Barnabé - Mais… mais…

Mathilde - Ce n’est pas vrai ! Ce n’est pas possible !

Zoé - T’as réussi à sortir des jupes de ta mère ? Chapeau !

 

 

 

Paul - Barnabé, explique-toi…

Barnabé - J’en sais rien… c’est pas moi, je vous jure !

Francis - Encore un coup du Saint-Esprit sans doute…

Le curé - Ne blasphémez pas mon fils !

Francis - Vous me fatiguez, curé. J’ai l’âge d’être votre père, alors changez de disque.

Le bébé se remet à pleurer. Francis le prend et le met d’office dans les bras de Barnabé.

Francis - Tiens, fais ton boulot… papa !

Barnabé - Mais puisque je vous dis…

Francis - Fais-le taire, pour le bien de nos oreilles !

Barnabé - Dis donc faut faire dodo, il est doux ton doudou, dodeline et dors dedans ton édredon…

Le bébé se calme et rit. Thérèse le recouche tout doucement.

Zoé - C’est dingue ! Y a que la voix de son vieux qui le calme.

Barnabé, au bord des larmes - Mais puisque je vous dis qu’il est pas à moi ce bébé !

Zoé - Ah oui ? Moi je trouve qu’il te ressemble vachement.

Thérèse - Elle a raison…

Liliane - Avoue… c’est pas un crime…

Rosine - T’as fait ou t’as pas fait ?

Mathilde - Evidemment que non ! Il est pur comme l’agneau qui vient de naître, j’en mettrais ma tête à couper !

Barnabé - J’ai pas fait, tante Rosine. J’ai jamais fait, je le jure !

Rosine - Mince alors ! T’es encore puceau ! A ton âge ! Mon pauvre…

Mathilde - Je ne vois pas en quoi ne pas se rouler dans la luxure et ne pas vivre dans la débauche est un défaut !

Thérèse , brandissant la lettre - Inutile de nier, la preuve est là et bien là ! (A Mathilde.) - Alors, mémé, on est contente ?

Mathilde - Oh toi…

 

 

 

 

Elles s’empoignent à nouveau. Tous essaient de les séparer. Zoé intervient.

Zoé - Arrêtez ! C’est bon ! C’était une blague !

Tous - Quoi ? Hein ? Une blague ?

Zoé - Il est à moi ce môme. Sacré Barnabé, t’as flippé hein ? Toujours aussi bolosse, t’es un vrai gobe-mouche ! Ah la tête !

Liliane - Tu exagères, c’est pas sympa…

Zoé - Y a pas mort d’homme. J’ai pas pu résister à lui jouer un tour…

Mathilde - De très mauvais goût ! Il a toujours été ton souffre-douleur ! Ce que je disais se confirme. Aucune moralité, aucune conscience du bien et du mal !

Thérèse - C’est vraiment le tien ?

Zoé - Ouais et il pète la forme !

Francis - Surtout côté poumons…

Le curé - Speculum parturiante est, magnificat ad vitam !

Rosine - Ça veut dire quoi ?

Le curé - C’est beau de donner la vie.

Thérèse - Et tu as accouché là-bas… sans m’en parler ?

Zoé - C’était plus fun de te faire la surprise, non ?

Mathilde, ricanant - Alors, mémé, on est contente ?

Thérèse - Plus que contente ! Je suis ravie, heureuse, il est magnifique cet enfant ! Je me demande comment j’ai pu croire une seconde qu’il était ton petit-fils !

Elle et sa fille se penchent sur le couffin.

Rosine, à Liliane - Au fait, pourquoi elle était partie en Angleterre ?

Liliane - Elle y avait été pour travailler la langue.

Rosine - Apparemment, elle a bien fait tous les exercices !

Elles rejoignent Thérèse et Zoé.

Liliane, à Zoé - Je ne veux pas t’affoler mais, j’ai l’impression qu’il a la jaunisse du nourrisson…

Zoé - Oh non ! C’est sa couleur d’origine. Je l’ai eu avec un asiatique que j’avais rencontré dans le quartier de Chinatown.

 

 

 

Thérèse - Il n’a pas voulu venir avec toi ?

Zoé - Non mais attends, il y a longtemps que je l’ai largué !

Thérèse - Ah… il ne voulait pas d’enfant…

Zoé - J’en sais rien et je m’en tape. Je veux pas m’encombrer d’un mec, c’est tout. En plus il assurait pas, si tu vois ce que je veux dire. Je l’appellais « le petit citron pressé ! »

Mathilde - J’aurais tout entendu !

Thérèse - Mais, comment tu vas faire sans son père ?

Zoé - Comme toi. T’as bien jeté, le mien !

Thérèse - C’est pas une raison pour faire la même chose…

Mathilde - Elle a suivi l’exemple de sa mère, logique !

Zoé - De quoi elle se mêle la vieille pie !

Thérèse , à Mathilde - Toi aussi tu as élevé ton fils toute seule.

Mathilde - Oui mais moi, j’étais veuve ! Ça, c’est respectable ! Tandis que toi, c’était délibéré et on voit aujourd’hui ce que ça donne ! Enfin… on récolte ce qu’on sème.

Thérèse , montrant Barnabé - Ah oui ? Alors, lui, t’as pas dû l’arroser souvent !

Nouvelle empoignade. Paul les sépare.

Paul - Ça suffit ! Calmez-vous, toutes les deux !

Liliane - Thérèse, ne répond pas à la provocation, tu vaux mieux que ça.

Paul, à Mathilde - Je te conseille d’arrêter tes insinuations et tes insultes. Francis, je compte sur toi pour raisonner ta sœur !

Le bébé se remet à pleurer.

Zoé - Arrêtez votre cirque ! Le voilà qui recouine… Barnabé, amène- toi !

Barnabé - Je sais plus quoi lui dire…

Zoé - Creuse-toi la cervelle… si t’en a une !

Barnabé, se penchant sur le couffin - Popo pipi partout, pas pleurer petit poupon, papier essuiera tout, popotin propre et basta.

Le bébé rit et se rendort.

Thérèse - Il s’appelle comment ?

 

 

 

Zoé - Nào

Liliane - C’est mignon. C’est chinois ?

Zoé - Ouais.

Rosine - Ça veut dire quoi ?

Zoé - Braillard.

Francis - Logique, rien à dire…

Rosine - Braillard… comme le chevalier…

Liliane - Non, le chevalier c’était Bayard.

Rosine - Ah bon, t’es sûre ?

Liliane - Oh oui…

Francis, à Paul - Tiens, verse une autre tournée, ça fera passer les émotions.

Le curé - Usus Vademecum en pate, risus magna est !

Rosine - Ça veut dire quoi ?

Le curé - Il ne tient qu’à nous d’avoir un sourire éclatant.

Tous se resservent à boire.

Francis, regardant autour de lui - Cet endroit est sinistre.

Paul - Oui, il est dans un sale état.

Thérèse - Vivement qu’on s’en débarrasse et qu’on rentre chez nous…

Mathilde - Tu parles d’un héritage ! Quand je pense qu’elle s’est payé un enterrement de princesse et voilà ce qu’elle nous laisse…

Francis - Elle s’est aussi payé notre tête !

Liliane - C’est pas le sens de la famille qui l’étouffait !

Zoé - Vous rigolez ! Elle a pas laissé que ça !

Francis - Et si ! Pas un radis, pas un bijou, aucun objet de valeur. Rien que ce vieux boui-boui délabré et sans clientèle ou presque et qui vaut pas tripette.

Zoé - J’hallucine !

Francis - Même si on trouve un gogo pour l’acheter, on va rien en tirer du tout.

Paul - Sans compter qu’en tant que petits-neveux et nièces on n’a droit qu’à trente-cinq pour cent. Une misère…

 

 

 

Thérèse - On va le revendre trois fois rien…

Francis - Oui… et trent-cinq pour cent de trois fois rien ça va pas faire beaucoup…

Le curé - Sauf si vous décidez d’agir.

Paul - Comment ça ?

Le curé - Il suffit parfois de peu de chose… C’est vrai qu’en l’état ça ne vaut rien ou presque, mais, rafraîchi, modernisé, la valeur de cet établissement peut atteindre un bon prix. Il est situé en plein cœur du village qui, cette année, a été élu le village le plus fleuri du département !

Liliane - Ça se défend…

Thérèse - Mais oui ! Des couleurs plus gaies, changer la déco…

Le curé - Je pense à Rosine en particulier. Il y a de grandes chances pour que le repreneur la garde comme employée.

Rosine - Ah, je serais bien contente !

Mathilde - Personnellement, je ne mettrai pas un sou pour d’éventuels travaux !

Paul - Par contre, si on s’y met tous… pas de frais de main d’œuvre…

Francis - Quelques pots de peinture et le tour est joué !

Paul - Quelques pots de peinture ? Tu es optimiste. Il faudra vérifier le réseau électrique par exemple… changer la robinetterie…

Francis - Houlà… ça va être compliqué …

Liliane - Avec de la volonté on arrive à tout !

Thérèse - Franchement, c’est une bonne idée et j’aime bien bricoler !

Zoé - Ouais et ben moi, j’en ai rien à battre de ce tas de ruines ! Je suis pas peintre, ni maçon et encore moins plombier !

Mathilde - Ne comptez par sur moi, ni sur Barnabé !

Paul - Réfléchissez. Monsieur le curé a raison. Soit on le bazarde, soit on le rénove et on partage le montant de la vente entre nous. Si on choisit cette option, celui ou celle qui ne participera pas à la réfection n’aura rien de plus que ce qui était prévu. C’est normal.

Zoé - Ça ferait combien de tune chacun ?

Paul - Je ne veux pas m’avancer mais, une bonne dizaine de milliers d’euros, c’est sûr !

 

 

 

Zoé - Ah ouais… pas mal ! Ok, je reste.

Mathilde - Dans ce cas… moi et Barnabé aussi, mais ce n’est pas de gaîté de cœur. J’en connais qui seront difficiles à supporter…

Thérèse - On en a autant à ton service !

Paul - On devait rester quarante-huit heures seulement pour régler les formalités, mais maintenant il faut prévoir une bonne huitaine de jours. Tout le monde est disponible ?

Francis - Pas de problème, je suis en arrêt maladie…

Thérèse - C’est bon pour moi aussi. De toute façon je reste avec Zoé… et Nào !

Mathilde - Attention ! Le bébé n’a droit à rien, ou alors… qu’il travaille !

Zoé - T’as de la flotte à la place de la cervelle ou quoi ?

Liliane, à Mathilde - Jamais tu t’arrêtes de dire des bêtises…

Mathilde, à Liliane - Toi, tu n’es qu’une pièce rapportée, normalement ce n’est pas toi qui hérite…

Thérèse - On a dit : partage entre tous les participants.

Mathilde - Oui eh ben, elle n’a pas intérêt à chômer ! J’y veillerai !

Le curé - Je prierai pour la réussite de votre entreprise.

Francis - Perdez pas votre temps, curé, venez plutôt nous donner un coup de main.

Le curé - J’allais justement vous le proposer.

Paul - Voyons, monsieur le curé, vous n’y pensez pas…

Le curé - Si si, j’y tiens. J’aimais beaucoup votre tante et j’ai à cœur d’agir en mémoire d’elle qui était si triste de ne pouvoir entretenir son établissement et de vous le laisser dans un tel état...

Francis - Tu parles…

Mathilde - Inutile d’essayer de tirer profit de la situation, vous n’aurez pas un centime.

Rosine - Quand même ! Et le denier du culte ? Il faudra y penser.

Le curé - Chère Rosine, vous êtes la plus fidèle de mes brebis.

Paul - Je vous promets que vous n’aurez pas à faire à des ingrats, monsieur le curé.

 

 

 

Le curé - Oh, vous savez, mon fils, je ne reçois pas, je redistribue. Il y a toujours plus pauvre que soi…

Francis - Et plus riche aussi !

Rosine - Je vais plus pouvoir m’occuper de vous, mon père. C’est embêtant…

Paul - Comment ça ?

Liliane - Elle faisait ses repas et son ménage.

Le curé - C’est vrai que ça ne va pas être facile pour moi, mais je me débrouillerai…

Thérèse - Il faut trouver une solution, d’autant qu’il propose de nous aider…

Liliane - J’en vois qu’une. Il reste ici, avec nous.

Le curé - Je ne veux pas vous encombrer…

Rosine - La chambre de la Marthe est libre, il pourrait s’y installer !

Le curé - C’est vrai que ce serait l’idéal... Je serais sur place, ainsi je pourrais aider dès que j’ai un moment…

Paul - …Et vous partageriez nos repas… Qu’en dites-vous ?

Le curé - J’accepte avec plaisir, mon fils.

Francis - Plus on est de fous, plus on rit !

Paul - Bon, il va falloir s’organiser, partager équitablement les tâches. Il faudra s’entraider, alors finies les disputes stériles et les rancoeurs. Un seul objectif : rendre cet endroit accueillant et chaleureux, lui redonner tout son éclat pour notre bien à tous.

Le curé - Pédaler (ère) multi tandem, RER tram autobus !

Rosine - Ça veut dire quoi ?

Le curé - On avance plus vite à plusieurs que tout seul.

Paul - Il me faut un volontaire pour l’évacuation d’éventuels gravats, le nettoyage et autres… (Silence total.) - Bon ! Barnabé, tu seras volontaire.

Barnabé - Mais…

Paul - Tu seras volontaire, point ! Thérèse et Rosine vous vous occuperez de l’intendance, repas, pansements au cas où… Mathilde aux fournitures. Liliane et Zoé, peinture et finitions. Francis et moi au gros œuvre.

Le curé - Et moi, quelle sera ma tâche, mon fils ?

 

 

 

Paul - Chacun d’entre nous fera appel à vous selon les besoins.

Le curé - C’est entendu ! Je dois vous laisser, c’est l’heure de l’office. Ensuite je passerai à la cure prendre quelques affaires. A tout à l’heure !

Francis - Salut curé, bonne messe !

Il sort.

Rosine - Je vais vous donner les clés de vos chambres. Thérèse et Zoé vous aurez la plus grande puisqu’il y a le bébé (Elle tend la clé.) - C’est la cinq. Liliane et Paul vous irez dans la trois, Francis la quatre, Barnabé la deux et Mathilde la chambre du cercueil, enfin la une, quoi..

Mathilde - La chambre du cercueil !!!

Zoé - Trop cool !

Rosine - Je l’appelle comme ça vu que la Marthe l’avait mis là.

Mathilde - Mais… c’est horrible !

Rosine - Ben quoi ? Il y est plus et puis c’est qu’une boîte !

Mathilde - Non mais, vous l’entendez ? Une boîte !

Rosine - Ben oui, comme une hûche à pain, y a pas de quoi en faire tout un fromage !

Mathilde - C’est hors de question ! Je refuse catégoriquement d’y dormir ! Je me mettrai dans celle de Barnabé.

Barnabé - Tiens maman, prends ma clé…

Mathilde - Tu es fou ? Je t’interdis d’y coucher. On dormira dans la tienne.

Rosine - Mais, y a qu’un lit…

Mathilde - Peu importe, on se serrera !

Zoé, tout bas à Liliane - J’ai bien capté, là ? Il va pas coucher avec sa mère ?!

Liliane - J’espère qu’il est sevré…

Zoé, pouffant - Oh…

Francis, tendant sa clé à sa soeur - Tiens, prends la mienne, j’irai dans la une, ça me dérange pas.

Paul part vers les chambres avec sa valise, suivi de Thérèse, Zoé et le bébé, Mathilde, Barnabé et Rosine.

Liliane veut rejoindre Paul mais Francis vient s’asseoir à côté d’elle et la retient.

 

 

 

Francis - T’as pas changé, tu sais, ou plutôt si, tu es encore plus séduisante qu’avant…

Liliane - Vraiment ? Alors attends encore une bonne dizaine d’années, je serai devenue irrésistible !

Francis - Je suis sincère, je t’assure …

Liliane - Merci.

Francis - Ça fait plaisir de se revoir, hein ?

Liliane - Si tu le dis.

Francis - Allez, fais pas ta méchante. Après tout c’est moi qui devrait être le plus fâché.

Liliane - Tiens donc… et en quel honneur ?

Francis - C’est toi qui m’a quitté pour Paul, non ?

Liliane - Tu sais très bien pourquoi. Je ne te supportais plus.

Francis - C’est normal, quand on vit ensemble depuis longtemps on s’agace parfois mais, c’est souvent pour des bêtises.

Liliane - Dépensier, menteur, râleur, maladroit et fainéant… tu appelles ça des bêtises ?

Francis - Je plaide coupable votre honneur, sauf pour fainéant… pas accro au boulot, c’est pas pareil. N’empêche que t’as jamais manqué de rien.

Liliane - Parce que je travaillais ! Tu claquais le peu que tu gagnais au PMU ou aux jeux de grattage, tu empruntais de l’argent à nos amis sous de faux prétextes et pour les rembourser on n’est pas partis en vacances pendant des années !

Francis - Des années… une ou deux tout au plus…

Liliane - Vraiment ? Tu oses me répéter ça en me regardant en face ?

Francis - Bon, plusieurs et alors ? C’était pas une raison pour aller pleurer dans les bras de Paul. Tu parles, il attendait que ça !

Liliane - Rien n’était prémédité, quoi que tu en penses. Il me disait d’être indulgente, qu’avec le temps tu finirais par devenir raisonnable… Tu parles ! Quand j’ai compris que ça ne finirait jamais, j’ai décidé de te quitter. Peu à peu je me suis rapprochée de lui, j’ai retrouvé un équilibre. Quand il m’a proposé de l’épouser, je n’ai pas hésité une seconde. Il est tout ce que tu n’es pas : posé, ordonné, calme et responsable…

Francis - Quelle vie aventurière !

Liliane - Tu peux te moquer, c’est reposant figure toi.

 

 

 

Francis - Ça ne te ressemble pas, la routine. Toi qui disais que tu aimais être surprise…

Liliane - Il y a surprise et surprise. Toi tu accumulais les bêtises.

Francis - Rappelle-toi comme ça te faisait rire.. Allez, fais pas ta bêcheuse !

Liliane - Parfois, oui, je le reconnais, mais, à la longue, c’était devenu exaspérant.

Francis - De ce point de vue, effectivement, tu es tranquille. Mon cousin prévoit toujours tout.

Tout au long de la conversation il se rapproche d’elle.

Liliane - Il est très organisé, ça a beaucoup d’avantages.

Francis - L’imprévu aussi a des avantages… Tu te souviens du pique-nique ?

Liliane - Oh oui ! Tu avais mis dans le coffre de la voiture le parasol, la couverture, les verres, les assiettes, les couverts, il y avait même un petit vase avec des fleurs artificielles…

Francis - C’était romantique…

Liliane - Ce qui l’était moins c’était les gargouillis de ton estomac. Tu avais simplement oublié le plus important : le repas !

Francis - Et comme c’était un jour férié, tous les restaurants étaient fermés. On est rentrés, j’ai étalé la couverture sur le carrelage et on a pique-niqué dans le salon ! (Il la prend par les épaules.) - C’est un bon souvenir, non ?

Liliane, se dégageant - Oui, c’est vrai… mais j’en a surtout de moins bons.

Francis, remettant son bras autour de ses épaules - Allez, c’était pas si terrible de vivre avec moi… On a bien rigolé, pas vrai ?

Liliane, se dégageant - Il y a longtemps que tu ne m’amusais plus.

Francis, remettant son bras autour de ses épaules - Et pour le reste, ça se passait plutôt bien, non ? Rappelle-toi, ma Lily, ma Lilou …

Liliane, se dégageant - Appelle-moi Liliane et arrête ça tout de suite !

Francis, même jeu - Quoi ? Qu’est-ce que j’ai fait ?

Liliane, se dégageant - Tu sais très bien de quoi je parle !

Francis, recommençant - Tu veux dire, ça…

Liliane - Je t’ai dit d’arrêter !

 

 

 

 

Francis - On pourrait se retrouver tous les deux, comme avant… Je suis sûr que tu en as envie, autant que moi. Ça restera entre nous, je te le jure.

Il essaie de l’embrasser, Liliane le gifle. Il se retrouve par terre et saigne du nez. Thérèse et Paul reviennent.

Thérèse - Oh ! Qu’est-ce qui t’es arrivé ?

Francis, parlant du nez - J’ai glissé, je me suis cogné sur le bord de la table.

Thérèse - Je vais chercher du coton. Mets ta tête en arrière !

Elle repart.

Paul - Tu t’es pas raté, dis donc ! Tu souffres ?

Francis - Ça fait très mal.

Liliane - Arrête ton cirque !

Paul - Mais enfin, mets-toi à sa place… tu es dure.

Liliane - Il veut se faire plaindre, c’est tout.

Francis - Laisse. Elle a aucune pitié. C’est pas un cœur qu’elle a, c’est de la pierre… mais alors de la pierre dure comme du fer !

Paul - Il n’a pas tort. Tu pourrais faire preuve d’un peu de compassion…

Liliane - Tu sais quoi ? Vous n’avez qu’à vous installer ensemble, vous ferez un très beau couple !

Paul - Mais… pourquoi tu t’énerves ?

Thérèse revient, suivie des autres. Elle met du coton dans les narines de Francis et lui met la tête en arrière.

Thérèse - Reste un moment comme ça, ça va s’arrêter.

Zoé - C’est gore… j’adore !

Rosine - Tu vas avoir un nez gros comme une patate !

Francis - Merci de me rassurer…

Mathilde - Si tu te blesses avant même d’avoir commencé, qu’est-ce que ça va être après !

Barnabé - T’inquiète pas, tonton, je t’aiderai.

Francis, sinistre - Chic.

 

 

 

 

Thérèse - Tu viens Rosine ?

Mathilde - Vous allez où ?

Rosine - Faire deux ou trois courses. On casse-croûtera ici ce soir.

Mathilde - Je viens avec vous, comme ça je suis sûre de manger ce que j’aime.

Thérèse - Pas question ! L’intendance, c’est nous deux.

Zoé - Je reste ici, Nào va pas tarder à avoir les crocs, faut que je fasse son bib.

Mathilde - T’as pas fini de trouver des prétextes pour rien faire… ça promet !

Zoé - T’arrête de me chercher des crosses ou je te décalque sur le mur ! Avec tout le respect que je te dois, bien sûr…

Liliane - Laisse tomber, elle n’en vaut pas la peine…

Paul, à Mathilde - Si tu continues on se passera de toi et tu auras ce qui était prévu au départ, ni plus, ni moins. Barnabé, toi et moi on va acheter quelques fournitures pour commencer.

Francis - Je vous accompagne.

Paul - Mais ton nez…

Francis, enlevant les cotons - Ça y est, c’est fini et puis ça me fera du bien de prendre l’air.

Mathilde - Attendez ! Barnabé a écrit un petit texte. Vas-y, lis-le.

Barnabé se tortille.

Paul - Allez, ne te fais pas prier, on n’a pas trop le temps…

Barnabé, se râclant la gorge - « Tapez burins, tournez boulons, au boulot ! » Boulons, boulot, c’est rigolo… (il rit niaisement.)

Liliane - Très…

Barnabé - « Pinceaux, peinture, perceuse, pitons, en action !

Etale le plâtre, la taloche, car c’est trop moche ». (Il rit) -

« Enfoncez les clous, les marteaux ! Les scies, coupez en morceaux !

Pendant des heures, labeur, sueur, même pas peur ! »

Zoé - J’en connais un qu’on a crucifié pour moins que ça …

Elle part vers les chambres sous le regard furieux de Mathilde. Les autres se regardent.

Mathilde - Et il l’a écrit d’un seul jet !

 

 

 

 

Rosine - Comme qui dirait sans réfléchir quoi…

Paul, voix morne - C’est bien… c’est très bien…

Liliane, idem - Super…

Thérèse , idem - Difficile de faire mieux…

Francis, idem - Quel talent. Bon, on y va ?

Tous sortent. Liliane retient Paul.

Liliane - Francis ne s’est pas cogné, je l’ai giflé.

Paul - Pourquoi ?

Liliane - Il m’a fait des avances, si tu veux savoir.

Paul - Il est nostalgique. Le pauvre… ça lui est difficile de vivre sans toi. On ne peut pas lui en vouloir.

Liliane - Tu plaisantes !

Paul - Tu n’aurais pas dû le gifler pour quelques mots affectueux…

Liliane - Il m’a fait du rentre-dedans, carrément !

Paul - Je suis certain que tu t’es trompée sur ses intentions. Tu n’aurais pas dû être violente, ça ne te ressemble pas.

Francis l’appelle.

Francis - Oh ! Tu viens !

Paul - J’arrive ! Il faudra que tu t’excuses…

Liliane - Mais…

Paul - Il a beaucoup de défauts mais je sûr qu’il est loyal. A tout à l’heure.

Il sort.

Liliane - Loyal ! C’est la meilleure !

Noir. Tous sont couchés. Une silhouette pénètre dans le bar. Seule la lumière d’une lampe frontale troue l’obscurité. On entend des coups sourds, des bruits de casse étouffés. La silhouette se déplace, s’accroupit, tape, etc… On entend des voix venant des chambres.

Liliane, voix off -  Tu entends ? Ça vient du bar…

Paul, voix off -  Je vais voir.

Liliane, voix off - Fais attention…

 

 

 

La silhouette se sauve. Paul apparaît en pyjama, il allume.

Liliane, voix off - Alors?

Paul - Rien. Il y a personne.

Liliane, voix off -  Il venait d’où le bruit?

Paul - J’en sais rien, peut-être de dehors…

Liliane, voix off - La porte est bien fermée à clé ?

Paul - Oui, oui. Allez, recouchons-nous. On se lève tôt demain.

Il éteint et repart vers les chambres.

 

ENTRACTE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Acte 2

 

 

 

 

 

 

 

Tréteaux, boîtes à outils, pots de peinture, mètres, fils électriques, rallonges, niveaux, bref, tout pour bricoler. Paul orchestre tout ça. Tous s’affairent. Thérèse met sur le bar des piles pour chacun : combinaisons de protection, gants etc…

Paul - Poussez les tables sur les côtés.

Liliane se fait aider par Zoé. Francis et Barnabé se mettent ensemble tandis que Paul met les tréteaux.

Paul - Barnabé viens, on va chercher la planche.

Ils sortent à l’extérieur.

marilyne - Je vais voir Nào…

Mathilde - L’alibi idéal pour éviter de travailler !

Mathilde et Thérèse sont vers le bar. Mathilde vérifie, note dans un carnet, etc… Francis aide Liliane à pousser les chaises le long des murs.

Francis - Alors, ma petite tigresse, toujours fâchée ?

Liliane - Ma petite tigresse… c’est nouveau !

Francis - Tu sais que ta gifle m’a fait réfléchir…

Liliane - Ça aussi c’est nouveau !

Francis - C’était le dernier sursaut avant la capitulation.

Liliane - Qu’est-ce que tu racontes ?

Francis - Tu as eu peur de me céder, c’était un réflexe de défense, c’est tout.

Liliane - Tu te fais tout un cinéma…

 

 

 

Francis - Je crois pas non.

Liliane soupire. Paul et Barnabé reviennent avec la planche et la pose sur les tréteaux.

Paul - Barnabé, étale un plastique par terre, on posera les pots de peinture dessus.

Barnabé s’empêtre en dépliant le plastique, les autres font des allers-retours avec l’extérieur pour apporter du matériel. Zoé revient.

Zoé, à Mathilde - Ça va ? Je t’ai pas trop manqué ?

Paul, à Barnabé - Bon alors, tu y arrives oui ?

Zoé - Il a deux mains gauches, c’est pas possible !

Mathilde - C’est un poète, pas un déménageur !

Liliane - Je vais l’aider sinon il ne s’en sortira jamais.

Une fois le plastique posé les autres y mettent tout le matériel.

Mathilde - Oh ! Doucement ! Il faut que je note. Mettez-vous en rang, attendez votre tour et annoncez ce que vous posez à voix haute.

Liliane - A vos ordres mon adjudant !

Mathilde - Excuse-moi d’être organisée… Allez-y !

Chacun pose un truc et Mathilde note en répétant (« quatre pinceaux… un niveau… » etc…).

Rosine, se dirigeant vers la porte avec un cabas - Je vais au ravitaillement !

Mathilde - Inutile de l’annoncer, ça fait partie de tes attributions, non ?

Rosine - T’es une comique, toi… t’aurais dû faire clown !

Mathilde - Tais-toi, tu m’embrouilles… Alors, la peinture : 3 gris… 4 beige… 5 pivoine… Il manque le blanc à plafond !

Paul - Il est dans la camionnette. Francis, vient avec moi. Barnabé allez, viens nous aider !

Ils sortent.

Mathilde - C’est incroyable ! Ils oubliaient le plus important, puisqu’on commence par les plafonds.

Liliane - Justement, il les apportent en dernier pour qu’ils soient dessus, pas dessous.

Mathilde - Qu’est-ce que tu racontes ?

 

 

 

 

Liliane - Si on les pose en premier ils seront dessous et il faudra enlever ceux de dessus pour les attraper et comme on s’en sert en premier on les met dessus donc en dernier.

Mathilde - Je ne comprends rien à ton charabia !

Thérèse - Ça grince là-dedans, tu devrais mettre de l’huile…

Zoé - Il faut pas être sorti d’ HEC pour piger !

Rosine - C’est sûr !

Mathilde, à Rosine - Comme si tu avais compris quelque chose, toi !

Rosine - Mais oui ! Le père Noël me l’a assez répété : les derniers seront les premiers.

Mathilde - Le Père Noël… ben voyons !

Liliane - C’est le curé. Noël c’est son prénom.

Zoé - Ah ! L’éclate !

Les hommes apportent les pots, font des allers-retours.

Barnabé - C’est lourd…

Thérèse - Plus qu’un stylo, c’est sûr !

Mathilde - Barnabé est un intellectuel. Ce n’est pas donné à tout le monde.

Paul - Bon. Tout y est.

Thérèse, montrant le bar - J’ai fait une pile pour chacun, allez vous servir.

Paul - On s’équipe et au boulot !

Zoé et Barnabé enfilent les combinaisons par-dessus leurs vêtements. Le curé arrive.

Francis - Vous tombez bien, curé, on allait commencer.

Le curé - J’ai été retenu par quelques ouailles après l’office.

Rosine - C’est quoi des zouailles ?

Le curé - Des fidèles, des paroissiens, comme vous chère Rosine.

Rosine, fiérote - Je suis une zouaille, moi ? J’aurai pas cru. Pourtant je suis pas allée longtemps à l’école…

Zoé - T’es trop, toi, je t’adore !

Paul, à Zoé et Barnabé - Allez-y. Prenez votre peinture et des pinceaux. On n’a pas de temps à perdre.

 

 

 

@Ils sortent.

Thérèse - Tenez monsieur le curé, voici votre tenue.

Le curé, tenant la combinaison devant lui - Je vais faire comment ?

Liliane - Enlevez votre soutane.

Francis - Vous vous mettez en caleçon et basta !

Liliane - Ne vous inquiétez pas, elles ne sont pratiquement pas transparentes.

Francis - Y a pas idée aussi ! Y a longtemps que les curés sont en costume.

Le curé - Je suis attaché aux traditions. Vous avez déjà vu le Pape en blue-jean, vous ? Moi non plus. Un curé sans soutane n’est pas un curé.

Liliane - Pourtant on dit que l’habit ne fait pas le moine.

Le curé - Spirituellement parlant, c’est exact, mais institutionnellement l’uniforme est un guide, un phare dans la tempête… Fiat lux aluminium inox !

Rosine - Ça veut dire quoi ?

Le curé - La lumière éclaire la nuit…

Rosine - Ah…

Le curé sort.

Francis - Quel scoop !

Mathilde - Je vais mettre mes notes au propre.

Mathilde sort à son tour.

Thérèse - C’est drôle de vouloir à tout prix porter la soutane. Il est pas si vieux…

Rosine - C’est par nostalgie. Il voulait faire évêque, être à Rome. Mais il était pas assez doué au séminaire, surtout en langue qu’il m’a dit.

Francis - Il me semblait bien que son latin était bizarre…

Rosine - C’est sûrement du latin moderne. Bon, J’y vais.

Elle sort.

Francis - Si elle existait pas il faudrait l’inventer !

 

 

 

 

 

Il attrape ses affaires et sort. On entend pleurer le bébé.

Thérèse , sortant à son tour - Je vais voir Nào.

Zoé, voix off - Barnabé ! Nào te réclame !

On entend vaguement des sons. Le bébé rit.

Liliane - Je repense à ces bruits cette nuit. Je suis certaine que ça venait d’ici…

Paul - On l’a cru mais c’est impossible. Tout était fermé, le bar était vide et je suis arrivé par la seule sortie qui mène aux chambres et à la cuisine.

Liliane - On n’a pas rêvé quand même et j’ai remarqué un truc ou deux, regarde …(Elle lui montre une plinthe un peu arrachée, une latte de plancher soulevée.) - Tu vois ?

Paul - Oui et alors ? Tout est daubé ici, ça doit être comme ça depuis longtemps…

Liliane - Je sais pas… j’ai une drôle d’impression…

Paul - Arrête de te monter la tête. Qui s’amuserait à casser ce qui est déjà abîmé !

Liliane - Tu as raison . Le bruit devait venir de dehors. Tu sais, pour Francis…

Paul - S’il te fait la tête c’est normal.

Liliane - Ça ne lui a pas refroidi ses ardeurs, au contraire, figure-toi qu’il…

Paul - Je t’arrête. Je ne sais pas lequel de vous deux se fait des idées mais on a plus urgent à penser, alors on passe à autre chose, d’accord ?

Mathilde et Thérèse reviennent tandis qu’ils enfilent leurs combinaisons par dessus leurs vêtements.

Thérèse - Tout va bien. Le petit dort à poings fermés.

Mathilde - Un peu de répit, c’est déjà ça !

Francis arrive, suivi du curé (On aperçoit à travers la combinaison des caleçons longs, un tee-shirt noir avec col blanc devant.)

Thérèse - Ah ! Vous voyez monsieur le curé, vous êtes plus à l’aise comme ça !

Le curé - Me voilà prêtre ouvrier !

Paul, tendant un multimètre à Francis - Tiens va tester les fusibles. Note lequel correspond à quoi, enfin tu vois… Hé ! Tu testes, c’est tout, tu touches à rien d’autre !

Francis - La confiance règne !

Il sort.

 

 

 

Paul - Venez monsieur le curé, on va s’occuper des robinets. Mathilde, viens avec nous. Liliane, tu peins tout ce qui est encadrements de portes et de fenêtres.

Ils sortent.

Liliane - Rien que ça !

Thérèse - Je vais t’aider. Rosine s’occupera des repas, on n’est pas si nombreux…

Barnabé, voix off - AÏE !!!

Liliane - C’est la voix de Barnabé!

Thérèse , partant derrière le bar - Je vais chercher la trousse…

Barnabé arrive avec Zoé.

Liliane - Qu’est- ce qui t’es arrivé ?

Zoé - Un coup de marteau sur le doigt.

Mathilde arrive en courant.

Mathilde - Barnabé a eu un accident !

Liliane - Fais voir… (A Zoé.) -Tu pourrais faire attention…

Mathilde, la martelant de ses poings - Elle l’a mutilé ! Elle l’a mutilé !

Zoé - Ça va pas non ? Il s’est fait ça tout seul ! C’est pas ma faute s’il est nase de chez nase !

Thérèse le panse (grosse poupée). Barnabé gémit. Liliane et Zoé se retiennent de rire.

Thérèse - Tiens, soulève la langue. C’est de l’arnica en granules… voilà…

Mathilde - Tu as très mal, hein ?

Barnabé - Ça lance…

Mathilde - Assieds-toi un moment…

Barnabé - Non, ça va aller…

Mathilde - Mais… ton doigt ?

Zoé - C’est la main gauche et il est droitier, ça l’empêche pas de tenir un pinceau. Allez remue-toi !

Barnabé, à sa mère avec un air de sacrifice - Il faut que j’y retourne…

Zoé l’entraîne.

 

 

 

Mathilde - Quel courage !

Thérèse - Oh c’est bon, c’est pas Kôh-Lanta non plus !

Mathilde - Toi et ta fille vous êtes deux sans-cœur !

Rosine revient avec ses provisions.

Rosine, à Thérèse - Allez, aux pluches !

Thérèse - Je te laisse faire, je vais aider Liliane.

Rosine - Je vais pas faire tout toute seule !

Liliane - C’est juste pour une heure, ou deux…

Rosine - Bon, d’accord.

Mathilde - Ce n’est pas ce qui était prévu.

Thérèse - De quoi je me mêle !

Paul revient.

Mathilde - Thérèse et Rosine sont bien à l’intendance, non ?

Paul - Oui, pourquoi ?

Liliane - Explique-lui, toi, qu’on n’est pas à l’armée. Je me retrouve seule pour peindre tous les encadrements.

Thérèse - Alors je vais l’aider un moment.

Paul - Arrangez-vous entre vous.

Mathilde - Ah non ! Ce qui est dit est dit !

Paul - L’important est que le travail soit fait…

Mathilde - L’important est que chacun soit à sa place ! Tu as distribué les rôles, non ?

Paul - oui mais…

Mathilde - Oh, bien sûr, je suppose que mon avis compte peu face à ta femme et à ta sœur. L’impartialité n’est sûrement pas ton fort.

Paul - Ça n’a rien à voir…

Mathilde - Oh que si ! S’il s’agissait de moi il y a longtemps que tu aurais fait respecter ta décision !

 

 

 

 

 

Rosine - Elle a pété un boulon !

Liliane - Tu as fini, oui ! Arrête de nous chercher des poux, c’est insupportable !

Thérèse - Mets tes notes dans ton petit carnet avec ton petit crayon et mêle-toi de tes affaires !

Paul - Stop ! Ça suffit ! Que chacune fasse ce qui était prévu, comme ça il n’y aura pas d’histoires !

Liliane, à part - Tu es sérieux, là ?

Paul - Inutile d’envenimer la situation…

Liliane - C’est pas une raison pour baisser ta culotte devant elle !

Paul - Pitié ! Tu ne vas pas t’y mettre toi aussi…

Liliane, air pincé - Très bien !

Elle attrape un pot, un pinceau, un chiffon et part sans un regard, droite comme un i. Elle croise Francis. Thérèse et Rosine sortent à leur tour. Mathilde ne tarde pas à les suivre.

Francis - Il y a de l’électricité dans l’air on dirait…

Paul - Elles se sont attrapées toutes les quatre.

Francis - Et tu t’es retrouvé au milieu.

Paul - C’est ça…

Francis - Ah les bonnes femmes, je te jure… Allez, vient boire un coup !

Paul - C’est un peu tôt pour ça, non ?

Francis - Y a pas d’heure pour les braves. Ça va te décontracter… je te sens tout crispé… (Il lui masse les épaules.) - Sinon avec Liliane, ça va ?

Paul - Oui…

Tout au long de la conversation il sert Paul dès qu’il a bu une gorgée, à son insu. Lui-même ne boit pas et verse son verre dans une plante posée sur le comptoir.

Francis - Il m’a semblé qu’il y avait un peu de tension entre vous…

Paul - C’est rien… on se prend parfois la tête, mais ça s’arrange vite… enfin, tu vois ce que je veux dire…

Francis - Oh oui… je vois bien.

 

 

 

 

 

Paul - Elle est très câline…

Francis - Je sais.

Paul - Excuse-moi… je voulais pas…

Francis - T’inquiète. On est adultes, non ?

Paul - Oui, mais comme je… enfin… comme on t’a…

Francis - Fait cocu…

Paul - C’est ça ! Euh… non… enfin, si… c’est pas vraiment le mot…

Francis - Ah si ! C’est justement le bon mot !

Paul - Avoue que ça n’allait pas très fort vous deux…

Francis - C’était une question de caractère, mais on trouvait toujours le moyen de se réconcilier nous aussi. Tiens, un jour on s’était engueulés, mais alors grave, et ben le soir elle m’a… (Il lui chuchote à l’oreille.)

Paul - Non !

Francis - Si si, je te jure !

Paul - Ça alors !

Francis - Elle te l’a jamais fait ?!

Paul - Ben non… enfin, pas encore… par contre, une fois, pour se faire pardonner, elle m’a… (Il chuchote à son tour.)

Francis - Oui… mais ça c’est un grand classique…

Paul - Tu crois ?

Francis - Evidemment. Non, ce qu’il y a c’est que vous vous engueulez pas assez fort. C’est après une grosse dispute que la réconciliation est la meilleure.

Paul, un peu emmêché - Tu crois que si on se fâchait vraiment elle ferait… enfin, ce que tu m’as dit ?

Francis - Bien sûr ! Mine de rien,les femmes, elles aiment être bousculées. Un peu de machisme ne leur fait pas peur, mieux, ça excite leur imagination ! Conseil d’ami. (Clin d’œil.)

Paul - Merci. (Clin d’œil aussi.) - La prochaine fois qu’on se dispute je…

 

 

 

 

 

Francis - Quelle prochaine fois ? Vous êtes en froid, là, maintenant, profites-en !

Paul - Non, mais je la connais, elle est pas rancunière, elle y pense même plus.

Francis - Relance la machine.

Paul - Comment ça ?

Francis - C’est tout simple. Tu lui dis : « Oh, toi, tu fais la tête ! »

Paul - C’est tout ?

Francis - Ouais. Tu vas voir, elle va partir au quart de tour…

Liliane revient chercher du matériel. Francis fait un geste à Paul et se planque dans le coin du comptoir un peu caché par la plante.

Paul, à Liliane - Oh toi, tu fais la tête…

Liliane - Mais non. C’est vrai qu’il valait mieux calmer le jeu. Tu n’avais pas trop le choix.

Paul - Je vois bien que tu es fâchée.

Liliane - Non, je t’assure.

Paul - Tss tss… pas à moi !

Liliane - Puisque je te dis que non !

Paul - Je te connais… tu es en rogne.

Liliane - Arrête ! Tu commences vraiment à m’agacer, là !

Paul - Tu vois, tu prends la mouche pour rien !

Liliane - Absolument pas, mais tu insistes bêtement ! Puisque je te dis que je ne suis pas fâchée ! C’est un monde, ça !

Paul - C’est pas la peine de me crier dessus…

Liliane - Moi ! Je te crie dessus !

Paul - Ben oui, la preuve…

Liliane - Evidemment ! Tu n’arrêtes pas de m’asticoter, alors, forcemment, ça m’énerve !

Paul -Voilà ! J’avais raison. Tu étais de mauvaise humeur.

 

 

 

 

 

Liliane - Je n’étais pas de mauvaise humeur, mais maintenant, si !

Paul - Ah ah… tu avoues…

Liliane - Alors là… on atteint des sommets… Bon, tu m’as assez fait perdre mon temps.

Elle attrape un pot de peinture et se dirige vers le couloir.

Paul - Tu… tu repars… comme ça ?

Liliane - Je retourne à ma peinture. On est là pour ça, non ?

Il se retourne vers Francis qui l’encourage d’un geste.

Paul - A ce propos, dis donc, quand il y a une bêtise à faire tu es pas la dernière…

Liliane - De quoi tu parles ?

Paul - Oh… Ne fais pas l’innocente, hein…

Liliane - Qu’est-ce que j’ai fait ?

Paul - Tu le sais très bien !

Liliane - C’est pas possible !

Paul - C’est pas parce que tu es de mauvaise humeur qu’il faut saloper le boulot !

Liliane, s’énervant - Tu vas te calmer, oui !

Paul - C’est pas toi qui vas me dire ce que je dois faire, alors, tu te tais !

Liliane - Je parlerai si je veux ! Pour qui tu te prends !

Paul, l’attapant par le bras - Ah ! Tu aimes qu’on te bouscules hein, c’est ça ! Je vais te bousculer, moi !

Liliane - Ça suffit ! Lache-moi ! Tu es complètement fou !

Paul - Comment tu parles à l’homme !

Liliane - Je t’avertis, ma main va imprimer ses cinq doigts sur la joue de l’homme !

Paul - J’aimerais bien voir ça !

Liliane - A ton service…

 

 

 

 

 

Elle le gifle, attrape son pot et sort. Paul se frotte la joue. Francis le rejoint.

Paul, éberlué - Elle m’a giflé…

Francis - J’ai vu. Dis donc, elle t’a mis une de ces beignes ! Mon pauvre vieux…

Paul - Le bon côté c’est qu’elle va vouloir qu’on se réconcilie…

Francis - Mmh… c’est une autre histoire…ça risque d’être difficile…

Paul - Mais… tu disais que…

Francis - Faut pas croire tout ce qu’on te dit.

Il sort.

Paul - Oh la la … qu’est-ce que j’ai fait… il faut que je lui explique…

Le curé arrive.

Le curé - Ah ! Vous êtes là. Il faudrait que vous montiez voir chambre quatre, il y a un souci avec le pommeau de la douche.

Paul - Oui oui… euh… vous m’avez dit quoi ?

Le curé - Vous avez un problème, mon fils ?

Paul - J’ai été stupide... elle me pardonnera jamais…

Le curé - Vous parlez de votre femme ?

Paul - J’ai provoqué une dispute, pour rien !

Le curé - Minus délirium potest bénificat… (Paul le regarde.) - Une petite colère peut être bénéfique !

Paul - J’ai bien peur que ce soit plus grave que ça…

Le curé - Allons, allons, mon fils, mettez votre espoir entre les mains du Seigneur.

Paul - Je dois parler à Liliane.

Le curé - Il vous faudra attendre mon fils, il faut régler le problème de la douche rapidement.

Paul, soupirant - Bien… allons-y…

Ils sortent et croisent Thérèse et Rosine, chacune tenant une anse du couffin du bébé.

 

 

 

 

 

Thérèse - Le bruit, les odeurs de peinture, c’est pas l’idéal pour lui.

Rosine - On va l’aérer un peu. Vous inquitez pas pour le repas, ça mijote.

Elles sortent. Liliane revient, elle essaie de se calmer, se met au bar et se sert un verre qu’elle avale d’un trait. Francis la voit.

Francis - Hé ! Doucement ! Tu vas pas t’y mettre, toi aussi !

Liliane - Comment ça, toi aussi ?

Francis - D’abord Paul, maintenant toi… Y a quelque chose qui cloche ?

Liliane - Tu as vu Paul boire un verre ?!

Francis - Ah oui… et c’était pas de l’eau.

Liliane - C’est impossible. S’il y a un défaut qu’il n’a pas c’est bien celui-là.

Francis - Je sais pas mais, il s’en est jeté plusieurs derrière la cravate…

Liliane - Tu en es sûr ?

Francis - Pourquoi je te mentirais ?

Liliane - Ça expliquerait son agressivité…

Francis - Il t’a cherché des crosses ?

Liliane - Il m’a pratiquement agressée, sans aucune raison. Il m’a attrapée par le bras et m’a secouée.

Francis - Il a été brutal !

Liliane - Pas vraiment mais…

Francis - Parce que si c’est le cas, il aura à faire à moi, je te le dis !

Liliane - Je sais me défendre toute seule.

Francis - C’est souvent que ça se produit ?

Liliane - Jamais !

Francis - Mmh… Alors c’est qu’il supporte plus l’alcool…

Liliane - Je te dis qu’il ne boit pas, je ne sais pas ce qui lui a pris…

Francis - T’as peut-être pas fait attention. Moi, j’avais bien remarqué qu’il crachait pas dessus.

 

 

 

 

 

Liliane - Tu te trompes. Pas Paul.

Francis - Oh, tu sais, les proches sont toujours les derniers à s’en rendre compte. Il a dû trop tirer sur la corde… elle a fini par casser. Tu t’imbibes, tu t’imbibes et un beau jour, tu peux plus absorber et tu débordes de partout.

Liliane - Je n’arrive pas à y croire…

Francis - Je t’ai fait beaucoup de tours pendables mais pas celui-là. Si tu as besoin d’aide, n’hésite pas. Je suis là et je serai toujours là pour toi ma Lily (Il la serre contre lui et l’embrasse sur la joue.)

Liliane, sonnée et se dirigeant vers la porte - J’ai besoin de prendre l’air…

Francis - Et paf ! 0-15, avantage Francis… et c’est que le début du match !

Mathilde, Paul et Barnabé arrivent.

Paul - Ah, tu es là. Donne les clés de la camionnette à Barnabé. (A Barnabé.) - Va chercher le tuyau PVC.

Mathilde, notant - Alors, un tuyau PVC…

Francis - Pourquoi tu l’inscris ?

Mathilde - Ah, écoute, on m’a dit de noter toutes les fournitures utilisées, alors moi, je note. Si tu veux des explications tu demandes au chef ! (Elle désigne Paul de la tête et repart.)

Francis - Elle a toujours été comme ça, bête et disciplinée.

Paul - Ça l’occupe.

Barnabé revient, le tuyau PVC sur l’épaule en passant entre les deux hommes.

Barnabé - Je le mets où ?

Il pivote ce qui fait qu’il « sonne » l’un et l’autre à son insu.

Barnabé - Alors ? J’en fais quoi ? Oh ! Vous pourriez me répondre. C’est un monde quand même ! Ah on est aidé, je vous jure !

Il part vers le couloir, le tuyau sur l’épaule. Thérèse, Rosine, Liliane et le bébé reviennent.

Rosine - Ben, qu’est-ce qu’ils font par terre ?!

Thérèse - Oh mon Dieu ! Ils se sont battus, ça devait arriver.

Elle va chercher sa trousse. Le bébé se met à pleurer.

 

 

 

 

 

Zoé, voix off - J’entends pleurer Nào, quelqu’un peut l’amener ?

Rosine - J’arrive !

Zoé - Barnabé ! C’est pour toi !

Thérèse revient, tend un linge humide à Liliane qui va d’office s’occuper de Francis. Elle-même s’occupe de son frère.

Thérèse - Vous n’avez pas honte de vous battre comme des chiffonniers !

Paul - C’est Barnabé… il portait un tuyau, il s’est retourné et on s’est retrouvés par terre.

Thérèse , à Paul - Tu as une belle bosse à la base du crâne…

Liliane - Ça lui remettra les idées en place.

Francis - Mine de rien, il est dangereux ce gamin…

Liliane lui tamponne le front.

Francis - Tu as des doigts de fée ma lily…

Liliane - Je vois que tu es complètement remis, alors au travail !

Thérèse part ranger ses affaires.

Francis - Bon, je retourne m’occuper du compteur.

Il sort.

Paul - Liliane…

Liliane - Quoi ?

Paul - Je suis tellement désolé pour tout-à l’heure…

Liliane - Tu avais bu.

Paul - Non ! Enfin… si. J’ai pris un verre avec Francis.

Liliane - Avec Francis ?

Paul - C’est lui qui me l’a proposé.

Liliane - Tiens donc…

Paul - J’en ai bu qu’un, je te le jure !

Liliane - C’est toi ou c’est lui qui servait ?

 

 

 

 

 

Paul - C’est lui, pourquoi ?

Liliane - Ah d’accord… et vous avez parlé de quoi ?

Paul - De choses et d’autres… de trucs sans importance, tu vois…

Liliane - Oui… oui…

Paul - Ne sois plus fâchée, je t’en supplie, je ne sais pas ce qui m’a pris…

Liliane - Oh moi je sais ! Je ne t’en veux pas, va.

Paul - C’est vrai ?

Liliane - Oui mon chéri. Je commence à y voir plus clair !

A ce moment tout s’éteint. On entend des exclamations et Francis crier.

Francis, voix off - Merde ! J’ai fait sauter les plombs !

Musique transition nuit. Silhouette noire, lampe frontale, coups sourds, choses déplacées etc…

Liliane, voix off - Ce coup-ci pas de doute, ça vient du bar !

Paul,voix off - Je vais voir…

Liliane, voix off - Je t’accompagne.

La silhouette éteint sa lampe et ne bouge plus. Liliane et Paul apparaissent, un cierge à la main.

Paul - Reste derrière moi, on ne sait jamais.

Liliane - On n’y voit rien… Encore heureux que le curé nous ait apporté des cierges. Il y a même pas une lampe de poche dans cette baraque.

Paul - Y a quelqu’un ?

Liliane - Tu crois vraiment qu’on va te répondre ?!

Paul - En tout cas le bruit s’est arrêté.

Liliane - C’est peut-être une bestiole, genre furet ou autre…

Paul - On remonte. Inutile de prendre des risques. On verra ça demain.

Liliane - J’espère que l’électricité sera réparée.

Paul - Il suffit de changer les fusibles, c’est tout.

 

 

 

 

 

Transition nuit-jour. Le lendemain matin. Tout est chamboulé.

Liliane - Pas de doute, quelqu’un a fouillé partout !

Paul - Il faut qu’on en parle aux autres.

Liliane - Surtout pas ! C’est sûrement l’un d’entre eux.

Paul - Tu plaisantes !

Liliane - Réfléchis… la porte est verrouillée, la fenêtre est fermée, celle de la cuisine aussi et il n’y a pas d’autre issue.

Paul - Mais qui s’amuserait à mettre le bazar la nuit ?

Liliane - Celui ou celle qui fait ça cherche quelque chose… mais quoi ?

Paul - Tu crois ?

Liliane - Je ne vois pas d’autre explication. C’est peut-être Rosine. Elle pense que la tante cachait des choses de valeur…

Paul - Elle avait tout le loisir de chercher avant qu’on débarque tous. De toute façon la tante a dépensé tout son fric pour son enterrement…

Liliane - C’est vrai… mais alors qui ? Et pourquoi ?

Paul - En tout cas tu as raison, n’en parlons pas. On va réfléchir au moyen de découvrir qui fait ça. Aide-moi, on va remettre un peu d’ordre.

Ils s’activent. Les autres arrivent petit à petit. Chacun prend le nécessaire pour continuer les travaux.

Rosine passe et repasse, fait semblant de réfléchir, repart, revient. Bref, elle ne fait rien.

Barnabé, à Zoé qui prend un marteau et des pitons - Tu vas faire quoi ?

Zoé - Accrocher les tableaux, enfin, ces croûtes qui servent de déco.

Barnabé - C’est trop tôt. J’ai mis de l’enduit, il faut attendre que ce soit sec, sinon le trou va s’agrandir.

Zoé - On s’en fout, y aura le tableau dessus, ça le cachera !

Mathilde - Barnabé est soigneux, lui, tu ne vas pas saboter son travail !

Zoé - Vous allez pas me saouler tous les deux pour un malheureux trou !

Paul, à Rosine - Tiens, au lieu de tournicoter dans tous les sens, prend la caisse à outils et suis-moi.

 

 

 

 

 

Rosine - J’ai pas le temps.

Paul - Tu fais quoi exactement ?

Rosine - Je vérifie.

Paul - Tu vérifies quoi ?

Rosine - Tout ! Et puis faut que je pense au dîner, tout ça…

Paul - Oui et bien tu réfléchiras plus tard. Viens me donner un coup de main.

Rosine - Je peux pas je te dis ! Je suis pas Bouddah, j’ai pas six bras ! (Elle sort.)

Paul, à Liliane - Bouddha n’a pas six bras !

Liliane - Oh, Je sais…

Thérèse arrive avec le bébé qui pleure.

Thérèse - Nào est réveillé !

Francis - On a entendu…

Zoé, prenant le bébé et le tendant à Barnabé - Tiens !

Barnabé - Encore ! « Tais-toi titounet, tétine, tototte, tontaine et tonton, taratata ! »

Le bébé rit.

Zoé - Tu vois quand tu veux. (Elle le prend, le donne à sa mère.)

Thérèse - Je vais le recoucher. (Elle sort.)

Mathilde - Et ça se croit une bonne mère sans doute !

Zoé - Je suis plus faite pour être une bonne mère que toi pour être danseuse au Crazy Horse ! Amène tes plumes, Barnabé. (Ils sortent.)

Paul, à Mathilde - Va acheter des fusibles.

Mathilde - Moi !

Paul - Les fournitures, c’est toi, non ?

Mathilde - Oui mais…

Paul - Alors respecte mes décisions.

 

 

 

 

 

Il farfouille dans un coin.

Mathilde, à Francis - Tu as entendu comme il me parle ?!

Francis - Sur le fond, il a raison…

Mathilde - Il y a la manière !

Francis - Tu veux un petit conseil ? Râle moins et souris plus.

Mathilde - En parlant de conseil, je vais t’en donner un. Laisse tomber.

Francis - De quoi tu parles ?

Mathilde - Tu crois que je n’ai pas vu ton manège avec Liliane… On dirait un chien affamé devant une saucisse !

Francis - C’est flatteur pour elle. Je suis sûr qu’elle apprécierait…

Mathilde - Tu ne vas quand même pas te tourner les sangs à cause de cette gourgandine !

Francis - Joli mot ! Un peu vieillot, peut-être. Va acheter les fusibles et t’occupe pas de mes affaires.

Elle part.

Francis, à Paul - Alors, comment ça va avec Liliane ?

Paul - Elle ne m’en veut plus.

Francis- Vous vous êtes réconciliés ?

Paul - Oui.

Francis - Tu veux dire, réconciliés… réconciliés ?

Paul, souriant - Devine… Tiens aide-moi.

Il attape un truc lourd. Francis le prend d’un côté et l’échappe intentionnellement. Paul, déséquilibré penche d’un côté et se coince le dos.

Paul - Aahh !... Je me suis coincé le dos ! Aahh !...

Thérèse accourt.

Thérèse - Oh !!! Bouge pas, je reviens…

Paul - Bouger ! Faudrait pouvoir !

 

 

 

 

 

Francis, faux-cul - Désolé mon vieux, j’ai lâché prise… Oh la la !

Paul - C’est pas de ta faute. Aahh…

Francis - Attends, je vais essayer de te débloquer.

Paul - Non !!

Francis - T’inquiète.

Il lui attrape la tête et la tournicote.

Paul - Arrête ! Tu m’as coincé le cou !

Francis, faux-cul -  Oh non ! Moi qui croyais bien faire !

Thérèse revient. Elle lui masse le bas du dos.

Paul - Mon cou aussi…

Francis - En plus, il s’est fait un torticolis.

Liliane arrive à son tour.

Liliane - Mon chéri ! Tu t’es fait mal ?

Paul - C’est rien… enfin, j’espère…

Thérèse - J’ai tout prévu, je vais chercher une ceinture lombaire et une minerve.

Francis - C’est douloureux, hein ?

Liliane, furieuse - Non, ça chatouille !

Thérèse revient, met la ceinture et la minerve.

Thérèse - Voilà. Tu peux remettre ta combinaison.

Liliane - C’est pas la peine qu’il la remette, il doit se reposer.

Paul - Il y a trop à faire !

Liliane - On est nombreux. Rosine et Mathilde viendront nous aider. (Elle appelle.) - Rosine ! (Rosine arrive.) - Laisse tomber tes casseroles. Paul s’est fait mal au dos, tu es réquisitionnée.

Rosine - C’est que, je suis pas bricoleuse, moi !

Liliane - Mais si, tu verras. C’est dans l’urgence qu’on se révèle.

Paul - Je peux essayer de…

 

 

 

 

 

Liliane - Rien du tout !Tu nous dirigeras, tu nous diras quoi faire, mais toi tu te reposes. (Montrant Rosine.) - Explique-lui. (A Thérèse qui revient.) - Va avec Paul, vous ne serez pas trop de deux pour lui expliquer.

Paul, Thérèse, Rosine vont vers les chambres.

Francis - Tu es très attentionnée… t’es pas rancunière.

Liliane - Alors toi, je te conseille de te faire oublier. Paul ne s’est rendu compte de rien, mais j’ai compris que tu l’avais fait boire à son insu.

Francis - Moi ! Oh !

Liliane - Je te connais par cœur, alors c’est pas la peine de me faire tout ton cinéma. Tu voulais que je me fâche avec lui ! Plan tordu. Idée idiote. Je ne veux plus entendre parler de toi.

Francis - Ne me dis pas ça… ma Lily… ma Lilou…

Liliane - Liliane ! (Il tend le bras vers elle.) - Et ne me touche pas !

Mathilde revient avec les fusibles. Paul revient.

Liliane - Ah te voilà !

Mathilde, à Paul - Qu’est-ce qui t’arrive ?

Paul - Je me suis fait mal au dos et au cou.

Mathilde - C’est malin ! Ça fait deux bras en moins…

Liliane - Comme tu vas t’y coller, le compte sera le même.

Mathilde - Tu veux que je participe aux travaux !

Liliane - Tu penses pas que tu avais droit à ta part simplement en barbouillant ton petit carnet !

Mathilde - Mais, je n’ai pas la force d’un homme…

Liliane - T’inquiète pas, il y a plein de trucs à faire qui ne nécessitent pas une force herculéenne. ( Elle lui  donne une combinaison.) - Enfile ça et suis-moi.Tu vas voir comme c’est valorisant de se rendre utile !

Elles sortent toutes les deux.

Paul - Ça m’embête de pas pouvoir t’aider.

Francis - C’est pas grave. Je te demande juste de me régler les courroies du sac à dos.

 

 

 

 

Il le remplit de matériel et enfile les courroies sur ses épaules.

Paul - Bien sûr…

Francis attend le bon moment et s’arrange pour qu’il se coince le pouce sous la sangle et fait semblant de se rendre compte de rien.

Paul- Aahh !!! Mon pouce ! Il est coincé !

Francis - Où ça ?

Paul - Sous la sangle… aahh…

Francis, relâchant la sangle - Décidemment, c’est pas ton jour…

Paul se rasseoit et se tient le pouce.

Paul - Aahh…

Thérèse et Liliane arrivent.

Liliane - Qu’est-ce qui t’arrive encore ?

Paul - Je me suis tordu le pouce…

Tjérèse repart.

Liliane - Je t’avais dit de pas bouger de ta chaise !

Francis - Ah mais, il a pas bougé, hein Paul ?

Paul - Non… j’ai… rien fait.

Francis - Ça doit être tout-à l’heure…

Paul - Oui… c’est ça…

Liliane - T’avais pas mal au pouce !

Francis - Parce qu’il le sentait pas. Le mal de dos et le torticolis étaient trop forts.

Paul - Mais maintenant je le sens bien…

Thérèse revient et lui met une attelle au pouce.

Thérèse - Voilà. Ça te soulagera.

Liliane - Par pitié ne bouge plus ! On peut te laisser ?

Paul - Oui oui…

 

 

 

 

 

Thérèse - Il est  avec Francis, il ne risque rien.

Elles repartent.

Francis - Mon pauvre vieux… t’es râpé pour les galipettes. C’est pas de chance !

Il part à son tour, lui tourne le dos, sourit et fait : « Yes ! »

Paul essaie de se caler sur une chaise. Le curé revient de l’église.

Le curé - Me voilà libre pour la journée ! Mais… vous avez l’air d’être en piteux état, mon fils…

Paul - Le dos, le cou, le pouce…

Le curé - Vous souffrez beaucoup ?

Paul - Il y a des gens plus à plaindre que moi…

Le curé - Maximum rictus doloris, lingue (oué) mortem. « Les grandes douleurs sont muettes ». Courage, mon fils.

Paul - Merci. Vous n’avez qu’à monter, Francis vous dira quoi faire.

Le curé - Le temps de me mettre en tenue et j’y vais.

Il sort, tandis que Rosine revient.

Rosine - C’est quoi un multimètre ?

Paul - Tu regardes dans une des boîtes, là, dans le coin. Excuse- moi mais je vais m’allonger un moment. On est mal sur ces chaises. (Il sort.)

Rosine farfouille, ne trouve pas. Francis descend.

Francis - Alors, ça vient oui ?

Rosine - T’es marrant toi ! Vas t’y retrouver dans tout ce fatras !

Francis, cherchant - Ah ! Le voilà !

Il prend la boîte de laquelle dépasse une tige metallique qui s’accroche à la jupe de Rosine qui se décroche. Elle se retrouve en panty.

Rosine - Oh ! Espèce de goujat !

Elle le gifle au moment où Liliane revenait.

Rosine - Vieux vicieux ! Satyre !

Francis - Mais, j’ai rien fait !

 

 

 

 

 

Rosine, ramassant sa jupe, à Liliane - Il a toujours été comme ça. Déjà, tout gamin, il jouait à touche-pipi avec toutes ses cousines ! (Elle sort.)

Francis - Elle ment ! Je te jure qu’elle ment !

Liliane, le giflant à son tour - Tais-toi, espèce d’obsédé ! (Elle repart.)

Francis, se tenant le nez, la tête en arrière - Oh non ! Ah, la trousse est là, sur le bar. (Il se met des cotons dans le nez.)

On entend du bruit à l’étage.

Barnabé, voix off  - Quelle horreur ! C’est pas possible !

Thérèse , voix off   - Fermez l’eau ! Fermez l’eau !

Mathilde, voix off   - Au secours ! Je sais pas nager !

Liliane, voix off   - Tu te crois sur le Titanic ? Vite ! Au compteur d’eau !

Le curé, voix off   - Il est où ?

Rosine, voix off   - En bas, derrière le bar…

Tous déboulent. Le curé ferme le compteur. Zoé redescend, trempée.

Paul - J’ai entendu une perceuse. Qui a troué un tuyau ?!

Barnabé - C’est moi ! J’ai voulu fixer un tableau. Le piton ne suffisait pas, alors j’ai voulu mettre une cheville. J’ai utilisé la perceuse. La mèche est rentrée, comme dans du beurre…

Liliane - Elle était longue comment ?

Barnabé, montrant une bonne longueur - Comme ça…

Francis - Oh le couillon !

Paul - Tu te rends compte de ce que tu as fait !!!

Mathilde - Ce sont est des choses qui arrivent…

Paul - Pas quand on a un peu de jugeote !

Thérèse - Heureusement que Zoé était là. C’est grâce à elle si les dégâts ne sont pas plus importants !

Zoé - Faut pas pousser… J’ai juste mis ma main sur le trou…

Liliane - Rosine, va chercher des serpillères, on va éponger tout ça.

 

 

 

 

 

Tous repartent sauf Zoé et Barnabé.

Zoé - Pourquoi tu t’es accusé à ma place ?

Barnabé - Je voulais pas que tu sois embêtée.

Zoé - Non mais, attends, tu m’avais dit que c’était pas une bonne idée. Je t’ai envoyé bouler, je méritais de me faire attraper.

Barnabé - Disons que, je t’aime bien…

Zoé - T’es ouf ou quoi ? J’ai toujours été une vraie peste avec toi !

Barnabé - Justement ! Je t’admirais tu sais. Tu trouvais toujours un truc nouveau. Tu avais une imagination de folie ! Si tu savais comme je t’enviais… non seulement tu me faisais punir, mais en plus, tu te faisais féliciter…

Zoé - Tu ne m’en a jamais voulu ? Même un peu ?

Barnabé - Jamais ! J’aurais tant aimé avoir du caractère comme toi. Mais, je sais pas pourquoi, j’ai toujours été obéissant et je continue…

Zoé - T’es plus un morveux ! Faut lui faire piger à ta mère ! Lâche-toi ! Vis ta life !

Barnabé - J’ai essayé un jour de lui en parler. Elle m’a dit que j’étais un égoïste, qu’elle m’avait consacré toute sa vie et qu’elle avait que moi. Elle m’a fait de la peine, alors je suis resté.

Zoé - Je croyais que t’étais un crétin… en fait, t’es juste un vrai gentil.

Barnabé - Oh, de toute façon je serais incapable de me débrouiller seul. Je sais rien faire.

Zoé - Ah si ! Tu sais calmer Nào et c’est un exploit ! Dis donc… et si tu repartais avec moi ?

Barnabé - Tu… tu veux dire en Angleterre ?!

Zoé - C’te blague ! Bien sûr !

Barnabé - J’y ferai quoi ?

Zoé - Tu t’occuperais de Nào ! Dis donc… tu sais quoi ? J’ai des potes qui font du slam. T’écris des naseries, mais tu peux sûrement faire mieux. Ils t’apprendraient, tu t’éclaterais avec eux !

Barnabé - Mais… ma mère ?

Zoé - Elle survivra ta mère, je t’assure ! Ce qui te manque, c’est de l’air !

 

 

 

 

Barnabé - Oh oui… Londres… Tower Bridge… Buckingam palace… Piccadilly Circus… Oh oui !

Zoé - Ça va être l’éclate, je te dis!

Ils crient tous les deux, surexcités.

Paul, voix off, criant - Dites donc tous les deux, ça vous dérange pas si on bosse ?

Zoé, Barnabé - On arrive !

Petit temps mort… Le curé et Rosine arrivent.

Rosine - Je vous assure, mon père, il faut que je libère ma conscience.

Le curé - Voyons , ma fille, vous savez bien qu’on n’a pas le temps d’aller au confessionnal…

Rosine - On peut faire ça ici.

Le curé – Mais… c’est impossible, voyons…

Rosine, mettant deux chaises côte à côte – Si, si, on va se débrouiller. Asseyez-vous, bougez pas, je reviens.

Rosine revient avec une grille de barbecue et la lui met dans la main.

Le curé - Mais…Une grille à saucisses ! Voyons, Rosine, ce n’est pas sérieux !

Rosine - Allez père Noël, faites pas de manières. Tenez ça ! (Elle lui fait tenir la grille entre eux deux.) - Vous voyez, ça fait pareil !

Le curé - Si on veut. Bien, allez-y, je vous écoute

Rosine - Bénissez-moi mon père, parce que j’ai pêché.

Le curé - Abrégez Rosine, quelqu’un pourrait arriver…

Rosine - Vous inquiétez pas, ils sont tous occupés là-haut.

Le curé – Je vous écoute…

Rosine - J’ai giflé mon cousin Francis.

Le curé - Ce n’est pas bien, ma fille.

Rosine - C’est pour ça que je me confesse ! J’aurai pas dû parce que je m’étais trompée.

Le curé - De cousin ?

 

 

 

 

 

Rosine - Non non, il s’agissait bien de lui ! Je vous explique : Il m’a enlevé ma jupe sans le faire exprès, mais j’avais cru qu’il l’avais fait exprès, d’où la gifle.

Le curé - Vous vous êtes excusée ?

Rosine - Ah non ! Ça vaut pour toutes les autres fois où il en aurait mérité une !

Le curé - Mais… vous devez vous repentir…

Rosine - Oui oui, je me repentis, oui, je me repentis ... voilà, voilà... Dites-moi seulement ce que j’ai comme punition, histoire d’arranger le coup avec le Bon Dieu.

Le curé - Oh ! Rosine! Ça ne marche pas comme ça voyons !

Rosine – Oh, ça va… Alors ? Je fais quoi ?

Le curé, soupirant – Bon, ben… trois Pater et un Avé.

Rosine - Trois pâtés, je veux bien, mais le navet, j’en fais quoi ?

Le curé - Béatus minus occiput simplex…

Rosine - Ça veut dire quoi ?

Le curé - Heureux les simples d’esprit !

Rosine - Je vois pas le rapport… Bon, c’est pas le tout, j’ai pas que ça à faire moi ! Merci mon père. Donnez-moi la grille, faut que j’aille faire rôtir les saucisses !

Elle reprend la grille et s’en va. Le curé pousse un gros soupir et sort à son tour.

Francis et Thérèse arrivent. Francis change de combinaison. Il s’énerve sur la fermeture éclair.

Francis - C’est pas vrai ! Quelle saleté ce truc !

Thérèse - Qu’est-ce qui se passe ?

Francis - La fermeture éclair s’est bloquée, impossible de la fermer.

Thérèse - Tire pas, tu vas la péter complètement ! Fais voir… Ah d’accord… ton caleçon s’est pris dedans.

Elle se met à genoux devant lui et essaie de la décoincer.

Francis - Tu crois que tu vas y arriver ?

Thérèse - J’en ai décoincé des plus difficiles…

 

 

 

 

 

Liliane arrive. Elle voit Thérèse de dos, agenouillée devant Francis. Elle est pétrifiée.

Thérèse - Ah ! Elle est coriace celle-là ! Bouge pas, laisse-moi faire…

Elle force, fait des petits bruits. Francis a le tête penchée vers elle. Ils ne voient pas Liliane.

Thérèse - Et voilà ! Vite fait, bien fait !

Francis - Ah ! Ça soulage !

Thérèse , se relevant - Bon, je retourne à mes pinceaux, si tu as besoin, n’hésite pas à me demander ! (Elle sort.)

Francis voit Liliane qui le fixe, muette. Thérèse repart sans l’avoir vu.

Francis - C’est pas ce que tu crois… c’est ma ferm…

Liliane – Dégoûtant personnage !

Elle le gifle et s’en va.

Francis - Oh non ! Mon nez ! Y en a marre !

Il se précipite vers la trousse et prend du coton. Paul arrive.

Paul - Ah, tu es là… il faudrait que tu… tu saignes encore du nez ?!

Francis - C’est rien, je suis fragile de ce côté là.

Paul - Ça n’a rien à voir avec Liliane ?

Francis - Mais non, quelle idée !

Paul - Ok. Bon, reste tranquille cinq minutes. (Il attrape quelques outils et repart tout raide à cause de la ceinture et de la minerve…) - Je vais porter ça à Barnabé.

Francis - Tu sais que tu ressembles à Robocop ?

Paul, sinistre - Ah ah !

Francis se tamponne le nez, s’asseoit un moment. Liliane revient.

Liliane - Je viens m’excuser… j’ai parlé avec Thérèse et elle m’a expliqué pour la fermeture éclair.

Francis - Tu t’es fait des idées.

Liliane - Je sais… venant de la part de Thérèse, c’était stupide de le croire.

Francis - Et de ma part aussi !

 

 

 

 

 

Liliane - C’est moins sûr… En tout cas, je suis désolée de m’être énervée.

Francis - Si ça t’a mise en colère, c’est que tu es jalouse.

Liliane - N’importe quoi !

Francis - Et si tu es jalouse… c’est que tu m’aimes encore !

Liliane - Tu es vraiment stupide ! Je ne t’aime plus, il faut te le dire comment ? Je suis très heureuse avec Paul et si je t’ai giflé c’était uniquement parce que Thérèse est ta cousine et que je trouvais ça honteux ! Tu ne m’intéresses plus. Mets-toi bien ça dans le crâne ! (Elle sort.)

Francis - Jeu, set et match… au vestiaire mon Francis. Au moins j’aurai essayé… (Il sort.)

Transition nuit. Liliane et Paul chuchotent.

Liliane - On a bien fait de la mettre dans la confidence.

Paul - Tu crois que ça va marcher ?

Liliane - Evidemment !

Zoé arrive et pose délicatement le couffin sur le bar.

Zoé - Ouf ! C’est bon, il s’est pas réveillé.

Paul - Je me demande si c’est une bonne idée…

Zoé - Succès garanti, tonton. Le moindre bruit, la moindre lueur et il fait la sirène. Comme alarme y a pas mieux !

Ils repartent. Noir. La silhouette entre, lampe frontale. Même scénario. On entend un craquement. Le bébé pleure. On entend des portes qui claquent, des bruits de pas, la lumière s’allume.

Mathilde, voix off - C’est infernal ! Faites-le taire !

Tous arrivent. La silhouette, pétrifiée, est agenouillée, la tête dans le comptoir dont elle a enlevé des planches. Barnabé chuchote des trucs au bébé et le calme.

Paul - Tu es fait ! Sors de là !

Liliane, tenant une clé à molette - Pas d’embrouille ou je frappe !

La silhouette recule à quatre pattes. Le curé se relève. Il tient un coffret.

Paul - Monsieur le curé ?! C’est vous ?!

 

 

 

 

 

Rosine - Père Noël, qu’est-ce que vous faites ici en pleine nuit ?

Barnabé - Il a cassé le bar !

Zoé - Il est glauque, lui !

Francis - Alors, curé, on fait des heures supplémentaires ?

Mathilde - Qu’est-ce qu’il a dans les mains ?

Paul - Donnez- moi ce coffret !

Thérèse - Voleur ! Vous ! Un homme d’église ! Vous n’avez pas honte ?

Rosine - Et ben… c’est pas avec trois pâtés que vous allez vous en tirer avec le Bon Dieu, moi je vous le dis !

Le curé - Votre tante ne donnait jamais rien à la quête. Elle mettait des jetons de caddies, des boutons, des vieux boulons, n’importe quoi sauf un centime. En confession elle a avoué qu’elle ne voulait pas que vous héritiez de quoi que ce soit. Elle a laissé son établissement se dégrader pour que vous ne puissiez rien en tirer ou très peu. Elle a avoué aussi qu’elle avait caché un magot, alors je me suis dit que cet argent revenait au denier du culte…

Mathilde - Et le huitième commandement : « Tu ne déroberas point », qu’est-ce que vous en faites ?

Le curé - Errare humanum est !

Francis - Allons bon, le v’là qui retrouve son latin !

Liliane - Mais alors…vous nous avez suggéré de faire des réparations et vous avez proposé de nous aider, uniquement dans le but de fouiller partout…

Le curé - Elle m’avait dit que c’était dans le bar. J’ai pensé à cette pièce, mais hier j’ai compris qu’elle parlait du zinc, du comptoir…

Paul, ouvrant le coffret - Il n’y a qu’une lettre !

Francis - Fais voir… (Il lit.) - « Alors, curé, on n’a pas pu s’empêcher de chercher le magot de la vieille Marthe, hein ? Je vous ai bien eu ! Il est pas là ! »

Le curé - Ah ! Animalis cornibus lactum !

Rosine - Ça veut dire quoi ?

Francis – Facile ! Animalis… cornibus…lactum… ça veut dire : Ah ! La vache !

Francis - « Dites à mes neveux… (La voix de la tante se substitue à celle de Francis.) que je les aimais pas. C’est qu’une bande de vautours. Ils l’auront pas non plus mon magot. Il est bien planqué et là où il est, ils le trouveront jamais ! »

 

 

 

 

Paul - Alors elle avait beaucoup d’argent…

Liliane - Je comprends mieux comment elle a pu se payer un tel enterrement…

Mathilde - Oh, la teigne !

Thérèse , la fixant - Apparemment elle t’a transmis le gène.

Rosine - Quand je pense qu’elle a fait elle-même l’intérieur de son cercueil… Elle avait pourtant les moyens de le faire faire… Elle en a passé des heures à faire de la couture, à rembourrer les parois, le fond, le coussin…

Francis - Tout rembourrer… … avec son fric !!!

Zoé, attrapant Barnabé par le bras - Ouais !! Tous au cimetière !!

Tous se ruent dehors en se bousculant.

Rosine - Les premiers arrivés seront les premiers servis !

Mathilde - Moi d’abord !

Thérèse, la repoussant - Laisse-moi passer !

Paul - Poussez-vous !

Liliane - Aïe !

Le curé, effaré - Allons, voyons, mes enfants…

Francis, se retourne et lui donne une bourrade - Vade retro, curé !

Il sort à son tour. Le curé se retrouve assis par terre. Le bébé rit.

 

 

 

FIN

 

 

             

Acte 1

 

 

Thérèse et Liliane entrent dans le bar.

Liliane, soupire en se déchaussant - Pfou… J’ai les pieds en compote… j’aurais pas dû mettre des talons hauts.

Thérèse - Tu les supportes pas ?

Liliane - Si, mais le problème ici c’est les pavés dans les rues, les chemins pas goudronnés… J’ai passé mon temps à marcher sur la pointe des pieds pour pas les abîmer…

Thérèse - C’est vrai qu’à la campagne on est mieux en baskets !

Liliane – Oui mais, pour une cérémonie, bonjour l’élégance et puis avec des talons, je suis plus grande… enfin, moins petite.

Thérèse - Tu sais, cinq centimètres de plus ou de moins, ça change pas grand- chose…

Liliane - Quand même… Remarque, c’est bien d’être petite, on se fait plus facilement câliner…

Thérèse - Je suis certaine que mon frère fait ça très bien…

Liliane - Oh oui… Paul est très tendre... tendre et solide à la fois. Ça me change de Francis.

Thérèse - En parlant de lui, ça a dû te faire tout drôle de le revoir !

Liliane - Je m’y étais préparée, psychologiquement parlant.

Thérèse - Il ne t’a pas lâchée des yeux.

Liliane - Oui, j’ai remarqué. Il faut dire qu’il était très discret ! Il n’y a que Paul pour ne s’être rendu compte de rien !

Thérèse - Pas si sûr… mais tel que je le connais, s’il s’en est aperçu, il ne fera pas de vagues, d’une part parce que c’est son cousin et d’autre part parce qu’il lui a piqué sa femme.

Liliane - Il ne lui a rien piqué du tout ! Je n’en pouvais plus de Francis et de tous ses mensonges ! Paul m’a toujours soutenue dans les moments difficiles, en toute amitié. Ce n’est que lorsque j’ai pris la décision de divorcer qu’il a avoué m’aimer depuis toujours.

Thérèse - Je sais. Il avait promis à Francis que s’il se mariait un jour il serait son témoin. Il n’avait pas prévu qu’il tomberait amoureux de la mariée ! Malgré tout il a tenu sa promesse et respecté ton choix.

 

 

 

 

Liliane - Ah la la, j’étais si jeune ! Francis était exubérant, amusant, beau parleur. Ton frère, lui, était discret, calme, sérieux… Je pensais qu’il était faible, légèrement ennuyeux. Je m’étais bien trompée.

Thérèse - C’est loin tout ça…

Liliane - Oui, ça va faire un bail et tu sais quoi ? Pas un jour j’ai regretté d’avoir quitté Francis.

Thérèse - Et moi je suis ravie que tu sois ma belle-sœur.

Liliane - Pareil pour moi. Ça me change de Mathilde. Autant Francis était fêtard, autant sa sœur était sinistre !

Thérèse - Et elle n’a pas l’air de s’être améliorée… C’est la seule de mes cousines que j’ai jamais pu encadrer !

Liliane – Tu m’étonnes…

Thérèse - Je plains son fils…

Liliane - Mmh… Enfin, dans deux jours, chacun repartira de son côté.

Thérèse - Rosine a préparé les chambres. (Rosine arrive à son tour.) - La voilà ! Les autres ne sont pas avec toi ?

Rosine - Ils arrivent… (Elle s’assoit près d’elles.) - Je sais pas vous, mais moi je la redoutais cette journée. Finalement ça s’est bien passé.

Thérèse - Oui… et puis c’était l’occasion de se revoir, ça faisait longtemps.

Liliane - Alors moi, j’ai été scotchée… je m’attendais pas à ce qu’il y ait un orchestre... vous vous rendez compte !

Thérèse - Et les fleurs ! C’était fou ! Des monceaux de lys, de roses, d’orchidées…

Liliane – Et puis elle en a eu des compliments votre tante Marthe !

Thérèse - En même temps, c’était pas le jour à lui faire des reproches.

Rosine - Pourtant il y aurait eu de quoi dire…

Thérèse - C’est sûr, mais bon… en tout cas c’était très réussi.

Liliane - Elle a été gâtée !

Rosine - On n’est jamais si bien servi que par soi-même !

Liliane - Comment ça ?

 

 

 

 

Rosine - Avec la convention obsèques, elle avait tout prévu et depuis longtemps !

Thérèse - Tu veux dire que personne ne s’est occupé de son enterrement ?

Rosine - Mais elle voulait pas ! C’est elle qui a pensé à tout : les fleurs, la musique, les textes…

Liliane - Les textes aussi ?!

Thérèse - C’est elle qui avait écrit ses propres louanges ?!

Rosine - Puisque je vous le dis !

Thérèse - Je comprends mieux pourquoi le curé n’a voulu laissé parler personne…

Rosine - Elle disait que tous autant qu’on était on se moquait pas mal d’elle, qu’elle se moquait de nous tous aussi et qu’il était pas question qu’on lui fasse un enterrement de pauvre. Je lui avais fait remarquer que moi j’étais restée là, eh ben elle a ricané en me disant que si je restais avec elle c’était que par intérêt et qu’elle était bien bonne de s’occuper de moi.

Thérèse - Mais, tu travaillais ici !

Rosine - Je m’occupais des chambres et du bar, enfin, surtout du bar parce que l’hôtel marche plus depuis longtemps… En échange j’étais logée, nourrie, blanchie et elle me donnait un peu d’argent de poche quand j’allais au cinéma ou que j’avais quelque chose à m’acheter.

Liliane - C’était de l’exploitation !

Rosine - Oh, c’est pas grave, j’ai pas de gros besoins. Par contre, une fois que la succession va être liquidée, je me demande ce que je vais faire…

Thérèse - Moi, je me demande comment elle a pu se payer un tel enterrement…

Rosine - Elle devait avoir des sous de côté.

Liliane – Attendez, mais rien que le cercueil… il était magnifique !

Rosine - C’était de l’ébène et les poignées étaient dorées à l’or fin !

Thérèse - Ça vaut une fortune !

Rosine - Elle l’avait acheté depuis au moins un an déjà. Il était entreposé dans une des chambres et elle y allait régulièrement pour l’admirer.

Liliane - C’est morbide…

Thérèse - C’est surtout ruineux !

 

 

 

Liliane - Toutes ses économies ont dû y passer…

Thérèse, amère - Comme ça elle était certaine de rien nous laisser.

Liliane – Par contre, elle a complètement négligé son bar-hôtel… quand on voit l’état des lieux…

Rosine - Elle disait que ça suffisait bien pour les clients. Il faut dire qu’ils se bousculaient pas à la porte.

Thérèse - Tu m’étonnes, ça donne pas envie.

Rosine - Remarquez ça me laissait du temps de libre pour m’occuper du père Noël…

Liliane - Du Père Noël ?!

Rosine - Ben oui… du curé, quoi. Noël c’est son prénom. Je vais à la cure, je lui prépare ses repas, je lui fais son ménage… en échange il me donne un peu d’argent de poche.

Francis, Paul, Mathilde et Barnabé arrivent.

Francis, radieux - Ben voilà, ça, c’est fait !

Le curé arrive à son tour.

Paul - Entrez monsieur le curé. Vous boirez bien quelque chose ?

Francis - Cette blague ! Et nous aussi, ça s’arrose !

Le curé - Allons voyons, mon fils…

Francis - Oh ça va… C’est un secret pour personne qu’elle nous aimait pas et on lui le rendait bien.

Le curé - Un peu de charité chrétienne, mon fils.

Francis - De charité crétine vous voulez dire !

Tous s’installent au différentes tables et sur les tabourets du bar. Rosine et Paul se mettent derrière le bar et servent. Chacun dit ce qu’il veut boire. Liliane apporte les boissons.

Liliane - Tu veux quoi Barnabé?

Barnabé - Euh…

Mathilde - Une grenadine !

Barnabé - Ah… alors avec de la limonade…

 

 

 

 

Mathilde - Sans limonade. De l’eau plate.

Barnabé - Mais…

Mathilde - Le sirop est déjà suffisamment sucré. Tu n’as pas à en rajouter.

Liliane se dirige vers le zinc.

Mathilde, à Liliane - Et moi ! Tu pourrais me demander ce que je veux !

Liliane - Je t’écoute, très chère Mathilde…

Mathilde - Tu m’apportes un verre d’eau.

Liliane - Avec une paille ?

Mathilde est outrée, Liliane sert les boissons.

Paul - Qu’est-ce que je vous sers monsieur le curé ?

Francis - Tu lui sers un jaune et à moi aussi.

Le curé - Pastis durum et (ète) hypocras, vésiculum crassus !

Rosine - Ça veut dire quoi ?

Le curé - L’abus d’alcool est dangereux pour la santé.

Francis - Oh dites, curé, faut pas charrier. Vous l’avez bien sifflé votre vin de messe tout à l’heure, même que vous vous êtes resservi deux fois.

Le curé - Moi ? Vous vous méprenez mon fils…

Francis - Dites pas non ! Vous avez agité votre clochette pour la communion, mais j’ai relevé la tête, je vous ai vu.

Le curé - In vino véritas…

Rosine - Ça veut dire quoi ?

Francis - La vérité est dans le vin, ça, je connais. Allez curé, pas de chichis, vous prendrez quoi ?

Le curé - Bon ben, dans ce cas, un whisky, s’il y en a….

Paul le sert.

Mathilde - Monsieur le curé, j’ai un reproche à vous faire.

Le curé - Je vous écoute ma fille…

Mathilde - Alors et d’une, je ne suis pas votre fille et de deux, votre attitude a été détestable !

 

 

 

Le curé - Pourquoi une telle colère ?

Mathilde - Barnabé voulait dire quelques mots et vous avez refusé qu’il s’exprime. D’ailleurs vous avez refusé ce droit bien légitime à chacun d’entre nous.

Le curé - Je n’ai fait que respecter une des volontés de votre tante Marthe…

Mathilde - Sachez que mon fils est un poète et que c’est très frustrant pour lui de n’avoir pu déclamer ses vers.

Liliane - Il n’a qu’à les dire maintenant…

Paul - Mais oui, nous l’écouterons avec plaisir…

Thérèse - Vas-y Barnabé...

Barnabé se tortille, gêné.

Mathilde - Eh bien ! Qu’est-ce que tu attends !

Barnabé - C’est que…

Mathilde - Arrête de faire des manières !

Rosine - C’est si beau les poèmes…

Barnabé - Bon ben, voilà (Il se râcle la gorge.)

Chère grand tante Marthe

« Si tu m’as jamais invité

C’est faute à ta timidité

Tu me traitais toujours de niais

Les rares fois où je te voyais

Et c’était pour faire de l’humour

Que tu me jouais de sales tours

Pour les Noëls tu donnais rien

Comme si tu étais radin

Mais c’était sûrement pas pour ça

Les moyens tu les avais pas.

Si t’as jamais ouvert ton cœur

C’était par fierté, par pudeur.

Ta seule passion c’était le foot,

Une seule équipe entre toutes

A ton avis était la reine

C’était celle de Saint-Etienne.

Alors moi, pour te rendre hommage

Pour faire honneur à ton grand âge

Devant ta tombe à ciel ouvert

Je crierai fort : allez les Verts ! »

 

 

 

 

 

 

Consternation générale, fou rire de Francis, Mathilde lui caresse les cheveux, très fière.

Francis - Bravo mon neveu, j’aurais pas fait mieux. Ç’aurait été dommage de rater ça !

Mathilde, à Thérèse - Dis donc, ta fille ne se serait pas trompée de jour par hasard ?

Rosine - C’est vrai ça, elle est où Zoé ?

Thérèse - Elle arrive tout droit d’Angleterre, c’est vite fait de prendre du retard.

Mathilde - Il suffit de s’organiser, d’anticiper, mais je suppose que c’était trop lui demander…

Thérèse - Elle est adulte, je n’ai pas à lui dicter sa conduite, ni à prendre des décisions à sa place.

Mathilde - J’étais certaine de ta réaction. Aucune autorité, aucune éducation, aucun bon principe inculqué à ta fille !

Thérèse - Et aucun risque que je suive ton exemple ! On a le résultat sous les yeux. Ton fils est complètement sous ta coupe, incapable de s’assumer tout seul, terrorisé à l’idée de te déplaire.

Mathilde, se tournant vers son fils, d’un air menaçant - Tu te sens brimé, toi ?

Barnabé - Non non…

Mathilde - Tu n’es pas bien avec moi ?

Barnabé - Si si…

Mathilde, à Thérèse - Tu vois ! Barnabé est tout simplement bien élevé et tant pis si ça te défrise. Venant de la mère complètement irresponsable que tu es, je ne suis pas étonnée du résultat obtenu avec Zoé.

Paul - Allons allons, c’est quoi ce règlement de compte ? Chacun élève ses enfants à sa façon. On ne doit pas juger…

Liliane, à Mathilde - Il a raison Mathilde, ne sois pas si agressive.

Mathilde - Alors vous deux, pour les leçons de morale, vous repasserez ! (A Liliane.) - Toi tu as quitté mon frère du jour au lendemain…

Liliane - C’est faux !

Francis - Là, Mathilde, tu pousses un peu…

Mathilde, à Paul - Et toi, Judas, tu as trahi ton cousin de la pire des façons !

Paul - Je ne peux pas te laisser dire ça. Ecoute…

 

 

 

 

Mathilde - Rien du tout ! Quant à Thérèse a toujours été laxiste. Pire, elle a voulu un enfant mais n’a pas voulu du père. Tu trouves ça normal ?

Le curé - Du calme ma fille, la tolérance est la base de…

Mathilde - Je ne suis toujours pas votre fille et ne vous mêlez pas de ça. Qu’est-ce que vous y connaissez, vous, en éducation des enfants ?!

Thérèse - En tout cas je ne suis pas une mère abusive, moi !

Mathilde - C’est sûr. Il y a combien de temps que tu n’as pas vu ta fille ?

Thérèse - Un peu plus d’un an, mais la question n’est pas là…

Mathilde - Oh que si ! Dieu sait la vie qu’elle mène et de quoi elle vit !

Thérèse - C’est quoi ces insinuations ? Tu touches pas à Zoé, sinon…

Mathilde - Je vais me gêner…

Thérèse et Mathilde s’empoignent, se tirent les cheveux, se battent. Paul et Francis s’interposent, parviennent à les séparer.

Paul, à Mathilde- Lâche-la !

Francis - Arrêtez bon sang !

Le curé - Uppercut hématome est !

Rosine - Ça veut dire quoi ?

Le curé - La violence ne résout rien.

Les deux cousines finissent par se calmer, boivent un verre d’eau etc…

Zoé arrive enfin. Extravertie, genre gothique.

Thérèse - Ah ! La voilà ! Bonjour ma chérie ! Le voyage s’est bien passé ?

Zoé - Ouais, tout baigne. Apparemment y a de l’eau dans le gaz ici, vous tirez tous une de ces tronches… y a un lézard ?

Liliane - Non… on se demandait seulement pourquoi tu n’étais pas arrivée plus tôt.

Zoé - Le ferry c’était ok, mais la route pour arriver dans ce bled… un peu galère.

Mathilde - Il suffisait de partir plus tôt, voire la veille, mais ça, c’était trop te demander, je suppose.

 

 

 

 

Zoé - Moi aussi je suis contente de te revoir ! T’as pas changée… enfin, physiquement les années t’ont pas fait de cadeau, mais alors question caractère t’es comme dans mes souvenirs.

Mathilde - Quelle insolence !

Zoé embrasse les autres.

Zoé - Je pensais pas être autant à la bourre…

Francis - C’est pas grave, la tante Marthe risque pas de t’en vouloir !

Rosine - La dernière fois que tu es venue tu devais avoir sept ou huit ans.

Zoé - C’est possible… Le seul souvenir que j’ai de la tante c’est qu’elle avait les joues pire qu’une râpe à fromage. Elle piquait quand je l’embrassais.

Rosine - Tu m’étonnes pas, elle se rasait. Pourtant je lui ai dit cent fois : « Plus tu les rases, plus les poils repoussent durs ! »

Zoé - Au fait, c’est quoi ce marmot dans un couffin sur le pas de la porte ?

Liliane - Qu’est-ce que tu dis ?!

Paul - Un bébé ?!

Francis - C’est quoi ce délire ?

Thérèse - Il faut aller le chercher !

Tous se précipitent. Paul pose le couffin sur une table. Tous se penchent. Le bébé se met à pleurer très fort. Chacun le berce à son tour, lui donne sa sucette, essaie des « gouzi gouzi, gaga, gouzou gouzou », rien n’y fait. Finalement il atterrit dans les bras de Barnabé.

Barnabé - Bonjour bébé, moi je suis Barnabé, tu es tout beau bébé, blond comme les blés, babille beau bébé…

Le bébé s’arrête net et rit.

Francis - Ouf ! Ça fait du bien !

Rosine - Regardez, il y a une enveloppe dans le couffin !

Thérèse y recouche le bébé, prend l’enveloppe, l’ouvre et lit.

Thérèse - « Barnabé, c’est ton fils, je te le laisse, tu n’as qu’à t’en occuper ! »

Barnabé - Mais… mais…

Mathilde - Ce n’est pas vrai ! Ce n’est pas possible !

Zoé - T’as réussi à sortir des jupes de ta mère ? Chapeau !

 

 

 

Paul - Barnabé, explique-toi…

Barnabé - J’en sais rien… c’est pas moi, je vous jure !

Francis - Encore un coup du Saint-Esprit sans doute…

Le curé - Ne blasphémez pas mon fils !

Francis - Vous me fatiguez, curé. J’ai l’âge d’être votre père, alors changez de disque.

Le bébé se remet à pleurer. Francis le prend et le met d’office dans les bras de Barnabé.

Francis - Tiens, fais ton boulot… papa !

Barnabé - Mais puisque je vous dis…

Francis - Fais-le taire, pour le bien de nos oreilles !

Barnabé - Dis donc faut faire dodo, il est doux ton doudou, dodeline et dors dedans ton édredon…

Le bébé se calme et rit. Thérèse le recouche tout doucement.

Zoé - C’est dingue ! Y a que la voix de son vieux qui le calme.

Barnabé, au bord des larmes - Mais puisque je vous dis qu’il est pas à moi ce bébé !

Zoé - Ah oui ? Moi je trouve qu’il te ressemble vachement.

Thérèse - Elle a raison…

Liliane - Avoue… c’est pas un crime…

Rosine - T’as fait ou t’as pas fait ?

Mathilde - Evidemment que non ! Il est pur comme l’agneau qui vient de naître, j’en mettrais ma tête à couper !

Barnabé - J’ai pas fait, tante Rosine. J’ai jamais fait, je le jure !

Rosine - Mince alors ! T’es encore puceau ! A ton âge ! Mon pauvre…

Mathilde - Je ne vois pas en quoi ne pas se rouler dans la luxure et ne pas vivre dans la débauche est un défaut !

Thérèse , brandissant la lettre - Inutile de nier, la preuve est là et bien là ! (A Mathilde.) - Alors, mémé, on est contente ?

Mathilde - Oh toi…

 

 

 

 

Elles s’empoignent à nouveau. Tous essaient de les séparer. Zoé intervient.

Zoé - Arrêtez ! C’est bon ! C’était une blague !

Tous - Quoi ? Hein ? Une blague ?

Zoé - Il est à moi ce môme. Sacré Barnabé, t’as flippé hein ? Toujours aussi bolosse, t’es un vrai gobe-mouche ! Ah la tête !

Liliane - Tu exagères, c’est pas sympa…

Zoé - Y a pas mort d’homme. J’ai pas pu résister à lui jouer un tour…

Mathilde - De très mauvais goût ! Il a toujours été ton souffre-douleur ! Ce que je disais se confirme. Aucune moralité, aucune conscience du bien et du mal !

Thérèse - C’est vraiment le tien ?

Zoé - Ouais et il pète la forme !

Francis - Surtout côté poumons…

Le curé - Speculum parturiante est, magnificat ad vitam !

Rosine - Ça veut dire quoi ?

Le curé - C’est beau de donner la vie.

Thérèse - Et tu as accouché là-bas… sans m’en parler ?

Zoé - C’était plus fun de te faire la surprise, non ?

Mathilde, ricanant - Alors, mémé, on est contente ?

Thérèse - Plus que contente ! Je suis ravie, heureuse, il est magnifique cet enfant ! Je me demande comment j’ai pu croire une seconde qu’il était ton petit-fils !

Elle et sa fille se penchent sur le couffin.

Rosine, à Liliane - Au fait, pourquoi elle était partie en Angleterre ?

Liliane - Elle y avait été pour travailler la langue.

Rosine - Apparemment, elle a bien fait tous les exercices !

Elles rejoignent Thérèse et Zoé.

Liliane, à Zoé - Je ne veux pas t’affoler mais, j’ai l’impression qu’il a la jaunisse du nourrisson…

Zoé - Oh non ! C’est sa couleur d’origine. Je l’ai eu avec un asiatique que j’avais rencontré dans le quartier de Chinatown.

 

 

 

Thérèse - Il n’a pas voulu venir avec toi ?

Zoé - Non mais attends, il y a longtemps que je l’ai largué !

Thérèse - Ah… il ne voulait pas d’enfant…

Zoé - J’en sais rien et je m’en tape. Je veux pas m’encombrer d’un mec, c’est tout. En plus il assurait pas, si tu vois ce que je veux dire. Je l’appellais « le petit citron pressé ! »

Mathilde - J’aurais tout entendu !

Thérèse - Mais, comment tu vas faire sans son père ?

Zoé - Comme toi. T’as bien jeté, le mien !

Thérèse - C’est pas une raison pour faire la même chose…

Mathilde - Elle a suivi l’exemple de sa mère, logique !

Zoé - De quoi elle se mêle la vieille pie !

Thérèse , à Mathilde - Toi aussi tu as élevé ton fils toute seule.

Mathilde - Oui mais moi, j’étais veuve ! Ça, c’est respectable ! Tandis que toi, c’était délibéré et on voit aujourd’hui ce que ça donne ! Enfin… on récolte ce qu’on sème.

Thérèse , montrant Barnabé - Ah oui ? Alors, lui, t’as pas dû l’arroser souvent !

Nouvelle empoignade. Paul les sépare.

Paul - Ça suffit ! Calmez-vous, toutes les deux !

Liliane - Thérèse, ne répond pas à la provocation, tu vaux mieux que ça.

Paul, à Mathilde - Je te conseille d’arrêter tes insinuations et tes insultes. Francis, je compte sur toi pour raisonner ta sœur !

Le bébé se remet à pleurer.

Zoé - Arrêtez votre cirque ! Le voilà qui recouine… Barnabé, amène- toi !

Barnabé - Je sais plus quoi lui dire…

Zoé - Creuse-toi la cervelle… si t’en a une !

Barnabé, se penchant sur le couffin - Popo pipi partout, pas pleurer petit poupon, papier essuiera tout, popotin propre et basta.

Le bébé rit et se rendort.

Thérèse - Il s’appelle comment ?

 

 

 

Zoé - Nào

Liliane - C’est mignon. C’est chinois ?

Zoé - Ouais.

Rosine - Ça veut dire quoi ?

Zoé - Braillard.

Francis - Logique, rien à dire…

Rosine - Braillard… comme le chevalier…

Liliane - Non, le chevalier c’était Bayard.

Rosine - Ah bon, t’es sûre ?

Liliane - Oh oui…

Francis, à Paul - Tiens, verse une autre tournée, ça fera passer les émotions.

Le curé - Usus Vademecum en pate, risus magna est !

Rosine - Ça veut dire quoi ?

Le curé - Il ne tient qu’à nous d’avoir un sourire éclatant.

Tous se resservent à boire.

Francis, regardant autour de lui - Cet endroit est sinistre.

Paul - Oui, il est dans un sale état.

Thérèse - Vivement qu’on s’en débarrasse et qu’on rentre chez nous…

Mathilde - Tu parles d’un héritage ! Quand je pense qu’elle s’est payé un enterrement de princesse et voilà ce qu’elle nous laisse…

Francis - Elle s’est aussi payé notre tête !

Liliane - C’est pas le sens de la famille qui l’étouffait !

Zoé - Vous rigolez ! Elle a pas laissé que ça !

Francis - Et si ! Pas un radis, pas un bijou, aucun objet de valeur. Rien que ce vieux boui-boui délabré et sans clientèle ou presque et qui vaut pas tripette.

Zoé - J’hallucine !

Francis - Même si on trouve un gogo pour l’acheter, on va rien en tirer du tout.

Paul - Sans compter qu’en tant que petits-neveux et nièces on n’a droit qu’à trente-cinq pour cent. Une misère…

 

 

 

Thérèse - On va le revendre trois fois rien…

Francis - Oui… et trent-cinq pour cent de trois fois rien ça va pas faire beaucoup…

Le curé - Sauf si vous décidez d’agir.

Paul - Comment ça ?

Le curé - Il suffit parfois de peu de chose… C’est vrai qu’en l’état ça ne vaut rien ou presque, mais, rafraîchi, modernisé, la valeur de cet établissement peut atteindre un bon prix. Il est situé en plein cœur du village qui, cette année, a été élu le village le plus fleuri du département !

Liliane - Ça se défend…

Thérèse - Mais oui ! Des couleurs plus gaies, changer la déco…

Le curé - Je pense à Rosine en particulier. Il y a de grandes chances pour que le repreneur la garde comme employée.

Rosine - Ah, je serais bien contente !

Mathilde - Personnellement, je ne mettrai pas un sou pour d’éventuels travaux !

Paul - Par contre, si on s’y met tous… pas de frais de main d’œuvre…

Francis - Quelques pots de peinture et le tour est joué !

Paul - Quelques pots de peinture ? Tu es optimiste. Il faudra vérifier le réseau électrique par exemple… changer la robinetterie…

Francis - Houlà… ça va être compliqué …

Liliane - Avec de la volonté on arrive à tout !

Thérèse - Franchement, c’est une bonne idée et j’aime bien bricoler !

Zoé - Ouais et ben moi, j’en ai rien à battre de ce tas de ruines ! Je suis pas peintre, ni maçon et encore moins plombier !

Mathilde - Ne comptez par sur moi, ni sur Barnabé !

Paul - Réfléchissez. Monsieur le curé a raison. Soit on le bazarde, soit on le rénove et on partage le montant de la vente entre nous. Si on choisit cette option, celui ou celle qui ne participera pas à la réfection n’aura rien de plus que ce qui était prévu. C’est normal.

Zoé - Ça ferait combien de tune chacun ?

Paul - Je ne veux pas m’avancer mais, une bonne dizaine de milliers d’euros, c’est sûr !

 

 

 

Zoé - Ah ouais… pas mal ! Ok, je reste.

Mathilde - Dans ce cas… moi et Barnabé aussi, mais ce n’est pas de gaîté de cœur. J’en connais qui seront difficiles à supporter…

Thérèse - On en a autant à ton service !

Paul - On devait rester quarante-huit heures seulement pour régler les formalités, mais maintenant il faut prévoir une bonne huitaine de jours. Tout le monde est disponible ?

Francis - Pas de problème, je suis en arrêt maladie…

Thérèse - C’est bon pour moi aussi. De toute façon je reste avec Zoé… et Nào !

Mathilde - Attention ! Le bébé n’a droit à rien, ou alors… qu’il travaille !

Zoé - T’as de la flotte à la place de la cervelle ou quoi ?

Liliane, à Mathilde - Jamais tu t’arrêtes de dire des bêtises…

Mathilde, à Liliane - Toi, tu n’es qu’une pièce rapportée, normalement ce n’est pas toi qui hérite…

Thérèse - On a dit : partage entre tous les participants.

Mathilde - Oui eh ben, elle n’a pas intérêt à chômer ! J’y veillerai !

Le curé - Je prierai pour la réussite de votre entreprise.

Francis - Perdez pas votre temps, curé, venez plutôt nous donner un coup de main.

Le curé - J’allais justement vous le proposer.

Paul - Voyons, monsieur le curé, vous n’y pensez pas…

Le curé - Si si, j’y tiens. J’aimais beaucoup votre tante et j’ai à cœur d’agir en mémoire d’elle qui était si triste de ne pouvoir entretenir son établissement et de vous le laisser dans un tel état...

Francis - Tu parles…

Mathilde - Inutile d’essayer de tirer profit de la situation, vous n’aurez pas un centime.

Rosine - Quand même ! Et le denier du culte ? Il faudra y penser.

Le curé - Chère Rosine, vous êtes la plus fidèle de mes brebis.

Paul - Je vous promets que vous n’aurez pas à faire à des ingrats, monsieur le curé.

 

 

 

Le curé - Oh, vous savez, mon fils, je ne reçois pas, je redistribue. Il y a toujours plus pauvre que soi…

Francis - Et plus riche aussi !

Rosine - Je vais plus pouvoir m’occuper de vous, mon père. C’est embêtant…

Paul - Comment ça ?

Liliane - Elle faisait ses repas et son ménage.

Le curé - C’est vrai que ça ne va pas être facile pour moi, mais je me débrouillerai…

Thérèse - Il faut trouver une solution, d’autant qu’il propose de nous aider…

Liliane - J’en vois qu’une. Il reste ici, avec nous.

Le curé - Je ne veux pas vous encombrer…

Rosine - La chambre de la Marthe est libre, il pourrait s’y installer !

Le curé - C’est vrai que ce serait l’idéal... Je serais sur place, ainsi je pourrais aider dès que j’ai un moment…

Paul - …Et vous partageriez nos repas… Qu’en dites-vous ?

Le curé - J’accepte avec plaisir, mon fils.

Francis - Plus on est de fous, plus on rit !

Paul - Bon, il va falloir s’organiser, partager équitablement les tâches. Il faudra s’entraider, alors finies les disputes stériles et les rancoeurs. Un seul objectif : rendre cet endroit accueillant et chaleureux, lui redonner tout son éclat pour notre bien à tous.

Le curé - Pédaler (ère) multi tandem, RER tram autobus !

Rosine - Ça veut dire quoi ?

Le curé - On avance plus vite à plusieurs que tout seul.

Paul - Il me faut un volontaire pour l’évacuation d’éventuels gravats, le nettoyage et autres… (Silence total.) - Bon ! Barnabé, tu seras volontaire.

Barnabé - Mais…

Paul - Tu seras volontaire, point ! Thérèse et Rosine vous vous occuperez de l’intendance, repas, pansements au cas où… Mathilde aux fournitures. Liliane et Zoé, peinture et finitions. Francis et moi au gros œuvre.

Le curé - Et moi, quelle sera ma tâche, mon fils ?

 

 

 

Paul - Chacun d’entre nous fera appel à vous selon les besoins.

Le curé - C’est entendu ! Je dois vous laisser, c’est l’heure de l’office. Ensuite je passerai à la cure prendre quelques affaires. A tout à l’heure !

Francis - Salut curé, bonne messe !

Il sort.

Rosine - Je vais vous donner les clés de vos chambres. Thérèse et Zoé vous aurez la plus grande puisqu’il y a le bébé (Elle tend la clé.) - C’est la cinq. Liliane et Paul vous irez dans la trois, Francis la quatre, Barnabé la deux et Mathilde la chambre du cercueil, enfin la une, quoi..

Mathilde - La chambre du cercueil !!!

Zoé - Trop cool !

Rosine - Je l’appelle comme ça vu que la Marthe l’avait mis là.

Mathilde - Mais… c’est horrible !

Rosine - Ben quoi ? Il y est plus et puis c’est qu’une boîte !

Mathilde - Non mais, vous l’entendez ? Une boîte !

Rosine - Ben oui, comme une hûche à pain, y a pas de quoi en faire tout un fromage !

Mathilde - C’est hors de question ! Je refuse catégoriquement d’y dormir ! Je me mettrai dans celle de Barnabé.

Barnabé - Tiens maman, prends ma clé…

Mathilde - Tu es fou ? Je t’interdis d’y coucher. On dormira dans la tienne.

Rosine - Mais, y a qu’un lit…

Mathilde - Peu importe, on se serrera !

Zoé, tout bas à Liliane - J’ai bien capté, là ? Il va pas coucher avec sa mère ?!

Liliane - J’espère qu’il est sevré…

Zoé, pouffant - Oh…

Francis, tendant sa clé à sa soeur - Tiens, prends la mienne, j’irai dans la une, ça me dérange pas.

Paul part vers les chambres avec sa valise, suivi de Thérèse, Zoé et le bébé, Mathilde, Barnabé et Rosine.

Liliane veut rejoindre Paul mais Francis vient s’asseoir à côté d’elle et la retient.

 

 

 

Francis - T’as pas changé, tu sais, ou plutôt si, tu es encore plus séduisante qu’avant…

Liliane - Vraiment ? Alors attends encore une bonne dizaine d’années, je serai devenue irrésistible !

Francis - Je suis sincère, je t’assure …

Liliane - Merci.

Francis - Ça fait plaisir de se revoir, hein ?

Liliane - Si tu le dis.

Francis - Allez, fais pas ta méchante. Après tout c’est moi qui devrait être le plus fâché.

Liliane - Tiens donc… et en quel honneur ?

Francis - C’est toi qui m’a quitté pour Paul, non ?

Liliane - Tu sais très bien pourquoi. Je ne te supportais plus.

Francis - C’est normal, quand on vit ensemble depuis longtemps on s’agace parfois mais, c’est souvent pour des bêtises.

Liliane - Dépensier, menteur, râleur, maladroit et fainéant… tu appelles ça des bêtises ?

Francis - Je plaide coupable votre honneur, sauf pour fainéant… pas accro au boulot, c’est pas pareil. N’empêche que t’as jamais manqué de rien.

Liliane - Parce que je travaillais ! Tu claquais le peu que tu gagnais au PMU ou aux jeux de grattage, tu empruntais de l’argent à nos amis sous de faux prétextes et pour les rembourser on n’est pas partis en vacances pendant des années !

Francis - Des années… une ou deux tout au plus…

Liliane - Vraiment ? Tu oses me répéter ça en me regardant en face ?

Francis - Bon, plusieurs et alors ? C’était pas une raison pour aller pleurer dans les bras de Paul. Tu parles, il attendait que ça !

Liliane - Rien n’était prémédité, quoi que tu en penses. Il me disait d’être indulgente, qu’avec le temps tu finirais par devenir raisonnable… Tu parles ! Quand j’ai compris que ça ne finirait jamais, j’ai décidé de te quitter. Peu à peu je me suis rapprochée de lui, j’ai retrouvé un équilibre. Quand il m’a proposé de l’épouser, je n’ai pas hésité une seconde. Il est tout ce que tu n’es pas : posé, ordonné, calme et responsable…

Francis - Quelle vie aventurière !

Liliane - Tu peux te moquer, c’est reposant figure toi.

 

 

 

Francis - Ça ne te ressemble pas, la routine. Toi qui disais que tu aimais être surprise…

Liliane - Il y a surprise et surprise. Toi tu accumulais les bêtises.

Francis - Rappelle-toi comme ça te faisait rire.. Allez, fais pas ta bêcheuse !

Liliane - Parfois, oui, je le reconnais, mais, à la longue, c’était devenu exaspérant.

Francis - De ce point de vue, effectivement, tu es tranquille. Mon cousin prévoit toujours tout.

Tout au long de la conversation il se rapproche d’elle.

Liliane - Il est très organisé, ça a beaucoup d’avantages.

Francis - L’imprévu aussi a des avantages… Tu te souviens du pique-nique ?

Liliane - Oh oui ! Tu avais mis dans le coffre de la voiture le parasol, la couverture, les verres, les assiettes, les couverts, il y avait même un petit vase avec des fleurs artificielles…

Francis - C’était romantique…

Liliane - Ce qui l’était moins c’était les gargouillis de ton estomac. Tu avais simplement oublié le plus important : le repas !

Francis - Et comme c’était un jour férié, tous les restaurants étaient fermés. On est rentrés, j’ai étalé la couverture sur le carrelage et on a pique-niqué dans le salon ! (Il la prend par les épaules.) - C’est un bon souvenir, non ?

Liliane, se dégageant - Oui, c’est vrai… mais j’en a surtout de moins bons.

Francis, remettant son bras autour de ses épaules - Allez, c’était pas si terrible de vivre avec moi… On a bien rigolé, pas vrai ?

Liliane, se dégageant - Il y a longtemps que tu ne m’amusais plus.

Francis, remettant son bras autour de ses épaules - Et pour le reste, ça se passait plutôt bien, non ? Rappelle-toi, ma Lily, ma Lilou …

Liliane, se dégageant - Appelle-moi Liliane et arrête ça tout de suite !

Francis, même jeu - Quoi ? Qu’est-ce que j’ai fait ?

Liliane, se dégageant - Tu sais très bien de quoi je parle !

Francis, recommençant - Tu veux dire, ça…

Liliane - Je t’ai dit d’arrêter !

 

 

 

 

Francis - On pourrait se retrouver tous les deux, comme avant… Je suis sûr que tu en as envie, autant que moi. Ça restera entre nous, je te le jure.

Il essaie de l’embrasser, Liliane le gifle. Il se retrouve par terre et saigne du nez. Thérèse et Paul reviennent.

Thérèse - Oh ! Qu’est-ce qui t’es arrivé ?

Francis, parlant du nez - J’ai glissé, je me suis cogné sur le bord de la table.

Thérèse - Je vais chercher du coton. Mets ta tête en arrière !

Elle repart.

Paul - Tu t’es pas raté, dis donc ! Tu souffres ?

Francis - Ça fait très mal.

Liliane - Arrête ton cirque !

Paul - Mais enfin, mets-toi à sa place… tu es dure.

Liliane - Il veut se faire plaindre, c’est tout.

Francis - Laisse. Elle a aucune pitié. C’est pas un cœur qu’elle a, c’est de la pierre… mais alors de la pierre dure comme du fer !

Paul - Il n’a pas tort. Tu pourrais faire preuve d’un peu de compassion…

Liliane - Tu sais quoi ? Vous n’avez qu’à vous installer ensemble, vous ferez un très beau couple !

Paul - Mais… pourquoi tu t’énerves ?

Thérèse revient, suivie des autres. Elle met du coton dans les narines de Francis et lui met la tête en arrière.

Thérèse - Reste un moment comme ça, ça va s’arrêter.

Zoé - C’est gore… j’adore !

Rosine - Tu vas avoir un nez gros comme une patate !

Francis - Merci de me rassurer…

Mathilde - Si tu te blesses avant même d’avoir commencé, qu’est-ce que ça va être après !

Barnabé - T’inquiète pas, tonton, je t’aiderai.

Francis, sinistre - Chic.

 

 

 

 

Thérèse - Tu viens Rosine ?

Mathilde - Vous allez où ?

Rosine - Faire deux ou trois courses. On casse-croûtera ici ce soir.

Mathilde - Je viens avec vous, comme ça je suis sûre de manger ce que j’aime.

Thérèse - Pas question ! L’intendance, c’est nous deux.

Zoé - Je reste ici, Nào va pas tarder à avoir les crocs, faut que je fasse son bib.

Mathilde - T’as pas fini de trouver des prétextes pour rien faire… ça promet !

Zoé - T’arrête de me chercher des crosses ou je te décalque sur le mur ! Avec tout le respect que je te dois, bien sûr…

Liliane - Laisse tomber, elle n’en vaut pas la peine…

Paul, à Mathilde - Si tu continues on se passera de toi et tu auras ce qui était prévu au départ, ni plus, ni moins. Barnabé, toi et moi on va acheter quelques fournitures pour commencer.

Francis - Je vous accompagne.

Paul - Mais ton nez…

Francis, enlevant les cotons - Ça y est, c’est fini et puis ça me fera du bien de prendre l’air.

Mathilde - Attendez ! Barnabé a écrit un petit texte. Vas-y, lis-le.

Barnabé se tortille.

Paul - Allez, ne te fais pas prier, on n’a pas trop le temps…

Barnabé, se râclant la gorge - « Tapez burins, tournez boulons, au boulot ! » Boulons, boulot, c’est rigolo… (il rit niaisement.)

Liliane - Très…

Barnabé - « Pinceaux, peinture, perceuse, pitons, en action !

Etale le plâtre, la taloche, car c’est trop moche ». (Il rit) -

« Enfoncez les clous, les marteaux ! Les scies, coupez en morceaux !

Pendant des heures, labeur, sueur, même pas peur ! »

Zoé - J’en connais un qu’on a crucifié pour moins que ça …

Elle part vers les chambres sous le regard furieux de Mathilde. Les autres se regardent.

Mathilde - Et il l’a écrit d’un seul jet !

 

 

 

 

Rosine - Comme qui dirait sans réfléchir quoi…

Paul, voix morne - C’est bien… c’est très bien…

Liliane, idem - Super…

Thérèse , idem - Difficile de faire mieux…

Francis, idem - Quel talent. Bon, on y va ?

Tous sortent. Liliane retient Paul.

Liliane - Francis ne s’est pas cogné, je l’ai giflé.

Paul - Pourquoi ?

Liliane - Il m’a fait des avances, si tu veux savoir.

Paul - Il est nostalgique. Le pauvre… ça lui est difficile de vivre sans toi. On ne peut pas lui en vouloir.

Liliane - Tu plaisantes !

Paul - Tu n’aurais pas dû le gifler pour quelques mots affectueux…

Liliane - Il m’a fait du rentre-dedans, carrément !

Paul - Je suis certain que tu t’es trompée sur ses intentions. Tu n’aurais pas dû être violente, ça ne te ressemble pas.

Francis l’appelle.

Francis - Oh ! Tu viens !

Paul - J’arrive ! Il faudra que tu t’excuses…

Liliane - Mais…

Paul - Il a beaucoup de défauts mais je sûr qu’il est loyal. A tout à l’heure.

Il sort.

Liliane - Loyal ! C’est la meilleure !

Noir. Tous sont couchés. Une silhouette pénètre dans le bar. Seule la lumière d’une lampe frontale troue l’obscurité. On entend des coups sourds, des bruits de casse étouffés. La silhouette se déplace, s’accroupit, tape, etc… On entend des voix venant des chambres.

Liliane, voix off -  Tu entends ? Ça vient du bar…

Paul, voix off -  Je vais voir.

Liliane, voix off - Fais attention…

 

 

 

La silhouette se sauve. Paul apparaît en pyjama, il allume.

Liliane, voix off - Alors?

Paul - Rien. Il y a personne.

Liliane, voix off -  Il venait d’où le bruit?

Paul - J’en sais rien, peut-être de dehors…

Liliane, voix off - La porte est bien fermée à clé ?

Paul - Oui, oui. Allez, recouchons-nous. On se lève tôt demain.

Il éteint et repart vers les chambres.

 

ENTRACTE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Acte 2

 

 

 

 

 

 

 

Tréteaux, boîtes à outils, pots de peinture, mètres, fils électriques, rallonges, niveaux, bref, tout pour bricoler. Paul orchestre tout ça. Tous s’affairent. Thérèse met sur le bar des piles pour chacun : combinaisons de protection, gants etc…

Paul - Poussez les tables sur les côtés.

Liliane se fait aider par Zoé. Francis et Barnabé se mettent ensemble tandis que Paul met les tréteaux.

Paul - Barnabé viens, on va chercher la planche.

Ils sortent à l’extérieur.

marilyne - Je vais voir Nào…

Mathilde - L’alibi idéal pour éviter de travailler !

Mathilde et Thérèse sont vers le bar. Mathilde vérifie, note dans un carnet, etc… Francis aide Liliane à pousser les chaises le long des murs.

Francis - Alors, ma petite tigresse, toujours fâchée ?

Liliane - Ma petite tigresse… c’est nouveau !

Francis - Tu sais que ta gifle m’a fait réfléchir…

Liliane - Ça aussi c’est nouveau !

Francis - C’était le dernier sursaut avant la capitulation.

Liliane - Qu’est-ce que tu racontes ?

Francis - Tu as eu peur de me céder, c’était un réflexe de défense, c’est tout.

Liliane - Tu te fais tout un cinéma…

 

 

 

Francis - Je crois pas non.

Liliane soupire. Paul et Barnabé reviennent avec la planche et la pose sur les tréteaux.

Paul - Barnabé, étale un plastique par terre, on posera les pots de peinture dessus.

Barnabé s’empêtre en dépliant le plastique, les autres font des allers-retours avec l’extérieur pour apporter du matériel. Zoé revient.

Zoé, à Mathilde - Ça va ? Je t’ai pas trop manqué ?

Paul, à Barnabé - Bon alors, tu y arrives oui ?

Zoé - Il a deux mains gauches, c’est pas possible !

Mathilde - C’est un poète, pas un déménageur !

Liliane - Je vais l’aider sinon il ne s’en sortira jamais.

Une fois le plastique posé les autres y mettent tout le matériel.

Mathilde - Oh ! Doucement ! Il faut que je note. Mettez-vous en rang, attendez votre tour et annoncez ce que vous posez à voix haute.

Liliane - A vos ordres mon adjudant !

Mathilde - Excuse-moi d’être organisée… Allez-y !

Chacun pose un truc et Mathilde note en répétant (« quatre pinceaux… un niveau… » etc…).

Rosine, se dirigeant vers la porte avec un cabas - Je vais au ravitaillement !

Mathilde - Inutile de l’annoncer, ça fait partie de tes attributions, non ?

Rosine - T’es une comique, toi… t’aurais dû faire clown !

Mathilde - Tais-toi, tu m’embrouilles… Alors, la peinture : 3 gris… 4 beige… 5 pivoine… Il manque le blanc à plafond !

Paul - Il est dans la camionnette. Francis, vient avec moi. Barnabé allez, viens nous aider !

Ils sortent.

Mathilde - C’est incroyable ! Ils oubliaient le plus important, puisqu’on commence par les plafonds.

Liliane - Justement, il les apportent en dernier pour qu’ils soient dessus, pas dessous.

Mathilde - Qu’est-ce que tu racontes ?

 

 

 

 

Liliane - Si on les pose en premier ils seront dessous et il faudra enlever ceux de dessus pour les attraper et comme on s’en sert en premier on les met dessus donc en dernier.

Mathilde - Je ne comprends rien à ton charabia !

Thérèse - Ça grince là-dedans, tu devrais mettre de l’huile…

Zoé - Il faut pas être sorti d’ HEC pour piger !

Rosine - C’est sûr !

Mathilde, à Rosine - Comme si tu avais compris quelque chose, toi !

Rosine - Mais oui ! Le père Noël me l’a assez répété : les derniers seront les premiers.

Mathilde - Le Père Noël… ben voyons !

Liliane - C’est le curé. Noël c’est son prénom.

Zoé - Ah ! L’éclate !

Les hommes apportent les pots, font des allers-retours.

Barnabé - C’est lourd…

Thérèse - Plus qu’un stylo, c’est sûr !

Mathilde - Barnabé est un intellectuel. Ce n’est pas donné à tout le monde.

Paul - Bon. Tout y est.

Thérèse, montrant le bar - J’ai fait une pile pour chacun, allez vous servir.

Paul - On s’équipe et au boulot !

Zoé et Barnabé enfilent les combinaisons par-dessus leurs vêtements. Le curé arrive.

Francis - Vous tombez bien, curé, on allait commencer.

Le curé - J’ai été retenu par quelques ouailles après l’office.

Rosine - C’est quoi des zouailles ?

Le curé - Des fidèles, des paroissiens, comme vous chère Rosine.

Rosine, fiérote - Je suis une zouaille, moi ? J’aurai pas cru. Pourtant je suis pas allée longtemps à l’école…

Zoé - T’es trop, toi, je t’adore !

Paul, à Zoé et Barnabé - Allez-y. Prenez votre peinture et des pinceaux. On n’a pas de temps à perdre.

 

 

 

@Ils sortent.

Thérèse - Tenez monsieur le curé, voici votre tenue.

Le curé, tenant la combinaison devant lui - Je vais faire comment ?

Liliane - Enlevez votre soutane.

Francis - Vous vous mettez en caleçon et basta !

Liliane - Ne vous inquiétez pas, elles ne sont pratiquement pas transparentes.

Francis - Y a pas idée aussi ! Y a longtemps que les curés sont en costume.

Le curé - Je suis attaché aux traditions. Vous avez déjà vu le Pape en blue-jean, vous ? Moi non plus. Un curé sans soutane n’est pas un curé.

Liliane - Pourtant on dit que l’habit ne fait pas le moine.

Le curé - Spirituellement parlant, c’est exact, mais institutionnellement l’uniforme est un guide, un phare dans la tempête… Fiat lux aluminium inox !

Rosine - Ça veut dire quoi ?

Le curé - La lumière éclaire la nuit…

Rosine - Ah…

Le curé sort.

Francis - Quel scoop !

Mathilde - Je vais mettre mes notes au propre.

Mathilde sort à son tour.

Thérèse - C’est drôle de vouloir à tout prix porter la soutane. Il est pas si vieux…

Rosine - C’est par nostalgie. Il voulait faire évêque, être à Rome. Mais il était pas assez doué au séminaire, surtout en langue qu’il m’a dit.

Francis - Il me semblait bien que son latin était bizarre…

Rosine - C’est sûrement du latin moderne. Bon, J’y vais.

Elle sort.

Francis - Si elle existait pas il faudrait l’inventer !

 

 

 

 

 

Il attrape ses affaires et sort. On entend pleurer le bébé.

Thérèse , sortant à son tour - Je vais voir Nào.

Zoé, voix off - Barnabé ! Nào te réclame !

On entend vaguement des sons. Le bébé rit.

Liliane - Je repense à ces bruits cette nuit. Je suis certaine que ça venait d’ici…

Paul - On l’a cru mais c’est impossible. Tout était fermé, le bar était vide et je suis arrivé par la seule sortie qui mène aux chambres et à la cuisine.

Liliane - On n’a pas rêvé quand même et j’ai remarqué un truc ou deux, regarde …(Elle lui montre une plinthe un peu arrachée, une latte de plancher soulevée.) - Tu vois ?

Paul - Oui et alors ? Tout est daubé ici, ça doit être comme ça depuis longtemps…

Liliane - Je sais pas… j’ai une drôle d’impression…

Paul - Arrête de te monter la tête. Qui s’amuserait à casser ce qui est déjà abîmé !

Liliane - Tu as raison . Le bruit devait venir de dehors. Tu sais, pour Francis…

Paul - S’il te fait la tête c’est normal.

Liliane - Ça ne lui a pas refroidi ses ardeurs, au contraire, figure-toi qu’il…

Paul - Je t’arrête. Je ne sais pas lequel de vous deux se fait des idées mais on a plus urgent à penser, alors on passe à autre chose, d’accord ?

Mathilde et Thérèse reviennent tandis qu’ils enfilent leurs combinaisons par dessus leurs vêtements.

Thérèse - Tout va bien. Le petit dort à poings fermés.

Mathilde - Un peu de répit, c’est déjà ça !

Francis arrive, suivi du curé (On aperçoit à travers la combinaison des caleçons longs, un tee-shirt noir avec col blanc devant.)

Thérèse - Ah ! Vous voyez monsieur le curé, vous êtes plus à l’aise comme ça !

Le curé - Me voilà prêtre ouvrier !

Paul, tendant un multimètre à Francis - Tiens va tester les fusibles. Note lequel correspond à quoi, enfin tu vois… Hé ! Tu testes, c’est tout, tu touches à rien d’autre !

Francis - La confiance règne !

Il sort.

 

 

 

Paul - Venez monsieur le curé, on va s’occuper des robinets. Mathilde, viens avec nous. Liliane, tu peins tout ce qui est encadrements de portes et de fenêtres.

Ils sortent.

Liliane - Rien que ça !

Thérèse - Je vais t’aider. Rosine s’occupera des repas, on n’est pas si nombreux…

Barnabé, voix off - AÏE !!!

Liliane - C’est la voix de Barnabé!

Thérèse , partant derrière le bar - Je vais chercher la trousse…

Barnabé arrive avec Zoé.

Liliane - Qu’est- ce qui t’es arrivé ?

Zoé - Un coup de marteau sur le doigt.

Mathilde arrive en courant.

Mathilde - Barnabé a eu un accident !

Liliane - Fais voir… (A Zoé.) -Tu pourrais faire attention…

Mathilde, la martelant de ses poings - Elle l’a mutilé ! Elle l’a mutilé !

Zoé - Ça va pas non ? Il s’est fait ça tout seul ! C’est pas ma faute s’il est nase de chez nase !

Thérèse le panse (grosse poupée). Barnabé gémit. Liliane et Zoé se retiennent de rire.

Thérèse - Tiens, soulève la langue. C’est de l’arnica en granules… voilà…

Mathilde - Tu as très mal, hein ?

Barnabé - Ça lance…

Mathilde - Assieds-toi un moment…

Barnabé - Non, ça va aller…

Mathilde - Mais… ton doigt ?

Zoé - C’est la main gauche et il est droitier, ça l’empêche pas de tenir un pinceau. Allez remue-toi !

Barnabé, à sa mère avec un air de sacrifice - Il faut que j’y retourne…

Zoé l’entraîne.

 

 

 

Mathilde - Quel courage !

Thérèse - Oh c’est bon, c’est pas Kôh-Lanta non plus !

Mathilde - Toi et ta fille vous êtes deux sans-cœur !

Rosine revient avec ses provisions.

Rosine, à Thérèse - Allez, aux pluches !

Thérèse - Je te laisse faire, je vais aider Liliane.

Rosine - Je vais pas faire tout toute seule !

Liliane - C’est juste pour une heure, ou deux…

Rosine - Bon, d’accord.

Mathilde - Ce n’est pas ce qui était prévu.

Thérèse - De quoi je me mêle !

Paul revient.

Mathilde - Thérèse et Rosine sont bien à l’intendance, non ?

Paul - Oui, pourquoi ?

Liliane - Explique-lui, toi, qu’on n’est pas à l’armée. Je me retrouve seule pour peindre tous les encadrements.

Thérèse - Alors je vais l’aider un moment.

Paul - Arrangez-vous entre vous.

Mathilde - Ah non ! Ce qui est dit est dit !

Paul - L’important est que le travail soit fait…

Mathilde - L’important est que chacun soit à sa place ! Tu as distribué les rôles, non ?

Paul - oui mais…

Mathilde - Oh, bien sûr, je suppose que mon avis compte peu face à ta femme et à ta sœur. L’impartialité n’est sûrement pas ton fort.

Paul - Ça n’a rien à voir…

Mathilde - Oh que si ! S’il s’agissait de moi il y a longtemps que tu aurais fait respecter ta décision !

 

 

 

 

 

Rosine - Elle a pété un boulon !

Liliane - Tu as fini, oui ! Arrête de nous chercher des poux, c’est insupportable !

Thérèse - Mets tes notes dans ton petit carnet avec ton petit crayon et mêle-toi de tes affaires !

Paul - Stop ! Ça suffit ! Que chacune fasse ce qui était prévu, comme ça il n’y aura pas d’histoires !

Liliane, à part - Tu es sérieux, là ?

Paul - Inutile d’envenimer la situation…

Liliane - C’est pas une raison pour baisser ta culotte devant elle !

Paul - Pitié ! Tu ne vas pas t’y mettre toi aussi…

Liliane, air pincé - Très bien !

Elle attrape un pot, un pinceau, un chiffon et part sans un regard, droite comme un i. Elle croise Francis. Thérèse et Rosine sortent à leur tour. Mathilde ne tarde pas à les suivre.

Francis - Il y a de l’électricité dans l’air on dirait…

Paul - Elles se sont attrapées toutes les quatre.

Francis - Et tu t’es retrouvé au milieu.

Paul - C’est ça…

Francis - Ah les bonnes femmes, je te jure… Allez, vient boire un coup !

Paul - C’est un peu tôt pour ça, non ?

Francis - Y a pas d’heure pour les braves. Ça va te décontracter… je te sens tout crispé… (Il lui masse les épaules.) - Sinon avec Liliane, ça va ?

Paul - Oui…

Tout au long de la conversation il sert Paul dès qu’il a bu une gorgée, à son insu. Lui-même ne boit pas et verse son verre dans une plante posée sur le comptoir.

Francis - Il m’a semblé qu’il y avait un peu de tension entre vous…

Paul - C’est rien… on se prend parfois la tête, mais ça s’arrange vite… enfin, tu vois ce que je veux dire…

Francis - Oh oui… je vois bien.

 

 

 

 

 

Paul - Elle est très câline…

Francis - Je sais.

Paul - Excuse-moi… je voulais pas…

Francis - T’inquiète. On est adultes, non ?

Paul - Oui, mais comme je… enfin… comme on t’a…

Francis - Fait cocu…

Paul - C’est ça ! Euh… non… enfin, si… c’est pas vraiment le mot…

Francis - Ah si ! C’est justement le bon mot !

Paul - Avoue que ça n’allait pas très fort vous deux…

Francis - C’était une question de caractère, mais on trouvait toujours le moyen de se réconcilier nous aussi. Tiens, un jour on s’était engueulés, mais alors grave, et ben le soir elle m’a… (Il lui chuchote à l’oreille.)

Paul - Non !

Francis - Si si, je te jure !

Paul - Ça alors !

Francis - Elle te l’a jamais fait ?!

Paul - Ben non… enfin, pas encore… par contre, une fois, pour se faire pardonner, elle m’a… (Il chuchote à son tour.)

Francis - Oui… mais ça c’est un grand classique…

Paul - Tu crois ?

Francis - Evidemment. Non, ce qu’il y a c’est que vous vous engueulez pas assez fort. C’est après une grosse dispute que la réconciliation est la meilleure.

Paul, un peu emmêché - Tu crois que si on se fâchait vraiment elle ferait… enfin, ce que tu m’as dit ?

Francis - Bien sûr ! Mine de rien,les femmes, elles aiment être bousculées. Un peu de machisme ne leur fait pas peur, mieux, ça excite leur imagination ! Conseil d’ami. (Clin d’œil.)

Paul - Merci. (Clin d’œil aussi.) - La prochaine fois qu’on se dispute je…

 

 

 

 

 

Francis - Quelle prochaine fois ? Vous êtes en froid, là, maintenant, profites-en !

Paul - Non, mais je la connais, elle est pas rancunière, elle y pense même plus.

Francis - Relance la machine.

Paul - Comment ça ?

Francis - C’est tout simple. Tu lui dis : « Oh, toi, tu fais la tête ! »

Paul - C’est tout ?

Francis - Ouais. Tu vas voir, elle va partir au quart de tour…

Liliane revient chercher du matériel. Francis fait un geste à Paul et se planque dans le coin du comptoir un peu caché par la plante.

Paul, à Liliane - Oh toi, tu fais la tête…

Liliane - Mais non. C’est vrai qu’il valait mieux calmer le jeu. Tu n’avais pas trop le choix.

Paul - Je vois bien que tu es fâchée.

Liliane - Non, je t’assure.

Paul - Tss tss… pas à moi !

Liliane - Puisque je te dis que non !

Paul - Je te connais… tu es en rogne.

Liliane - Arrête ! Tu commences vraiment à m’agacer, là !

Paul - Tu vois, tu prends la mouche pour rien !

Liliane - Absolument pas, mais tu insistes bêtement ! Puisque je te dis que je ne suis pas fâchée ! C’est un monde, ça !

Paul - C’est pas la peine de me crier dessus…

Liliane - Moi ! Je te crie dessus !

Paul - Ben oui, la preuve…

Liliane - Evidemment ! Tu n’arrêtes pas de m’asticoter, alors, forcemment, ça m’énerve !

Paul -Voilà ! J’avais raison. Tu étais de mauvaise humeur.

 

 

 

 

 

Liliane - Je n’étais pas de mauvaise humeur, mais maintenant, si !

Paul - Ah ah… tu avoues…

Liliane - Alors là… on atteint des sommets… Bon, tu m’as assez fait perdre mon temps.

Elle attrape un pot de peinture et se dirige vers le couloir.

Paul - Tu… tu repars… comme ça ?

Liliane - Je retourne à ma peinture. On est là pour ça, non ?

Il se retourne vers Francis qui l’encourage d’un geste.

Paul - A ce propos, dis donc, quand il y a une bêtise à faire tu es pas la dernière…

Liliane - De quoi tu parles ?

Paul - Oh… Ne fais pas l’innocente, hein…

Liliane - Qu’est-ce que j’ai fait ?

Paul - Tu le sais très bien !

Liliane - C’est pas possible !

Paul - C’est pas parce que tu es de mauvaise humeur qu’il faut saloper le boulot !

Liliane, s’énervant - Tu vas te calmer, oui !

Paul - C’est pas toi qui vas me dire ce que je dois faire, alors, tu te tais !

Liliane - Je parlerai si je veux ! Pour qui tu te prends !

Paul, l’attapant par le bras - Ah ! Tu aimes qu’on te bouscules hein, c’est ça ! Je vais te bousculer, moi !

Liliane - Ça suffit ! Lache-moi ! Tu es complètement fou !

Paul - Comment tu parles à l’homme !

Liliane - Je t’avertis, ma main va imprimer ses cinq doigts sur la joue de l’homme !

Paul - J’aimerais bien voir ça !

Liliane - A ton service…

 

 

 

 

 

Elle le gifle, attrape son pot et sort. Paul se frotte la joue. Francis le rejoint.

Paul, éberlué - Elle m’a giflé…

Francis - J’ai vu. Dis donc, elle t’a mis une de ces beignes ! Mon pauvre vieux…

Paul - Le bon côté c’est qu’elle va vouloir qu’on se réconcilie…

Francis - Mmh… c’est une autre histoire…ça risque d’être difficile…

Paul - Mais… tu disais que…

Francis - Faut pas croire tout ce qu’on te dit.

Il sort.

Paul - Oh la la … qu’est-ce que j’ai fait… il faut que je lui explique…

Le curé arrive.

Le curé - Ah ! Vous êtes là. Il faudrait que vous montiez voir chambre quatre, il y a un souci avec le pommeau de la douche.

Paul - Oui oui… euh… vous m’avez dit quoi ?

Le curé - Vous avez un problème, mon fils ?

Paul - J’ai été stupide... elle me pardonnera jamais…

Le curé - Vous parlez de votre femme ?

Paul - J’ai provoqué une dispute, pour rien !

Le curé - Minus délirium potest bénificat… (Paul le regarde.) - Une petite colère peut être bénéfique !

Paul - J’ai bien peur que ce soit plus grave que ça…

Le curé - Allons, allons, mon fils, mettez votre espoir entre les mains du Seigneur.

Paul - Je dois parler à Liliane.

Le curé - Il vous faudra attendre mon fils, il faut régler le problème de la douche rapidement.

Paul, soupirant - Bien… allons-y…

Ils sortent et croisent Thérèse et Rosine, chacune tenant une anse du couffin du bébé.

 

 

 

 

 

Thérèse - Le bruit, les odeurs de peinture, c’est pas l’idéal pour lui.

Rosine - On va l’aérer un peu. Vous inquitez pas pour le repas, ça mijote.

Elles sortent. Liliane revient, elle essaie de se calmer, se met au bar et se sert un verre qu’elle avale d’un trait. Francis la voit.

Francis - Hé ! Doucement ! Tu vas pas t’y mettre, toi aussi !

Liliane - Comment ça, toi aussi ?

Francis - D’abord Paul, maintenant toi… Y a quelque chose qui cloche ?

Liliane - Tu as vu Paul boire un verre ?!

Francis - Ah oui… et c’était pas de l’eau.

Liliane - C’est impossible. S’il y a un défaut qu’il n’a pas c’est bien celui-là.

Francis - Je sais pas mais, il s’en est jeté plusieurs derrière la cravate…

Liliane - Tu en es sûr ?

Francis - Pourquoi je te mentirais ?

Liliane - Ça expliquerait son agressivité…

Francis - Il t’a cherché des crosses ?

Liliane - Il m’a pratiquement agressée, sans aucune raison. Il m’a attrapée par le bras et m’a secouée.

Francis - Il a été brutal !

Liliane - Pas vraiment mais…

Francis - Parce que si c’est le cas, il aura à faire à moi, je te le dis !

Liliane - Je sais me défendre toute seule.

Francis - C’est souvent que ça se produit ?

Liliane - Jamais !

Francis - Mmh… Alors c’est qu’il supporte plus l’alcool…

Liliane - Je te dis qu’il ne boit pas, je ne sais pas ce qui lui a pris…

Francis - T’as peut-être pas fait attention. Moi, j’avais bien remarqué qu’il crachait pas dessus.

 

 

 

 

 

Liliane - Tu te trompes. Pas Paul.

Francis - Oh, tu sais, les proches sont toujours les derniers à s’en rendre compte. Il a dû trop tirer sur la corde… elle a fini par casser. Tu t’imbibes, tu t’imbibes et un beau jour, tu peux plus absorber et tu débordes de partout.

Liliane - Je n’arrive pas à y croire…

Francis - Je t’ai fait beaucoup de tours pendables mais pas celui-là. Si tu as besoin d’aide, n’hésite pas. Je suis là et je serai toujours là pour toi ma Lily (Il la serre contre lui et l’embrasse sur la joue.)

Liliane, sonnée et se dirigeant vers la porte - J’ai besoin de prendre l’air…

Francis - Et paf ! 0-15, avantage Francis… et c’est que le début du match !

Mathilde, Paul et Barnabé arrivent.

Paul - Ah, tu es là. Donne les clés de la camionnette à Barnabé. (A Barnabé.) - Va chercher le tuyau PVC.

Mathilde, notant - Alors, un tuyau PVC…

Francis - Pourquoi tu l’inscris ?

Mathilde - Ah, écoute, on m’a dit de noter toutes les fournitures utilisées, alors moi, je note. Si tu veux des explications tu demandes au chef ! (Elle désigne Paul de la tête et repart.)

Francis - Elle a toujours été comme ça, bête et disciplinée.

Paul - Ça l’occupe.

Barnabé revient, le tuyau PVC sur l’épaule en passant entre les deux hommes.

Barnabé - Je le mets où ?

Il pivote ce qui fait qu’il « sonne » l’un et l’autre à son insu.

Barnabé - Alors ? J’en fais quoi ? Oh ! Vous pourriez me répondre. C’est un monde quand même ! Ah on est aidé, je vous jure !

Il part vers le couloir, le tuyau sur l’épaule. Thérèse, Rosine, Liliane et le bébé reviennent.

Rosine - Ben, qu’est-ce qu’ils font par terre ?!

Thérèse - Oh mon Dieu ! Ils se sont battus, ça devait arriver.

Elle va chercher sa trousse. Le bébé se met à pleurer.

 

 

 

 

 

Zoé, voix off - J’entends pleurer Nào, quelqu’un peut l’amener ?

Rosine - J’arrive !

Zoé - Barnabé ! C’est pour toi !

Thérèse revient, tend un linge humide à Liliane qui va d’office s’occuper de Francis. Elle-même s’occupe de son frère.

Thérèse - Vous n’avez pas honte de vous battre comme des chiffonniers !

Paul - C’est Barnabé… il portait un tuyau, il s’est retourné et on s’est retrouvés par terre.

Thérèse , à Paul - Tu as une belle bosse à la base du crâne…

Liliane - Ça lui remettra les idées en place.

Francis - Mine de rien, il est dangereux ce gamin…

Liliane lui tamponne le front.

Francis - Tu as des doigts de fée ma lily…

Liliane - Je vois que tu es complètement remis, alors au travail !

Thérèse part ranger ses affaires.

Francis - Bon, je retourne m’occuper du compteur.

Il sort.

Paul - Liliane…

Liliane - Quoi ?

Paul - Je suis tellement désolé pour tout-à l’heure…

Liliane - Tu avais bu.

Paul - Non ! Enfin… si. J’ai pris un verre avec Francis.

Liliane - Avec Francis ?

Paul - C’est lui qui me l’a proposé.

Liliane - Tiens donc…

Paul - J’en ai bu qu’un, je te le jure !

Liliane - C’est toi ou c’est lui qui servait ?

 

 

 

 

 

Paul - C’est lui, pourquoi ?

Liliane - Ah d’accord… et vous avez parlé de quoi ?

Paul - De choses et d’autres… de trucs sans importance, tu vois…

Liliane - Oui… oui…

Paul - Ne sois plus fâchée, je t’en supplie, je ne sais pas ce qui m’a pris…

Liliane - Oh moi je sais ! Je ne t’en veux pas, va.

Paul - C’est vrai ?

Liliane - Oui mon chéri. Je commence à y voir plus clair !

A ce moment tout s’éteint. On entend des exclamations et Francis crier.

Francis, voix off - Merde ! J’ai fait sauter les plombs !

Musique transition nuit. Silhouette noire, lampe frontale, coups sourds, choses déplacées etc…

Liliane, voix off - Ce coup-ci pas de doute, ça vient du bar !

Paul,voix off - Je vais voir…

Liliane, voix off - Je t’accompagne.

La silhouette éteint sa lampe et ne bouge plus. Liliane et Paul apparaissent, un cierge à la main.

Paul - Reste derrière moi, on ne sait jamais.

Liliane - On n’y voit rien… Encore heureux que le curé nous ait apporté des cierges. Il y a même pas une lampe de poche dans cette baraque.

Paul - Y a quelqu’un ?

Liliane - Tu crois vraiment qu’on va te répondre ?!

Paul - En tout cas le bruit s’est arrêté.

Liliane - C’est peut-être une bestiole, genre furet ou autre…

Paul - On remonte. Inutile de prendre des risques. On verra ça demain.

Liliane - J’espère que l’électricité sera réparée.

Paul - Il suffit de changer les fusibles, c’est tout.

 

 

 

 

 

Transition nuit-jour. Le lendemain matin. Tout est chamboulé.

Liliane - Pas de doute, quelqu’un a fouillé partout !

Paul - Il faut qu’on en parle aux autres.

Liliane - Surtout pas ! C’est sûrement l’un d’entre eux.

Paul - Tu plaisantes !

Liliane - Réfléchis… la porte est verrouillée, la fenêtre est fermée, celle de la cuisine aussi et il n’y a pas d’autre issue.

Paul - Mais qui s’amuserait à mettre le bazar la nuit ?

Liliane - Celui ou celle qui fait ça cherche quelque chose… mais quoi ?

Paul - Tu crois ?

Liliane - Je ne vois pas d’autre explication. C’est peut-être Rosine. Elle pense que la tante cachait des choses de valeur…

Paul - Elle avait tout le loisir de chercher avant qu’on débarque tous. De toute façon la tante a dépensé tout son fric pour son enterrement…

Liliane - C’est vrai… mais alors qui ? Et pourquoi ?

Paul - En tout cas tu as raison, n’en parlons pas. On va réfléchir au moyen de découvrir qui fait ça. Aide-moi, on va remettre un peu d’ordre.

Ils s’activent. Les autres arrivent petit à petit. Chacun prend le nécessaire pour continuer les travaux.

Rosine passe et repasse, fait semblant de réfléchir, repart, revient. Bref, elle ne fait rien.

Barnabé, à Zoé qui prend un marteau et des pitons - Tu vas faire quoi ?

Zoé - Accrocher les tableaux, enfin, ces croûtes qui servent de déco.

Barnabé - C’est trop tôt. J’ai mis de l’enduit, il faut attendre que ce soit sec, sinon le trou va s’agrandir.

Zoé - On s’en fout, y aura le tableau dessus, ça le cachera !

Mathilde - Barnabé est soigneux, lui, tu ne vas pas saboter son travail !

Zoé - Vous allez pas me saouler tous les deux pour un malheureux trou !

Paul, à Rosine - Tiens, au lieu de tournicoter dans tous les sens, prend la caisse à outils et suis-moi.

 

 

 

 

 

Rosine - J’ai pas le temps.

Paul - Tu fais quoi exactement ?

Rosine - Je vérifie.

Paul - Tu vérifies quoi ?

Rosine - Tout ! Et puis faut que je pense au dîner, tout ça…

Paul - Oui et bien tu réfléchiras plus tard. Viens me donner un coup de main.

Rosine - Je peux pas je te dis ! Je suis pas Bouddah, j’ai pas six bras ! (Elle sort.)

Paul, à Liliane - Bouddha n’a pas six bras !

Liliane - Oh, Je sais…

Thérèse arrive avec le bébé qui pleure.

Thérèse - Nào est réveillé !

Francis - On a entendu…

Zoé, prenant le bébé et le tendant à Barnabé - Tiens !

Barnabé - Encore ! « Tais-toi titounet, tétine, tototte, tontaine et tonton, taratata ! »

Le bébé rit.

Zoé - Tu vois quand tu veux. (Elle le prend, le donne à sa mère.)

Thérèse - Je vais le recoucher. (Elle sort.)

Mathilde - Et ça se croit une bonne mère sans doute !

Zoé - Je suis plus faite pour être une bonne mère que toi pour être danseuse au Crazy Horse ! Amène tes plumes, Barnabé. (Ils sortent.)

Paul, à Mathilde - Va acheter des fusibles.

Mathilde - Moi !

Paul - Les fournitures, c’est toi, non ?

Mathilde - Oui mais…

Paul - Alors respecte mes décisions.

 

 

 

 

 

Il farfouille dans un coin.

Mathilde, à Francis - Tu as entendu comme il me parle ?!

Francis - Sur le fond, il a raison…

Mathilde - Il y a la manière !

Francis - Tu veux un petit conseil ? Râle moins et souris plus.

Mathilde - En parlant de conseil, je vais t’en donner un. Laisse tomber.

Francis - De quoi tu parles ?

Mathilde - Tu crois que je n’ai pas vu ton manège avec Liliane… On dirait un chien affamé devant une saucisse !

Francis - C’est flatteur pour elle. Je suis sûr qu’elle apprécierait…

Mathilde - Tu ne vas quand même pas te tourner les sangs à cause de cette gourgandine !

Francis - Joli mot ! Un peu vieillot, peut-être. Va acheter les fusibles et t’occupe pas de mes affaires.

Elle part.

Francis, à Paul - Alors, comment ça va avec Liliane ?

Paul - Elle ne m’en veut plus.

Francis- Vous vous êtes réconciliés ?

Paul - Oui.

Francis - Tu veux dire, réconciliés… réconciliés ?

Paul, souriant - Devine… Tiens aide-moi.

Il attape un truc lourd. Francis le prend d’un côté et l’échappe intentionnellement. Paul, déséquilibré penche d’un côté et se coince le dos.

Paul - Aahh !... Je me suis coincé le dos ! Aahh !...

Thérèse accourt.

Thérèse - Oh !!! Bouge pas, je reviens…

Paul - Bouger ! Faudrait pouvoir !

 

 

 

 

 

Francis, faux-cul - Désolé mon vieux, j’ai lâché prise… Oh la la !

Paul - C’est pas de ta faute. Aahh…

Francis - Attends, je vais essayer de te débloquer.

Paul - Non !!

Francis - T’inquiète.

Il lui attrape la tête et la tournicote.

Paul - Arrête ! Tu m’as coincé le cou !

Francis, faux-cul -  Oh non ! Moi qui croyais bien faire !

Thérèse revient. Elle lui masse le bas du dos.

Paul - Mon cou aussi…

Francis - En plus, il s’est fait un torticolis.

Liliane arrive à son tour.

Liliane - Mon chéri ! Tu t’es fait mal ?

Paul - C’est rien… enfin, j’espère…

Thérèse - J’ai tout prévu, je vais chercher une ceinture lombaire et une minerve.

Francis - C’est douloureux, hein ?

Liliane, furieuse - Non, ça chatouille !

Thérèse revient, met la ceinture et la minerve.

Thérèse - Voilà. Tu peux remettre ta combinaison.

Liliane - C’est pas la peine qu’il la remette, il doit se reposer.

Paul - Il y a trop à faire !

Liliane - On est nombreux. Rosine et Mathilde viendront nous aider. (Elle appelle.) - Rosine ! (Rosine arrive.) - Laisse tomber tes casseroles. Paul s’est fait mal au dos, tu es réquisitionnée.

Rosine - C’est que, je suis pas bricoleuse, moi !

Liliane - Mais si, tu verras. C’est dans l’urgence qu’on se révèle.

Paul - Je peux essayer de…

 

 

 

 

 

Liliane - Rien du tout !Tu nous dirigeras, tu nous diras quoi faire, mais toi tu te reposes. (Montrant Rosine.) - Explique-lui. (A Thérèse qui revient.) - Va avec Paul, vous ne serez pas trop de deux pour lui expliquer.

Paul, Thérèse, Rosine vont vers les chambres.

Francis - Tu es très attentionnée… t’es pas rancunière.

Liliane - Alors toi, je te conseille de te faire oublier. Paul ne s’est rendu compte de rien, mais j’ai compris que tu l’avais fait boire à son insu.

Francis - Moi ! Oh !

Liliane - Je te connais par cœur, alors c’est pas la peine de me faire tout ton cinéma. Tu voulais que je me fâche avec lui ! Plan tordu. Idée idiote. Je ne veux plus entendre parler de toi.

Francis - Ne me dis pas ça… ma Lily… ma Lilou…

Liliane - Liliane ! (Il tend le bras vers elle.) - Et ne me touche pas !

Mathilde revient avec les fusibles. Paul revient.

Liliane - Ah te voilà !

Mathilde, à Paul - Qu’est-ce qui t’arrive ?

Paul - Je me suis fait mal au dos et au cou.

Mathilde - C’est malin ! Ça fait deux bras en moins…

Liliane - Comme tu vas t’y coller, le compte sera le même.

Mathilde - Tu veux que je participe aux travaux !

Liliane - Tu penses pas que tu avais droit à ta part simplement en barbouillant ton petit carnet !

Mathilde - Mais, je n’ai pas la force d’un homme…

Liliane - T’inquiète pas, il y a plein de trucs à faire qui ne nécessitent pas une force herculéenne. ( Elle lui  donne une combinaison.) - Enfile ça et suis-moi.Tu vas voir comme c’est valorisant de se rendre utile !

Elles sortent toutes les deux.

Paul - Ça m’embête de pas pouvoir t’aider.

Francis - C’est pas grave. Je te demande juste de me régler les courroies du sac à dos.

 

 

 

 

Il le remplit de matériel et enfile les courroies sur ses épaules.

Paul - Bien sûr…

Francis attend le bon moment et s’arrange pour qu’il se coince le pouce sous la sangle et fait semblant de se rendre compte de rien.

Paul- Aahh !!! Mon pouce ! Il est coincé !

Francis - Où ça ?

Paul - Sous la sangle… aahh…

Francis, relâchant la sangle - Décidemment, c’est pas ton jour…

Paul se rasseoit et se tient le pouce.

Paul - Aahh…

Thérèse et Liliane arrivent.

Liliane - Qu’est-ce qui t’arrive encore ?

Paul - Je me suis tordu le pouce…

Tjérèse repart.

Liliane - Je t’avais dit de pas bouger de ta chaise !

Francis - Ah mais, il a pas bougé, hein Paul ?

Paul - Non… j’ai… rien fait.

Francis - Ça doit être tout-à l’heure…

Paul - Oui… c’est ça…

Liliane - T’avais pas mal au pouce !

Francis - Parce qu’il le sentait pas. Le mal de dos et le torticolis étaient trop forts.

Paul - Mais maintenant je le sens bien…

Thérèse revient et lui met une attelle au pouce.

Thérèse - Voilà. Ça te soulagera.

Liliane - Par pitié ne bouge plus ! On peut te laisser ?

Paul - Oui oui…

 

 

 

 

 

Thérèse - Il est  avec Francis, il ne risque rien.

Elles repartent.

Francis - Mon pauvre vieux… t’es râpé pour les galipettes. C’est pas de chance !

Il part à son tour, lui tourne le dos, sourit et fait : « Yes ! »

Paul essaie de se caler sur une chaise. Le curé revient de l’église.

Le curé - Me voilà libre pour la journée ! Mais… vous avez l’air d’être en piteux état, mon fils…

Paul - Le dos, le cou, le pouce…

Le curé - Vous souffrez beaucoup ?

Paul - Il y a des gens plus à plaindre que moi…

Le curé - Maximum rictus doloris, lingue (oué) mortem. « Les grandes douleurs sont muettes ». Courage, mon fils.

Paul - Merci. Vous n’avez qu’à monter, Francis vous dira quoi faire.

Le curé - Le temps de me mettre en tenue et j’y vais.

Il sort, tandis que Rosine revient.

Rosine - C’est quoi un multimètre ?

Paul - Tu regardes dans une des boîtes, là, dans le coin. Excuse- moi mais je vais m’allonger un moment. On est mal sur ces chaises. (Il sort.)

Rosine farfouille, ne trouve pas. Francis descend.

Francis - Alors, ça vient oui ?

Rosine - T’es marrant toi ! Vas t’y retrouver dans tout ce fatras !

Francis, cherchant - Ah ! Le voilà !

Il prend la boîte de laquelle dépasse une tige metallique qui s’accroche à la jupe de Rosine qui se décroche. Elle se retrouve en panty.

Rosine - Oh ! Espèce de goujat !

Elle le gifle au moment où Liliane revenait.

Rosine - Vieux vicieux ! Satyre !

Francis - Mais, j’ai rien fait !

 

 

 

 

 

Rosine, ramassant sa jupe, à Liliane - Il a toujours été comme ça. Déjà, tout gamin, il jouait à touche-pipi avec toutes ses cousines ! (Elle sort.)

Francis - Elle ment ! Je te jure qu’elle ment !

Liliane, le giflant à son tour - Tais-toi, espèce d’obsédé ! (Elle repart.)

Francis, se tenant le nez, la tête en arrière - Oh non ! Ah, la trousse est là, sur le bar. (Il se met des cotons dans le nez.)

On entend du bruit à l’étage.

Barnabé, voix off  - Quelle horreur ! C’est pas possible !

Thérèse , voix off   - Fermez l’eau ! Fermez l’eau !

Mathilde, voix off   - Au secours ! Je sais pas nager !

Liliane, voix off   - Tu te crois sur le Titanic ? Vite ! Au compteur d’eau !

Le curé, voix off   - Il est où ?

Rosine, voix off   - En bas, derrière le bar…

Tous déboulent. Le curé ferme le compteur. Zoé redescend, trempée.

Paul - J’ai entendu une perceuse. Qui a troué un tuyau ?!

Barnabé - C’est moi ! J’ai voulu fixer un tableau. Le piton ne suffisait pas, alors j’ai voulu mettre une cheville. J’ai utilisé la perceuse. La mèche est rentrée, comme dans du beurre…

Liliane - Elle était longue comment ?

Barnabé, montrant une bonne longueur - Comme ça…

Francis - Oh le couillon !

Paul - Tu te rends compte de ce que tu as fait !!!

Mathilde - Ce sont est des choses qui arrivent…

Paul - Pas quand on a un peu de jugeote !

Thérèse - Heureusement que Zoé était là. C’est grâce à elle si les dégâts ne sont pas plus importants !

Zoé - Faut pas pousser… J’ai juste mis ma main sur le trou…

Liliane - Rosine, va chercher des serpillères, on va éponger tout ça.

 

 

 

 

 

Tous repartent sauf Zoé et Barnabé.

Zoé - Pourquoi tu t’es accusé à ma place ?

Barnabé - Je voulais pas que tu sois embêtée.

Zoé - Non mais, attends, tu m’avais dit que c’était pas une bonne idée. Je t’ai envoyé bouler, je méritais de me faire attraper.

Barnabé - Disons que, je t’aime bien…

Zoé - T’es ouf ou quoi ? J’ai toujours été une vraie peste avec toi !

Barnabé - Justement ! Je t’admirais tu sais. Tu trouvais toujours un truc nouveau. Tu avais une imagination de folie ! Si tu savais comme je t’enviais… non seulement tu me faisais punir, mais en plus, tu te faisais féliciter…

Zoé - Tu ne m’en a jamais voulu ? Même un peu ?

Barnabé - Jamais ! J’aurais tant aimé avoir du caractère comme toi. Mais, je sais pas pourquoi, j’ai toujours été obéissant et je continue…

Zoé - T’es plus un morveux ! Faut lui faire piger à ta mère ! Lâche-toi ! Vis ta life !

Barnabé - J’ai essayé un jour de lui en parler. Elle m’a dit que j’étais un égoïste, qu’elle m’avait consacré toute sa vie et qu’elle avait que moi. Elle m’a fait de la peine, alors je suis resté.

Zoé - Je croyais que t’étais un crétin… en fait, t’es juste un vrai gentil.

Barnabé - Oh, de toute façon je serais incapable de me débrouiller seul. Je sais rien faire.

Zoé - Ah si ! Tu sais calmer Nào et c’est un exploit ! Dis donc… et si tu repartais avec moi ?

Barnabé - Tu… tu veux dire en Angleterre ?!

Zoé - C’te blague ! Bien sûr !

Barnabé - J’y ferai quoi ?

Zoé - Tu t’occuperais de Nào ! Dis donc… tu sais quoi ? J’ai des potes qui font du slam. T’écris des naseries, mais tu peux sûrement faire mieux. Ils t’apprendraient, tu t’éclaterais avec eux !

Barnabé - Mais… ma mère ?

Zoé - Elle survivra ta mère, je t’assure ! Ce qui te manque, c’est de l’air !

 

 

 

 

Barnabé - Oh oui… Londres… Tower Bridge… Buckingam palace… Piccadilly Circus… Oh oui !

Zoé - Ça va être l’éclate, je te dis!

Ils crient tous les deux, surexcités.

Paul, voix off, criant - Dites donc tous les deux, ça vous dérange pas si on bosse ?

Zoé, Barnabé - On arrive !

Petit temps mort… Le curé et Rosine arrivent.

Rosine - Je vous assure, mon père, il faut que je libère ma conscience.

Le curé - Voyons , ma fille, vous savez bien qu’on n’a pas le temps d’aller au confessionnal…

Rosine - On peut faire ça ici.

Le curé – Mais… c’est impossible, voyons…

Rosine, mettant deux chaises côte à côte – Si, si, on va se débrouiller. Asseyez-vous, bougez pas, je reviens.

Rosine revient avec une grille de barbecue et la lui met dans la main.

Le curé - Mais…Une grille à saucisses ! Voyons, Rosine, ce n’est pas sérieux !

Rosine - Allez père Noël, faites pas de manières. Tenez ça ! (Elle lui fait tenir la grille entre eux deux.) - Vous voyez, ça fait pareil !

Le curé - Si on veut. Bien, allez-y, je vous écoute

Rosine - Bénissez-moi mon père, parce que j’ai pêché.

Le curé - Abrégez Rosine, quelqu’un pourrait arriver…

Rosine - Vous inquiétez pas, ils sont tous occupés là-haut.

Le curé – Je vous écoute…

Rosine - J’ai giflé mon cousin Francis.

Le curé - Ce n’est pas bien, ma fille.

Rosine - C’est pour ça que je me confesse ! J’aurai pas dû parce que je m’étais trompée.

Le curé - De cousin ?

 

 

 

 

 

Rosine - Non non, il s’agissait bien de lui ! Je vous explique : Il m’a enlevé ma jupe sans le faire exprès, mais j’avais cru qu’il l’avais fait exprès, d’où la gifle.

Le curé - Vous vous êtes excusée ?

Rosine - Ah non ! Ça vaut pour toutes les autres fois où il en aurait mérité une !

Le curé - Mais… vous devez vous repentir…

Rosine - Oui oui, je me repentis, oui, je me repentis ... voilà, voilà... Dites-moi seulement ce que j’ai comme punition, histoire d’arranger le coup avec le Bon Dieu.

Le curé - Oh ! Rosine! Ça ne marche pas comme ça voyons !

Rosine – Oh, ça va… Alors ? Je fais quoi ?

Le curé, soupirant – Bon, ben… trois Pater et un Avé.

Rosine - Trois pâtés, je veux bien, mais le navet, j’en fais quoi ?

Le curé - Béatus minus occiput simplex…

Rosine - Ça veut dire quoi ?

Le curé - Heureux les simples d’esprit !

Rosine - Je vois pas le rapport… Bon, c’est pas le tout, j’ai pas que ça à faire moi ! Merci mon père. Donnez-moi la grille, faut que j’aille faire rôtir les saucisses !

Elle reprend la grille et s’en va. Le curé pousse un gros soupir et sort à son tour.

Francis et Thérèse arrivent. Francis change de combinaison. Il s’énerve sur la fermeture éclair.

Francis - C’est pas vrai ! Quelle saleté ce truc !

Thérèse - Qu’est-ce qui se passe ?

Francis - La fermeture éclair s’est bloquée, impossible de la fermer.

Thérèse - Tire pas, tu vas la péter complètement ! Fais voir… Ah d’accord… ton caleçon s’est pris dedans.

Elle se met à genoux devant lui et essaie de la décoincer.

Francis - Tu crois que tu vas y arriver ?

Thérèse - J’en ai décoincé des plus difficiles…

 

 

 

 

 

Liliane arrive. Elle voit Thérèse de dos, agenouillée devant Francis. Elle est pétrifiée.

Thérèse - Ah ! Elle est coriace celle-là ! Bouge pas, laisse-moi faire…

Elle force, fait des petits bruits. Francis a le tête penchée vers elle. Ils ne voient pas Liliane.

Thérèse - Et voilà ! Vite fait, bien fait !

Francis - Ah ! Ça soulage !

Thérèse , se relevant - Bon, je retourne à mes pinceaux, si tu as besoin, n’hésite pas à me demander ! (Elle sort.)

Francis voit Liliane qui le fixe, muette. Thérèse repart sans l’avoir vu.

Francis - C’est pas ce que tu crois… c’est ma ferm…

Liliane – Dégoûtant personnage !

Elle le gifle et s’en va.

Francis - Oh non ! Mon nez ! Y en a marre !

Il se précipite vers la trousse et prend du coton. Paul arrive.

Paul - Ah, tu es là… il faudrait que tu… tu saignes encore du nez ?!

Francis - C’est rien, je suis fragile de ce côté là.

Paul - Ça n’a rien à voir avec Liliane ?

Francis - Mais non, quelle idée !

Paul - Ok. Bon, reste tranquille cinq minutes. (Il attrape quelques outils et repart tout raide à cause de la ceinture et de la minerve…) - Je vais porter ça à Barnabé.

Francis - Tu sais que tu ressembles à Robocop ?

Paul, sinistre - Ah ah !

Francis se tamponne le nez, s’asseoit un moment. Liliane revient.

Liliane - Je viens m’excuser… j’ai parlé avec Thérèse et elle m’a expliqué pour la fermeture éclair.

Francis - Tu t’es fait des idées.

Liliane - Je sais… venant de la part de Thérèse, c’était stupide de le croire.

Francis - Et de ma part aussi !

 

 

 

 

 

Liliane - C’est moins sûr… En tout cas, je suis désolée de m’être énervée.

Francis - Si ça t’a mise en colère, c’est que tu es jalouse.

Liliane - N’importe quoi !

Francis - Et si tu es jalouse… c’est que tu m’aimes encore !

Liliane - Tu es vraiment stupide ! Je ne t’aime plus, il faut te le dire comment ? Je suis très heureuse avec Paul et si je t’ai giflé c’était uniquement parce que Thérèse est ta cousine et que je trouvais ça honteux ! Tu ne m’intéresses plus. Mets-toi bien ça dans le crâne ! (Elle sort.)

Francis - Jeu, set et match… au vestiaire mon Francis. Au moins j’aurai essayé… (Il sort.)

Transition nuit. Liliane et Paul chuchotent.

Liliane - On a bien fait de la mettre dans la confidence.

Paul - Tu crois que ça va marcher ?

Liliane - Evidemment !

Zoé arrive et pose délicatement le couffin sur le bar.

Zoé - Ouf ! C’est bon, il s’est pas réveillé.

Paul - Je me demande si c’est une bonne idée…

Zoé - Succès garanti, tonton. Le moindre bruit, la moindre lueur et il fait la sirène. Comme alarme y a pas mieux !

Ils repartent. Noir. La silhouette entre, lampe frontale. Même scénario. On entend un craquement. Le bébé pleure. On entend des portes qui claquent, des bruits de pas, la lumière s’allume.

Mathilde, voix off - C’est infernal ! Faites-le taire !

Tous arrivent. La silhouette, pétrifiée, est agenouillée, la tête dans le comptoir dont elle a enlevé des planches. Barnabé chuchote des trucs au bébé et le calme.

Paul - Tu es fait ! Sors de là !

Liliane, tenant une clé à molette - Pas d’embrouille ou je frappe !

La silhouette recule à quatre pattes. Le curé se relève. Il tient un coffret.

Paul - Monsieur le curé ?! C’est vous ?!

 

 

 

 

 

Rosine - Père Noël, qu’est-ce que vous faites ici en pleine nuit ?

Barnabé - Il a cassé le bar !

Zoé - Il est glauque, lui !

Francis - Alors, curé, on fait des heures supplémentaires ?

Mathilde - Qu’est-ce qu’il a dans les mains ?

Paul - Donnez- moi ce coffret !

Thérèse - Voleur ! Vous ! Un homme d’église ! Vous n’avez pas honte ?

Rosine - Et ben… c’est pas avec trois pâtés que vous allez vous en tirer avec le Bon Dieu, moi je vous le dis !

Le curé - Votre tante ne donnait jamais rien à la quête. Elle mettait des jetons de caddies, des boutons, des vieux boulons, n’importe quoi sauf un centime. En confession elle a avoué qu’elle ne voulait pas que vous héritiez de quoi que ce soit. Elle a laissé son établissement se dégrader pour que vous ne puissiez rien en tirer ou très peu. Elle a avoué aussi qu’elle avait caché un magot, alors je me suis dit que cet argent revenait au denier du culte…

Mathilde - Et le huitième commandement : « Tu ne déroberas point », qu’est-ce que vous en faites ?

Le curé - Errare humanum est !

Francis - Allons bon, le v’là qui retrouve son latin !

Liliane - Mais alors…vous nous avez suggéré de faire des réparations et vous avez proposé de nous aider, uniquement dans le but de fouiller partout…

Le curé - Elle m’avait dit que c’était dans le bar. J’ai pensé à cette pièce, mais hier j’ai compris qu’elle parlait du zinc, du comptoir…

Paul, ouvrant le coffret - Il n’y a qu’une lettre !

Francis - Fais voir… (Il lit.) - « Alors, curé, on n’a pas pu s’empêcher de chercher le magot de la vieille Marthe, hein ? Je vous ai bien eu ! Il est pas là ! »

Le curé - Ah ! Animalis cornibus lactum !

Rosine - Ça veut dire quoi ?

Francis – Facile ! Animalis… cornibus…lactum… ça veut dire : Ah ! La vache !

Francis - « Dites à mes neveux… (La voix de la tante se substitue à celle de Francis.) que je les aimais pas. C’est qu’une bande de vautours. Ils l’auront pas non plus mon magot. Il est bien planqué et là où il est, ils le trouveront jamais ! »

 

 

 

 

Paul - Alors elle avait beaucoup d’argent…

Liliane - Je comprends mieux comment elle a pu se payer un tel enterrement…

Mathilde - Oh, la teigne !

Thérèse , la fixant - Apparemment elle t’a transmis le gène.

Rosine - Quand je pense qu’elle a fait elle-même l’intérieur de son cercueil… Elle avait pourtant les moyens de le faire faire… Elle en a passé des heures à faire de la couture, à rembourrer les parois, le fond, le coussin…

Francis - Tout rembourrer… … avec son fric !!!

Zoé, attrapant Barnabé par le bras - Ouais !! Tous au cimetière !!

Tous se ruent dehors en se bousculant.

Rosine - Les premiers arrivés seront les premiers servis !

Mathilde - Moi d’abord !

Thérèse, la repoussant - Laisse-moi passer !

Paul - Poussez-vous !

Liliane - Aïe !

Le curé, effaré - Allons, voyons, mes enfants…

Francis, se retourne et lui donne une bourrade - Vade retro, curé !

Il sort à son tour. Le curé se retrouve assis par terre. Le bébé rit.

 

 

 

FIN

 

 

             

 

Acte 1

 

 

Thérèse et Liliane entrent dans le bar.

Liliane, soupire en se déchaussant - Pfou… J’ai les pieds en compote… j’aurais pas dû mettre des talons hauts.

Thérèse - Tu les supportes pas ?

Liliane - Si, mais le problème ici c’est les pavés dans les rues, les chemins pas goudronnés… J’ai passé mon temps à marcher sur la pointe des pieds pour pas les abîmer…

Thérèse - C’est vrai qu’à la campagne on est mieux en baskets !

Liliane – Oui mais, pour une cérémonie, bonjour l’élégance et puis avec des talons, je suis plus grande… enfin, moins petite.

Thérèse - Tu sais, cinq centimètres de plus ou de moins, ça change pas grand- chose…

Liliane - Quand même… Remarque, c’est bien d’être petite, on se fait plus facilement câliner…

Thérèse - Je suis certaine que mon frère fait ça très bien…

Liliane - Oh oui… Paul est très tendre... tendre et solide à la fois. Ça me change de Francis.

Thérèse - En parlant de lui, ça a dû te faire tout drôle de le revoir !

Liliane - Je m’y étais préparée, psychologiquement parlant.

Thérèse - Il ne t’a pas lâchée des yeux.

Liliane - Oui, j’ai remarqué. Il faut dire qu’il était très discret ! Il n’y a que Paul pour ne s’être rendu compte de rien !

Thérèse - Pas si sûr… mais tel que je le connais, s’il s’en est aperçu, il ne fera pas de vagues, d’une part parce que c’est son cousin et d’autre part parce qu’il lui a piqué sa femme.

Liliane - Il ne lui a rien piqué du tout ! Je n’en pouvais plus de Francis et de tous ses mensonges ! Paul m’a toujours soutenue dans les moments difficiles, en toute amitié. Ce n’est que lorsque j’ai pris la décision de divorcer qu’il a avoué m’aimer depuis toujours.

Thérèse - Je sais. Il avait promis à Francis que s’il se mariait un jour il serait son témoin. Il n’avait pas prévu qu’il tomberait amoureux de la mariée ! Malgré tout il a tenu sa promesse et respecté ton choix.

 

 

 

 

Liliane - Ah la la, j’étais si jeune ! Francis était exubérant, amusant, beau parleur. Ton frère, lui, était discret, calme, sérieux… Je pensais qu’il était faible, légèrement ennuyeux. Je m’étais bien trompée.

Thérèse - C’est loin tout ça…

Liliane - Oui, ça va faire un bail et tu sais quoi ? Pas un jour j’ai regretté d’avoir quitté Francis.

Thérèse - Et moi je suis ravie que tu sois ma belle-sœur.

Liliane - Pareil pour moi. Ça me change de Mathilde. Autant Francis était fêtard, autant sa sœur était sinistre !

Thérèse - Et elle n’a pas l’air de s’être améliorée… C’est la seule de mes cousines que j’ai jamais pu encadrer !

Liliane – Tu m’étonnes…

Thérèse - Je plains son fils…

Liliane - Mmh… Enfin, dans deux jours, chacun repartira de son côté.

Thérèse - Rosine a préparé les chambres. (Rosine arrive à son tour.) - La voilà ! Les autres ne sont pas avec toi ?

Rosine - Ils arrivent… (Elle s’assoit près d’elles.) - Je sais pas vous, mais moi je la redoutais cette journée. Finalement ça s’est bien passé.

Thérèse - Oui… et puis c’était l’occasion de se revoir, ça faisait longtemps.

Liliane - Alors moi, j’ai été scotchée… je m’attendais pas à ce qu’il y ait un orchestre... vous vous rendez compte !

Thérèse - Et les fleurs ! C’était fou ! Des monceaux de lys, de roses, d’orchidées…

Liliane – Et puis elle en a eu des compliments votre tante Marthe !

Thérèse - En même temps, c’était pas le jour à lui faire des reproches.

Rosine - Pourtant il y aurait eu de quoi dire…

Thérèse - C’est sûr, mais bon… en tout cas c’était très réussi.

Liliane - Elle a été gâtée !

Rosine - On n’est jamais si bien servi que par soi-même !

Liliane - Comment ça ?

 

 

 

 

Rosine - Avec la convention obsèques, elle avait tout prévu et depuis longtemps !

Thérèse - Tu veux dire que personne ne s’est occupé de son enterrement ?

Rosine - Mais elle voulait pas ! C’est elle qui a pensé à tout : les fleurs, la musique, les textes…

Liliane - Les textes aussi ?!

Thérèse - C’est elle qui avait écrit ses propres louanges ?!

Rosine - Puisque je vous le dis !

Thérèse - Je comprends mieux pourquoi le curé n’a voulu laissé parler personne…

Rosine - Elle disait que tous autant qu’on était on se moquait pas mal d’elle, qu’elle se moquait de nous tous aussi et qu’il était pas question qu’on lui fasse un enterrement de pauvre. Je lui avais fait remarquer que moi j’étais restée là, eh ben elle a ricané en me disant que si je restais avec elle c’était que par intérêt et qu’elle était bien bonne de s’occuper de moi.

Thérèse - Mais, tu travaillais ici !

Rosine - Je m’occupais des chambres et du bar, enfin, surtout du bar parce que l’hôtel marche plus depuis longtemps… En échange j’étais logée, nourrie, blanchie et elle me donnait un peu d’argent de poche quand j’allais au cinéma ou que j’avais quelque chose à m’acheter.

Liliane - C’était de l’exploitation !

Rosine - Oh, c’est pas grave, j’ai pas de gros besoins. Par contre, une fois que la succession va être liquidée, je me demande ce que je vais faire…

Thérèse - Moi, je me demande comment elle a pu se payer un tel enterrement…

Rosine - Elle devait avoir des sous de côté.

Liliane – Attendez, mais rien que le cercueil… il était magnifique !

Rosine - C’était de l’ébène et les poignées étaient dorées à l’or fin !

Thérèse - Ça vaut une fortune !

Rosine - Elle l’avait acheté depuis au moins un an déjà. Il était entreposé dans une des chambres et elle y allait régulièrement pour l’admirer.

Liliane - C’est morbide…

Thérèse - C’est surtout ruineux !

 

 

 

Liliane - Toutes ses économies ont dû y passer…

Thérèse, amère - Comme ça elle était certaine de rien nous laisser.

Liliane – Par contre, elle a complètement négligé son bar-hôtel… quand on voit l’état des lieux…

Rosine - Elle disait que ça suffisait bien pour les clients. Il faut dire qu’ils se bousculaient pas à la porte.

Thérèse - Tu m’étonnes, ça donne pas envie.

Rosine - Remarquez ça me laissait du temps de libre pour m’occuper du père Noël…

Liliane - Du Père Noël ?!

Rosine - Ben oui… du curé, quoi. Noël c’est son prénom. Je vais à la cure, je lui prépare ses repas, je lui fais son ménage… en échange il me donne un peu d’argent de poche.

Francis, Paul, Mathilde et Barnabé arrivent.

Francis, radieux - Ben voilà, ça, c’est fait !

Le curé arrive à son tour.

Paul - Entrez monsieur le curé. Vous boirez bien quelque chose ?

Francis - Cette blague ! Et nous aussi, ça s’arrose !

Le curé - Allons voyons, mon fils…

Francis - Oh ça va… C’est un secret pour personne qu’elle nous aimait pas et on lui le rendait bien.

Le curé - Un peu de charité chrétienne, mon fils.

Francis - De charité crétine vous voulez dire !

Tous s’installent au différentes tables et sur les tabourets du bar. Rosine et Paul se mettent derrière le bar et servent. Chacun dit ce qu’il veut boire. Liliane apporte les boissons.

Liliane - Tu veux quoi Barnabé?

Barnabé - Euh…

Mathilde - Une grenadine !

Barnabé - Ah… alors avec de la limonade…

 

 

 

 

Mathilde - Sans limonade. De l’eau plate.

Barnabé - Mais…

Mathilde - Le sirop est déjà suffisamment sucré. Tu n’as pas à en rajouter.

Liliane se dirige vers le zinc.

Mathilde, à Liliane - Et moi ! Tu pourrais me demander ce que je veux !

Liliane - Je t’écoute, très chère Mathilde…

Mathilde - Tu m’apportes un verre d’eau.

Liliane - Avec une paille ?

Mathilde est outrée, Liliane sert les boissons.

Paul - Qu’est-ce que je vous sers monsieur le curé ?

Francis - Tu lui sers un jaune et à moi aussi.

Le curé - Pastis durum et (ète) hypocras, vésiculum crassus !

Rosine - Ça veut dire quoi ?

Le curé - L’abus d’alcool est dangereux pour la santé.

Francis - Oh dites, curé, faut pas charrier. Vous l’avez bien sifflé votre vin de messe tout à l’heure, même que vous vous êtes resservi deux fois.

Le curé - Moi ? Vous vous méprenez mon fils…

Francis - Dites pas non ! Vous avez agité votre clochette pour la communion, mais j’ai relevé la tête, je vous ai vu.

Le curé - In vino véritas…

Rosine - Ça veut dire quoi ?

Francis - La vérité est dans le vin, ça, je connais. Allez curé, pas de chichis, vous prendrez quoi ?

Le curé - Bon ben, dans ce cas, un whisky, s’il y en a….

Paul le sert.

Mathilde - Monsieur le curé, j’ai un reproche à vous faire.

Le curé - Je vous écoute ma fille…

Mathilde - Alors et d’une, je ne suis pas votre fille et de deux, votre attitude a été détestable !

 

 

 

Le curé - Pourquoi une telle colère ?

Mathilde - Barnabé voulait dire quelques mots et vous avez refusé qu’il s’exprime. D’ailleurs vous avez refusé ce droit bien légitime à chacun d’entre nous.

Le curé - Je n’ai fait que respecter une des volontés de votre tante Marthe…

Mathilde - Sachez que mon fils est un poète et que c’est très frustrant pour lui de n’avoir pu déclamer ses vers.

Liliane - Il n’a qu’à les dire maintenant…

Paul - Mais oui, nous l’écouterons avec plaisir…

Thérèse - Vas-y Barnabé...

Barnabé se tortille, gêné.

Mathilde - Eh bien ! Qu’est-ce que tu attends !

Barnabé - C’est que…

Mathilde - Arrête de faire des manières !

Rosine - C’est si beau les poèmes…

Barnabé - Bon ben, voilà (Il se râcle la gorge.)

Chère grand tante Marthe

« Si tu m’as jamais invité

C’est faute à ta timidité

Tu me traitais toujours de niais

Les rares fois où je te voyais

Et c’était pour faire de l’humour

Que tu me jouais de sales tours

Pour les Noëls tu donnais rien

Comme si tu étais radin

Mais c’était sûrement pas pour ça

Les moyens tu les avais pas.

Si t’as jamais ouvert ton cœur

C’était par fierté, par pudeur.

Ta seule passion c’était le foot,

Une seule équipe entre toutes

A ton avis était la reine

C’était celle de Saint-Etienne.

Alors moi, pour te rendre hommage

Pour faire honneur à ton grand âge

Devant ta tombe à ciel ouvert

Je crierai fort : allez les Verts ! »

 

 

 

 

 

 

Consternation générale, fou rire de Francis, Mathilde lui caresse les cheveux, très fière.

Francis - Bravo mon neveu, j’aurais pas fait mieux. Ç’aurait été dommage de rater ça !

Mathilde, à Thérèse - Dis donc, ta fille ne se serait pas trompée de jour par hasard ?

Rosine - C’est vrai ça, elle est où Zoé ?

Thérèse - Elle arrive tout droit d’Angleterre, c’est vite fait de prendre du retard.

Mathilde - Il suffit de s’organiser, d’anticiper, mais je suppose que c’était trop lui demander…

Thérèse - Elle est adulte, je n’ai pas à lui dicter sa conduite, ni à prendre des décisions à sa place.

Mathilde - J’étais certaine de ta réaction. Aucune autorité, aucune éducation, aucun bon principe inculqué à ta fille !

Thérèse - Et aucun risque que je suive ton exemple ! On a le résultat sous les yeux. Ton fils est complètement sous ta coupe, incapable de s’assumer tout seul, terrorisé à l’idée de te déplaire.

Mathilde, se tournant vers son fils, d’un air menaçant - Tu te sens brimé, toi ?

Barnabé - Non non…

Mathilde - Tu n’es pas bien avec moi ?

Barnabé - Si si…

Mathilde, à Thérèse - Tu vois ! Barnabé est tout simplement bien élevé et tant pis si ça te défrise. Venant de la mère complètement irresponsable que tu es, je ne suis pas étonnée du résultat obtenu avec Zoé.

Paul - Allons allons, c’est quoi ce règlement de compte ? Chacun élève ses enfants à sa façon. On ne doit pas juger…

Liliane, à Mathilde - Il a raison Mathilde, ne sois pas si agressive.

Mathilde - Alors vous deux, pour les leçons de morale, vous repasserez ! (A Liliane.) - Toi tu as quitté mon frère du jour au lendemain…

Liliane - C’est faux !

Francis - Là, Mathilde, tu pousses un peu…

Mathilde, à Paul - Et toi, Judas, tu as trahi ton cousin de la pire des façons !

Paul - Je ne peux pas te laisser dire ça. Ecoute…

 

 

 

 

Mathilde - Rien du tout ! Quant à Thérèse a toujours été laxiste. Pire, elle a voulu un enfant mais n’a pas voulu du père. Tu trouves ça normal ?

Le curé - Du calme ma fille, la tolérance est la base de…

Mathilde - Je ne suis toujours pas votre fille et ne vous mêlez pas de ça. Qu’est-ce que vous y connaissez, vous, en éducation des enfants ?!

Thérèse - En tout cas je ne suis pas une mère abusive, moi !

Mathilde - C’est sûr. Il y a combien de temps que tu n’as pas vu ta fille ?

Thérèse - Un peu plus d’un an, mais la question n’est pas là…

Mathilde - Oh que si ! Dieu sait la vie qu’elle mène et de quoi elle vit !

Thérèse - C’est quoi ces insinuations ? Tu touches pas à Zoé, sinon…

Mathilde - Je vais me gêner…

Thérèse et Mathilde s’empoignent, se tirent les cheveux, se battent. Paul et Francis s’interposent, parviennent à les séparer.

Paul, à Mathilde- Lâche-la !

Francis - Arrêtez bon sang !

Le curé - Uppercut hématome est !

Rosine - Ça veut dire quoi ?

Le curé - La violence ne résout rien.

Les deux cousines finissent par se calmer, boivent un verre d’eau etc…

Zoé arrive enfin. Extravertie, genre gothique.

Thérèse - Ah ! La voilà ! Bonjour ma chérie ! Le voyage s’est bien passé ?

Zoé - Ouais, tout baigne. Apparemment y a de l’eau dans le gaz ici, vous tirez tous une de ces tronches… y a un lézard ?

Liliane - Non… on se demandait seulement pourquoi tu n’étais pas arrivée plus tôt.

Zoé - Le ferry c’était ok, mais la route pour arriver dans ce bled… un peu galère.

Mathilde - Il suffisait de partir plus tôt, voire la veille, mais ça, c’était trop te demander, je suppose.

 

 

 

 

Zoé - Moi aussi je suis contente de te revoir ! T’as pas changée… enfin, physiquement les années t’ont pas fait de cadeau, mais alors question caractère t’es comme dans mes souvenirs.

Mathilde - Quelle insolence !

Zoé embrasse les autres.

Zoé - Je pensais pas être autant à la bourre…

Francis - C’est pas grave, la tante Marthe risque pas de t’en vouloir !

Rosine - La dernière fois que tu es venue tu devais avoir sept ou huit ans.

Zoé - C’est possible… Le seul souvenir que j’ai de la tante c’est qu’elle avait les joues pire qu’une râpe à fromage. Elle piquait quand je l’embrassais.

Rosine - Tu m’étonnes pas, elle se rasait. Pourtant je lui ai dit cent fois : « Plus tu les rases, plus les poils repoussent durs ! »

Zoé - Au fait, c’est quoi ce marmot dans un couffin sur le pas de la porte ?

Liliane - Qu’est-ce que tu dis ?!

Paul - Un bébé ?!

Francis - C’est quoi ce délire ?

Thérèse - Il faut aller le chercher !

Tous se précipitent. Paul pose le couffin sur une table. Tous se penchent. Le bébé se met à pleurer très fort. Chacun le berce à son tour, lui donne sa sucette, essaie des « gouzi gouzi, gaga, gouzou gouzou », rien n’y fait. Finalement il atterrit dans les bras de Barnabé.

Barnabé - Bonjour bébé, moi je suis Barnabé, tu es tout beau bébé, blond comme les blés, babille beau bébé…

Le bébé s’arrête net et rit.

Francis - Ouf ! Ça fait du bien !

Rosine - Regardez, il y a une enveloppe dans le couffin !

Thérèse y recouche le bébé, prend l’enveloppe, l’ouvre et lit.

Thérèse - « Barnabé, c’est ton fils, je te le laisse, tu n’as qu’à t’en occuper ! »

Barnabé - Mais… mais…

Mathilde - Ce n’est pas vrai ! Ce n’est pas possible !

Zoé - T’as réussi à sortir des jupes de ta mère ? Chapeau !

 

 

 

Paul - Barnabé, explique-toi…

Barnabé - J’en sais rien… c’est pas moi, je vous jure !

Francis - Encore un coup du Saint-Esprit sans doute…

Le curé - Ne blasphémez pas mon fils !

Francis - Vous me fatiguez, curé. J’ai l’âge d’être votre père, alors changez de disque.

Le bébé se remet à pleurer. Francis le prend et le met d’office dans les bras de Barnabé.

Francis - Tiens, fais ton boulot… papa !

Barnabé - Mais puisque je vous dis…

Francis - Fais-le taire, pour le bien de nos oreilles !

Barnabé - Dis donc faut faire dodo, il est doux ton doudou, dodeline et dors dedans ton édredon…

Le bébé se calme et rit. Thérèse le recouche tout doucement.

Zoé - C’est dingue ! Y a que la voix de son vieux qui le calme.

Barnabé, au bord des larmes - Mais puisque je vous dis qu’il est pas à moi ce bébé !

Zoé - Ah oui ? Moi je trouve qu’il te ressemble vachement.

Thérèse - Elle a raison…

Liliane - Avoue… c’est pas un crime…

Rosine - T’as fait ou t’as pas fait ?

Mathilde - Evidemment que non ! Il est pur comme l’agneau qui vient de naître, j’en mettrais ma tête à couper !

Barnabé - J’ai pas fait, tante Rosine. J’ai jamais fait, je le jure !

Rosine - Mince alors ! T’es encore puceau ! A ton âge ! Mon pauvre…

Mathilde - Je ne vois pas en quoi ne pas se rouler dans la luxure et ne pas vivre dans la débauche est un défaut !

Thérèse , brandissant la lettre - Inutile de nier, la preuve est là et bien là ! (A Mathilde.) - Alors, mémé, on est contente ?

Mathilde - Oh toi…

 

 

 

 

Elles s’empoignent à nouveau. Tous essaient de les séparer. Zoé intervient.

Zoé - Arrêtez ! C’est bon ! C’était une blague !

Tous - Quoi ? Hein ? Une blague ?

Zoé - Il est à moi ce môme. Sacré Barnabé, t’as flippé hein ? Toujours aussi bolosse, t’es un vrai gobe-mouche ! Ah la tête !

Liliane - Tu exagères, c’est pas sympa…

Zoé - Y a pas mort d’homme. J’ai pas pu résister à lui jouer un tour…

Mathilde - De très mauvais goût ! Il a toujours été ton souffre-douleur ! Ce que je disais se confirme. Aucune moralité, aucune conscience du bien et du mal !

Thérèse - C’est vraiment le tien ?

Zoé - Ouais et il pète la forme !

Francis - Surtout côté poumons…

Le curé - Speculum parturiante est, magnificat ad vitam !

Rosine - Ça veut dire quoi ?

Le curé - C’est beau de donner la vie.

Thérèse - Et tu as accouché là-bas… sans m’en parler ?

Zoé - C’était plus fun de te faire la surprise, non ?

Mathilde, ricanant - Alors, mémé, on est contente ?

Thérèse - Plus que contente ! Je suis ravie, heureuse, il est magnifique cet enfant ! Je me demande comment j’ai pu croire une seconde qu’il était ton petit-fils !

Elle et sa fille se penchent sur le couffin.

Rosine, à Liliane - Au fait, pourquoi elle était partie en Angleterre ?

Liliane - Elle y avait été pour travailler la langue.

Rosine - Apparemment, elle a bien fait tous les exercices !

Elles rejoignent Thérèse et Zoé.

Liliane, à Zoé - Je ne veux pas t’affoler mais, j’ai l’impression qu’il a la jaunisse du nourrisson…

Zoé - Oh non ! C’est sa couleur d’origine. Je l’ai eu avec un asiatique que j’avais rencontré dans le quartier de Chinatown.

 

 

 

Thérèse - Il n’a pas voulu venir avec toi ?

Zoé - Non mais attends, il y a longtemps que je l’ai largué !

Thérèse - Ah… il ne voulait pas d’enfant…

Zoé - J’en sais rien et je m’en tape. Je veux pas m’encombrer d’un mec, c’est tout. En plus il assurait pas, si tu vois ce que je veux dire. Je l’appellais « le petit citron pressé ! »

Mathilde - J’aurais tout entendu !

Thérèse - Mais, comment tu vas faire sans son père ?

Zoé - Comme toi. T’as bien jeté, le mien !

Thérèse - C’est pas une raison pour faire la même chose…

Mathilde - Elle a suivi l’exemple de sa mère, logique !

Zoé - De quoi elle se mêle la vieille pie !

Thérèse , à Mathilde - Toi aussi tu as élevé ton fils toute seule.

Mathilde - Oui mais moi, j’étais veuve ! Ça, c’est respectable ! Tandis que toi, c’était délibéré et on voit aujourd’hui ce que ça donne ! Enfin… on récolte ce qu’on sème.

Thérèse , montrant Barnabé - Ah oui ? Alors, lui, t’as pas dû l’arroser souvent !

Nouvelle empoignade. Paul les sépare.

Paul - Ça suffit ! Calmez-vous, toutes les deux !

Liliane - Thérèse, ne répond pas à la provocation, tu vaux mieux que ça.

Paul, à Mathilde - Je te conseille d’arrêter tes insinuations et tes insultes. Francis, je compte sur toi pour raisonner ta sœur !

Le bébé se remet à pleurer.

Zoé - Arrêtez votre cirque ! Le voilà qui recouine… Barnabé, amène- toi !

Barnabé - Je sais plus quoi lui dire…

Zoé - Creuse-toi la cervelle… si t’en a une !

Barnabé, se penchant sur le couffin - Popo pipi partout, pas pleurer petit poupon, papier essuiera tout, popotin propre et basta.

Le bébé rit et se rendort.

Thérèse - Il s’appelle comment ?

 

 

 

Zoé - Nào

Liliane - C’est mignon. C’est chinois ?

Zoé - Ouais.

Rosine - Ça veut dire quoi ?

Zoé - Braillard.

Francis - Logique, rien à dire…

Rosine - Braillard… comme le chevalier…

Liliane - Non, le chevalier c’était Bayard.

Rosine - Ah bon, t’es sûre ?

Liliane - Oh oui…

Francis, à Paul - Tiens, verse une autre tournée, ça fera passer les émotions.

Le curé - Usus Vademecum en pate, risus magna est !

Rosine - Ça veut dire quoi ?

Le curé - Il ne tient qu’à nous d’avoir un sourire éclatant.

Tous se resservent à boire.

Francis, regardant autour de lui - Cet endroit est sinistre.

Paul - Oui, il est dans un sale état.

Thérèse - Vivement qu’on s’en débarrasse et qu’on rentre chez nous…

Mathilde - Tu parles d’un héritage ! Quand je pense qu’elle s’est payé un enterrement de princesse et voilà ce qu’elle nous laisse…

Francis - Elle s’est aussi payé notre tête !

Liliane - C’est pas le sens de la famille qui l’étouffait !

Zoé - Vous rigolez ! Elle a pas laissé que ça !

Francis - Et si ! Pas un radis, pas un bijou, aucun objet de valeur. Rien que ce vieux boui-boui délabré et sans clientèle ou presque et qui vaut pas tripette.

Zoé - J’hallucine !

Francis - Même si on trouve un gogo pour l’acheter, on va rien en tirer du tout.

Paul - Sans compter qu’en tant que petits-neveux et nièces on n’a droit qu’à trente-cinq pour cent. Une misère…

 

 

 

Thérèse - On va le revendre trois fois rien…

Francis - Oui… et trent-cinq pour cent de trois fois rien ça va pas faire beaucoup…

Le curé - Sauf si vous décidez d’agir.

Paul - Comment ça ?

Le curé - Il suffit parfois de peu de chose… C’est vrai qu’en l’état ça ne vaut rien ou presque, mais, rafraîchi, modernisé, la valeur de cet établissement peut atteindre un bon prix. Il est situé en plein cœur du village qui, cette année, a été élu le village le plus fleuri du département !

Liliane - Ça se défend…

Thérèse - Mais oui ! Des couleurs plus gaies, changer la déco…

Le curé - Je pense à Rosine en particulier. Il y a de grandes chances pour que le repreneur la garde comme employée.

Rosine - Ah, je serais bien contente !

Mathilde - Personnellement, je ne mettrai pas un sou pour d’éventuels travaux !

Paul - Par contre, si on s’y met tous… pas de frais de main d’œuvre…

Francis - Quelques pots de peinture et le tour est joué !

Paul - Quelques pots de peinture ? Tu es optimiste. Il faudra vérifier le réseau électrique par exemple… changer la robinetterie…

Francis - Houlà… ça va être compliqué …

Liliane - Avec de la volonté on arrive à tout !

Thérèse - Franchement, c’est une bonne idée et j’aime bien bricoler !

Zoé - Ouais et ben moi, j’en ai rien à battre de ce tas de ruines ! Je suis pas peintre, ni maçon et encore moins plombier !

Mathilde - Ne comptez par sur moi, ni sur Barnabé !

Paul - Réfléchissez. Monsieur le curé a raison. Soit on le bazarde, soit on le rénove et on partage le montant de la vente entre nous. Si on choisit cette option, celui ou celle qui ne participera pas à la réfection n’aura rien de plus que ce qui était prévu. C’est normal.

Zoé - Ça ferait combien de tune chacun ?

Paul - Je ne veux pas m’avancer mais, une bonne dizaine de milliers d’euros, c’est sûr !

 

 

 

Zoé - Ah ouais… pas mal ! Ok, je reste.

Mathilde - Dans ce cas… moi et Barnabé aussi, mais ce n’est pas de gaîté de cœur. J’en connais qui seront difficiles à supporter…

Thérèse - On en a autant à ton service !

Paul - On devait rester quarante-huit heures seulement pour régler les formalités, mais maintenant il faut prévoir une bonne huitaine de jours. Tout le monde est disponible ?

Francis - Pas de problème, je suis en arrêt maladie…

Thérèse - C’est bon pour moi aussi. De toute façon je reste avec Zoé… et Nào !

Mathilde - Attention ! Le bébé n’a droit à rien, ou alors… qu’il travaille !

Zoé - T’as de la flotte à la place de la cervelle ou quoi ?

Liliane, à Mathilde - Jamais tu t’arrêtes de dire des bêtises…

Mathilde, à Liliane - Toi, tu n’es qu’une pièce rapportée, normalement ce n’est pas toi qui hérite…

Thérèse - On a dit : partage entre tous les participants.

Mathilde - Oui eh ben, elle n’a pas intérêt à chômer ! J’y veillerai !

Le curé - Je prierai pour la réussite de votre entreprise.

Francis - Perdez pas votre temps, curé, venez plutôt nous donner un coup de main.

Le curé - J’allais justement vous le proposer.

Paul - Voyons, monsieur le curé, vous n’y pensez pas…

Le curé - Si si, j’y tiens. J’aimais beaucoup votre tante et j’ai à cœur d’agir en mémoire d’elle qui était si triste de ne pouvoir entretenir son établissement et de vous le laisser dans un tel état...

Francis - Tu parles…

Mathilde - Inutile d’essayer de tirer profit de la situation, vous n’aurez pas un centime.

Rosine - Quand même ! Et le denier du culte ? Il faudra y penser.

Le curé - Chère Rosine, vous êtes la plus fidèle de mes brebis.

Paul - Je vous promets que vous n’aurez pas à faire à des ingrats, monsieur le curé.

 

 

 

Le curé - Oh, vous savez, mon fils, je ne reçois pas, je redistribue. Il y a toujours plus pauvre que soi…

Francis - Et plus riche aussi !

Rosine - Je vais plus pouvoir m’occuper de vous, mon père. C’est embêtant…

Paul - Comment ça ?

Liliane - Elle faisait ses repas et son ménage.

Le curé - C’est vrai que ça ne va pas être facile pour moi, mais je me débrouillerai…

Thérèse - Il faut trouver une solution, d’autant qu’il propose de nous aider…

Liliane - J’en vois qu’une. Il reste ici, avec nous.

Le curé - Je ne veux pas vous encombrer…

Rosine - La chambre de la Marthe est libre, il pourrait s’y installer !

Le curé - C’est vrai que ce serait l’idéal... Je serais sur place, ainsi je pourrais aider dès que j’ai un moment…

Paul - …Et vous partageriez nos repas… Qu’en dites-vous ?

Le curé - J’accepte avec plaisir, mon fils.

Francis - Plus on est de fous, plus on rit !

Paul - Bon, il va falloir s’organiser, partager équitablement les tâches. Il faudra s’entraider, alors finies les disputes stériles et les rancoeurs. Un seul objectif : rendre cet endroit accueillant et chaleureux, lui redonner tout son éclat pour notre bien à tous.

Le curé - Pédaler (ère) multi tandem, RER tram autobus !

Rosine - Ça veut dire quoi ?

Le curé - On avance plus vite à plusieurs que tout seul.

Paul - Il me faut un volontaire pour l’évacuation d’éventuels gravats, le nettoyage et autres… (Silence total.) - Bon ! Barnabé, tu seras volontaire.

Barnabé - Mais…

Paul - Tu seras volontaire, point ! Thérèse et Rosine vous vous occuperez de l’intendance, repas, pansements au cas où… Mathilde aux fournitures. Liliane et Zoé, peinture et finitions. Francis et moi au gros œuvre.

Le curé - Et moi, quelle sera ma tâche, mon fils ?

 

 

 

Paul - Chacun d’entre nous fera appel à vous selon les besoins.

Le curé - C’est entendu ! Je dois vous laisser, c’est l’heure de l’office. Ensuite je passerai à la cure prendre quelques affaires. A tout à l’heure !

Francis - Salut curé, bonne messe !

Il sort.

Rosine - Je vais vous donner les clés de vos chambres. Thérèse et Zoé vous aurez la plus grande puisqu’il y a le bébé (Elle tend la clé.) - C’est la cinq. Liliane et Paul vous irez dans la trois, Francis la quatre, Barnabé la deux et Mathilde la chambre du cercueil, enfin la une, quoi..

Mathilde - La chambre du cercueil !!!

Zoé - Trop cool !

Rosine - Je l’appelle comme ça vu que la Marthe l’avait mis là.

Mathilde - Mais… c’est horrible !

Rosine - Ben quoi ? Il y est plus et puis c’est qu’une boîte !

Mathilde - Non mais, vous l’entendez ? Une boîte !

Rosine - Ben oui, comme une hûche à pain, y a pas de quoi en faire tout un fromage !

Mathilde - C’est hors de question ! Je refuse catégoriquement d’y dormir ! Je me mettrai dans celle de Barnabé.

Barnabé - Tiens maman, prends ma clé…

Mathilde - Tu es fou ? Je t’interdis d’y coucher. On dormira dans la tienne.

Rosine - Mais, y a qu’un lit…

Mathilde - Peu importe, on se serrera !

Zoé, tout bas à Liliane - J’ai bien capté, là ? Il va pas coucher avec sa mère ?!

Liliane - J’espère qu’il est sevré…

Zoé, pouffant - Oh…

Francis, tendant sa clé à sa soeur - Tiens, prends la mienne, j’irai dans la une, ça me dérange pas.

Paul part vers les chambres avec sa valise, suivi de Thérèse, Zoé et le bébé, Mathilde, Barnabé et Rosine.

Liliane veut rejoindre Paul mais Francis vient s’asseoir à côté d’elle et la retient.

 

 

 

Francis - T’as pas changé, tu sais, ou plutôt si, tu es encore plus séduisante qu’avant…

Liliane - Vraiment ? Alors attends encore une bonne dizaine d’années, je serai devenue irrésistible !

Francis - Je suis sincère, je t’assure …

Liliane - Merci.

Francis - Ça fait plaisir de se revoir, hein ?

Liliane - Si tu le dis.

Francis - Allez, fais pas ta méchante. Après tout c’est moi qui devrait être le plus fâché.

Liliane - Tiens donc… et en quel honneur ?

Francis - C’est toi qui m’a quitté pour Paul, non ?

Liliane - Tu sais très bien pourquoi. Je ne te supportais plus.

Francis - C’est normal, quand on vit ensemble depuis longtemps on s’agace parfois mais, c’est souvent pour des bêtises.

Liliane - Dépensier, menteur, râleur, maladroit et fainéant… tu appelles ça des bêtises ?

Francis - Je plaide coupable votre honneur, sauf pour fainéant… pas accro au boulot, c’est pas pareil. N’empêche que t’as jamais manqué de rien.

Liliane - Parce que je travaillais ! Tu claquais le peu que tu gagnais au PMU ou aux jeux de grattage, tu empruntais de l’argent à nos amis sous de faux prétextes et pour les rembourser on n’est pas partis en vacances pendant des années !

Francis - Des années… une ou deux tout au plus…

Liliane - Vraiment ? Tu oses me répéter ça en me regardant en face ?

Francis - Bon, plusieurs et alors ? C’était pas une raison pour aller pleurer dans les bras de Paul. Tu parles, il attendait que ça !

Liliane - Rien n’était prémédité, quoi que tu en penses. Il me disait d’être indulgente, qu’avec le temps tu finirais par devenir raisonnable… Tu parles ! Quand j’ai compris que ça ne finirait jamais, j’ai décidé de te quitter. Peu à peu je me suis rapprochée de lui, j’ai retrouvé un équilibre. Quand il m’a proposé de l’épouser, je n’ai pas hésité une seconde. Il est tout ce que tu n’es pas : posé, ordonné, calme et responsable…

Francis - Quelle vie aventurière !

Liliane - Tu peux te moquer, c’est reposant figure toi.

 

 

 

Francis - Ça ne te ressemble pas, la routine. Toi qui disais que tu aimais être surprise…

Liliane - Il y a surprise et surprise. Toi tu accumulais les bêtises.

Francis - Rappelle-toi comme ça te faisait rire.. Allez, fais pas ta bêcheuse !

Liliane - Parfois, oui, je le reconnais, mais, à la longue, c’était devenu exaspérant.

Francis - De ce point de vue, effectivement, tu es tranquille. Mon cousin prévoit toujours tout.

Tout au long de la conversation il se rapproche d’elle.

Liliane - Il est très organisé, ça a beaucoup d’avantages.

Francis - L’imprévu aussi a des avantages… Tu te souviens du pique-nique ?

Liliane - Oh oui ! Tu avais mis dans le coffre de la voiture le parasol, la couverture, les verres, les assiettes, les couverts, il y avait même un petit vase avec des fleurs artificielles…

Francis - C’était romantique…

Liliane - Ce qui l’était moins c’était les gargouillis de ton estomac. Tu avais simplement oublié le plus important : le repas !

Francis - Et comme c’était un jour férié, tous les restaurants étaient fermés. On est rentrés, j’ai étalé la couverture sur le carrelage et on a pique-niqué dans le salon ! (Il la prend par les épaules.) - C’est un bon souvenir, non ?

Liliane, se dégageant - Oui, c’est vrai… mais j’en a surtout de moins bons.

Francis, remettant son bras autour de ses épaules - Allez, c’était pas si terrible de vivre avec moi… On a bien rigolé, pas vrai ?

Liliane, se dégageant - Il y a longtemps que tu ne m’amusais plus.

Francis, remettant son bras autour de ses épaules - Et pour le reste, ça se passait plutôt bien, non ? Rappelle-toi, ma Lily, ma Lilou …

Liliane, se dégageant - Appelle-moi Liliane et arrête ça tout de suite !

Francis, même jeu - Quoi ? Qu’est-ce que j’ai fait ?

Liliane, se dégageant - Tu sais très bien de quoi je parle !

Francis, recommençant - Tu veux dire, ça…

Liliane - Je t’ai dit d’arrêter !

 

 

 

 

Francis - On pourrait se retrouver tous les deux, comme avant… Je suis sûr que tu en as envie, autant que moi. Ça restera entre nous, je te le jure.

Il essaie de l’embrasser, Liliane le gifle. Il se retrouve par terre et saigne du nez. Thérèse et Paul reviennent.

Thérèse - Oh ! Qu’est-ce qui t’es arrivé ?

Francis, parlant du nez - J’ai glissé, je me suis cogné sur le bord de la table.

Thérèse - Je vais chercher du coton. Mets ta tête en arrière !

Elle repart.

Paul - Tu t’es pas raté, dis donc ! Tu souffres ?

Francis - Ça fait très mal.

Liliane - Arrête ton cirque !

Paul - Mais enfin, mets-toi à sa place… tu es dure.

Liliane - Il veut se faire plaindre, c’est tout.

Francis - Laisse. Elle a aucune pitié. C’est pas un cœur qu’elle a, c’est de la pierre… mais alors de la pierre dure comme du fer !

Paul - Il n’a pas tort. Tu pourrais faire preuve d’un peu de compassion…

Liliane - Tu sais quoi ? Vous n’avez qu’à vous installer ensemble, vous ferez un très beau couple !

Paul - Mais… pourquoi tu t’énerves ?

Thérèse revient, suivie des autres. Elle met du coton dans les narines de Francis et lui met la tête en arrière.

Thérèse - Reste un moment comme ça, ça va s’arrêter.

Zoé - C’est gore… j’adore !

Rosine - Tu vas avoir un nez gros comme une patate !

Francis - Merci de me rassurer…

Mathilde - Si tu te blesses avant même d’avoir commencé, qu’est-ce que ça va être après !

Barnabé - T’inquiète pas, tonton, je t’aiderai.

Francis, sinistre - Chic.

 

 

 

 

Thérèse - Tu viens Rosine ?

Mathilde - Vous allez où ?

Rosine - Faire deux ou trois courses. On casse-croûtera ici ce soir.

Mathilde - Je viens avec vous, comme ça je suis sûre de manger ce que j’aime.

Thérèse - Pas question ! L’intendance, c’est nous deux.

Zoé - Je reste ici, Nào va pas tarder à avoir les crocs, faut que je fasse son bib.

Mathilde - T’as pas fini de trouver des prétextes pour rien faire… ça promet !

Zoé - T’arrête de me chercher des crosses ou je te décalque sur le mur ! Avec tout le respect que je te dois, bien sûr…

Liliane - Laisse tomber, elle n’en vaut pas la peine…

Paul, à Mathilde - Si tu continues on se passera de toi et tu auras ce qui était prévu au départ, ni plus, ni moins. Barnabé, toi et moi on va acheter quelques fournitures pour commencer.

Francis - Je vous accompagne.

Paul - Mais ton nez…

Francis, enlevant les cotons - Ça y est, c’est fini et puis ça me fera du bien de prendre l’air.

Mathilde - Attendez ! Barnabé a écrit un petit texte. Vas-y, lis-le.

Barnabé se tortille.

Paul - Allez, ne te fais pas prier, on n’a pas trop le temps…

Barnabé, se râclant la gorge - « Tapez burins, tournez boulons, au boulot ! » Boulons, boulot, c’est rigolo… (il rit niaisement.)

Liliane - Très…

Barnabé - « Pinceaux, peinture, perceuse, pitons, en action !

Etale le plâtre, la taloche, car c’est trop moche ». (Il rit) -

« Enfoncez les clous, les marteaux ! Les scies, coupez en morceaux !

Pendant des heures, labeur, sueur, même pas peur ! »

Zoé - J’en connais un qu’on a crucifié pour moins que ça …

Elle part vers les chambres sous le regard furieux de Mathilde. Les autres se regardent.

Mathilde - Et il l’a écrit d’un seul jet !

 

 

 

 

Rosine - Comme qui dirait sans réfléchir quoi…

Paul, voix morne - C’est bien… c’est très bien…

Liliane, idem - Super…

Thérèse , idem - Difficile de faire mieux…

Francis, idem - Quel talent. Bon, on y va ?

Tous sortent. Liliane retient Paul.

Liliane - Francis ne s’est pas cogné, je l’ai giflé.

Paul - Pourquoi ?

Liliane - Il m’a fait des avances, si tu veux savoir.

Paul - Il est nostalgique. Le pauvre… ça lui est difficile de vivre sans toi. On ne peut pas lui en vouloir.

Liliane - Tu plaisantes !

Paul - Tu n’aurais pas dû le gifler pour quelques mots affectueux…

Liliane - Il m’a fait du rentre-dedans, carrément !

Paul - Je suis certain que tu t’es trompée sur ses intentions. Tu n’aurais pas dû être violente, ça ne te ressemble pas.

Francis l’appelle.

Francis - Oh ! Tu viens !

Paul - J’arrive ! Il faudra que tu t’excuses…

Liliane - Mais…

Paul - Il a beaucoup de défauts mais je sûr qu’il est loyal. A tout à l’heure.

Il sort.

Liliane - Loyal ! C’est la meilleure !

Noir. Tous sont couchés. Une silhouette pénètre dans le bar. Seule la lumière d’une lampe frontale troue l’obscurité. On entend des coups sourds, des bruits de casse étouffés. La silhouette se déplace, s’accroupit, tape, etc… On entend des voix venant des chambres.

Liliane, voix off -  Tu entends ? Ça vient du bar…

Paul, voix off -  Je vais voir.

Liliane, voix off - Fais attention…

 

 

 

La silhouette se sauve. Paul apparaît en pyjama, il allume.

Liliane, voix off - Alors?

Paul - Rien. Il y a personne.

Liliane, voix off -  Il venait d’où le bruit?

Paul - J’en sais rien, peut-être de dehors…

Liliane, voix off - La porte est bien fermée à clé ?

Paul - Oui, oui. Allez, recouchons-nous. On se lève tôt demain.

Il éteint et repart vers les chambres.

 

ENTRACTE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Acte 2

 

 

 

 

 

 

 

Tréteaux, boîtes à outils, pots de peinture, mètres, fils électriques, rallonges, niveaux, bref, tout pour bricoler. Paul orchestre tout ça. Tous s’affairent. Thérèse met sur le bar des piles pour chacun : combinaisons de protection, gants etc…

Paul - Poussez les tables sur les côtés.

Liliane se fait aider par Zoé. Francis et Barnabé se mettent ensemble tandis que Paul met les tréteaux.

Paul - Barnabé viens, on va chercher la planche.

Ils sortent à l’extérieur.

marilyne - Je vais voir Nào…

Mathilde - L’alibi idéal pour éviter de travailler !

Mathilde et Thérèse sont vers le bar. Mathilde vérifie, note dans un carnet, etc… Francis aide Liliane à pousser les chaises le long des murs.

Francis - Alors, ma petite tigresse, toujours fâchée ?

Liliane - Ma petite tigresse… c’est nouveau !

Francis - Tu sais que ta gifle m’a fait réfléchir…

Liliane - Ça aussi c’est nouveau !

Francis - C’était le dernier sursaut avant la capitulation.

Liliane - Qu’est-ce que tu racontes ?

Francis - Tu as eu peur de me céder, c’était un réflexe de défense, c’est tout.

Liliane - Tu te fais tout un cinéma…

 

 

 

Francis - Je crois pas non.

Liliane soupire. Paul et Barnabé reviennent avec la planche et la pose sur les tréteaux.

Paul - Barnabé, étale un plastique par terre, on posera les pots de peinture dessus.

Barnabé s’empêtre en dépliant le plastique, les autres font des allers-retours avec l’extérieur pour apporter du matériel. Zoé revient.

Zoé, à Mathilde - Ça va ? Je t’ai pas trop manqué ?

Paul, à Barnabé - Bon alors, tu y arrives oui ?

Zoé - Il a deux mains gauches, c’est pas possible !

Mathilde - C’est un poète, pas un déménageur !

Liliane - Je vais l’aider sinon il ne s’en sortira jamais.

Une fois le plastique posé les autres y mettent tout le matériel.

Mathilde - Oh ! Doucement ! Il faut que je note. Mettez-vous en rang, attendez votre tour et annoncez ce que vous posez à voix haute.

Liliane - A vos ordres mon adjudant !

Mathilde - Excuse-moi d’être organisée… Allez-y !

Chacun pose un truc et Mathilde note en répétant (« quatre pinceaux… un niveau… » etc…).

Rosine, se dirigeant vers la porte avec un cabas - Je vais au ravitaillement !

Mathilde - Inutile de l’annoncer, ça fait partie de tes attributions, non ?

Rosine - T’es une comique, toi… t’aurais dû faire clown !

Mathilde - Tais-toi, tu m’embrouilles… Alors, la peinture : 3 gris… 4 beige… 5 pivoine… Il manque le blanc à plafond !

Paul - Il est dans la camionnette. Francis, vient avec moi. Barnabé allez, viens nous aider !

Ils sortent.

Mathilde - C’est incroyable ! Ils oubliaient le plus important, puisqu’on commence par les plafonds.

Liliane - Justement, il les apportent en dernier pour qu’ils soient dessus, pas dessous.

Mathilde - Qu’est-ce que tu racontes ?

 

 

 

 

Liliane - Si on les pose en premier ils seront dessous et il faudra enlever ceux de dessus pour les attraper et comme on s’en sert en premier on les met dessus donc en dernier.

Mathilde - Je ne comprends rien à ton charabia !

Thérèse - Ça grince là-dedans, tu devrais mettre de l’huile…

Zoé - Il faut pas être sorti d’ HEC pour piger !

Rosine - C’est sûr !

Mathilde, à Rosine - Comme si tu avais compris quelque chose, toi !

Rosine - Mais oui ! Le père Noël me l’a assez répété : les derniers seront les premiers.

Mathilde - Le Père Noël… ben voyons !

Liliane - C’est le curé. Noël c’est son prénom.

Zoé - Ah ! L’éclate !

Les hommes apportent les pots, font des allers-retours.

Barnabé - C’est lourd…

Thérèse - Plus qu’un stylo, c’est sûr !

Mathilde - Barnabé est un intellectuel. Ce n’est pas donné à tout le monde.

Paul - Bon. Tout y est.

Thérèse, montrant le bar - J’ai fait une pile pour chacun, allez vous servir.

Paul - On s’équipe et au boulot !

Zoé et Barnabé enfilent les combinaisons par-dessus leurs vêtements. Le curé arrive.

Francis - Vous tombez bien, curé, on allait commencer.

Le curé - J’ai été retenu par quelques ouailles après l’office.

Rosine - C’est quoi des zouailles ?

Le curé - Des fidèles, des paroissiens, comme vous chère Rosine.

Rosine, fiérote - Je suis une zouaille, moi ? J’aurai pas cru. Pourtant je suis pas allée longtemps à l’école…

Zoé - T’es trop, toi, je t’adore !

Paul, à Zoé et Barnabé - Allez-y. Prenez votre peinture et des pinceaux. On n’a pas de temps à perdre.

 

 

 

@Ils sortent.

Thérèse - Tenez monsieur le curé, voici votre tenue.

Le curé, tenant la combinaison devant lui - Je vais faire comment ?

Liliane - Enlevez votre soutane.

Francis - Vous vous mettez en caleçon et basta !

Liliane - Ne vous inquiétez pas, elles ne sont pratiquement pas transparentes.

Francis - Y a pas idée aussi ! Y a longtemps que les curés sont en costume.

Le curé - Je suis attaché aux traditions. Vous avez déjà vu le Pape en blue-jean, vous ? Moi non plus. Un curé sans soutane n’est pas un curé.

Liliane - Pourtant on dit que l’habit ne fait pas le moine.

Le curé - Spirituellement parlant, c’est exact, mais institutionnellement l’uniforme est un guide, un phare dans la tempête… Fiat lux aluminium inox !

Rosine - Ça veut dire quoi ?

Le curé - La lumière éclaire la nuit…

Rosine - Ah…

Le curé sort.

Francis - Quel scoop !

Mathilde - Je vais mettre mes notes au propre.

Mathilde sort à son tour.

Thérèse - C’est drôle de vouloir à tout prix porter la soutane. Il est pas si vieux…

Rosine - C’est par nostalgie. Il voulait faire évêque, être à Rome. Mais il était pas assez doué au séminaire, surtout en langue qu’il m’a dit.

Francis - Il me semblait bien que son latin était bizarre…

Rosine - C’est sûrement du latin moderne. Bon, J’y vais.

Elle sort.

Francis - Si elle existait pas il faudrait l’inventer !

 

 

 

 

 

Il attrape ses affaires et sort. On entend pleurer le bébé.

Thérèse , sortant à son tour - Je vais voir Nào.

Zoé, voix off - Barnabé ! Nào te réclame !

On entend vaguement des sons. Le bébé rit.

Liliane - Je repense à ces bruits cette nuit. Je suis certaine que ça venait d’ici…

Paul - On l’a cru mais c’est impossible. Tout était fermé, le bar était vide et je suis arrivé par la seule sortie qui mène aux chambres et à la cuisine.

Liliane - On n’a pas rêvé quand même et j’ai remarqué un truc ou deux, regarde …(Elle lui montre une plinthe un peu arrachée, une latte de plancher soulevée.) - Tu vois ?

Paul - Oui et alors ? Tout est daubé ici, ça doit être comme ça depuis longtemps…

Liliane - Je sais pas… j’ai une drôle d’impression…

Paul - Arrête de te monter la tête. Qui s’amuserait à casser ce qui est déjà abîmé !

Liliane - Tu as raison . Le bruit devait venir de dehors. Tu sais, pour Francis…

Paul - S’il te fait la tête c’est normal.

Liliane - Ça ne lui a pas refroidi ses ardeurs, au contraire, figure-toi qu’il…

Paul - Je t’arrête. Je ne sais pas lequel de vous deux se fait des idées mais on a plus urgent à penser, alors on passe à autre chose, d’accord ?

Mathilde et Thérèse reviennent tandis qu’ils enfilent leurs combinaisons par dessus leurs vêtements.

Thérèse - Tout va bien. Le petit dort à poings fermés.

Mathilde - Un peu de répit, c’est déjà ça !

Francis arrive, suivi du curé (On aperçoit à travers la combinaison des caleçons longs, un tee-shirt noir avec col blanc devant.)

Thérèse - Ah ! Vous voyez monsieur le curé, vous êtes plus à l’aise comme ça !

Le curé - Me voilà prêtre ouvrier !

Paul, tendant un multimètre à Francis - Tiens va tester les fusibles. Note lequel correspond à quoi, enfin tu vois… Hé ! Tu testes, c’est tout, tu touches à rien d’autre !

Francis - La confiance règne !

Il sort.

 

 

 

Paul - Venez monsieur le curé, on va s’occuper des robinets. Mathilde, viens avec nous. Liliane, tu peins tout ce qui est encadrements de portes et de fenêtres.

Ils sortent.

Liliane - Rien que ça !

Thérèse - Je vais t’aider. Rosine s’occupera des repas, on n’est pas si nombreux…

Barnabé, voix off - AÏE !!!

Liliane - C’est la voix de Barnabé!

Thérèse , partant derrière le bar - Je vais chercher la trousse…

Barnabé arrive avec Zoé.

Liliane - Qu’est- ce qui t’es arrivé ?

Zoé - Un coup de marteau sur le doigt.

Mathilde arrive en courant.

Mathilde - Barnabé a eu un accident !

Liliane - Fais voir… (A Zoé.) -Tu pourrais faire attention…

Mathilde, la martelant de ses poings - Elle l’a mutilé ! Elle l’a mutilé !

Zoé - Ça va pas non ? Il s’est fait ça tout seul ! C’est pas ma faute s’il est nase de chez nase !

Thérèse le panse (grosse poupée). Barnabé gémit. Liliane et Zoé se retiennent de rire.

Thérèse - Tiens, soulève la langue. C’est de l’arnica en granules… voilà…

Mathilde - Tu as très mal, hein ?

Barnabé - Ça lance…

Mathilde - Assieds-toi un moment…

Barnabé - Non, ça va aller…

Mathilde - Mais… ton doigt ?

Zoé - C’est la main gauche et il est droitier, ça l’empêche pas de tenir un pinceau. Allez remue-toi !

Barnabé, à sa mère avec un air de sacrifice - Il faut que j’y retourne…

Zoé l’entraîne.

 

 

 

Mathilde - Quel courage !

Thérèse - Oh c’est bon, c’est pas Kôh-Lanta non plus !

Mathilde - Toi et ta fille vous êtes deux sans-cœur !

Rosine revient avec ses provisions.

Rosine, à Thérèse - Allez, aux pluches !

Thérèse - Je te laisse faire, je vais aider Liliane.

Rosine - Je vais pas faire tout toute seule !

Liliane - C’est juste pour une heure, ou deux…

Rosine - Bon, d’accord.

Mathilde - Ce n’est pas ce qui était prévu.

Thérèse - De quoi je me mêle !

Paul revient.

Mathilde - Thérèse et Rosine sont bien à l’intendance, non ?

Paul - Oui, pourquoi ?

Liliane - Explique-lui, toi, qu’on n’est pas à l’armée. Je me retrouve seule pour peindre tous les encadrements.

Thérèse - Alors je vais l’aider un moment.

Paul - Arrangez-vous entre vous.

Mathilde - Ah non ! Ce qui est dit est dit !

Paul - L’important est que le travail soit fait…

Mathilde - L’important est que chacun soit à sa place ! Tu as distribué les rôles, non ?

Paul - oui mais…

Mathilde - Oh, bien sûr, je suppose que mon avis compte peu face à ta femme et à ta sœur. L’impartialité n’est sûrement pas ton fort.

Paul - Ça n’a rien à voir…

Mathilde - Oh que si ! S’il s’agissait de moi il y a longtemps que tu aurais fait respecter ta décision !

 

 

 

 

 

Rosine - Elle a pété un boulon !

Liliane - Tu as fini, oui ! Arrête de nous chercher des poux, c’est insupportable !

Thérèse - Mets tes notes dans ton petit carnet avec ton petit crayon et mêle-toi de tes affaires !

Paul - Stop ! Ça suffit ! Que chacune fasse ce qui était prévu, comme ça il n’y aura pas d’histoires !

Liliane, à part - Tu es sérieux, là ?

Paul - Inutile d’envenimer la situation…

Liliane - C’est pas une raison pour baisser ta culotte devant elle !

Paul - Pitié ! Tu ne vas pas t’y mettre toi aussi…

Liliane, air pincé - Très bien !

Elle attrape un pot, un pinceau, un chiffon et part sans un regard, droite comme un i. Elle croise Francis. Thérèse et Rosine sortent à leur tour. Mathilde ne tarde pas à les suivre.

Francis - Il y a de l’électricité dans l’air on dirait…

Paul - Elles se sont attrapées toutes les quatre.

Francis - Et tu t’es retrouvé au milieu.

Paul - C’est ça…

Francis - Ah les bonnes femmes, je te jure… Allez, vient boire un coup !

Paul - C’est un peu tôt pour ça, non ?

Francis - Y a pas d’heure pour les braves. Ça va te décontracter… je te sens tout crispé… (Il lui masse les épaules.) - Sinon avec Liliane, ça va ?

Paul - Oui…

Tout au long de la conversation il sert Paul dès qu’il a bu une gorgée, à son insu. Lui-même ne boit pas et verse son verre dans une plante posée sur le comptoir.

Francis - Il m’a semblé qu’il y avait un peu de tension entre vous…

Paul - C’est rien… on se prend parfois la tête, mais ça s’arrange vite… enfin, tu vois ce que je veux dire…

Francis - Oh oui… je vois bien.

 

 

 

 

 

Paul - Elle est très câline…

Francis - Je sais.

Paul - Excuse-moi… je voulais pas…

Francis - T’inquiète. On est adultes, non ?

Paul - Oui, mais comme je… enfin… comme on t’a…

Francis - Fait cocu…

Paul - C’est ça ! Euh… non… enfin, si… c’est pas vraiment le mot…

Francis - Ah si ! C’est justement le bon mot !

Paul - Avoue que ça n’allait pas très fort vous deux…

Francis - C’était une question de caractère, mais on trouvait toujours le moyen de se réconcilier nous aussi. Tiens, un jour on s’était engueulés, mais alors grave, et ben le soir elle m’a… (Il lui chuchote à l’oreille.)

Paul - Non !

Francis - Si si, je te jure !

Paul - Ça alors !

Francis - Elle te l’a jamais fait ?!

Paul - Ben non… enfin, pas encore… par contre, une fois, pour se faire pardonner, elle m’a… (Il chuchote à son tour.)

Francis - Oui… mais ça c’est un grand classique…

Paul - Tu crois ?

Francis - Evidemment. Non, ce qu’il y a c’est que vous vous engueulez pas assez fort. C’est après une grosse dispute que la réconciliation est la meilleure.

Paul, un peu emmêché - Tu crois que si on se fâchait vraiment elle ferait… enfin, ce que tu m’as dit ?

Francis - Bien sûr ! Mine de rien,les femmes, elles aiment être bousculées. Un peu de machisme ne leur fait pas peur, mieux, ça excite leur imagination ! Conseil d’ami. (Clin d’œil.)

Paul - Merci. (Clin d’œil aussi.) - La prochaine fois qu’on se dispute je…

 

 

 

 

 

Francis - Quelle prochaine fois ? Vous êtes en froid, là, maintenant, profites-en !

Paul - Non, mais je la connais, elle est pas rancunière, elle y pense même plus.

Francis - Relance la machine.

Paul - Comment ça ?

Francis - C’est tout simple. Tu lui dis : « Oh, toi, tu fais la tête ! »

Paul - C’est tout ?

Francis - Ouais. Tu vas voir, elle va partir au quart de tour…

Liliane revient chercher du matériel. Francis fait un geste à Paul et se planque dans le coin du comptoir un peu caché par la plante.

Paul, à Liliane - Oh toi, tu fais la tête…

Liliane - Mais non. C’est vrai qu’il valait mieux calmer le jeu. Tu n’avais pas trop le choix.

Paul - Je vois bien que tu es fâchée.

Liliane - Non, je t’assure.

Paul - Tss tss… pas à moi !

Liliane - Puisque je te dis que non !

Paul - Je te connais… tu es en rogne.

Liliane - Arrête ! Tu commences vraiment à m’agacer, là !

Paul - Tu vois, tu prends la mouche pour rien !

Liliane - Absolument pas, mais tu insistes bêtement ! Puisque je te dis que je ne suis pas fâchée ! C’est un monde, ça !

Paul - C’est pas la peine de me crier dessus…

Liliane - Moi ! Je te crie dessus !

Paul - Ben oui, la preuve…

Liliane - Evidemment ! Tu n’arrêtes pas de m’asticoter, alors, forcemment, ça m’énerve !

Paul -Voilà ! J’avais raison. Tu étais de mauvaise humeur.

 

 

 

 

 

Liliane - Je n’étais pas de mauvaise humeur, mais maintenant, si !

Paul - Ah ah… tu avoues…

Liliane - Alors là… on atteint des sommets… Bon, tu m’as assez fait perdre mon temps.

Elle attrape un pot de peinture et se dirige vers le couloir.

Paul - Tu… tu repars… comme ça ?

Liliane - Je retourne à ma peinture. On est là pour ça, non ?

Il se retourne vers Francis qui l’encourage d’un geste.

Paul - A ce propos, dis donc, quand il y a une bêtise à faire tu es pas la dernière…

Liliane - De quoi tu parles ?

Paul - Oh… Ne fais pas l’innocente, hein…

Liliane - Qu’est-ce que j’ai fait ?

Paul - Tu le sais très bien !

Liliane - C’est pas possible !

Paul - C’est pas parce que tu es de mauvaise humeur qu’il faut saloper le boulot !

Liliane, s’énervant - Tu vas te calmer, oui !

Paul - C’est pas toi qui vas me dire ce que je dois faire, alors, tu te tais !

Liliane - Je parlerai si je veux ! Pour qui tu te prends !

Paul, l’attapant par le bras - Ah ! Tu aimes qu’on te bouscules hein, c’est ça ! Je vais te bousculer, moi !

Liliane - Ça suffit ! Lache-moi ! Tu es complètement fou !

Paul - Comment tu parles à l’homme !

Liliane - Je t’avertis, ma main va imprimer ses cinq doigts sur la joue de l’homme !

Paul - J’aimerais bien voir ça !

Liliane - A ton service…

 

 

 

 

 

Elle le gifle, attrape son pot et sort. Paul se frotte la joue. Francis le rejoint.

Paul, éberlué - Elle m’a giflé…

Francis - J’ai vu. Dis donc, elle t’a mis une de ces beignes ! Mon pauvre vieux…

Paul - Le bon côté c’est qu’elle va vouloir qu’on se réconcilie…

Francis - Mmh… c’est une autre histoire…ça risque d’être difficile…

Paul - Mais… tu disais que…

Francis - Faut pas croire tout ce qu’on te dit.

Il sort.

Paul - Oh la la … qu’est-ce que j’ai fait… il faut que je lui explique…

Le curé arrive.

Le curé - Ah ! Vous êtes là. Il faudrait que vous montiez voir chambre quatre, il y a un souci avec le pommeau de la douche.

Paul - Oui oui… euh… vous m’avez dit quoi ?

Le curé - Vous avez un problème, mon fils ?

Paul - J’ai été stupide... elle me pardonnera jamais…

Le curé - Vous parlez de votre femme ?

Paul - J’ai provoqué une dispute, pour rien !

Le curé - Minus délirium potest bénificat… (Paul le regarde.) - Une petite colère peut être bénéfique !

Paul - J’ai bien peur que ce soit plus grave que ça…

Le curé - Allons, allons, mon fils, mettez votre espoir entre les mains du Seigneur.

Paul - Je dois parler à Liliane.

Le curé - Il vous faudra attendre mon fils, il faut régler le problème de la douche rapidement.

Paul, soupirant - Bien… allons-y…

Ils sortent et croisent Thérèse et Rosine, chacune tenant une anse du couffin du bébé.

 

 

 

 

 

Thérèse - Le bruit, les odeurs de peinture, c’est pas l’idéal pour lui.

Rosine - On va l’aérer un peu. Vous inquitez pas pour le repas, ça mijote.

Elles sortent. Liliane revient, elle essaie de se calmer, se met au bar et se sert un verre qu’elle avale d’un trait. Francis la voit.

Francis - Hé ! Doucement ! Tu vas pas t’y mettre, toi aussi !

Liliane - Comment ça, toi aussi ?

Francis - D’abord Paul, maintenant toi… Y a quelque chose qui cloche ?

Liliane - Tu as vu Paul boire un verre ?!

Francis - Ah oui… et c’était pas de l’eau.

Liliane - C’est impossible. S’il y a un défaut qu’il n’a pas c’est bien celui-là.

Francis - Je sais pas mais, il s’en est jeté plusieurs derrière la cravate…

Liliane - Tu en es sûr ?

Francis - Pourquoi je te mentirais ?

Liliane - Ça expliquerait son agressivité…

Francis - Il t’a cherché des crosses ?

Liliane - Il m’a pratiquement agressée, sans aucune raison. Il m’a attrapée par le bras et m’a secouée.

Francis - Il a été brutal !

Liliane - Pas vraiment mais…

Francis - Parce que si c’est le cas, il aura à faire à moi, je te le dis !

Liliane - Je sais me défendre toute seule.

Francis - C’est souvent que ça se produit ?

Liliane - Jamais !

Francis - Mmh… Alors c’est qu’il supporte plus l’alcool…

Liliane - Je te dis qu’il ne boit pas, je ne sais pas ce qui lui a pris…

Francis - T’as peut-être pas fait attention. Moi, j’avais bien remarqué qu’il crachait pas dessus.

 

 

 

 

 

Liliane - Tu te trompes. Pas Paul.

Francis - Oh, tu sais, les proches sont toujours les derniers à s’en rendre compte. Il a dû trop tirer sur la corde… elle a fini par casser. Tu t’imbibes, tu t’imbibes et un beau jour, tu peux plus absorber et tu débordes de partout.

Liliane - Je n’arrive pas à y croire…

Francis - Je t’ai fait beaucoup de tours pendables mais pas celui-là. Si tu as besoin d’aide, n’hésite pas. Je suis là et je serai toujours là pour toi ma Lily (Il la serre contre lui et l’embrasse sur la joue.)

Liliane, sonnée et se dirigeant vers la porte - J’ai besoin de prendre l’air…

Francis - Et paf ! 0-15, avantage Francis… et c’est que le début du match !

Mathilde, Paul et Barnabé arrivent.

Paul - Ah, tu es là. Donne les clés de la camionnette à Barnabé. (A Barnabé.) - Va chercher le tuyau PVC.

Mathilde, notant - Alors, un tuyau PVC…

Francis - Pourquoi tu l’inscris ?

Mathilde - Ah, écoute, on m’a dit de noter toutes les fournitures utilisées, alors moi, je note. Si tu veux des explications tu demandes au chef ! (Elle désigne Paul de la tête et repart.)

Francis - Elle a toujours été comme ça, bête et disciplinée.

Paul - Ça l’occupe.

Barnabé revient, le tuyau PVC sur l’épaule en passant entre les deux hommes.

Barnabé - Je le mets où ?

Il pivote ce qui fait qu’il « sonne » l’un et l’autre à son insu.

Barnabé - Alors ? J’en fais quoi ? Oh ! Vous pourriez me répondre. C’est un monde quand même ! Ah on est aidé, je vous jure !

Il part vers le couloir, le tuyau sur l’épaule. Thérèse, Rosine, Liliane et le bébé reviennent.

Rosine - Ben, qu’est-ce qu’ils font par terre ?!

Thérèse - Oh mon Dieu ! Ils se sont battus, ça devait arriver.

Elle va chercher sa trousse. Le bébé se met à pleurer.

 

 

 

 

 

Zoé, voix off - J’entends pleurer Nào, quelqu’un peut l’amener ?

Rosine - J’arrive !

Zoé - Barnabé ! C’est pour toi !

Thérèse revient, tend un linge humide à Liliane qui va d’office s’occuper de Francis. Elle-même s’occupe de son frère.

Thérèse - Vous n’avez pas honte de vous battre comme des chiffonniers !

Paul - C’est Barnabé… il portait un tuyau, il s’est retourné et on s’est retrouvés par terre.

Thérèse , à Paul - Tu as une belle bosse à la base du crâne…

Liliane - Ça lui remettra les idées en place.

Francis - Mine de rien, il est dangereux ce gamin…

Liliane lui tamponne le front.

Francis - Tu as des doigts de fée ma lily…

Liliane - Je vois que tu es complètement remis, alors au travail !

Thérèse part ranger ses affaires.

Francis - Bon, je retourne m’occuper du compteur.

Il sort.

Paul - Liliane…

Liliane - Quoi ?

Paul - Je suis tellement désolé pour tout-à l’heure…

Liliane - Tu avais bu.

Paul - Non ! Enfin… si. J’ai pris un verre avec Francis.

Liliane - Avec Francis ?

Paul - C’est lui qui me l’a proposé.

Liliane - Tiens donc…

Paul - J’en ai bu qu’un, je te le jure !

Liliane - C’est toi ou c’est lui qui servait ?

 

 

 

 

 

Paul - C’est lui, pourquoi ?

Liliane - Ah d’accord… et vous avez parlé de quoi ?

Paul - De choses et d’autres… de trucs sans importance, tu vois…

Liliane - Oui… oui…

Paul - Ne sois plus fâchée, je t’en supplie, je ne sais pas ce qui m’a pris…

Liliane - Oh moi je sais ! Je ne t’en veux pas, va.

Paul - C’est vrai ?

Liliane - Oui mon chéri. Je commence à y voir plus clair !

A ce moment tout s’éteint. On entend des exclamations et Francis crier.

Francis, voix off - Merde ! J’ai fait sauter les plombs !

Musique transition nuit. Silhouette noire, lampe frontale, coups sourds, choses déplacées etc…

Liliane, voix off - Ce coup-ci pas de doute, ça vient du bar !

Paul,voix off - Je vais voir…

Liliane, voix off - Je t’accompagne.

La silhouette éteint sa lampe et ne bouge plus. Liliane et Paul apparaissent, un cierge à la main.

Paul - Reste derrière moi, on ne sait jamais.

Liliane - On n’y voit rien… Encore heureux que le curé nous ait apporté des cierges. Il y a même pas une lampe de poche dans cette baraque.

Paul - Y a quelqu’un ?

Liliane - Tu crois vraiment qu’on va te répondre ?!

Paul - En tout cas le bruit s’est arrêté.

Liliane - C’est peut-être une bestiole, genre furet ou autre…

Paul - On remonte. Inutile de prendre des risques. On verra ça demain.

Liliane - J’espère que l’électricité sera réparée.

Paul - Il suffit de changer les fusibles, c’est tout.

 

 

 

 

 

Transition nuit-jour. Le lendemain matin. Tout est chamboulé.

Liliane - Pas de doute, quelqu’un a fouillé partout !

Paul - Il faut qu’on en parle aux autres.

Liliane - Surtout pas ! C’est sûrement l’un d’entre eux.

Paul - Tu plaisantes !

Liliane - Réfléchis… la porte est verrouillée, la fenêtre est fermée, celle de la cuisine aussi et il n’y a pas d’autre issue.

Paul - Mais qui s’amuserait à mettre le bazar la nuit ?

Liliane - Celui ou celle qui fait ça cherche quelque chose… mais quoi ?

Paul - Tu crois ?

Liliane - Je ne vois pas d’autre explication. C’est peut-être Rosine. Elle pense que la tante cachait des choses de valeur…

Paul - Elle avait tout le loisir de chercher avant qu’on débarque tous. De toute façon la tante a dépensé tout son fric pour son enterrement…

Liliane - C’est vrai… mais alors qui ? Et pourquoi ?

Paul - En tout cas tu as raison, n’en parlons pas. On va réfléchir au moyen de découvrir qui fait ça. Aide-moi, on va remettre un peu d’ordre.

Ils s’activent. Les autres arrivent petit à petit. Chacun prend le nécessaire pour continuer les travaux.

Rosine passe et repasse, fait semblant de réfléchir, repart, revient. Bref, elle ne fait rien.

Barnabé, à Zoé qui prend un marteau et des pitons - Tu vas faire quoi ?

Zoé - Accrocher les tableaux, enfin, ces croûtes qui servent de déco.

Barnabé - C’est trop tôt. J’ai mis de l’enduit, il faut attendre que ce soit sec, sinon le trou va s’agrandir.

Zoé - On s’en fout, y aura le tableau dessus, ça le cachera !

Mathilde - Barnabé est soigneux, lui, tu ne vas pas saboter son travail !

Zoé - Vous allez pas me saouler tous les deux pour un malheureux trou !

Paul, à Rosine - Tiens, au lieu de tournicoter dans tous les sens, prend la caisse à outils et suis-moi.

 

 

 

 

 

Rosine - J’ai pas le temps.

Paul - Tu fais quoi exactement ?

Rosine - Je vérifie.

Paul - Tu vérifies quoi ?

Rosine - Tout ! Et puis faut que je pense au dîner, tout ça…

Paul - Oui et bien tu réfléchiras plus tard. Viens me donner un coup de main.

Rosine - Je peux pas je te dis ! Je suis pas Bouddah, j’ai pas six bras ! (Elle sort.)

Paul, à Liliane - Bouddha n’a pas six bras !

Liliane - Oh, Je sais…

Thérèse arrive avec le bébé qui pleure.

Thérèse - Nào est réveillé !

Francis - On a entendu…

Zoé, prenant le bébé et le tendant à Barnabé - Tiens !

Barnabé - Encore ! « Tais-toi titounet, tétine, tototte, tontaine et tonton, taratata ! »

Le bébé rit.

Zoé - Tu vois quand tu veux. (Elle le prend, le donne à sa mère.)

Thérèse - Je vais le recoucher. (Elle sort.)

Mathilde - Et ça se croit une bonne mère sans doute !

Zoé - Je suis plus faite pour être une bonne mère que toi pour être danseuse au Crazy Horse ! Amène tes plumes, Barnabé. (Ils sortent.)

Paul, à Mathilde - Va acheter des fusibles.

Mathilde - Moi !

Paul - Les fournitures, c’est toi, non ?

Mathilde - Oui mais…

Paul - Alors respecte mes décisions.

 

 

 

 

 

Il farfouille dans un coin.

Mathilde, à Francis - Tu as entendu comme il me parle ?!

Francis - Sur le fond, il a raison…

Mathilde - Il y a la manière !

Francis - Tu veux un petit conseil ? Râle moins et souris plus.

Mathilde - En parlant de conseil, je vais t’en donner un. Laisse tomber.

Francis - De quoi tu parles ?

Mathilde - Tu crois que je n’ai pas vu ton manège avec Liliane… On dirait un chien affamé devant une saucisse !

Francis - C’est flatteur pour elle. Je suis sûr qu’elle apprécierait…

Mathilde - Tu ne vas quand même pas te tourner les sangs à cause de cette gourgandine !

Francis - Joli mot ! Un peu vieillot, peut-être. Va acheter les fusibles et t’occupe pas de mes affaires.

Elle part.

Francis, à Paul - Alors, comment ça va avec Liliane ?

Paul - Elle ne m’en veut plus.

Francis- Vous vous êtes réconciliés ?

Paul - Oui.

Francis - Tu veux dire, réconciliés… réconciliés ?

Paul, souriant - Devine… Tiens aide-moi.

Il attape un truc lourd. Francis le prend d’un côté et l’échappe intentionnellement. Paul, déséquilibré penche d’un côté et se coince le dos.

Paul - Aahh !... Je me suis coincé le dos ! Aahh !...

Thérèse accourt.

Thérèse - Oh !!! Bouge pas, je reviens…

Paul - Bouger ! Faudrait pouvoir !

 

 

 

 

 

Francis, faux-cul - Désolé mon vieux, j’ai lâché prise… Oh la la !

Paul - C’est pas de ta faute. Aahh…

Francis - Attends, je vais essayer de te débloquer.

Paul - Non !!

Francis - T’inquiète.

Il lui attrape la tête et la tournicote.

Paul - Arrête ! Tu m’as coincé le cou !

Francis, faux-cul -  Oh non ! Moi qui croyais bien faire !

Thérèse revient. Elle lui masse le bas du dos.

Paul - Mon cou aussi…

Francis - En plus, il s’est fait un torticolis.

Liliane arrive à son tour.

Liliane - Mon chéri ! Tu t’es fait mal ?

Paul - C’est rien… enfin, j’espère…

Thérèse - J’ai tout prévu, je vais chercher une ceinture lombaire et une minerve.

Francis - C’est douloureux, hein ?

Liliane, furieuse - Non, ça chatouille !

Thérèse revient, met la ceinture et la minerve.

Thérèse - Voilà. Tu peux remettre ta combinaison.

Liliane - C’est pas la peine qu’il la remette, il doit se reposer.

Paul - Il y a trop à faire !

Liliane - On est nombreux. Rosine et Mathilde viendront nous aider. (Elle appelle.) - Rosine ! (Rosine arrive.) - Laisse tomber tes casseroles. Paul s’est fait mal au dos, tu es réquisitionnée.

Rosine - C’est que, je suis pas bricoleuse, moi !

Liliane - Mais si, tu verras. C’est dans l’urgence qu’on se révèle.

Paul - Je peux essayer de…

 

 

 

 

 

Liliane - Rien du tout !Tu nous dirigeras, tu nous diras quoi faire, mais toi tu te reposes. (Montrant Rosine.) - Explique-lui. (A Thérèse qui revient.) - Va avec Paul, vous ne serez pas trop de deux pour lui expliquer.

Paul, Thérèse, Rosine vont vers les chambres.

Francis - Tu es très attentionnée… t’es pas rancunière.

Liliane - Alors toi, je te conseille de te faire oublier. Paul ne s’est rendu compte de rien, mais j’ai compris que tu l’avais fait boire à son insu.

Francis - Moi ! Oh !

Liliane - Je te connais par cœur, alors c’est pas la peine de me faire tout ton cinéma. Tu voulais que je me fâche avec lui ! Plan tordu. Idée idiote. Je ne veux plus entendre parler de toi.

Francis - Ne me dis pas ça… ma Lily… ma Lilou…

Liliane - Liliane ! (Il tend le bras vers elle.) - Et ne me touche pas !

Mathilde revient avec les fusibles. Paul revient.

Liliane - Ah te voilà !

Mathilde, à Paul - Qu’est-ce qui t’arrive ?

Paul - Je me suis fait mal au dos et au cou.

Mathilde - C’est malin ! Ça fait deux bras en moins…

Liliane - Comme tu vas t’y coller, le compte sera le même.

Mathilde - Tu veux que je participe aux travaux !

Liliane - Tu penses pas que tu avais droit à ta part simplement en barbouillant ton petit carnet !

Mathilde - Mais, je n’ai pas la force d’un homme…

Liliane - T’inquiète pas, il y a plein de trucs à faire qui ne nécessitent pas une force herculéenne. ( Elle lui  donne une combinaison.) - Enfile ça et suis-moi.Tu vas voir comme c’est valorisant de se rendre utile !

Elles sortent toutes les deux.

Paul - Ça m’embête de pas pouvoir t’aider.

Francis - C’est pas grave. Je te demande juste de me régler les courroies du sac à dos.

 

 

 

 

Il le remplit de matériel et enfile les courroies sur ses épaules.

Paul - Bien sûr…

Francis attend le bon moment et s’arrange pour qu’il se coince le pouce sous la sangle et fait semblant de se rendre compte de rien.

Paul- Aahh !!! Mon pouce ! Il est coincé !

Francis - Où ça ?

Paul - Sous la sangle… aahh…

Francis, relâchant la sangle - Décidemment, c’est pas ton jour…

Paul se rasseoit et se tient le pouce.

Paul - Aahh…

Thérèse et Liliane arrivent.

Liliane - Qu’est-ce qui t’arrive encore ?

Paul - Je me suis tordu le pouce…

Tjérèse repart.

Liliane - Je t’avais dit de pas bouger de ta chaise !

Francis - Ah mais, il a pas bougé, hein Paul ?

Paul - Non… j’ai… rien fait.

Francis - Ça doit être tout-à l’heure…

Paul - Oui… c’est ça…

Liliane - T’avais pas mal au pouce !

Francis - Parce qu’il le sentait pas. Le mal de dos et le torticolis étaient trop forts.

Paul - Mais maintenant je le sens bien…

Thérèse revient et lui met une attelle au pouce.

Thérèse - Voilà. Ça te soulagera.

Liliane - Par pitié ne bouge plus ! On peut te laisser ?

Paul - Oui oui…

 

 

 

 

 

Thérèse - Il est  avec Francis, il ne risque rien.

Elles repartent.

Francis - Mon pauvre vieux… t’es râpé pour les galipettes. C’est pas de chance !

Il part à son tour, lui tourne le dos, sourit et fait : « Yes ! »

Paul essaie de se caler sur une chaise. Le curé revient de l’église.

Le curé - Me voilà libre pour la journée ! Mais… vous avez l’air d’être en piteux état, mon fils…

Paul - Le dos, le cou, le pouce…

Le curé - Vous souffrez beaucoup ?

Paul - Il y a des gens plus à plaindre que moi…

Le curé - Maximum rictus doloris, lingue (oué) mortem. « Les grandes douleurs sont muettes ». Courage, mon fils.

Paul - Merci. Vous n’avez qu’à monter, Francis vous dira quoi faire.

Le curé - Le temps de me mettre en tenue et j’y vais.

Il sort, tandis que Rosine revient.

Rosine - C’est quoi un multimètre ?

Paul - Tu regardes dans une des boîtes, là, dans le coin. Excuse- moi mais je vais m’allonger un moment. On est mal sur ces chaises. (Il sort.)

Rosine farfouille, ne trouve pas. Francis descend.

Francis - Alors, ça vient oui ?

Rosine - T’es marrant toi ! Vas t’y retrouver dans tout ce fatras !

Francis, cherchant - Ah ! Le voilà !

Il prend la boîte de laquelle dépasse une tige metallique qui s’accroche à la jupe de Rosine qui se décroche. Elle se retrouve en panty.

Rosine - Oh ! Espèce de goujat !

Elle le gifle au moment où Liliane revenait.

Rosine - Vieux vicieux ! Satyre !

Francis - Mais, j’ai rien fait !

 

 

 

 

 

Rosine, ramassant sa jupe, à Liliane - Il a toujours été comme ça. Déjà, tout gamin, il jouait à touche-pipi avec toutes ses cousines ! (Elle sort.)

Francis - Elle ment ! Je te jure qu’elle ment !

Liliane, le giflant à son tour - Tais-toi, espèce d’obsédé ! (Elle repart.)

Francis, se tenant le nez, la tête en arrière - Oh non ! Ah, la trousse est là, sur le bar. (Il se met des cotons dans le nez.)

On entend du bruit à l’étage.

Barnabé, voix off  - Quelle horreur ! C’est pas possible !

Thérèse , voix off   - Fermez l’eau ! Fermez l’eau !

Mathilde, voix off   - Au secours ! Je sais pas nager !

Liliane, voix off   - Tu te crois sur le Titanic ? Vite ! Au compteur d’eau !

Le curé, voix off   - Il est où ?

Rosine, voix off   - En bas, derrière le bar…

Tous déboulent. Le curé ferme le compteur. Zoé redescend, trempée.

Paul - J’ai entendu une perceuse. Qui a troué un tuyau ?!

Barnabé - C’est moi ! J’ai voulu fixer un tableau. Le piton ne suffisait pas, alors j’ai voulu mettre une cheville. J’ai utilisé la perceuse. La mèche est rentrée, comme dans du beurre…

Liliane - Elle était longue comment ?

Barnabé, montrant une bonne longueur - Comme ça…

Francis - Oh le couillon !

Paul - Tu te rends compte de ce que tu as fait !!!

Mathilde - Ce sont est des choses qui arrivent…

Paul - Pas quand on a un peu de jugeote !

Thérèse - Heureusement que Zoé était là. C’est grâce à elle si les dégâts ne sont pas plus importants !

Zoé - Faut pas pousser… J’ai juste mis ma main sur le trou…

Liliane - Rosine, va chercher des serpillères, on va éponger tout ça.

 

 

 

 

 

Tous repartent sauf Zoé et Barnabé.

Zoé - Pourquoi tu t’es accusé à ma place ?

Barnabé - Je voulais pas que tu sois embêtée.

Zoé - Non mais, attends, tu m’avais dit que c’était pas une bonne idée. Je t’ai envoyé bouler, je méritais de me faire attraper.

Barnabé - Disons que, je t’aime bien…

Zoé - T’es ouf ou quoi ? J’ai toujours été une vraie peste avec toi !

Barnabé - Justement ! Je t’admirais tu sais. Tu trouvais toujours un truc nouveau. Tu avais une imagination de folie ! Si tu savais comme je t’enviais… non seulement tu me faisais punir, mais en plus, tu te faisais féliciter…

Zoé - Tu ne m’en a jamais voulu ? Même un peu ?

Barnabé - Jamais ! J’aurais tant aimé avoir du caractère comme toi. Mais, je sais pas pourquoi, j’ai toujours été obéissant et je continue…

Zoé - T’es plus un morveux ! Faut lui faire piger à ta mère ! Lâche-toi ! Vis ta life !

Barnabé - J’ai essayé un jour de lui en parler. Elle m’a dit que j’étais un égoïste, qu’elle m’avait consacré toute sa vie et qu’elle avait que moi. Elle m’a fait de la peine, alors je suis resté.

Zoé - Je croyais que t’étais un crétin… en fait, t’es juste un vrai gentil.

Barnabé - Oh, de toute façon je serais incapable de me débrouiller seul. Je sais rien faire.

Zoé - Ah si ! Tu sais calmer Nào et c’est un exploit ! Dis donc… et si tu repartais avec moi ?

Barnabé - Tu… tu veux dire en Angleterre ?!

Zoé - C’te blague ! Bien sûr !

Barnabé - J’y ferai quoi ?

Zoé - Tu t’occuperais de Nào ! Dis donc… tu sais quoi ? J’ai des potes qui font du slam. T’écris des naseries, mais tu peux sûrement faire mieux. Ils t’apprendraient, tu t’éclaterais avec eux !

Barnabé - Mais… ma mère ?

Zoé - Elle survivra ta mère, je t’assure ! Ce qui te manque, c’est de l’air !

 

 

 

 

Barnabé - Oh oui… Londres… Tower Bridge… Buckingam palace… Piccadilly Circus… Oh oui !

Zoé - Ça va être l’éclate, je te dis!

Ils crient tous les deux, surexcités.

Paul, voix off, criant - Dites donc tous les deux, ça vous dérange pas si on bosse ?

Zoé, Barnabé - On arrive !

Petit temps mort… Le curé et Rosine arrivent.

Rosine - Je vous assure, mon père, il faut que je libère ma conscience.

Le curé - Voyons , ma fille, vous savez bien qu’on n’a pas le temps d’aller au confessionnal…

Rosine - On peut faire ça ici.

Le curé – Mais… c’est impossible, voyons…

Rosine, mettant deux chaises côte à côte – Si, si, on va se débrouiller. Asseyez-vous, bougez pas, je reviens.

Rosine revient avec une grille de barbecue et la lui met dans la main.

Le curé - Mais…Une grille à saucisses ! Voyons, Rosine, ce n’est pas sérieux !

Rosine - Allez père Noël, faites pas de manières. Tenez ça ! (Elle lui fait tenir la grille entre eux deux.) - Vous voyez, ça fait pareil !

Le curé - Si on veut. Bien, allez-y, je vous écoute

Rosine - Bénissez-moi mon père, parce que j’ai pêché.

Le curé - Abrégez Rosine, quelqu’un pourrait arriver…

Rosine - Vous inquiétez pas, ils sont tous occupés là-haut.

Le curé – Je vous écoute…

Rosine - J’ai giflé mon cousin Francis.

Le curé - Ce n’est pas bien, ma fille.

Rosine - C’est pour ça que je me confesse ! J’aurai pas dû parce que je m’étais trompée.

Le curé - De cousin ?

 

 

 

 

 

Rosine - Non non, il s’agissait bien de lui ! Je vous explique : Il m’a enlevé ma jupe sans le faire exprès, mais j’avais cru qu’il l’avais fait exprès, d’où la gifle.

Le curé - Vous vous êtes excusée ?

Rosine - Ah non ! Ça vaut pour toutes les autres fois où il en aurait mérité une !

Le curé - Mais… vous devez vous repentir…

Rosine - Oui oui, je me repentis, oui, je me repentis ... voilà, voilà... Dites-moi seulement ce que j’ai comme punition, histoire d’arranger le coup avec le Bon Dieu.

Le curé - Oh ! Rosine! Ça ne marche pas comme ça voyons !

Rosine – Oh, ça va… Alors ? Je fais quoi ?

Le curé, soupirant – Bon, ben… trois Pater et un Avé.

Rosine - Trois pâtés, je veux bien, mais le navet, j’en fais quoi ?

Le curé - Béatus minus occiput simplex…

Rosine - Ça veut dire quoi ?

Le curé - Heureux les simples d’esprit !

Rosine - Je vois pas le rapport… Bon, c’est pas le tout, j’ai pas que ça à faire moi ! Merci mon père. Donnez-moi la grille, faut que j’aille faire rôtir les saucisses !

Elle reprend la grille et s’en va. Le curé pousse un gros soupir et sort à son tour.

Francis et Thérèse arrivent. Francis change de combinaison. Il s’énerve sur la fermeture éclair.

Francis - C’est pas vrai ! Quelle saleté ce truc !

Thérèse - Qu’est-ce qui se passe ?

Francis - La fermeture éclair s’est bloquée, impossible de la fermer.

Thérèse - Tire pas, tu vas la péter complètement ! Fais voir… Ah d’accord… ton caleçon s’est pris dedans.

Elle se met à genoux devant lui et essaie de la décoincer.

Francis - Tu crois que tu vas y arriver ?

Thérèse - J’en ai décoincé des plus difficiles…

 

 

 

 

 

Liliane arrive. Elle voit Thérèse de dos, agenouillée devant Francis. Elle est pétrifiée.

Thérèse - Ah ! Elle est coriace celle-là ! Bouge pas, laisse-moi faire…

Elle force, fait des petits bruits. Francis a le tête penchée vers elle. Ils ne voient pas Liliane.

Thérèse - Et voilà ! Vite fait, bien fait !

Francis - Ah ! Ça soulage !

Thérèse , se relevant - Bon, je retourne à mes pinceaux, si tu as besoin, n’hésite pas à me demander ! (Elle sort.)

Francis voit Liliane qui le fixe, muette. Thérèse repart sans l’avoir vu.

Francis - C’est pas ce que tu crois… c’est ma ferm…

Liliane – Dégoûtant personnage !

Elle le gifle et s’en va.

Francis - Oh non ! Mon nez ! Y en a marre !

Il se précipite vers la trousse et prend du coton. Paul arrive.

Paul - Ah, tu es là… il faudrait que tu… tu saignes encore du nez ?!

Francis - C’est rien, je suis fragile de ce côté là.

Paul - Ça n’a rien à voir avec Liliane ?

Francis - Mais non, quelle idée !

Paul - Ok. Bon, reste tranquille cinq minutes. (Il attrape quelques outils et repart tout raide à cause de la ceinture et de la minerve…) - Je vais porter ça à Barnabé.

Francis - Tu sais que tu ressembles à Robocop ?

Paul, sinistre - Ah ah !

Francis se tamponne le nez, s’asseoit un moment. Liliane revient.

Liliane - Je viens m’excuser… j’ai parlé avec Thérèse et elle m’a expliqué pour la fermeture éclair.

Francis - Tu t’es fait des idées.

Liliane - Je sais… venant de la part de Thérèse, c’était stupide de le croire.

Francis - Et de ma part aussi !

 

 

 

 

 

Liliane - C’est moins sûr… En tout cas, je suis désolée de m’être énervée.

Francis - Si ça t’a mise en colère, c’est que tu es jalouse.

Liliane - N’importe quoi !

Francis - Et si tu es jalouse… c’est que tu m’aimes encore !

Liliane - Tu es vraiment stupide ! Je ne t’aime plus, il faut te le dire comment ? Je suis très heureuse avec Paul et si je t’ai giflé c’était uniquement parce que Thérèse est ta cousine et que je trouvais ça honteux ! Tu ne m’intéresses plus. Mets-toi bien ça dans le crâne ! (Elle sort.)

Francis - Jeu, set et match… au vestiaire mon Francis. Au moins j’aurai essayé… (Il sort.)

Transition nuit. Liliane et Paul chuchotent.

Liliane - On a bien fait de la mettre dans la confidence.

Paul - Tu crois que ça va marcher ?

Liliane - Evidemment !

Zoé arrive et pose délicatement le couffin sur le bar.

Zoé - Ouf ! C’est bon, il s’est pas réveillé.

Paul - Je me demande si c’est une bonne idée…

Zoé - Succès garanti, tonton. Le moindre bruit, la moindre lueur et il fait la sirène. Comme alarme y a pas mieux !

Ils repartent. Noir. La silhouette entre, lampe frontale. Même scénario. On entend un craquement. Le bébé pleure. On entend des portes qui claquent, des bruits de pas, la lumière s’allume.

Mathilde, voix off - C’est infernal ! Faites-le taire !

Tous arrivent. La silhouette, pétrifiée, est agenouillée, la tête dans le comptoir dont elle a enlevé des planches. Barnabé chuchote des trucs au bébé et le calme.

Paul - Tu es fait ! Sors de là !

Liliane, tenant une clé à molette - Pas d’embrouille ou je frappe !

La silhouette recule à quatre pattes. Le curé se relève. Il tient un coffret.

Paul - Monsieur le curé ?! C’est vous ?!

 

 

 

 

 

Rosine - Père Noël, qu’est-ce que vous faites ici en pleine nuit ?

Barnabé - Il a cassé le bar !

Zoé - Il est glauque, lui !

Francis - Alors, curé, on fait des heures supplémentaires ?

Mathilde - Qu’est-ce qu’il a dans les mains ?

Paul - Donnez- moi ce coffret !

Thérèse - Voleur ! Vous ! Un homme d’église ! Vous n’avez pas honte ?

Rosine - Et ben… c’est pas avec trois pâtés que vous allez vous en tirer avec le Bon Dieu, moi je vous le dis !

Le curé - Votre tante ne donnait jamais rien à la quête. Elle mettait des jetons de caddies, des boutons, des vieux boulons, n’importe quoi sauf un centime. En confession elle a avoué qu’elle ne voulait pas que vous héritiez de quoi que ce soit. Elle a laissé son établissement se dégrader pour que vous ne puissiez rien en tirer ou très peu. Elle a avoué aussi qu’elle avait caché un magot, alors je me suis dit que cet argent revenait au denier du culte…

Mathilde - Et le huitième commandement : « Tu ne déroberas point », qu’est-ce que vous en faites ?

Le curé - Errare humanum est !

Francis - Allons bon, le v’là qui retrouve son latin !

Liliane - Mais alors…vous nous avez suggéré de faire des réparations et vous avez proposé de nous aider, uniquement dans le but de fouiller partout…

Le curé - Elle m’avait dit que c’était dans le bar. J’ai pensé à cette pièce, mais hier j’ai compris qu’elle parlait du zinc, du comptoir…

Paul, ouvrant le coffret - Il n’y a qu’une lettre !

Francis - Fais voir… (Il lit.) - « Alors, curé, on n’a pas pu s’empêcher de chercher le magot de la vieille Marthe, hein ? Je vous ai bien eu ! Il est pas là ! »

Le curé - Ah ! Animalis cornibus lactum !

Rosine - Ça veut dire quoi ?

Francis – Facile ! Animalis… cornibus…lactum… ça veut dire : Ah ! La vache !

Francis - « Dites à mes neveux… (La voix de la tante se substitue à celle de Francis.) que je les aimais pas. C’est qu’une bande de vautours. Ils l’auront pas non plus mon magot. Il est bien planqué et là où il est, ils le trouveront jamais ! »

 

 

 

 

Paul - Alors elle avait beaucoup d’argent…

Liliane - Je comprends mieux comment elle a pu se payer un tel enterrement…

Mathilde - Oh, la teigne !

Thérèse , la fixant - Apparemment elle t’a transmis le gène.

Rosine - Quand je pense qu’elle a fait elle-même l’intérieur de son cercueil… Elle avait pourtant les moyens de le faire faire… Elle en a passé des heures à faire de la couture, à rembourrer les parois, le fond, le coussin…

Francis - Tout rembourrer… … avec son fric !!!

Zoé, attrapant Barnabé par le bras - Ouais !! Tous au cimetière !!

Tous se ruent dehors en se bousculant.

Rosine - Les premiers arrivés seront les premiers servis !

Mathilde - Moi d’abord !

Thérèse, la repoussant - Laisse-moi passer !

Paul - Poussez-vous !

Liliane - Aïe !

Le curé, effaré - Allons, voyons, mes enfants…

Francis, se retourne et lui donne une bourrade - Vade retro, curé !

Il sort à son tour. Le curé se retrouve assis par terre. Le bébé rit.

 

 

 

FIN

 

 

             

 

 

 

 


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