Un passé pas si simple

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Décor: Une salle de séjour + un coin cuisine.
Ce texte existe en version 4H/2H -4F/1h et 3F/3H

Philippe, écrivain, en pleine crise existentialiste, vient de se séparer de son épouse. Si la séparation s’est faite en « douceur », il n’en demeure pas moins qu’il erre comme une âme en peine dans sa propre maison. Avait-il bien épousé la femme de sa vie ? N’a-t-il pas raté le coche avec les autres femmes connues auparavant ? Son fils Laurent, voyant l’état de décrépitude dans lequel son père est en train de sombrer, décide de provoquer un électrochoc.

Ayant retrouvé dans les papiers de son père, les lettres de ses premières amours, il réussit à retrouver la trace des trois femmes qui ont marqué la vie de Philippe avant qu’il ne connaisse et se marie avec celle qui deviendra sa mère.

Amusées et séduites par l’idée de Laurent, voilà donc Françoise (l’épicurienne), Catherine (la fan de cuisine) et Josiane (la reine des histoires belges) qui débarquent chez Philippe, bien décidées à délivrer leur ex compagnon de tous regrets quant à leur éventuel « largage ». Oui, mais voilà… ont-elles vraiment oublié et pardonné le largage en question ? Et avec l’âge, les défauts de chacune d’elles se sont ils atténués ou accentués ? Et leur ancestrale rivalité s’est elle adoucie avec le temps ?

D’abord secoué par une femme de ménage envahissante et un coach « tonique », Philippe, balloté, cocooné, séduit, rejeté par ses anciennes compagnes, va d’agréables surprises, en amères désillusions. Le remède de Laurent serait-il pire que le mal ?

Et si ces trois femmes réunies ne représentaient que la moitié de celle qu’il a laissée partir…

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ACTE I

Nous sommes en début de journée, dans la maison de Philippe. A l'ouverture du rideau, la scène est vide mais il règne un désordre indescriptible dans la pièce. Des vêtements sont en vrac sur le canapé, une bouteille et des aliments envahissent la table basse du salon. Dans le coin cuisine, on aperçoit un amoncellement d'assiettes et de casseroles sales. La porte d'entrée s'ouvre et livre passage à Laurent, le fils de Philippe. Il est visiblement étonné d'avoir trouvé la porte non verrouillée. Il est suivi de Huguette, la technicienne de surface qui arrive avec son matériel sur les bras et de Patrice, coatch à domicile.

LAURENT, à la cantonade. – C'est moi P'pa ! (Pas de réponse.) Ouh ouh, t'es là ? (Toujours pas de réponse.)

HUGUETTE, pragmatique. – Y doit pas être bien loin, sa porte n'est pas fermée à clé.

LAURENT, inquiet. – Ce qui est plutôt bizarre, lui qui ne se couche jamais sans avoir fait au moins dix fois le tour de la maison pour vérifier toutes les serrures...

PATRICE, apercevant la table encombrée. – Oh le chantier ! Il pique nique toujours dans son salon, vot' père ?...

HUGUETTE, elle retourne la bouteille de Whisky vide. – Pique nique qu'il n'a pas arrosé avec du champomy, le père Philippe...

LAURENT, constatant. – C'est pourquoi je vais avoir besoin de vos services. Vous Huguette pour me remettre de l'ordre dans la maison...

HUGUETTE, au garde à vous avec son balai . – A vos ordres chef ! (Elle rit.)

LAURENT, constatant. – Et vous Patrice pour me remettre le bonhomme en état de marche.

PATRICE, faisant craquer ses doigts et gonflant ses biceps. – Pouvez comptez sur moi. (Menaçant.) Je m'déplace rarement pour rien. Quelques bons massages et il va repartir au quart de tour le neurasthénique... (Si l'acteur est menu, lui faire jouer les anti athlètes.)

LAURENT, changeant de ton. – Parfait ! Bon papa ! Arrête de te planquer, je sais que tu es là. Alors, tu viens tout de suite ou je vais te chercher !

Sortant de son bureau, tout penaud, Philippe arrive en traînant les pieds. Il est en robe de chambre, pas lavé, ébouriffé avec une barbe de trois jours sur les joues.

PHILIPPE, faussement étonné. – Ah... c'est toi Laurent ? Quelle surprise... Je ne t'ai pas entendu sonner...

HUGUETTE. – Pas besoin de sonner, vot' porte était entre ouverte.

PHILIPPE, étonné, à son fils. – Qui sont ceux là ?

HUGUETTE, lui tendant la main, matériel dans l'autre main. – Huguette Graton, technicienne de surface.

PHILIPPE, ignorant la main tendue. – Technicienne de… Mais je n'ai jamais demandé qu'on vienne me technicier la surface.

HUGUETTE, regardant sa main tendue. – Super, merci... J'ai la main qui sent le mazout, sans doute ?

PATRICE, lui prenant la main d'office et la lui broyant entre ses doigts. – Patrice Masseur, coatch à domicile. Massages, step de fitness... rudiments de self défense... (Tête de Philippe qui secoue sa main de douleur.) Remise en forme intégrale... Satisfait ou remboursé, comme chez Darty !

HUGUETTE, hilare, à Patrice. – Je le crois pas ! Tu t'appelles vraiment Masseur ? Et en plus, tu es kiné ?

PATRICE, le prenant mal. – Et alors, qu'est ce que ça peut te foutre ?

HUGUETTE, hilare, à Patrice. – Rien. J'imagine juste les clients parlant de toi ... et de la main de Masseur...

PATRICE, se forçant à rire. – Ah ah ah ! Très drôle On me l'a déjà faîte cent fois celle là.

PHILIPPE, étonné, à son fils. – Qu'est ce qu'ils viennent fichent ici ces deux olibrius ?

LAURENT. – C'est moi qui leur ai demandé de venir parce que j'en ai marre de te voir vivre, à moitié déprimé, dans cette porcherie.

PHILIPPE, mécontent. – Je ne veux pas qu'on m'embête. J'ai besoin de calme et de solitude.

HUGUETTE, le rassurant. – Soyez tranquille m'sieur Philippe... vous permettez que je vous appelle Philippe... (Sans attendre la réponse.) Je serai la discrétion même... une frêle libellule qui va papillonner de pièce en pièce et devenir la fée de votre logis.

PHILIPPE. – Je suis bien capable de me débrouiller tout seul... Je n'ai pas besoin de libellule, ni de fée du logis.

LAURENT. – Te débrouiller seul ? Alors que, malgré ta maniaquerie, ta porte d'entrée est carrément restée ouverte toute la nuit. Tu cherches quoi ? A te faire attaquer par des rôdeurs ?

PHILIPPE. – Tout de suite les grands mots... Qui peut s'en prendre à un vieil homme sans intérêt, comme moi...

HUGUETTE. – Vot' fils a raison. C'est un truc à se faire découper en rondelles, comme du Justin Bridou. (Elle mime.) Tchac tchac tchac tchac  tchac ! Vous aurez bonne mine après ça, tiens !

PATRICE, se mettant en position de judoka. – Quand je vous aurai appris quelques mouvements d'auto défense, vous ne risquerez plus rien et votre fils pourra dormir tranquille.

PHILIPPE. – On verra ça plus tard. (A son fils.) Tu pourrais peut être m'embrasser au lieu de me gueuler dessus comme un putois.

Il embrasse son fils. Huguette s'invite à l'embrassade. Surpris, Philippe se laisse embrasser 4 ou 5 fois par elle. Huguette va ensuite se mettre en tenue de nettoyage et va commencer son travail tout en se mêlant aux conversations. Pendant les répliques suivantes, Patrice va préparer, sur la table de la salle à manger, son matériel de massage, tapis, serviette, huile de massage qu'il sort de son grand sac. Il se met en tenue et fait des excès de zèle en s'échauffant seul. Huguette et lui vont s'occuper tout en participant à la discussion commune.

LAURENT. – Tu piques !

HUGUETTE, en riant. – On dirait une éponge Spontex. Pour un peu, avec mes poils du menton, on aurait fait velcro tous les deux.

LAURENT. – Tu ne t'es pas rasé depuis combien de jours ?

PHILIPPE. – Mon rasoir électrique a rendu l'âme la semaine dernière...

PATRICE, tout en préparant ses affaires. – Et vous n'avez pas de rasoir jetable en réserve ?

PHILIPPE. – M'en sers jamais, il m'arrache la gueule.

HUGUETTE. – Vous avez raison. Quand on a la gueule de bois... ça peut faire des copeaux. (Elle éclate de rire.)

PATRICE. – C'est comme ça qu'on se fait un portrait rabot. (Il éclate de rire, suivi par Huguette.)

Ils rient tous les deux sous le regard étonné des deux autres.

LAURENT. – Tu ne pouvais pas sortir t'acheter un autre rasoir électrique ?

PHILIPPE. – Impossible, c'était un cadeau de ta mère... pour la fête des pères en 2002. C'est sentimental, tu comprends ?

HUGUETTE. – Moi, j'comprends ça. Un jour, Marcel... Marcel, c'est mon défunt mari qu'est mort maintenant... eh ben Marcel, pour mon anniversaire, il m'avait fabriqué un cendrier de salon avec une carapace de crabe. De toute beauté. Bon ça sentait un peu la marée mais j'ai jamais pu m'en séparer.

PATRICE, moqueur. – Il devait en pincer pour toi, ton Marcel ! (Tête ahurie de Huguette.) En pincer … pinces... de crabe... Tu piges ? (Eclat de rire de Huguette qui vient de comprendre. Tête de Philippe.)

PHILIPPE. – Je te parle de rasoir électrique et nous voilà arrivés sur un plateau de fruits de mer.

LAURENT. – Ne change pas de conversation. Je te rappelle quand même que maman est partie... enfin... que tu l'as gentiment invitée à quitter la maison il y a trois mois, pour incompatibilité d'humeur. Et maintenant, pour un peu, tu lui consacrerais un musée avec tous les objets rappelant son souvenir.

HUGUETTE. – C'est qu'on s'y attache aux souvenirs. Comme moi avec avec ma coquille de crabe.

PHILIPPE. – Je savais bien que tu ne me comprendrais pas. Vous êtes tous pareils, vous les jeunes... aucun sentiment humain ! Vous nous oubliez aussi vite que votre dernier Iphone.

HUGUETTE. – Y z'ont pas les mêmes valeurs que nous, les jeunes....

LAURENT. – Huguette, ça ne vous ennuierait pas de me laisser parler à mon père tranquillement ?

HUGUETTE. – Excusez moi m'sieur Laurent. J'me sens tellement à l'aise chez vous que j'ai tendance à me laisser aller. (Geste sur ses lèvres.) Mais chut, j'dis plus rien. (Se trompant.) Botus et mouche cousue. (Elle reprend son rangement et son nettoyage.)

PHILIPPE. – Que je m'attache à un objet offert par ta mère dans des circonstances aussi particulières, parce que je te signale quand même mon p'tit Laurent que c'est de ta mère dont on parle en ce moment, et que cela ne t'inspire aucun émoi, alors là... ça me laisse... ça me laisse... que je ne sais même pas comment dire...

LAURENT. – Eh bien, ne dis rien p'pa, ça vaudra mieux. Et tu comptes faire quoi ? Que maman revienne t'en acheter un autre à la prochaine fête de pères ?

PATRICE. – Ou que la barbe vous descende sur les godasses...(Il rit.)

PHILIPPE. – Allez y rigolez, ironisez sur un vieux père qui va finir sa vie tout seul, dans la misère, incompris de tout le monde, rejeté par sa propre famille, humilié, bafoué...

HUGUETTE. – Faut pas dire ça m'sieur Philippe, on est venus tous les trois pour vous aider.

PHILIPPE. – A quoi bon. Je suis un homme fini... vieilli... rabougri... vert de gris...

HUGUETTE. – Vous êtes encore très bel homme. (Parlant pour elle.) Et j'suis sûre qu'il y a encore des femmes capables de s'intéresser à vous...

PHILIPPE. – Je suis tout juste bon pour la braderie.

HUGUETTE. – Même en solde, vous m'intéresseriez encore. En plus, j'suis une adepte des fins de série.

PHILIPPE, montrant Huguette. – Voilà, elle l'a dit. J'suis un loser, un has been...

LAURENT. – Bon, t'as fini ton cinéma ? On peut passer à autre chose ?

PHILIPPE, reprenant son fils dans ses bras. – Heureusement que tu es là toi, mon fils. (Il l'embrasse.) Qu'est ce que je ferais sans toi ?

LAURENT, le repoussant gentiment. – Oh pétard, tu ne t'es pas douché depuis quand ? Tu pues le vieux bouc.

PATRICE. – On se croirait dans une bergerie du Larzac.

PHILIPPE, vexé. – Je vous remercie ! Quant à toi, Laurent... la chair de ma chair... qui renie l'odeur de ma chair... ça fait mal, tu sais. Je te rappelle quand même qu'avant de devenir le joli garçon que tu es maintenant, tu es passé par le stade physique d'une affreuse grenouille et que je t'embrassais quand même, moi... et sans dégoût !

HUGUETTE. – Vaut mieux un p'tit têtard que jamais... (Elle éclate de rire. Têtes des autres)

LAURENT. – Non, mais tu t'es vu à 9 heures du matin ? Pas rasé, pas lavé, en robe de chambre, les cheveux gras, les yeux globuleux...

PHILIPPE, se révoltant. – C'est même pas vrai, je n'ai pas les yeux globuleux...

HUGUETTE. – Si si, vous avez les yeux globuleux... surtout le gauche.

PHILIPPE, se tâtant les globes oculaires. – C'est parce que je suis patraque en ce moment... une sinusite... avec une angine... Alors toutes les muqueuses doivent être congestionnées et la pression doit se porter sur mes yeux. Médicalement, ça s'explique.

LAURENT, montrant la bouteille vide. – Médicalement… ce ne serait pas plutôt un abus de whisky qui serait à l'origine de ta pression oculaire ?

PHILIPPE, se défendant. – Eh ben... eh ben... eh ben... justement, voilà ! Comme je me sentais fiévreux, je me suis fait un bon grog au whisky...

HUGUETTE, retournant la bouteille vide. – Un seul grog ? Vous êtes sûr ?

PHILIPPE. – Enfin... deux ou trois... Je ne les ai pas comptés, du moment que ça me faisait du bien. (Sur la défensive.) C'est quand même pas défendu de boire un bon grog quand on est malade...

LAURENT, entrant dans son jeu. – Non... c'est même fortement conseillé.

PHILIPPE. – C'est la recette du grog de ta mère. Une dose de lait, une bonne cuillérée de miel, un demi citron et une dose de whisky. Tu sais qu'elle m'en a guéri des maladies avec sa potion magique.

PATRICE. – C'était la Panoramix de la maison, vot'femme.

PHILIPPE. – On pourrait presque dire ça...

PATRICE, aux autres, montrant Philippe. – En attendant, y me parait guère en état de déplacer des menhirs le Abraracourcix. (Attrapant Philippe.) Allez, venez par ici qu'on commence l'échauffement.

D'autorité, Patrice lui enlève sa robe de chambre. Réaction de pudeur de Philippe qui ne veut pas et se rhabille rapidement.

PHILIPPE. – Eh oh, pas devant tout le monde.

HUGUETTE, riant. – Vous gênez pas pour moi, m'sieu Philippe, j'en ai vu d'autres. Et vous êtes plus intéressant à regarder que mon ramollo de Marcel qui pendouillait de partout.

Patrice fait craquer ses doigts, fait des mouvements de tête, d'épaules et de bras et s'avance vers Philippe.

PHILIPPE. – Je peux m'échauffer tout seul...

PATRICE, à moitié menaçant. – Il me laisse faire mon boulot tranquillement le p'tit monsieur ou j'emploie la méthode forte.

PHILIPPE. – C'est à dire que...

PATRICE, haussant le ton. – Torse nu tout de suite et que ça saute !

PHILIPPE, s'exécutant. – Si vous le demandez gentiment...

A partir de maintenant, Patrice va « s'occuper » de Philippe tout en se mêlant de temps à autre à la conversation. Philippe va « subir » le coatching et va assortir ses dialogues de réflexions et de râles en fonction de cela. Patrice commence par « manipuler » son client, la tête, les bras, les jambes, exercices de pompe etc... Un joli travail de mise en scène qui peut générer des situations cocasses. La montée sur la table de massage se fera un peu plus tard.

LAURENT, fouillant sur la table. – Pendant que tu t'échauffes, je me serais bien pris un grog moi aussi. Dis voir, où est ce que tu as mis l'autre moitié du citron ?

PHILIPPE, gêné. – J'ai du la jeter dans la poubelle de la cuisine...

LAURENT, refouillant sur la table. – Et le miel ?

PHILIPPE, même jeu. – J'ai fini le pot...

LAURENT. – Tant pis, je me contenterai de lait. Il est dans le frigo ? (Il s'apprête à y aller.)

PHILIPPE, intervenant vivement. – Y en a plus... j'ai donné le reste au chat.

LAURENT, interloqué. – Quel chat ? Tu n'as jamais voulu de chat à la maison... tu ne les aimes pas. Ces animaux ingrats qui, comme les femmes, ne viennent se faire caresser que par intérêt. (Philippe veut protester.) Non non, ne proteste pas, ce sont tes propres paroles.

PHILIPPE. – Oui, mais là... elle me faisait de la peine... Elle miaulait à ma porte, crevant de faim et elle me regardait avec ses petites yeux verts en amande... ses petites oreilles pointues... son petit museau noir... (Il mime.)

PATRICE, lui bloquant les bras dans le dos. – Arrêtez de bouger comme chat !

PHILIPPE. – Aïe aïe aïe ! … (Reprenant sa description.) Ses babines frémissantes... sa petite tête...

LAURENT, agacé, le coupant. – Sa petite tête de chat... oui et alors ?

PHILIPPE, faussement peiné. – Alors, je ne suis qu'un être humain... j'ai craqué... Je l'ai fait entrer.

PATRICE, lui montrant un exercice. – Bras gauche sur la hanche gauche, bras droit en l'air et on penche le corps du côté gauche. Allez allez, on y va... on remonte et on recommence...

Philippe s'exécute en soufflant et en peinant. Il est suivi de près par Patrice qui le booste dès qu'il ralentit.

LAURENT, cherchant autour de lui. – Et elle est cachée où cette merveille de le gente féline ?

PHILIPPE, inventant. – Trop indépendante la demoiselle. Elle repart aussitôt son repas terminé et ne revient que pour le suivant. (Il souffle.)

LAURENT. – Suis je bête ! C'est pour cette raison que tu ne fermes plus ta porte de maison...

PHILIPPE, ravi du dénouement. – Voilà, c'est ça... tu as tout compris.

PATRICE, lui montrant un autre exercice. – Même chose de l'autre côté. Bras droit sur la hanche droite, bras gauche en l'air et on penche le corps du côté droit. On descend, on remonte et on recommence...

HUGUETTE. – Ce ne serait pas plus simple de laisser une gamelle de lait sur le seuil de votre porte ?

PHILIPPE. – Euh... oui... sûrement... mais d'un autre côté n'importe quel chat du quartier peut venir lui bouffer sa ration... et elle n'est pas de taille à se défendre... Et puis, finalement, je pense qu'on est contents de se revoir tous les deux... (Il souffle et souffre des exercices.)

LAURENT, entre ironie et amusement. – Attends voir... tu ne serais pas en train de te servir d'un chat imaginaire pour attendre le retour de ta Pomponnette ?

Philippe, faussement choqué, arrête net l'exercice et se redresse brusquement.

PHILIPPE. – Pomponnette ! Alors là... alors là... bravo ! Tu fais dans la délicatesse Laurent. Comparer ta mère à la Pomponnette de Pagnol. Alors là... faut le faire ! Bravo... je ne trouve rien d'autre à te dire... bravo !

PATRICE, intervenant sèchement. – Hop hop hop hop hop ! Pas de relâchement pendant les exercices s'il vous plaît ! Sanction immédiate. Puisque vous parler de Pomponnette... allez hop... une série de pompes. Allez zou, en position. (Il l'aide à se positionner.)

PHILIPPE. – Tu devrais avoir honte Laurent, si ta mère savait comment tu l'appelles...

PATRICE, comptant. – Une... On se relève... deux... On ne touche par terre avec ses genoux... trois... On rentre les fesses... quatre... (Patrice peut l'aider à remonter en le tenant par sa ceinture.)

LAURENT. – Papa, ne te crois pas obligé d'en faire des tonnes parce que là, tu vois, tu deviens de moins en moins crédible.

Philippe s'écroule à la cinquième pompe et se relève sur la réplique de Laurent.

PHILIPPE. – Comment ça je deviens de moins en moins crédible ! Parce que, brusquement, je me suis mis à aimer un misérable chat ?

LAURENT, rectifiant. – Un « hypothétique » misérable chat dont je n'ai, d'ailleurs, pas encore vu le petit bout de la queue...

PATRICE, directif. – On n'a pas fini la série de pompes.

PHILIPPE, à Patrice. – Vous me pompez avec vos pompes ! (A Laurent.) Ah d'accord ! Monsieur veut des preuves... Monsieur met en doute la parole de son propre géniteur...Tu me déçois beaucoup mon p'tit Laurent. (Vexé, en secouant la tête.) Un hypothétique chat !

LAURENT, en rajoutant une louche. – De même qu'il y a eu un hypothétique citron dans ton grog, adouci d'une hypothétique cuillérée de miel et dilué d'une hypothétique quantité de lait...

PHILIPPE, faisant front. – Ce qui veut dire ?

PATRICE, en riant. – Que vous avez du absorber un grog nature. En fait, vous avez pris un whisky coupé au whisky. (Il lui masse la nuque et les épaules.)

HUGUETTE. – Et à plusieurs reprises apparemment, ce qui explique aisément le bordel dans votre maison et votre état de fraîcheur remarquable...

PHILIPPE. – Dîtes carrément que j'ai des hallucinations tant que vous y êtes.

HUGUETTE. – Mon défunt Marcel qui forçait un peu sur la bibine, eh ben il en avait aussi des hallucinations. Y voyait souvent en éléphant rose grimpé sur le dos d'une souris bleue... Et y m'disait toujours en hurlant: «  Planque toi Huguette, s'il saute, il va t'écraser »...

PHILIPPE. – Désolé, mais je n'en suis pas encore au stade de votre Marcel. (A Patrice qui lui tripote les épaules.) Vous avez fini de me malaxer comme si j'étais de la pâte à modeler ?

Patrice arrête les massages du cou. Toujours derrière Philippe, il passe ses bras sous ses aisselles pour venir, ensuite plaquer ses mains derrière la nuque de Philippe et l'obliger à des torsions du tronc.

LAURENT, mi moqueur, mi sévère. – Dans l'immédiat, c'est un chat... demain ce sera peut être un tigre que tu apercevras dans les brumes de ton alcool et dans un mois... va savoir quel animal viendra laper le lait, dans la gamelle, à la porte de ta maison.

PHILIPPE. – Quand je pense au gentil petit garçon que tu étais autrefois... tendre, affectueux... et t'entendre aujourd'hui, me sortir des insanités pareilles... Tu veux que je te dise... c'est vraiment triste de te voir comme ça... (Patrice force sur l'exercice.) Ouille ouille ouille !

LAURENT. – Eh oui ! Mais le p'tit garçon d'autrefois avait un père dont il était fier, un héros qui écrivait des livres à succès qui le faisait rêver et qui l'embrassait sans lui déchirer les joues avec ses poils de porc épic.

PHILIPPE, prenant les autres à témoin. – Regardez le ce petit blanc bec, voyez le regard qu'il porte sur son pauvre père... Quand je pense que je me suis saigné aux quatre veines pour lui donner une bonne éducation... que j'ai passé des nuits blanches à me ronger les sangs quand il a eu la rougeole, la scarlatine, la thyphoïde, le choléra, le scorbut... enfin toutes ces maladies infantiles...

HUGUETTE. – Le choléra, le scorbut ? Il devait être drôlement fragile, le p'tit, pour se choper tout ça !

PHILIPPE, continuant. – Que je lui ai payé son premier scooter... son permis de conduire... Et tout ça... tout ça … pour m'entendre dire que j'ai des joues de porc épic ! Alors là, je suis à deux doigts de l'infarctus. Aïe aïe aïe !

HUGUETTE. – C'est sûr que les enfants sont sans pitié pour leurs parents. Bon, nous, on n'en a pas eu...à cause de Marcel qu'avait des problèmes avec ses... (Geste évocateur vers le bas du corps.) et ses semences qu'étaient, soit disant, pas de première qualité... En même temps, il a raison le gamin, vous piquez un max.

PHILIPPE, invoquant le ciel. – Quelle ingratitude, mon Dieu, quelle ingratitude ! Je sais bien que le vôtre, il vous en a fait voir de toutes les couleurs lui aussi... mais bon, vot' fils, il était investi d'une mission, on pouvait comprendre. Tandis que le mien, hein ! ... Et c'est pas avec ses études d'architecte, qui m'ont d'ailleurs coûté la peau des fesses, qu'il serait capable de marcher sur la flotte sans se mouiller les grolles ou de changer l'eau en Pomerol, comme votre fiston.

PATRICE, à Huguette.– Si ton Marcel avait eu les pouvoirs du p'tit Jésus, c'est bien là qu'il n'aurait jamais dessoûlé de la journée et qu'il aurait monté une coopérative viticole autour de la fontaine de ton village. (Il rit, suivi de Huguette.)

LAURENT, les interrompant. – Huguette, Patrice... s'il vous plaît...

HUGUETTE. – S'cusez moi, monsieur Laurent, c'est plus fort que moi. C'est mon côté comique qui prend le dessus. Je réagis au quart de tour et faut avouer qu'elle est bonne la blague du masseur.

PATRICE, relativisant. – Elle était facile à faire et il m'a tendu la perche avec son miracle.

HUGUETTE. – Y voulait se faire incinérer mon Marcel... mais moi, j'ai pas voulu. Imbibé d'alcool comme il était, j'ai eu peur qu'il fasse péter la chaudière du crématoire.

PATRICE, relativisant. – En même temps, va savoir... avec ses cendres t'aurais peut être pu récupérer deux ou trois litres de gnôle dans la distillation. (Ils éclatent de rire tous les deux et se congratulent. Têtes sidérées des autres.)

LAURENT, moqueur, à son père. – Quant à toi, il y a longtemps que tu communiques avec le ciel ? T'as une ligne directe ou tu passes par le Web ?

PHILIPPE. – Vas y, vas y, rigole. C'est tellement facile de s'en prendre à une bête blessée... Faut bien que je parle avec quelqu'un puisque tout le monde m'ignore...

LAURENT. – A qui la faute ? Qui s'est isolé volontairement du reste du monde ?

PHILIPPE. – Brusque besoin de vivre comme un ermite...

LAURENT, l'arrêtant. – Sauf que ces gens là vivent de végétaux et d'eau de source. (Montrant la table.)

HUGUETTE. – Et non de pizzas, de pops corns et de chips arrosées d'Aberlour !

PATRICE. – Bonjour le menu équilibré ! Vous avez une vision toute particulière de la vie d'ermite, vous !

PHILIPPE, blessé, amer. – Désolé ! J'ai pas eu le temps de creuser un puits dans la salle de bain ni de déterrer des racines sous la moquette de la chambre. J'ai pris ce que j'avais sous la main pour survivre. (A Laurent, de mauvaise foi.) T'aurais sans doute préféré que je crève de faim et de soif, dans des souffrances abominables que tu ne peux même pas imaginer... C'est ce que tu voulais ?

HUGUETTE, lui montrant le ventre. – Compte tenu de votre brioche, il vous restait encore quelques réserves pour passer l'hiver tranquille.

PATRICE, lui tripotant le ventre. – Va falloir me transformer ce clafoutis en tablettes de chocolat.

PHILIPPE, réagissant. – Non, mais ça ne va pas ! Arrêtez de me tripoter pareillement !

LAURENT. – Allez y Patrice, vous avez carte blanche.

PATRICE, à Philippe. – Parfait ! Allez hop, on monte sur la table pour une séance de massage.

PHILIPPE. – Que je monte sur... Jamais !

PATRICE, autoritaire. – Vous y montez tout seul ou je vous aide ?

PHILIPPE. – J'ai... j'ai le vertige.

PATRICE, le rassurant. – Aucun risque, vous serez couché.

PHILIPPE. – Je n'ai pas envie de me faire masser, à moitié à poil, allongé sur ma table de salle à manger, devant tout le monde.

HUGUETTE, moqueuse. – Ah là là, quelle chochotte !

PATRICE, aux autres. – J'vais pas passer le réveillon avec vous. Donnez moi un coup de main qu'on charge le paquet sur la table.

Patrice, Laurent et Huguette, empoignent Philippe et le hissent, tant bien que mal sur la table d'où il gigote pour en redescendre.

LAURENT, à son père. – Tu restes tranquille et tu obéis sans rechigner. Pas d' objection ?

PHILIPPE. – De toute façon, tu as réponse à tout... comme ta mère ! Je me demande comment j'ai fait pour la supporter aussi longtemps, celle là ! (A Patrice qui commence les massages.) Eh oh, doucement, espèce de grosse brute !

Patrice va s'en donner à cœur joie avec des massages sur tout le corps de Philippe. Difficile de faire le détail de cette scène qui peut générer une bonne complicité entre le masseur... et le massé. Sans faire de copiage, on ne peut s'empêcher de penser à « Oscar »...

LAURENT. – Remarque, dans le style « monsieur je sais tout », t'es pas mal aussi dans ton genre...

PHILIPPE. – Eh voilà ! Cela m'aurait bien étonné que tu ne prennes pas sa défense...

LAURENT. – Je ne prends pas sa défense, j'essaie d'être réaliste, c'est tout. Vous ne vous entendiez plus tous les deux... vous vous engueuliez à tout bout de champ pour des conneries... vous n'aviez plus aucune complicité et vous avez décidé... enfin, TU as surtout décidé, qu'il fallait mettre un terme à votre alliance désastreuse. Maman, un peu contrainte et forcée, a accepté ton verdict, tu devrais en être content, non ?

PHILIPPE, avec une fausse assurance. – Mais... mais… mais... je suis content, figure toi. Je suis enfin libre et épanoui à la vie... (Regard vers Patrice.) Si l'autre là, ne me réduit pas en bouillie.

HUGUETTE, le regardant. – Alors là, ça ne fait aucun doute. Vous êtes tellement épanoui... que vous n'allez pas tarder à vous faner.

PHILIPPE. – Faut pas se fier aux apparences... La sinusite chronique... la gorge inflammée... les amygdales énormes... tout ça suffit à perturber n'importe quel homme normalement constitué...

LAURENT. – Mais bien sûr ! Et tes super grogs n'ont pas encore eu le temps d'agir sans doute... Tu ne pouvais pas prendre des anti inflammatoires, comme tout le monde ?

PHILIPPE. – Tu sais bien que je suis pour les médecines douces, moi.

HUGUETTE. – Médecines douces, médecines douces... excusez du peu. Une bouteille entière de Whisky pour dégommer un malheureux rhume !

PATRICE, en riant. – Vous ne risquez pas d'alourdir le déficit de la sécurité sociale avec votre traitement. Vous avez trouvé les bons médicaments génériques... (Il lui colle une grande claque sur le dos. Philippe hurle.)

LAURENT, l'attaquant sur un autre plan. – Cela dit, tu vois, c'est bizarre, maman paraissait plus fragile que toi et, finalement, c'est elle qui supporte le mieux votre séparation.

PHILIPPE, intéressé. – Ah bon ! Tu l'as vue récemment ?

LAURENT. – Je lui rends visite tous les deux jours.

PHILIPPE, marchant sur des oeufs. – Et... ça... enfin... elle va bien ?

LAURENT. – Elle est un peu fatiguée parce qu'elle a trouvé un nouvel emploi, Mais ça va, ça va... elle est contente.

PHILIPPE. – Ah bon ! Elle s'est remise à travailler ?

LAURENT. – Eh p'pa, réveille toi ! C'est pas avec ce que tu lui donnes depuis trois mois qu'elle peut se permettre de rester glander à la maison. Sans bosser et le temps que vos avocats se mettent d'accord sur les partages des biens, elle aurait eu le temps d'aller pointer encore un bon moment aux restos du cœur.

PHILIPPE, entre surprise et curiosité. – Ah... Et elle bosse où ?

LAURENT. – Elle est serveuse chez Mac'Do.

PHILIPPE. – Oh putain ! J'espère qu'elle ne prend pas ses repas sur place.

LAURENT. – Qu'est ce que ça peut te fiche !

PATRICE, montrant la table basse.- Et puis eh, ça n'aura pas grand peine à être meilleur que vot' pique nique. (Grande claque sur le dos.)

Philippe hurle,

PHILIPPE. – Il me fait mal, ce con !

PATRICE, lui redonnant une autre claque sur le dos.- C'est pour vot' bien.

PHILIPPE. – Elle a toujours été fragile de l'estomac, ta mère et avec leur tambouille de merde, tu vas voir qu'elle va se choper un ulcère. (Mimant.) Sans compter qu'avec sa petite bouche, si elle veut s'ingurgiter un big mag, elle va se décrocher les mandibules, c'est quasiment certain. Elle aura bonne mine, ensuite, avec la mâchoire bloquée... bouche grande ouverte... comme si elle essayait de gober des mouches.

LAURENT. – Très drôle ! On peut savoir à quoi tu joues ?

PHILIPPE. – Ce n'est pas parce que je n'aime plus ta mère que je dois me désintéresser de sa santé...

HUGUETTE. – Vous avez raison m'sieur Philippe. On n'est pas des bêtes quand même.

LAURENT. – C'est gentil pour elle p'pa, mais ne t'inquiète pas, elle va bien et je te rassure, elle ne déjeune jamais chez son employeur.

PHILIPPE. – Ah... très bien...tant mieux... (Curieux.) Et autrement ça va... enfin, je veux dire... elle ne s'ennuie pas trop... en fin de journée... après le boulot ?

LAURENT. – Tu vas rire, je ne l'ai jamais vu sortir autant. Il faut presque prendre rendez vous pour la trouver chez elle le soir.

PHILIPPE. – Comment ça, elle sort le soir ? Tu viens de me dire, il y a deux minutes, qu'elle était fatiguée par son travail... (A Patrice.) Et vous aussi, vous me fatiguez à me peloter pareillement !

HUGUETTE. – C'est vrai, ça. Quand on est fatigué, on rentre chez soi et on se repose.

LAURENT. – Sa piaule est à mourir de chagrin. Elle n'y passe que pour dormir et elle sort un max pour oublier ses problèmes.

PHILIPPE. – Oui oui bien sûr, ça se comprend. (De nouveau curieux.) Et elle sort... sort sort ?... Enfin je veux dire... elle sort souvent ? ... Tard ?

LAURENT. – Eh bien tu sais, quand elle est avec ses jeunes collègues de boulot, ils refont le monde, tous ensemble, dans un troquet, jusqu'à des pas d'heure et tu devines, comme moi, les discussions sans fin que ça engendre.

PHILIPPE. – Me dis pas que ta mère se ridiculise en public avec des ados boutonneux ? Je le crois pas !

PATRICE. – Les ados ne sont plus boutonneux depuis longtemps. Aujourd'hui, ils savent parfaitement maîtriser leurs hormones... si vous voyez ce que je veux dire....

PHILIPPE, entre inquiétude et colère. – Mais qu'est ce que ta mère est allé fiche dans cette galère ! Femme fragile et innocente... en proie aux quolibets et aux moqueries de cette jeunesse dépravée... Une pauvre nunuche qui ne voit le mal nulle part... Tu l'imagines ta pauvre mère ?

LAURENT. – Ah mais je n'ai pas besoin de l'imaginer, je l'ai vu avec sa bande de potes.

PHILIPPE, abasourdi, répétant doucement. – Sa bande de potes...

LAURENT. – Elle leur est tout à la fois... la collègue de travail, la copine, la complice, la grande sœur, la mamma... Ils l'embrassent tous comme du bon pain, c'est vraiment très drôle.

PHILIPPE. – Une bande de jeunes en rut embrasse sa mère à tire larigot et lui... ça le fait rire, ça l'amuse, ce grand échalas !

LAURENT. – Ben oui je trouve ça drôle.

PHILIPPE, dramaturge. – Mais quel fils es-tu donc Laurent ? Aurais je engendré un enfant incapable du moindre sentiment humain ? Maudit soit le spermatozoïde qui a gagné le sprint final !

HUGUETTE. – Chez moi y a jamais eu de sprint. Les p'tites bêtes à Marcel, elles ont dû être disqualifiées dès le départ.

LAURENT. – Alors là, c'est vraiment du grand n'importe quoi.

PHILIPPE, inquiet. – Mais bien sûr ! Et que ta mère finisse, à moitié droguée, au milieu d'une tournante organisée par sa bande de potes, dans une sordide cave d'un minable HLM, c'est aussi du n'importe quoi ?

LAURENT. – Tous ces garçons sont très bien P'pa, tu n'as rien à craindre pour elle. Et si ça peut te rassurer, maman ne rencontre pas que des jeunes. Tiens, hier soir, elle était à l'opéra avec un monsieur très bien.

PHILIPPE. – Alors là, tu ne peux pas savoir comme ça me rassure. Après les loubards de banlieue... un proxénète...(Curieux) Et c'était qui ?

LAURENT. – Richard Wagner.

HUGUETTE. – Votre mère sort avec Richard Wagner ?! Je croyais qu'il était mort depuis longtemps celui là...

PATRICE. – T'en loupes pas une, toi ! Y a belle lurette que les os ne lui font plus mal au pauvre Wagner. Pas comme ceux de m'sieur Philippe. (Claque sur le dos de Philippe qui hurle, se regimbe en se mettant à genoux sur la table et se met en garde, poings en avant, face à Patrice.)

PHILIPPE. – Alors là, c'est la claque de trop... celle qui réveille la bête qui dort en moi... (Il descend de la table, menaçant.)

PATRICE. – Impeccable, on va en profiter pour faire quelques exercices d'auto défense. Continuez à discuter, vous occupez pas de nous. (Il se met en position de close combat et se dandine devant Philippe.)

LAURENT. – Je voulais juste te dire, P'pa, que maman était allée écouter Tannhauser... de Richard Wagner, c'est tout !

PHILIPPE, se rattrapant par une méchanceté. – Tannhäuser ? Elle n'a pas du y comprendre grand chose, ta pauvre mère, elle qui n'a, pour toute culture musicale, que la bonne du curé d'Annie Cordy ! (Il se dandine lui aussi.)

HUGUETTE, elle chante. – J'voudrais ben... ouin ouin ouin, mais j'ose point... ouin ouin ouin !

PHILIPPE, fonçant sur Philippe. – Yaaahhhhh ! (Il essaie de porter un atémi à Patrice qui le contre et lui colle une gifle.) Eh oh... ça va pas ! vous m'avez giflé ? Merde, ça fait vachement mal !

HUGUETTE, admirative. – Oh la torniole ! La main de Masseur sur la tronche de l'écrivain.

PATRICE, se remettant en position. – Faut peut être se protéger le visage quand on attaque quelqu'un.

Philippe remonte ses deux mains devant sa figure et se dandine à nouveau devant Patrice.

LAURENT. – Si tu l'avais emmenée plus souvent, avec toi, aux spectacles, elle aurait très certainement aimé et compris la musique classique beaucoup plus tôt.

PHILIPPE, même jeu méchant. – Oui... enfin... de là à passer de tata Yoyo à Tannhauser... la marche est haute, conviens en... (Fonçant sur Philippe.) Yaaahhhhh !

Il fonce, tête baissée en avant sur Patrice qui remonte son genou à hauteur de son menton. Philippe hurle et se tient la mâchoire.

PHILIPPE, aux autres, en râlant. – Y m'a pété la mâchoire cet imbécile heureux ! C'est un grand malade, ce mec !

HUGUETTE, admirative. – Oh la dérouillée ! Réagissez m'sieur Philippe, vous laissez pas faire.

PHILIPPE, aux autres, en râlant. – Je vais lui péter la gueule, oui !

LAURENT, défendant sa mère. – Détrompe toi, p'pa. Tu aurais entendu m'man me raconter l'acte 1, quand la scène se passe au Venusberg...

PHILIPPE, paumé. – Ah bon... la scène de l'acte 1 de Tannhäuser se passe au Vénusb...

LAURENT, le coupant. – Tout à fait. Elle m'a expliqué que Tannhäuser y est un captif volontaire de la déesse Vénus. Son amour pour elle s'est tari, et il aspire de nouveau à la liberté, la nature et l'amour de Dieu. Dans un air fameux, Tannhäuser exprime son désir à Vénus, qui réagit violemment et lui déclare que jamais plus il ne trouvera le salut. Tannhäuser dit alors que son salut viendra de Marie, provoquant ainsi son départ magique du Venusberg... (Tête sidérée de Philippe.)

HUGUETTE, rêveuse. – J'y comprends rien... mais qu'est ce que c'est beau !

PHILIPPE, incrédule. – Ta mère t'a raconté tout ça ? (A Patrice qui continue à lui porter des coups.) Oh break ! Cinq minutes de pause.

LAURENT. – Intarissable ! Je l'ai arrêtée à l'acte 3 parce que l'opéra durant 3h20, j'y serais encore.

HUGUETTE, étonnée. – Trois heures vingt ! C'était un vrai péplume (Pour péplum.). Comme dans Ben Hur !

PHILIPPE, matcho. – Comment elle a fait pour comprendre l'histoire ?

LAURENT, avec un clin d'oeil. – Je pense qu'elle avait un bon professeur auprès d'elle.

PHILIPPE. – Je me disais aussi... (Réagissant.) Et qui était cet excellent et patient mélomane ?

LAURENT. – Je te le donne en mille. Tu vas encore rire...

PHILIPPE, très sérieux. – Je n'en doute pas, j'ai déjà de la peine à me retenir.

LAURENT. – François !

PHILIPPE, paumé. – François... Quel François ?

LAURENT. – Un François qui connaît bien le théâtre...

PHILIPPE. – François Berléand ? (Signe négatif de Laurent.) François Cluzet ? (Idem Laurent.) Pas François Morel quand même ? (A actualiser avec des gens célèbres de votre connaissance.)

LAURENT, augmentant le suspense. – Un François qui connaît bien le théâtre... mais qui évolue aussi dans des sphères plus importantes...

PATRICE, participant à la recherche. – François Bayrou ? (Tête négative de Laurent à chaque énonciation.)

HUGUETTE, même jeu. – François Barouin ?

PATRICE, idem. – François Fillon ?

PHILIPPE, levant le doigt, comme un gamin. – François Coppé ?

LAURENT. – Tu me fais de la peine p'pa. Tu vois maman, accompagnée de ces ringards ?

PHILIPPE. – Noooon ! Me dis pas que c'est l'autre François... Flambi 1er de Hollande ? (Mimant.) Avec ses manches qui lui servent de gants et sa cravate qui tire à gauche...

LAURENT. – N'exagère pas non plus. Reste simple et cherche plus près de toi.

PHILIPPE, exaspéré. – Tu m'agaces avec tes devinettes, je donne ma langue au chat. Alors, qui c'est ?

LAURENT. – François Compard ! La grande classe, non ?

PHILIPPE. – Quoi ? François Compard ! Mon éditeur ! Cet invétéré coureur de jupons qui saute sur tout ce qui bouge un peu de la croupe...

PATRICE, en riant. – On s'emmerde pas chez les écrivains. Bon, allez, on reprend les exercices d'auto défense. (Il se dandine à nouveau devant lui.)

LAURENT. – Il serait ravi de t'entendre. T'as pas l'impression d'exagérer un peu, là ?

PATRICE, donnant une petite claque à Philippe. – Attention le visage !

Philippe se protège le visage, mais trop tard. Il grogne.

PHILIPPE. – On voit bien que tu ne le connais pas Compard. Un satyre, un pervers, un vrai malade, j'te dis ! (Affolé.) Oh putain Laurent, ta mère est en grand danger. Faut faire quelque chose tout de suite.

PATRICE, donnant un coup de plat de main dans le ventre bien dégagé à Philippe. – Attention le foie !

Même jeu de scène. Philippe se protège le ventre, mais trop tard. Il grogne à nouveau.

LAURENT. – T'es complètement parano, mon pauvre papa !

PHILIPPE. – Parano, moi ? Peux tu m'expliquer pourquoi Compard s'intéresse brusquement à ta mère alors qu'il l'a toujours ignorée jusqu'à présent ? Ah ah, ça t'en bouche un coin, ça !

Tout en parlant, Philippe garde une main sur le visage et une autre à hauteur de son ventre.

PATRICE, donnant un coup de pied sur le tibia à Philippe. – Attention les pieds !

Philippe accuse le coup en sautillant sur place et en grognant. Il va récupérer un bibelot assez lourd (ou un vase.) qu'il garde à la main en jetant un regard noir à Patrice. Pendant les répliques suivantes, ce dernier va tenter un dernier essai d'attaque surprise, mais devant la détermination (et le vase) de Philippe, il va abdiquer et commencer à ranger son matériel.

LAURENT. – Pas du tout, je peux t'expliquer... c'est parce qu'il...

PHILIPPE, le coupant. – C'est parce qu'il sait que nous sommes séparés et qu'il voit, en elle, une nouvelle conquête à ajouter à son tableau de chasse. L'ordure ! Le fumier ! S'en prendre à une pauvre femme sans défense intellectuelle... une proie tellement facile qu'avec petit coup de Tannhauser... hop... elle est déjà à moitié dans son lit...

HUGUETTE, le coupant. – Il n'a plus qu'à lui envoyer la chevauchée des vaches qui rient (Walkyries) pour la culbuter, ce salopard.

LAURENT. – Tu prends vraiment maman pour une pauvre conne.

PHILIPPE, avec un geste de la main. – Eh oh, je connais ta mère...

LAURENT. – Moi aussi, figure toi, je la connais bien ! Elle ne t'est pas restée 30 ans fidèle pour se jeter dans le pieu du premier pélican venu. Si elle a accepté de rencontrer François Compard, c'est parce qu'il est effectivement au courant de votre séparation et que, par sympathie pour le couple que vous étiez, il lui a proposé de l'aider...

PHILIPPE, avec suspicion. – D'accord d'accord... je vois venir le truc. Je t'aide ma cocotte mais en contre partie, tu passes à la casserole. (Il rit nerveusement.). Et une dinde sautée aux marrons... une !

LAURENT, corrigeant. – Pas du tout. Je vous aide en vous offrant un poste de secrétaire aux éditions Compard... et en contre partie...

PHILIPPE -HUGUETTE et PATRICE, suspendu aux lèvres de Laurent. – Et en contre partie... quoi ?

LAURENT. – En contre partie, vous me corrigez très rapidement votre manuscrit afin que je l'édite dans les plus brefs délais.

PHILIPPE, complètement paumé. – Quelle édition ? Quel manuscrit ?

LAURENT. – Le manuscrit que maman a écrit...

PHILIPPE. – Attends voir, c'est quoi cette embrouille. Ta mère a écrit un truc ?

LAURENT. – Apparemment oui. Mais je suis comme toi, je ne le savais pas et j'ai découvert ça l'autre soir.

HUGUETTE, le coupant. – C'est peut être son journal intime ?

PHILIPPE, cherchant une explication matchiste. – Elle a raison... Les femmes désoeuvrées font souvent ça pour se donner de l'importance et garder le contact avec la réalité...

LAURENT. – Maman m'a dit qu'elle avait écrit un roman en secret mais que, par respect pour toi et ton travail, elle n'avait jamais osé le présenter chez un éditeur...

PHILIPPE. – Oh la salooooope ! Elle fait de la concurrence à son propre mari.

LAURENT. – Ben non, puisque qu'elle ne l'a jamais fait éditer.

PHILIPPE. – Oui mais là maintenant ça y est ! Rien que pour m'emmerder, le Compard, il va le lui éditer son torche cul ! Quand je pense que depuis six mois il me fait retravailler mon manuscrit pour trois virgules mal placées et qu'il va lui prendre le sien, les yeux fermés. Tu sais comment ça s'appelle ça, hein, tu sais comment ça s'appelle ?

LAURENT. – De la découverte de nouveaux talents ?

PHILIPPE, mauvais. – Nouveau talent ? Laisse moi rire. Si ta mère avait du talent ça se saurait et je pense que je m'en serais rendu compte depuis longtemps. J'ai du pif pour ça...

PATRICE, moqueur. – Faut croire qu'avec vot' sinusite chronique vous n'avez rien senti venir. (Il rit.)

PHILIPPE. – Vous vous croyez spirituel sans doute ? Tout dans les muscles et rien dans le ciboulot. (Revenant à ses préoccupations.) Tu vas voir, son bouquin va sortir avant le mien. Elle va me griller sur le poteau ! Deux romans au même nom... c'est pas possible... me faire ça, à moi, son mari...

LAURENT. – Tu ne risques rien. Par délicatesse et pour ne pas te faire d'ombre, elle a pris un pseudonyme.

PHILIPPE, de mauvaise foi. – Elle a pris un pseudo ? Ah d'accord... En plus, madame a honte de porter mon nom !

LAURENT. – Non mais attend, faudrait savoir ce que tu veux ! De toute manière, tu n'es plus son mari et maman se considère comme veuve.

PHILIPPE. – Eh oh oh doucement ! Je ne suis pas encore mort. Elle a peut être hâte de me remplacer, mais faudrait pas qu'elle prenne ses désirs pour des réalités, la veuve joyeuse. (Remontant la ceinture de sa robe de chambre.) Non mais des fois !

LAURENT. – P'pa, c'est une image. Maman m'a dit que, dès votre première rencontre, elle t'avait follement aimé... très rapidement...

PHILIPPE, fièrement, se redressant. – Ah ouaiiiiis ? Elle t'a dit ça ?

LAURENT, du tac au tac. – Mais qu'aujourd'hui, elle espérait bien t'oublier aussi vite. D'où la métaphore du veuvage, tu comprends ? (Philippe plie les épaules sous le choc.)

PHILIPPE, égoïste à souhait. – Quelle ingratitude ! Après toutes ces années passées à mes côtés... à partager mes joies, mes angoisses, mes peines... et me faire mourir de sang froid à la première difficulté... c'est dégueulasse !

PATRICE. – Rassurez-vous, vous n'êtes pas encore à l'agonie. (En riant.) On vous entend bien râler mais c'est pas vraiment le râle de la mort... (Se dirigeant vers la porte.) Allez, à demain m'sieur Philippe pour la suite de la remise en forme. Et à mains nues, ce sera moins dangereux. (Il sort.)

Abattu, Philippe va s'asseoir sur le canapé et se met à grignoter des chips restant dans un paquet entamé.

PHILIPPE. – Tu vois Laurent, ce qui est terrible avec les femmes, c'est qu'elles changent avec le temps alors que nous, les hommes, on reste honnêtes avec nous mêmes. Pas de maquillage, pas d'artifice... sains et naturels jusqu'au bout.

HUGUETTE, ironique. – Et modestes...

PHILIPPE. – Et modestes absolument ! Parce que je connais un paquet de bonnes femmes, à ma place, qui cocoricoteraient pour moins que ça. Tiens, regarde ta mère... qui avait tout pour être heureuse... qui vivait sereinement et calmement, loin de la foule... Eh bien tu vas voir, elle ne va plus se sentir maintenant... c'est évident.

LAURENT. – D'un autre côté, c'est aussi la rançon de la gloire.

PHILIPPE, moqueur. – Doucement ! Elle n'a pas encore écrit le best seller de l'année que je sache. (Curieux.) Et comment il s'intitule son torche cul ?

LAURENT, rectifiant. – Son roman s'intitule « Le matcho ».

PHILIPPE, plié de rire. – Le matcho ?! Oh le titre ringard ! (Ne prenant pas ça pour lui ). Je ne sais pas où elle est allée puiser son inspiration...

LAURENT. – Va savoir... Elle m'a juste dit que toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé n'était pas fortuite mais qu'elle la laissait.. à la libre appréciation de chaque lecteur...

PHILIPPE. – En tout cas, c'est pas avec des citations comme celle-ci qu'elle va rafler le prochain Goncourt.

Nerveusement, il grignote des chips et en offre à Laurent qui refuse. Il peut refaire ce jeu plusieurs fois.

LAURENT. – Je ne pense pas que maman vise si haut. Le simple fait d'être éditée suffit déjà à son bonheur.

PHILIPPE. – A son bonheur ? Comme si le bonheur dépendait d'un vulgaire bouquin de littérature de gare. (Tendant une chips à Laurent.)Tu veux une chips ?

LAURENT. – Non merci. Et arrête de bouffer tes cochonneries, tu m'agaces à grignoter sans arrêt. On dirait un drogué de la chips.

HUGUETTE, s'invitant. – J'veux bien en grignoter quelques unes, j'ai rien mangé ce matin au p'tit déj. (Elle s'installe et pioche dans le paquet de chips tenu par Philippe.)

PHILIPPE, sans s'occuper de lui et grignotant encore plus fort. – C'est de la faute de ta mère si je suis devenu chipsomane.

LAURENT. – Chipsomane ! Allons bon, v'là aut' chose. Et en quoi maman est-elle responsable de ton intoxication ? T'es vraiment compliqué P'pa. Un coup tu la défends bec et ongles et le coup d'après, tu la traites comme une moins que rien.

PHILIPPE. – Je ne sais pas si tu te rends compte de la situation mon p'tit Laurent. Avoir choisi cette femme parmi d'autres pour ses qualités exceptionnelles... avoir vécu plus de trente ans avec elle... avoir réussi un beau garçon comme toi... et s'apercevoir, au bout de ce temps, qu'on s'est sans doute trompé... que ce n'était pas la femme de votre vie... qu'on a peut être raté le coche avec une des autres...

HUGUETTE, tout en grignotant. – Quel dilemme !

LAURENT. – Et c'est pour ces raisons que tu as viré maman ?

PHILIPPE. – Que voulais-tu que je fasse d'autre ? J'ai peut être mis la barre trop haut avec ta mère...

LAURENT, insidieusement. – Parce que tu n'as pas retrouvé, chez elle, ce qui t'avait plu chez Josiane ...

PHILIPPE, répondant sans réfléchir. – Voilà, c'est sûrement ça...

LAURENT, même jeu. – Pas plus que ce qui t'avait séduit chez Françoise et Jacqueline ?

PHILIPPE, idem, répondant sans réfléchir. – Sans aucun doute. (Réagissant brusquement.). Qu'est ce que tu viens de dire ?

LAURENT, calmement. – Je te parlais de Josiane, Françoise et Jacqueline... les trois anciennes femmes qui ont marqué ta vie avant ta rencontre avec maman.

PHILIPPE. – Eh oh oh oh ! Comment es-tu au courant des prénoms de ces trois femmes ?

LAURENT. – Je les ai trouvés dans ton bureau, sur des lettres bien cachées au fond d'un coffret.

PHILIPPE. – Ne me dis pas que t'as fouillé dans les affaires de ton père ?

LAURENT. – Si si, je te le dis. Mais rassure-toi, je n'ai pas lu les lettres... je cherchais juste les prénoms de leurs expéditrices.

PHILIPPE. – Encore heureux que tu ne les aies pas lues ! Non mais je rêve, faut pas t'emmerder ! Et ça te fait rire ?

LAURENT. – Oui parce que je trouve que tu es mal placé pour me faire des reproches. Quand je pense au nombre de lettres de mes copines que tu as décachetées pour savoir qui m'écrivait quand j'étais ado,...

PHILIPPE, se défendant maladroitement. – Je n'ai jamais décacheté tes lettres, tu me fais un procès d'intention. Tu n'as aucune preuve de ce que tu avances.

LAURENT. – Oh si, j'ai des preuves et je peux même te dire comment tu t'y prenais pour que ça passe inaperçu.

PHILIPPE, faisant le mariole. – Dis toujours, je serais content de savoir.

LAURENT. – Tu les plaçais tellement près d'une lampe électrique et tu mettais tellement de temps pour les lire par transparence que les enveloppes en étaient jaunies de roussissement par l'ampoule.

PHILIPPE. – D'accord, j'ai du le faire une fois ou deux... mais pas plus...

HUGUETTE. – J'le crois pas ! Oh le vicieux !

LAURENT. – Parce que c'était pas facile de déchiffrer une lettre pliée en quatre, quand les lignes se croisent et se superposent plusieurs fois entre elles, hein ? Cela a du être plus facile ensuite quand tu as carrément ouvert les enveloppes...

PHILIPPE. – Tu me prends pour un débile. Si j'avais ouvert tes enveloppes, tu l'aurais remarqué...

LAURENT. – Sauf quand on utilise la vapeur d'un truc qui chauffe sur le feu pour ramollir le papier... Ensuite on décolle lentement la languette de fermeture, on sort la lettre, on la lit tranquillement, on la remet dans l'enveloppe et hop, on recolle le tout. Ni vu ni connu et on connaît les secrets de son fiston. Tu sais que c'est une forme d'espionnage, ça ?

HUGUETTE. – Les courriers de vos copines de l'époque devaient être sacrément parfumés aux odeurs de cuisine. Tantôt potage d'asperge... tantôt à la brandade de morue...quand c'était pas à la soupe à l'oignon. Pour séduire, c'est moins efficace qu'un p'tit parfum Chanel, non ?

PHILIPPE. – Si ce que tu dis est vrai, tu te serais manifesté à l'époque...

LAURENT. – Si je n'ai pas réagi P'pa, c'est que j'étais touché que tu prennes soin de moi, discrètement, sans rien dire. Je me sentais en sécurité...

PHILIPPE. – Ouais bon, j'avoue...Tu étais jeune et tes fréquentations laissaient parfois à désirer. Je n'ai pas trouvé d'autres moyens pour te surveiller à ton insu. (Brusque ressaisissement.) Après tout, je suis ton père et c'était pour ton bien.

LAURENT, même jeu que lui. – Eh bien, comme il se trouve que je suis ton fils, c'est aussi pour ton bien que j'ai fait le curieux. Alors, nous sommes quittes.

PHILIPPE. – Et ça t'apporte quoi de connaître les prénoms de mes ex ?

LAURENT. – Eh bien ça m'apporte... qu'avec les prénoms, j'ai découvert les noms... qu'avec ceux-ci, j'ai trouvé les adresses... et qu'avec des adresses, on peut contacter des gens...

PHILIPPE, incrédule. – Non... tu ne vas pas me faire ça ?

LAURENT. – Pas facile l'enquête, mais tu sais, maintenant, avec internet, on retrouve tout le monde. (Citant.) Josiane Pralin célibataire ; Françoise Gampoin, mariée sans enfant et Jacqueline Taugier en instance de divorce... C'est fabuleux, non ?

PHILIPPE, au public. – Il l'a fait ! Oh le p'tit con, il l'a fait ! (A son fils.) Et que comptes-tu espérer de ces renseignements ?

LAURENT. – Tu m'as bien dit, il a dix minutes, que tu avais peut être laissé passer la femme de ta vie en choisissant maman ?

PHILIPPE. – Oui, certes oui... mais je ne vois pas le rapport...

LAURENT. – Le rapport, mon cher papa, c'est que je t'offre un flash back de quelques jours pour que tu vérifies par toi même... pourquoi... et avec qui tu as raté le coche.

PHILIPPE, se rebiffant. – Tu ne crois quand même pas que je vais me livrer à cette comédie ridicule ?

LAURENT, lui tenant tête. – P'pa... tu m'emmerdes ! J'en ai marre de te voir dans cet état... marre de te voir bousiller ta vie et celle de tes proches ! Alors tu vas rencontrer ces trois femmes tout de suite.

PHILIPPE, même jeu. – Des clous ! Si tu crois que je vais sortir de ma tanière, eh bien tu te mets un doigt dans l'oeil et l'autre... je sais bien où.

LAURENT, le mettant devant le fait accompli. – Pas besoin de sortir de chez toi, ces dames vont bientôt arriver ici.

Philippe, prenant conscience de la situation, commence à s'affoler et fait des va et viens dans la pièce.

PHILIPPE, affolé. – Tu leur as donné rendez vous ici ? (Tête affirmative de Laurent.) Toutes les trois ensemble ? (Même jeu de Laurent.) Dès ce matin ? (Même jeu.) Et elles ont bien voulu ? Oh putain ! Qu'est ce que je fais ? Où je vais ?  Qu'est ce que je dis ?

HUGUETTE. – Calmez vous, elles ne vont pas vous bouffer ces trois femmes.

LAURENT. – Au téléphone, elles m'ont paru très sympas et emballées par l'idée de te revoir. (Moqueur.) Alors P'pa.. heureux ?

PHILIPPE. – Alors toi, tu ne perds rien pour attendre !

LAURENT, regardant sa montre. – A ta place, je me grouillerais un peu pour être présentable parce que ces dames ne devraient pas tarder.

Philippe veut protester. Il ouvre la bouche et lève un bras puis se ravisant, vaincu, se dirige rapidement vers son bureau.

HUGUETTE. – Bon, eh ben, je vais vous laisser en galante compagnie. Je reviendrai demain matin finir le ménage dans les autres pièces. En plus, j'ai l'impression que ça lui a fait du bien, à vot'père, de rencontrer de nouvelles têtes. En général, j'ai le chic pour booster les gens. Allez, à demain. J'vous fais la bise.

Elle sort. Le téléphone portable de Laurent sonne. Il décroche.

LAURENT, tout excité. – Allo, c'est vous Josiane ? Ah pardon, c'est Françoise ? Non plus... Alors ça ne peut être que Jacqueline... Bonjour Jacqueline... Vous êtes arrivées toutes les trois ?... Oui oui, vous pouvez venir, je vous laisse la place... Non non, je ne serai pas loin, je vais aller préparer vos chambres parce que je pense que la journée n'y suffira pas... Entrez sans sonner, sa porte n'est pas fermée... Comment... ça vous étonne qu'il ait laissé sa porte ouverte, ce n'est pas dans ses habitudes... Eh oui, je sais mais figurez vous qu'il attend quelqu'un en permanence... Qui ça ?... Sa Pomponnette Jacqueline... sa Pomponnette !

RIDEAU

ACTE 2

Quelques instants plus tard... A l'ouverture du rideau, les trois femmes sont sur la scène et leurs trois bagages sont posés un peu partout. Ils seront le reflet de la personnalité de chacune : un sac de voyage très cool pour Josiane ; une valise avec plein d'estampilles de voyages pour Françoise et une lourde valise avec une grosse étiquette d'adresse pour Jacqueline. Leur habillement doit également être en rapport avec leur tempérament.

Josiane, décontractée, est assise sur le canapé et grignote des chips, tandis que Françoise se refait une beauté et que Jacqueline commence à mettre de l'ordre sur la table basse.

Laurent est monté dans les chambres et Philippe est encore dans son bureau.

JOSIANE, tout en grignotant des chips. - Il doit être drôlement sympa ce p'tit Laurent. Quelle bonne idée il a eu de nous rechercher et de nous réunir toutes les trois.

JACQUELINE, tout en rangeant. – Ouais, mais vous ne trouvez pas, les filles, que ça fait un peu réunion d'anciens combattants notre truc ?

JOSIANE. - Pourquoi tu parles d'anciens combattants ? On n'a jamais fait l'armée...

JACQUELINE. – C'est une image Josiane... une image... Tu comprends ?

JOSIANE, paumée. - Pas vraiment. De toute façon, si j'avais fait l'armée, j'aurais été exemptée de marche parce que j'ai les pieds plats.

FRANCOISE, moqueuse. – Y a pas que de marche qu'on t'aurait exemptée. Compte tenu de ton quotient intellectuel, on t'aurait réformée d'office.

JOSIANE. - Ah oui ? Et qu'est ce qu'il a mon quotient intellectuel ?

FRANCOISE. – Rien... sinon qu'il est aussi plat que tes pieds. T'as la tête et les panards dans le même état, ma pauvre fille !

JOSIANE. - Commence pas à me chercher !

JACQUELINE. – Du calme les filles. On pense d'abord au jeune Laurent.

FRANCOISE. – T'as raison. Je suis sûre qu'en plus, il doit être beau gosse, le gamin. J'ai hâte de le rencontrer...

JOSIANE. - Alors toi, tu n'as pas changé. La bagatelle, tu ne penses vraiment qu'à ça...

FRANCOISE, du tac au tac. – Si tu y avais pensé un peu plus à la bagatelle, Philippe n'aurait pas déserté ton plumard pour venir se réfugier dans le mien.

JOSIANE. - Tu fais vraiment dans la dentelle ma pauvre Françoise. En tous cas, moi, je l'amusais mon Fifi. Avec moi, il riait tout le temps... dès que j'ouvrais la bouche...

FRANCOISE, ironique. - Ah ben, tu m'étonnes...

JOSIANE. - Parfaitement ! J'étais intarissable sur les histoires drôles.

FRANCOISE. - Oui oui, je sais. Tes histoires belges à deux balles...

JOSIANE, fière. - En tout cas c'est très bien de faire rire les hommes, ça les excite.

FRANCOISE. - Non, tu confonds. Ce sont les hommes qui disent : « Femme qui rit est à moitié dans ton lit ». Désolé Josiane, ça ne marche pas dans l'autre sens. La preuve, il t'a quittée pour moi qui n'aime pas les histoires à dormir debout mais qui suis une experte dans celles horizontales...

JOSIANE. - Oui, eh ben, y'a pas que le sexe dans la vie... D'ailleurs, toute bombe sexuelle que tu étais, il t'a quand même quittée, quelques années plus tard, pour Jacqueline qui, excuse moi de te dire ça Jacqueline, pour Jacqueline qui n'avait rien, mais alors rien du tout de Pénélope Cruz (Ou autre star.).

JACQUELINE. – Je te remercie Josiane. Ah, qu'en termes élégants, ces choses là sont dites...

JOSIANE, innocemment. - Non, mais te fâche pas, ce n'est pas de ta faute, tu n'y es pour rien. On garde le physique qu'on a à la naissance. Tu ne vas non plus intenter un procès à tes parents et leur demander des dommages et intérêts. (Elle éclate de rire.) Si ça se trouve, eux aussi, ils étaient moches, ça suit souvent de famille ces tares là tu sais.

JACQUELINE, la regardant avec commisération. – Ouh là ! T'es pas comme le bon vin, toi. Tu ne t'es pas arrangée en vieillissant.

JOSIANE, toute fière. - Et pourtant je suis née en 1965 (A voir.) Un très bon millésime. La même année que Vincent Perrot, Julien Courbet, Jean Marc Morandini, Valérie Damidot, Pascal Obispo, Anne Roumanoff et même Rachida Dati (Chercher quelques personnages célèbres nés cette même année.) . C'est quand même pas rien...

JACQUELINE. – Ah la vache ! T'as pas l'impression de faire tache au milieu de tout ce beau monde ? Tu dois être l'exception qui confirme la règle.

FRANCOISE. – C'est impressionnant... Alors que moi, comme conscrit, j'ai Bébert Cognard, le boucher de St Crépin du Chignon. Il est très sympa mais personne ne le connaît.

JOSIANE, modestement maniérée. - Attendez les filles, c'était une année de stars mais je me la pète pas pour autant. Faut savoir rester modeste. (A Françoise.) Enfin, tout ça pour te dire Françoise, que même en le faisant vibrer au Kâma-Sûtra, il a fini par te larguer mon Fifi.

FRANCOISE. – J'ai toujours eu de la peine à être au four et au moulin. Alors, même en vivant d'amour et d'eau fraîche, il est arrivé un moment où monsieur a eu envie de nourriture plus consistante. Les petits plats cuisinés, que j'étais bien incapable de lui cuisiner, ont remplacé les séances de sport en chambre et l'eau fraîche s'est alors transformée en Bordeaux 1er cru. Et...

JOSIANE, la coupant en chantonnant sur l'air de Zorro. - Et et... Jacqueline est arrivée... ée...ée, sans se presser... er...er...

JACQUELINE. – Eh oui les filles ! En ce qui me concerne, pas d'histoires belges, pas de Kama Soutra, j'ai carrément appâté au bœuf miroton... Bon, il a fallu changer d'appât souvent parce que le poisson était exigeant et se lassait vite mais je peux me vanter de l'avoir ferré solidement pas mal de fois pour l'empêcher de se décrocher.

JOSIANE. - Enfin, pour toi aussi, ça s'est quand même terminé en queue de poisson. (Elle rit de ses propres blagues..) En queue de poisson... pour toi qui appâtait... elle est bonne celle ci, non ? (Personne ne rit.) Ah là là, ce que vous êtes coincées comme nanas !

JACQUELINE. – Faudra qu'un jour tu m'expliques où tu vas les chercher tes vannes. L'almanach Vermot ne doit pas te suffire ?

JOSIANE, toute contente. - Non non, je les entends à la radio et je les mémorise.

FRANCOISE. – Et tu es certaine de les ressortir dans le bon ordre ?

JOSIANE. - Ben oui parce qu'en général, je fais un tabac quand je les raconte... sauf avec vous. Vous êtes vraiment un mauvais public.

JACQUELINE, réaliste. – Dans l'immédiat, on n'est pas au spectacle. Si on résume la situation, Laurent, le fils de Philippe, a fait appel à nous car son père, notre ex compagnon donc, est en pleine déprime depuis qu'il a viré sa dernière compagne du domicile conjugal.

JOSIANE, toute fière. - J'aurais jamais pensé qu'un jour, je deviendrais assistante sociale.

FRANCOISE, incrédule. – Philippe en pleine dépression, j'ai un peu de mal à l'imaginer mais le gamin a été tellement persuasif que je n'ai pas hésité une seconde. Y' a que mon mari qui apprécie moyennement ma démarche. Il est tellement jaloux que je lui ai raconté que je m'absentais 48 heures chez ma mère malade.

JOSIANE. - Ah ! Parce que tu es mariée ?

FRANCOISE. – Ben oui, les bonnes marchandises se périment rarement sur les étalages. Et toi, t'es encore célibataire sans doute ?

JOSIANE. - Ben, en fait, j' suis comme un appartement un peu trop bruyant...(Têtes des autres.) J'ai beaucoup de visites mais personne ne veut signer le bail.

FRANCOISE. – Tu dois fatiguer les acquéreurs avec tes histoires belges Josiane... c'est lassant... Tu devrais changer de registre.

JOSIANE. - Tu crois ? (Françoise acquiesce de la tête.) Je vais remplacer les belges par des suisses, ce sera plus rigolo. (A Jacqueline.) Et toi, tu es mariée ?

JACQUELINE. – En instance de divorce...

JOSIANE. - Désolée, je ne savais pas.

JACQUELINE. – Je me doute bien que tu ne le savais pas sinon tu ne m'aurais pas posé la question.

JOSIANE. - Quand je vois toutes ces séparations de couple, eh bien, je ne regrette pas d'être restée seule. Et puis ensuite, tous les dommages latéraux que ça engendre... ouh là, moi ça m'affole...

FRANCOISE, rectifiant. – Tu veux dire les « dommages collatéraux » sans doute ?

JOSIANE. - Oui on peut les appeler comme ça, quand ils sont collés ensemble les dommages latéraux... Mais le pire, dans tous les cas, ce sont les enfants qui sont à plaindre quand les parents se déchirent...

JACQUELINE, faussement triste. – Eh oui ! Quand on lui a dit que papa et maman allait vivre chacun de leur côté, Jean-Louis nous a regardé avec ses bons gros yeux humides, les oreilles basses, la tête légèrement penchée sur le côté, la langue pendante, un filet de bave coulant de sa bouche grande ouverte, entre ses dents écartées... il ne comprenait rien au système de garde alternée.

JOSIANE, mimant les détails physiques. - Oh putain ! Il est trisomique en plus, le pauvre !

JACQUELINE. – Non, non. Jean-Louis est tout à fait normal.

JOSIANE. - On ne dirait pas... avec la description que tu en fais... Et il a quel âge, Jean-Louis pour être déformé comme ça ?

JACQUELINE. – Quinze ans. Personnellement, je l'aurais bien fait piquer, mais mon mari ne veut pas. Il dit qu'on l'a eu ensemble et qu'il faut assumer jusqu'au bout.

JOSIANE, révoltée. - Il a raison ton mari ! Mais tu es odieuse ! Il ne faut pas avoir beaucoup de cœur pour vouloir se débarrasser de son enfant et tout ça parce qu'à quinze ans, il bave encore un peu en tirant la langue...

JACQUELINE. – Qu'est ce que tu me racontes ? On n'a jamais eu d'enfant. Je te parle de Jean-Louis, notre berger allemand.

JOSIANE. - Je le crois pas ! Vous avez appelé vot' clébard Jean-Louis ? Vous êtes de grands malades tous les deux !

JACQUELINE. – Pourquoi ? C'est un prénom comme un autre.

JOSIANE. - Sauf que c'est un prénom d'humain et c'est aussi le prénom de mon père... et que maintenant, à cause de toi, je ne vais plus le regarder de la même manière mon papa... La prochaine fois qu'il va se gratter, j'aurai l'impression qu'il a des puces.

FRANCOISE, à Jacqueline, en riant. – Elle a raison, ça ne se fait pas. Imagine que son père se soit prénommé Rintintin et sa mère Lassie... Rintintin et Lassie Pralin, ça ferait cucul.

JOSIANE. - Parfaitement ! Les noms de chiens aux chiens et celui des humains aux humains... et les vaches seront bien gardées.

JACQUELINE, réaliste. – Bien ! Et si on abandonnait un peu les chiens pour revenir à nos moutons.

JOSIANE, instantanément. - Parce qu'en plus du berger allemand, vous aviez aussi des moutons ? (Têtes dépitées des autres.) Remarque, quand on n'a pas d'enfant, c'est bien de reporter son affection sur des animaux, ça prouve que t'es sensible... Moi, après ma rupture avec Fifi, je me suis acheté un perroquet...

FRANCOISE, agacée, voulant en finir. – Ah oui, c'était une bonne idée pour te tenir compagnie. Tu as du lui en raconter des histoires à ton jacquot...

JOSIANE, tristement. - Bien trop justement parce que le pauvre, il avait de la peine à me suivre... Vous voyez bien comment je fonctionne... une blague en amène une autre et ce perroquet qui était très intelligent...(Têtes des autres.) si si, il était intelligent, ça se voyait dans ses yeux... eh bien, il essayait de tout enregistrer et au bout de quinze jours, il a fait... il a fait... (Bloquée, émue.)

FRANCOISE, agacée, voulant en finir. – Il a fait quoi ?

JOSIANE, en larmes. - Il a fait un burn out ! Il a pété les plombs, quoi ! Je ne me rendais pas compte mais je lui en demandait trop. Sa cervelle d'oiseau n'a pas résisté... (En hoquetant.) Il a essayé de se suicider en entortillant sa chaîne autour de son cou...

FRANCOISE, se retenant de rire. – Alors toi, on peut dire que tu les collectionnes !

JACQUELINE, essayant de s'intéresser. – Et qu'est-il devenu ton Jacquot ?

JOSIANE. - Il est dans un hôpital psychiatrique vétérinaire. Il est bien soigné mais il ne sera jamais plus comme avant... Il ne connaît même plus son nom... Il dit qu'il s'appelle cageot au lieu de Jacquot... Vous vous rendez compte de sa confusion mentale...

FRANCOISE. – Quand on vit, ne serait ce qu'un mois avec toi, je ne vois pas comment on peut sortir indemne de la cohabitation...

JOSIANE. - Est ce que je te demande dans quel état sont les mecs qui sortent de ton lit, espèce de Mère Saline !

FRANCOISE. – Messaline Josiane, Messaline ! Pas de problème, je te rassure. Même qu'une fois sortis de mon lit, ils ne demandent qu'à y revenir, les mecs. Et je te signale quand même que moi, j'ai trouvé un acquéreur à MON appartement et que j'ai pas eu besoin de lui demander de caution. Il a sauté sur l'occasion... si j'ose dire.

JACQUELINE, un peu autoritaire. – Break les filles, ça suffit ! Je vous rappelle que nous sommes ici... en mission... afin de prouver à Philippe qu'il n'a raté le coche avec aucune d'entre nous et que nos ruptures étaient inéluctables et quasiment programmées...

JOSIANE. - Programmée, programmée, moi j'veux bien, mais si l'excitée du string n'avait pas trémoussé son croupion de façon provocante devant Philippe, eh bien, il serait encore avec moi, aujourd'hui, mon Fifi.

JACQUELINE, recalant la discussion. – Tu n'as pas bien compris la situation Josiane. Philippe nous a quittées toutes les trois pour des raisons diverses. Point barre, on ne revient pas là dessus. (Energique.) Alors terminées les vieilles rancunes... un peu de dignité, merde ! Et ne serait ce que pour le gamin qui souffre de voir son père vivre dans les regrets et les remords, on lance l'opération GPS ...

JOSIANE. - GPS ? C'est pour mieux savoir où on va ?

JACQUELINE. – Non. GPS... « Guérissons Philippe Sereinement »...

FRANCOISE. – Dis sur ce ton là, ça fait un peu plan ORSEC, ton truc !

JOSIANE. - Moi ça me rappelle plutôt le film « Il faut sauver Willy ». (Devant la tête ahurie des autres.) Vous savez, l'histoire du garçonnet qui a été sauvé par Flipper, un gentil petit dauphin... C'était vachement émouvant...

FRANCOISE -JACQUELINE, ensemble, énervées. – Josiane, on s'en fout !

JOSIANE. - Ah là là ! Vous n'avez vraiment aucun humour toutes les deux. (Bougonnant.) Bon, alors comment on procède pour le GPS ?

JACQUELINE, reprenant le commandement. – On procède le plus simplement du monde, en côtoyant Philippe pendant 24 à 48 heures, le temps qu'il nous redécouvre telles que nous sommes... ou plutôt telles que nous étions...

JOSIANE. - Pour moi, ça va être facile. On arrête pas de me dire que je ne change jamais... Par contre, pour vous...

FRANCOISE, moqueuse. – Aucun doute là dessus Josiane, je confirme, tu ne changes pas.

JACQUELINE, suivant son idée. – Donc, il nous redécouvre toutes les trois et comprend pourquoi il a lâché Josiane pour Françoise, viré Françoise pour Jacqueline et bazardé Jacqueline pour une quatrième femme qui, apparemment, n'a pas tenu la distance elle aussi.

JOSIANE. - Quelque part, si je comprends bien, on va toutes se prendre encore une deuxième gamelle quoi !

FRANCOISE. – Et si au bout des 2 jours, Philippe n'a toujours pas analysé le pourquoi de la chose, que fait-on ?

JACQUELINE. – On remballe tout et on décampe. Mais au moins, on aura aidé le jeune Laurent dans son entreprise et permis à notre ancien mec de faire le point avec lui même. Donc de se sentir moins responsable du passé.

JOSIANE, ingénue. - Et si brusquement il comprenait comment et avec qui il a merdé Fifi ? Ah ah, vous y avez pensé à cette solution ?

JACQUELINE. – Je ne vois pas pourquoi, il découvrirait aujourd'hui un élément qu'il n' a pas su voir il y a 25 ou 30 ans...

JOSIANE, laissant planer un doute. - Quand même, ça pourrait arriver...

FRANCOISE. – Elle n'a pas tort la dégommeuse de perroquet. Je me sens encore capable de lui faire de l'effet à Philippe.

JACQUELINE, se fâchant. – Pas de ça les filles ! Ce n'est pas dans le scénario de Laurent. On ne force pas le destin... on examine... on laisse venir... on se conduit comme autrefois... on le joue soft et cool. C'est compris ? (Elles ne répondent pas, boudeuses. Jacqueline, haussant le ton.) C'est compris ?

JOSIANE - FRANCOISE, ensemble, au garde à vous, très fort.– Oui chef !

JACQUELINE. – C'est bien, rompez !

A ce moment là, Philippe, toujours en robe de chambre et dans le même état de fraîcheur, sort de son bureau. Visiblement, il a beaucoup réfléchi et s'apprête à parler à son fils qu'il croit encore là.

PHILIPPE, parlant en entrant, sans regarder vers les femmes. - J'ai bien réfléchi Laurent, il est hors de question que je me livre à ta mascarade grotesque... (Il aperçoit les 3 femmes.) Oh putain, elles sont déjà arrivées !

Il essaie de fuir dans sa chambre, mais dans un même ensemble, les trois femmes, oubliant leur promesse commune, se jettent sur Philippe et le forcent à s'asseoir sur le canapé dans une cacophonie de paroles, chacune jouant dans son registre préféré.

JOSIANE – FRANCOISE - JACQUELINE, courant et se jetant sur lui en hurlant. - Philiiiiiippe!!!!

PHILIPPE, essayant de se protéger de partout. - Mesdames, mesdames... du calme... un peu de respect et de dignité s'il vous plaît... pour le modeste homme que je suis...

FRANCOISE, passant sa main dans ses cheveux. – Oui, mais quel homme... Tu n'as pas changé, toujours aussi jeune et beau...

PHILIPPE, essayant d'être drôle. - Il serait peut être temps que tu consultes un ophtalmo Françoise... ta vue laisse à désirer.

Elles vont l'entourer, l'embrasser, le cajoler et lui couper la parole chaque fois qu'il veut parler.

JACQUELINE, lui caressant le visage. – Tu n'as pas du manger bien équilibré pendant toutes ces années... Regarde moi cette mine de papier mâché ! (A voir selon le gabarit de l'acteur.). Je suis sûre que tu meurs de faim ?

PHILIPPE. - Non j'ai déjà grignoté quelques chips...

JACQUELINE. – Tu veux que je te prépare une petite salade ?

PHILIPPE, dépassé. - Oui... euh non... enfin... c'est à dire que...

JACQUELINE, l'assaillant de paroles. – Quelque chose de plus consistant ? Du poisson ? Une viande ? Un bœuf mironton ? Oh oui, un bœuf miroton ! Tu te souviens de celui que je t'avais préparé aussitôt après que tu aies viré Françoise ? Qu'est ce qu'on a pu rire ce soir là.

FRANCOISE, s'approchant de Jacqueline, menaçante. – Ah ouais... vous vous êtes marré le soir de mon largage ? C'est vachement sympa !

PHILIPPE, dépassé. - Je ne sais pas ... Je ne me souviens plus...

FRANCOISE, écartant Jacqueline. – Dégage ! Tu ne vas pas recommencer à le gaver comme une oie du Périgord !

JACQUELINE, faisant front, à Françoise. – Quand je te l'ai récupéré, tu l'avais tellement mal nourri qu'il était carrément en état de dénutrition. Il était gros comme une épingle à linge.

JOSIANE, à Jacqueline. - Et j'imagine qu'après ta rupture, du coup, il devait être tellement rondouillard qu'il allait sûrement plus vite à rouler qu'à marcher. (Elle rit de sa sortie. Hochements de têtes des autres)

FRANCOISE. – Et sexuellement mon Philippe, comment ça va ? Comment vis-tu cette abstinence ?

PHILIPPE, dépassé, avec un regard de chien battu. - Boooof...

FRANCOISE. – Pas trop déprimant ?

PHILIPPE, même jeu. - Boooof...

FRANCOISE. – Ca ne doit pas être drôle tous les jours mon pauvre chéri.

PHILIPPE, même jeu. - Booof...

FRANCOISE. – Dans quel état de délabrement elle t'a abandonné cette saloperie...

PHILIPPE, voulant réagir. - En fait... elle ne m'a pas abandonné, c'est plutôt moi qui...

FRANCOISE, le coupant. – Mais bien sûr, accuse toi pour elle. Je reconnais bien là ton grand cœur.

JOSIANE. - Lâche lui la grappe ! Puisqu'il te dit que c'est lui qui a largué sa dernière compagne.

FRANCOISE. – Sûrement contraint et forcé par des événements qu'il n'a pu contrôler, le pauvre amour.

PHILIPPE, voulant réagir à nouveau. - Ah non non non, pas du tout... En fait...

FRANCOISE, le coupant, dramaturge. – Regardez moi ce visage défait... triste... absent de vie et de désir... (Philippe se tâte le visage.). Je n'ose pas envisager l'état de ta libido...

PHILIPPE. - C'est pas un bon alibi la libido...

JOSIANE, écartant Françoise. - Je suis certaine qu'aucune d'elles ne t'a raconté d'histoires drôles pour te remonter le moral...

PHILIPPE, réagissant mollement. - Ben... c'est à dire que...

JOSIANE, aux autres. - J'en étais sûre ! Alors vous, à part le cul et la bouffe, on ne peut pas vous demander grand chose d'autre. Et son intellect à Philippe, ça vous aurait dérangé de lui entretenir, son intellect, avec une petite blagounette de temps en temps ?

PHILIPPE. - Laisse tomber Josiane, c'est pas grave...

JOSIANE. - Mais si c'est grave ça, c'est même très grave ! Il était grand temps que je revienne pour te faire rire. Tiens, attends, j'en connais une bonne (En mettant le ton et mimant.)  : « Un savant belge fait travailler une puce. Il lui dit : - Saute ! La puce saute. Ensuite, il lui coupe les pattes et dit : - Saute ! La puce ne saute pas, alors le savant belge note sur son carnet...

FRANCOISE - JACQUELINE, ensemble, la coupant, avec l'accent, blasées. – "Lorsqu'on coupe les pattes d'une puce, elle devient sourde, une fois."

JOSIANE. - Vous êtes chiantes ! Vous avez sabré tout mon effet. Heureusement que j'en ai plein d'autres en réserve.

FRANCOISE - JACQUELINE, ensemble, fatiguées. – Eh ben, on n'est pas sorties de l'auberge !

PHILIPPE, timidement. - Je ne voudrais pas abuser de ta patience Josiane...

JOSIANE. - Abuser de ma patience ? Alors que je suis prête à tout pour que tu retrouves le sourire. Eh, écoutez celle-ci, je suis sûre que personne ne la connaît : « Sur le bord du Nil, trois Belges regardent un crocodile dans l'eau et deux d'entre eux se mettent à lui jeter des cailloux. A un moment, le crocodile, en colère, s'approche de la rive, prêt à monter sur la berge. Les deux belges qui ont agacé le crocodile se sauvent et montent dans un arbre. Le troisième, lui, ne bouge pas. Les autres l'appellent et lui disent de se sauver. Alors l'autre leur répond : "Et pourquoi je me sauverais, c'est pas moi qui lui ai jeté les cailloux, une fois."

Elle est pliée de rire et se tient les côtes alors que tous les autres restent impassibles en la regardant.

JOSIANE, tout en riant. - Ah le con ! Comme il n'a pas jeté les cailloux, il s'imagine que le crocodile ne va pas le bouffer. Vous avez pigé le truc... il attend comme un innocent en pensant que le croco ne va s'en prendre qu'à ses potes... Ah le con ! (Insistant.) Vous avez compris ?

FRANCOISE, agacée. – Oui oui, c'est bon là, je crois que ça va aller...

JACQUELINE. – Avec ton complément d'explications, ça devient tout de suite très lumineux.

JOSIANE. - Pourquoi vous ne riez pas, alors ?

FRANCOISE. – Mais j'ai ri Josiane... Tu ne m'as peut être pas entendu parce tu étais, toi même, en plein fou rire, mais je t'assure que j'ai ri. Un rire bref, certes, mais ô combien concentré et joyeux. (Josiane interroge Jacqueline du regard.)

JACQUELINE. – Moi aussi ! Ton histoire est merveilleusement bien racontée et j'ai eu beaucoup de plaisir à l'entendre. Mais, chez moi, tout comme les grandes douleurs, mes grandes joies sont toujours muettes...

JOSIANE, admirative. - Ah c'est beau comment que tu causes ! (Revenant à son idée.) Je vais vous en raconter une autre...

FRANCOISE - JACQUELINE, ensemble, la coupant. – Plus tard !

JACQUELINE. – Celle ci était trop bonne, laisse nous le temps de la digérer tranquillement.

FRANCOISE. – De nous en imprégner un max en attendant les suivantes qui ne manqueront pas d'arriver.

JOSIANE, toute contente. - C'est quand vous voulez, je suis intarissable. Je peux vous en raconter jusqu'au bout de la nuit.

FRANCOISE. – On va peut être faire un break parce que j'ai pas vraiment envie de finir comme ton perroquet.

JOSIANE. - Tu peux rire, n'empêche que c'est le risque quand les histoires sont trop intellectuelles... et que les auditeurs ont de la peine à les comprendre.

Laurent apparaît sur le palier.

LAURENT. – Bonjour mesdames ! Vous avez fait connaissance ? (Il descend l'escalier.)

Elles vont au devant de lui et Philippe en profite pour tenter une sortie en douce. Il va être rattrapé par Josiane qui le ramène à son fauteuil, comme un malade.

JACQUELINE. – Pas vraiment besoin. Bizarrement, nous sommes toujours restées plus ou moins en contact, toutes les trois, depuis nos ruptures respectives.

JOSIANE. - On aurait presque pu monter l'ADSL ensemble...

FRANCOISE. – Tu peux nous expliquer, Josiane ce qu'internet vient fiche là dedans ?

JOSIANE, toute contente. - ADSL... Amicale Des Séductrices Larguées. C'est drôle non ?

Laurent est arrivé en bas de l'escalier. Il les embrassera toutes les trois au fur et à mesure des présentations. Pendant ce temps, profitant de l'inattention générale, Philippe se relèvera lentement de son fauteuil et essaiera de s'éclipser vers son bureau. Il sera rattrapé à chaque fois, par chacune des trois femmes et ramené gentiment vers son fauteuil où il reprendra place sans mot dire, pour recommencer discrètement dans la minute suivante. Même jeu à répéter plusieurs fois selon la longueur de la scène en cours.

LAURENT, allant vers Josiane.– Si j'en juge par votre humour, vous devez être Josiane ? (Il l'embrasse.)

Philippe essaie de s'éclipser en douce. Jacqueline le ramène. Même jeu qu'avec Josiane.

JOSIANE. - Bingo! Du premier coup ! Vous avez vu, on peut difficilement me rater. (Têtes des autres.)

FRANCOISE. – Je dirais même que c'est carrément impossible !

LAURENT, regardant les 2 autres, indécis.– Là... j'hésite entre Jacqueline et Françoise...

JOSIANE. - Normal ! Aucune différence notoire d'apparence. Elles sont d'une banalité toutes les deux... (Les lui présentant.) Françoise, la nymphomane en rut qui m'a succédée dans la vie de vot' père... enfin, de ton père... (Réaliste.) Eh, on peut se tutoyer, ce serait plus cool, non ?

LAURENT.– Pas de problème... oui oui, ce sera plus cool.

JOSIANE. - Et puis eh, si je n'avais pas été virée pendant mon CDI, va savoir, j'aurais peut être pu être ta mère...

FRANCOISE, aguicheuse. – Quant à moi, je ne regrette pas le non renouvellement de mon contrat. Je serais jalouse d'avoir un fils aussi sexy et de ne pouvoir le regarder qu'avec des yeux de mère... (Elle l'embrasse.)

JOSIANE, lui cassant son jeu. - Des yeux de mère... des yeux de mère... des yeux de mer...lan frit, oui ! Attention mon p'tit Laurent, cette bombe sexuelle saute dangereusement sur tout ce qui porte pantalon et braguette. (Laurent préfère en rire.)

FRANCOISE. – Jalouse ! Toi tu ne seras jamais qu'une petite bombe artisanale ma pauvre Josiane... un banal pétard du 14 juillet qui essaie, bien péniblement, de se faire sauter au moins une fois par an.

JOSIANE, hautaine. - La quantité ne fait la qualité, madame ! Je dirais même que c'est bien souvent inversement proportionnel. Et toc !

FRANCOISE. – Fais gaffe, t'es pas habituée aux grandes envolées lyriques... tu vas te choper une migraine

LAURENT, voulant désamorcer le conflit.– Et voilà donc Jacqueline. (Il l'embrasse à son tour.)

Troisième tentative d'évasion de Philippe. C'est Françoise qui, cette fois ci, le ramène au fauteuil. Mine contrite de Philippe qui accuse le coup à chaque fois devant le regard réprobateur des 3 femmes.

JOSIANE, se vengeant sur Jacqueline. - Jacqueline ! Le Alain Ducasse de la bouffe ! Le Troigros de la séduction ! Le Joël Robuchon de l'amour ! (Voir noms de cuisiniers célèbres actuels.)

JACQUELINE. – Tu commences à nous gonfler grave, Josiane !

JOSIANE. - La gaveuse d'oie... l'appâteuse au bœuf miroton... (Comme un slogan publicitaire, moqueuse.) Avec l'appât Jacqueline... aucun mec ne s'débine ! (Signe de tête vers Philippe.) Enfin en principe...

LAURENT.– Soyez sympa Josiane, ne jetez pas d'huile sur le feu, n'agacez pas vos copines inutilement.

JOSIANE. - Mes copines, mes copines, c'est un bien grand mot. Mes rivales plutôt !

LAURENT.– En tout cas, je vous remercie à nouveau, toutes les trois, d'avoir répondu favorablement à ma demande et...

TOUTES, ensemble, le coupant.- C'était la moindre des choses...

LAURENT.– Et de bien vouloir aider papa à émerger du pétrin moral dans lequel il se débat depuis le départ de maman...

TOUTES, ensemble, minaudant.- Pas de problème !

LAURENT.– Je suis conscient du risque pris par chacune d'entre vous, ne serait-ce que sur le plan sentimental et affectif de votre vie privée, et je vous en sais gré.

JOSIANE. - En ce qui me concerne, le risque est inexistant... ma vie sentimentale est aussi plate qu'une limande sur un banc de sable...

JACQUELINE. – Pas de lézard pour moi... l'impossibilité d'avoir des enfants conduit doucement notre ménage au divorce.

JOSIANE. - Ah d'accord ! Je comprends mieux le prénom de ton chien et l'adoption des moutons. (Têtes de tous.) Tu devrais vraiment te faire psychanalyser Jacqueline, je t'assure, ça te ferait énormément de bien... (A Françoise.) Et toi, Mère saline, tu ne crains rien avec ton mari ?

FRANCOISE. – Même pas peur et tu ne vas pas me croire... j'adore le risque !

LAURENT.– P'pa a été emballé à l'idée de vous revoir, vous ne pouvez pas imaginer...

Tête bougonne de Philippe et têtes incrédules des autres.

JACQUELINE, le regardant. – On a de la peine à l'imaginer, en effet.

FRANCOISE, même jeu. – Au premier abord, c'est pas évident...

JOSIANE, spontanée. - Faut voir au deuxième rabord... peut être qu'il cache vachement bien sa joie.

LAURENT.– Bon d'accord, au début, il a été un peu surpris par l'idée. Mais ensuite, il a complètement adhéré au projet. N'est ce pas P'pa ?

PHILIPPE, secouant la tête comme un gamin.- Oh oui oui oui oui oui !

LAURENT.– Voyez, je ne le lui fais pas dire. Eh bien souris P'pa, ne fais pas cette tête d'enterrement.

PHILIPPE, à son fils, en lorgnant les trois femmes.- J'ai l'impression qu'elles ont acheté un billet de bourriche et qu'elles attendent de gagner le panier garni.

JOSIANE. - Le panier garni ! Elle est bonne celle-ci. Tiens ça me rappelle l'histoire d'un belge qui avait trouvé un panier de champignons et qui...

FRANCOISE - JACQUELINE, ensemble, la coupant. – Josiane, on s'en fout de tes champignons !

JOSIANE. - Ah là là ! Les boufonnes ! C'est pas facile de détendre l'atmosphère avec vous.

FRANCOISE, moqueuse et gouailleuse. – Atmosphère, atmosphère ! Ah c'est sûr que t'es pas loin d'en avoir une tête d'atmosphère, toi !

Depuis quelques répliques, ne pouvant plus s'échapper, Philippe est très gêné et ne cesse de bouger sur son fauteuil.

PHILIPPE, essayant de se lever.- Je ferais mieux de m'en aller parce que vous vous disputez à cause de moi.

TOUTES, lui appuyant sur les épaules pour le faire asseoir.- Mais non, mais non...

PHILIPPE, essayant de se relever.- Mais si, mais si, je vois bien que j'embête tout le monde...

JACQUELINE, le forçant à s'asseoir. – Mais c'est que ça nous ferait un petit complexe d'infériorité, ça madame...

JOSIANE. - A se prendre pour un panier garni...(Repartant sur son histoire.) comme mon belge qui...

FRANCOISE, la coupant sèchement. – Qui nous emmerde ! (Aguicheuse, à Philippe.) J'espère, mon cher Philippe, que le panier est toujours aussi bien garni qu'il y a quinze ans...

PHILIPPE, riant jaune en se forçant.- Ah ah... ah ah ah... ah ah ah ! Très drôle.

LAURENT.– Bien. Je pense qu'il serait temps de procéder à notre flashback et de nous retrouver trente ans en arrière. Faîtes comme si je n'étais pas là puisque, de toute façon, je n'y étais pas, et comportez vous le plus naturellement du monde avec papa, comme vous le faisiez à cette époque. (Prenant une partie des valises.) Je monte vos bagages dans vos chambres. Et toi, P'pa, essaie d'être un peu plus présentable. (Il monte l'escalier.)

PHILIPPE, allant vers sa chambre.- Je vais prendre une douche.

Les trois femmes sont seules.

JACQUELINE, avec un ton de commandement. – Je déclare officiellement lancée... l'opération GPS !

JOSIANE, avec la voix de l'opératrice GPS, débarrassant la table table – Au carrefour central... faire le tour de la table basse... débarrassez la de ses encombrants et prenez la sortie à votre gauche. (Elle sort côté cuisine.)

JACQUELINE, amusée, sur le même ton, pour elle. – Prenez la direction de la cuisine... troisième sortie puis... ouvrez le réfrigérateur et préparez le repas de midi. (Elle part côté cuisine.)

FRANCOISE, jouant le jeu également. – En raison d'un trafic important sur votre zone... prenez la première à droite et avancez jusqu'à la chute d'eau, merveilleux site touristique où vous trouverez les autochtones dans leur plus simple appareil. A ne manquer sous aucun prétexte. Prenez la première à droite et avancez jusqu'à la chute d'eau ... (Elle entre dans la chambre de Philippe.)

Laurent, qui ressortait des chambres pour chercher la dernière valise, assiste à la scène. Il s'appuie sur la rambarde du palier, dépité.

LAURENT.- Ouh là ! Eh ben, c'est pas gagné d'avance c't'affaire !!!!

RIDEAU et ENTR'ACTE

ACTE 3

Le même jour, quelques heures plus tard, à la fin du repas de midi. Ils sont encore tous à table. Apparemment, ils ont terminé de déjeuner et la table est encombrée d'assiettes et de plats...Josiane s'est confectionné un cornet en papier ou en carton qu'elle a rempli avec des frites restant dans un plat.

JOSIANE, mimant.- Alors, c'est l'histoire d'un belge qui tient un cornet de frites à la main. Il est abordé par un passant qui lui dit : « Vous pourriez m'indiquer l'heure une fois s'il vous plaît. »  (Elle tourne le poignet pour regarder sa montre et renverse ses frites.) Ah sacrebleu, toutes mes frites sont tombées par terre ! ». Agacé, il les ramasse (Ce qu'elle fait.) et les remet dans son cornet sous l'oeil amusé du passant. Une fois les frites ramassées, le passant lui dit : « Vous pourriez me redonner l'heure encore une fois s'il vous plaît ? » . Le belge lui répond : «  Eh oh, vous ne m'aurez pas deux fois de suite ! » (Ce disant, elle fait un superbe bras d'honneur qui propulse toutes ses frites en l'air.)

Elle éclate de rire, entraînant Philippe avec elle. Laurent, amusé, ramasse les frites éparpillées autour de la table, aidé par Jacqueline mécontente. Françoise, complètement abasourdie, se tient la tête entre les mains, coudes posés sur la table.

PHILIPPE, tout joyeux, exubérant.- Excellente ! Je crois que c'est la meilleure de toutes.

JACQUELINE.- Il était temps, on arrivait quand même à la vingtième tentative.

PHILIPPE, la félicitant.- Tu n'as pas ton pareil pour raconter les histoires.

JOSIANE.- Faut y mettre le ton et faire vivre ton histoire, autrement ça risque de faire un bide.

PHILIPPE.- Quelle fraîcheur Josiane, quelle spontanéité ! Tu es vraiment très drôle.

JOSIANE, pour les autres.- Y'en a au moins un, ici, qui apprécie mes talents de conteuse.

PHILIPPE, excité au souvenir – Quand je pense à toutes ces années passées sans tes histoires... mais comment j'ai fait pour tenir le coup ?

JOSIANE.- Tu te souviens... dès que tu avais un petit coup de blues ou un manque d'inspiration... hop, je te racontais une petite blague et, aussitôt ragaillardi, tu t'enfermais dans ton bureau pour reprendre le cours de tes écritures...

PHILIPPE, ému – C'est vrai. Je m'en souviens comme si c'était hier.

FRANCOISE, vacharde.- On ne sait pas s'il partait inspiré... ou désespéré par tes blagues vaseuses.

JOSIANE.- Jalouse !

PHILIPPE, rêveur, l'air béat – C'était le bon temps...

JOSIANE.- En attendant, je ne lui fais pas dire. (A Philippe.) Comme disait Balzac, je peux t'aider à la recherche du temps perdu.

JACQUELINE, rectifiant.- Proust, Josiane !

JOSIANE, étonnée.- Pourquoi tu veux que je me pousse, on n'est pas serrés à table.

JACQUELINE.- Pas pousse, Proust ! Je ne te demande pas de te pousser, je te dis simplement que c'est Proust qui a écrit « A la recherche du temps perdu », pas Balzac.

JOSIANE.- T'es sûre ? C'était pas Marcel Balzac ?

JACQUELINE.- Eh non ! C'était bien un Marcel... mais Marcel Proust. Tu avais la moitié de la réponse. Cinquante pour cent de réussite, c'est déjà un sacré score pour toi.

JOSIANE.- Oui oui, ça me revient maintenant. Marcel Balzac, c'était « Les misérables ». Je confonds toujours ces deux écrivains.

FRANCOISE.- C'est le moins qu'on puisse dire. Essaie au moins de te rappeler que c'est dans «  la recherche du temps perdu » que Proust parlait de sa madeleine.

JOSIANE.- J'aurai au moins appris quelque chose. Je ne connaissais même pas le prénom de sa femme dis donc !

FRANCOISE.- Eh ben ! Si les humoristes belges apprenaient ton existence, ils pourraient en raconter des histoires à leur tour...

JOSIANE.- Enfin bref ! Vous remarquerez, les filles, que c'est la première fois, depuis que nous sommes arrivées, que Philippe semble nostalgique de son passé. Et cela, grâce à qui ?

JACQUELINE, intervenant.- Sans vouloir t'offenser Josiane, je pense que mon poulet rôti -frites, même préparé à la va-vite, lui a, aussi, rappelé de bons souvenirs. N'est ce pas Philippe ?

PHILIPPE, excité au souvenir – Oh oui ! La sortie de mon troisième livre... le petit troquet sur les quais... on crevait de faim... on a pris le premier plat du menu... le poulet frites du patron... Carrément dégueulasse...Tu m'as dit, je t'en ferai de meilleurs à la maison...

JACQUELINE.- Et je t'en ai cuisiné un... chaque dimanche midi... pendant...(Elle marque un arrêt.) … pendant tout le temps où nous sommes restés ensemble.

PHILIPPE, rêveur, même jeu qu'avec Josiane – C'était le bon temps...

JACQUELINE, contente, aux autres.- Eh... moi aussi, je ne lui fais pas dire.

JOSIANE.- Poulet rôti -frites... avec de la moutarde ?

JACQUELINE.- Evidemment.

JOSIANE.- De la moutarde douce ou de la moutarde forte ?

JACQUELINE.- De l'extra forte de Dijon bien sûr, pour un grand garçon comme lui.

JOSIANE.- T'étais peut être pas au courant qu'il ne lui fallait pas de moutarde à Philippe … à cause de ses hémorroïdes !

PHILIPPE, ennuyé – Josiane, ça devient gênant...

JOSIANE.- Gênant, c'est le mot juste. (A Jacqueline.) Le médecin lui avait interdit tous les excitants et toi, tu n'as rien trouvé de mieux que de le gaver de moutarde. La crise hémorroïdaire aiguë lui pendait au nez, comme une épée de la « dame aux clebs » au dessus de sa tête ...mais ça, toi, tu t'en moques complètement.

FRANCOISE, aux autres.- Je ne voudrais pas vous décourager les filles, mais pendant que vous vous activiez à vos basses besognes matérielles, j'ai pu, de mon côté, vérifier le bon état de marche de notre ex compagnon...

JOSIANE-JACQUELINE, ensemble.- Quoi !!!

PHILIPPE, ennuyé – Françoise, s'il te plaît....

FRANCOISE.- Rassurez vous, c'était en tout bien, tout honneur. Je lui ai juste frotté le dos, sous la douche mais cela a suffi à lui provoquer quelques réactions neuro-musculaires incontrôlées... et prometteuses d'un prompt rétablissement... Eh oui, chacun son domaine de prédilection, pas vrai ? (A Philippe.) Reconnais que tu adorais la douceur et l'efficacité de mes massages, non ?

PHILIPPE, rêveur, béat, même jeu qu'avec les autres – C'était le bon temps...

FRANCOISE, aux autres.- Vous constaterez que, moi aussi, je ne le lui fais pas dire...

LAURENT, amusé, à son père.- Pour un gars qui trouvait mon idée saugrenue, je trouve que tu réagis plutôt bien au traitement.

PHILIPPE. C'est tellement émouvant de vous voir là, vous qui avez marqué des moments importants dans ma vie et qui êtes là, aujourd'hui, à vous activer autour de moi comme si j'étais malade et que ma dernière heure était arrivée... (Exagérément au bord des larmes.)

FRANCOISE.- Mais quelque part, tu es malade, Philippe...

PHILIPPE, inquiet, se touchant le corps – Ah bon ? La tête... le cœur ?

JACQUELINE.- Calme toi, ce n'est pas grave, ça va aller. Et puis, nous sommes venues tout spécialement pour te guérir.

JOSIANE.- Pas grave, pas grave, faut jamais cacher la vérité aux malades. A nos âges, tout peut arriver. Les trois quarts des accidents cardiaques sont dus à du stress consécutif aux petits tracas quotidiens. C'est prouvé scientifiquement.

JACQUELINE.- Ah oui ! Et ta bêtise, c'est scientifiquement prouvé qu'elle s'aggrave d'année en année ?

JOSIANE, hautaine, se trompant.- La bave de la grenouille n'atteint pas la blanche tourterelle... que je suis !

FRANCOISE.- Il aurait été bien étonnant que tu ne ramènes pas ta science sur le tapis. T'obtiendrais plus facilement un prix Nobel de connerie qu'un prix Nobel de médecine, toi !

JOSIANE.- C'est bien à toi de causer ! Pour ce que tu connais du corps humain... à part les étages inférieurs.... Je t'aurais bien vu faire des études en Urologie. Françoise Gampoin, quéquettologue de 1ère classe ! J'suis sûre, qu'en plus, t'aurais eu droit à des bourses gratuites pour faire tes études. (Elle rit.)

FRANCOISE, se forçant à rire.- Ah ah ah, très drôle. Belges ou pas, tes vannes sont toujours aussi nulles. En plus de se croire amuseur public, madame se prend sans doute pour une grande cardiologue ?

JOSIANE, avec grandiloquence.- Non ma belle ! Mais moi, je sais parler au cœur... avec le cœur.

FRANCOISE, applaudissant – Magnifique ! (Moqueuse.) Tu as trouvé cette réplique dans un bouquin de Marcel Balzac ?

JOSIANE, avec snobisme.- Même pas ! C'était dans le dernier épisode du feuilleton de Femme actuelle : « L'impossible amour de Jessica ». Ah ah, ça t'en bouche un coin ! Tu ne connais pas tous les classiques, ma petite vieille. Et toc !

JACQUELINE.- Vous ne trouvez pas qu'on s'égare encore un peu en ce moment ?

PHILIPPE.- Ne vous fâchez pas... ne gâchez pas le plaisir que j'ai à vous retrouver, comme si c'était hier...

LAURENT.- Eh bien justement P'pa, ferme les yeux et imagine que nous sommes hier... Ou plutôt tu imagines il y a trente ans... (Tête de Philippe.) Allez allez, ferme tes yeux, concentre toi et réfléchis.

Il s'exécute. Silence général, tout le monde l'observe. On a l'impression qu'il dort. Encore quelques secondes et puis...

JOSIANE-JACQUELINE-FRANCOISE, ensemble.- Alors ?

PHILIPPE, ouvrant les yeux.- Alors quoi ?

LAURENT.- Qu'est ce que tu as vu ?

PHILIPPE.- Rien, j'avais les yeux fermés.

LAURENT, agacé.- C'est pas possible ! Je veux dire, qu'as-tu ressenti ?

PHILIPPE, béat.- Beaucoup de plaisir... de bonheur... d'insouciance... de regrets, de remords... de jeunesse... de ...

LAURENT, agacé, le coupant.- Stop P'pa ! Le but de cette « reconstitution historique » n'est pas de savoir ce que tu as aimé chez ces trois femmes, mais ce qui t'a déplu chez l'une ou l'autre d'entre elles au point de les avoir congédiées toutes les trois ! On est bien d'accord ?

PHILIPPE.- T'es marrant toi ! Comment veux-tu que je réponde aussi vite. Si tu t'imagines que c'est facile de localiser un fragment de vie caché parmi plus de trente années bien remplies... (Plus calmement.) Je crois que je n'ai pas suffisamment remonté le temps... Faut que j'analyse positivement chaque situation avec le plus de calme et d'impartialité possibles.

LAURENT.- Eh bien, je crains que 48 heures n'y suffisent pas.

FRANCOISE.- En même temps, compte tenu de l'incertitude du résultat, je ne voudrais pas passer mes vacances ici.

JOSIANE.- Ouais t'as raison ! (Moqueuse.) Et puis y a ton mari qui doit t'attendre à la porte du garage, dans sa superbe auto.... Moi je m'en fous, je suis seule. Quant à Jacqueline, Je suis sûre que son Jean-Louis a du tremper la moquette en bavant d'inquiétude depuis son absence...

PHILIPPE, surpris.- Jean-Louis... t'as un mari qui bave ?

JOSIANE.- Son chien ! (Têtes de Laurent et de son père.) Eh oui hein, ça surprend. Azor et Médor étaient déjà pris alors, elle a cherché un prénom sur le calendrier des postes, mais merde dis donc, y avait pas de noms de chiens là dessus. A part Saint Bernard... mais ça collait pas avec le gabarit de la bête.

LAURENT.- Faut avouer que c'est original.

JOSIANE.- Original ?  ! Carrément débile, oui ! Comme ça devait être l'année des J, elle a chopé Jean-Louis au hasard. Ca aurait pu être Julien ou Joseph tout pareil.

JACQUELINE.- Mais je te rassure, si ça avait été une femelle, je n'aurais pas choisi Josiane. Pauvre bête... pas un prénom facile à porter quand on te connaît.

JOSIANE, elle tape dans ses mains en signe de départ.- Allez Jacqueline, faut pas traîner à rentrer... t'as tout ton cheptel de moutons à nourrir.

JACQUELINE.- Ben tiens donc ! Pour te laisser la voie libre ? (Montrant son front à Josiane.) Tu vois quelque chose de marqué là haut ?

JOSIANE, regardant.- A part une flopée de vilaines rides, j'vois rien d'autre.

JACQUELINE.- Laisse tomber ! (Reprenant le commandement.) Compte tenu du peu de temps dont nous disposons, je conseille de booster le plan GPS, avec RMC...

JOSIANE.- RMC ! Je le crois pas ! Tu veux faire intervenir Jean-Pierre Foucaud de la radio ? T'en fais pas un peu trop ?

JACQUELINE.- GPS... Guérissons Philippe Sereinement...RMC... Remèdes et Moyens Conséquents.

FRANCOISE.- Ce qui veut dire que nous avons « carte blanche » ?

JACQUELINE.- Affirmatif !

JOSIANE.- Je pourrai raconter autant d'histoires que je voudrai ?

JACQUELINE.- Hélas oui...

PHILIPPE, inquiet, se levant et allant vers le canapé.- Qu'est ce que vous allez me faire ? On ne pourrait pas laisser les choses se décanter tranquillement...

Elles vont, à nouveau, s'occuper de lui à outrance. Laurent commence à desservir la table en faisant des allers retours et en jetant un coup d'oeil à chaque passage dans la pièce.

FRANCOISE, rejoignant Philippe.- Viens te reposer un petit moment, ça te fera digérer. Allonge toi, je vais te masser...

Elle lui pose des coussins dans son dos et lui allonge ses jambes sur la table basse du salon. Elle remonte ses bas de pantalon et commence à lui masser les mollets.

JOSIANE, voulant être utile.- Cigarette... cigare... digestif ?. (Elle part rapidement vers le bureau)

JACQUELINE, même jeu.- Tu as assez mangé ? Veux-tu un autre dessert ? Attends, ne bouge pas... (Elle part rapidement vers la cuisine.)

Restée seule avec Philippe, Françoise lui relève la jambe, pose le talon sur son épaule et lui masse doucement le mollet. On croirait voir une harpiste jouant de la harpe. On peut envoyer une petite musique adéquate tandis que Philippe est aux anges. Voir la longueur de cette scène en fonction de l'effet produit...

JOSIANE, revenant avec coffret à cigarettes et verre de cognac à la main.- Et un cognac, un ! Chaud devant !

FRANCOISE.- Tu ne vois pas qu'il est en pleine relaxation ?

JOSIANE.- Je vois surtout que tu es en train de lui tripoter les guibolles. Tu comptes remonter le courant jusqu'à la source ?

PHILIPPE, bien aise.- C'est fou le bien que ça me fait...

JOSIANE, jalouse.- Ah ouais ? (Elle lui plante un cigare entre les lèvres, lui met d'office le verre de cognac dans une main et une cigarette dans l'autre.) Tiens, c'est un complément de traitement !

Il reste là, tout penaud, cigare au milieu de la bouche, les deux mains occupées et les bas de pantalon relevés.

JOSIANE.- Avec en prime, l'histoire du belge qui...

JACQUELINE, arrivant avec un petit pot de compote.- Ah non ! Tu ne fumes pas avant d'avoir mangé ton dessert.

PHILIPPE, marmonnant, gêné par le cigare.- Déja agé du oyage...

JACQUELINE, s'adressant aux autres.- Qu'est ce qu'il dit ?

FRANCOISE-JOSIANE, ensemble.- Déja agé du oyage.

JACQUELINE.- Je vous remercie, j'avais compris. (Elle retire le cigare de la bouche de Philippe et le pose sur le bord de la table.) Et ça veut dire quoi ?

PHILIPPE, timidement.- J'ai déjà mangé du fromage.

JACQUELINE, l'interrogeant comme un gamin.- Oui... mais le fromage, c'est un … c'est un.... c'est un ?

PHILIPPE, répondant timidement.- C'est un laitage...

JACQUELINE.- Très bien ! Donc, ce midi, tu as eu des protéines avec le poulet, des féculents avec les frites, des légumes avec la salade, du laitage avec le fromage... et les fruits ? Où ils sont les fruits ?

PHILIPPE, répondant timidement.- Oui, mais là, j'ai vraiment plus faim.

JACQUELINE.- Taratata ! A défaut de fruits, j'ai trouvé cette compote dans ton frigo.

Elle décapsule le pot et, voyant qu'il a les deux mains occupées, elle se met en devoir de le faire manger à la petite cuillère.

PHILIPPE, grimaçant.- Je sens que je vais gerber.

JACQUELINE, comme pour un gamin.- Allez allez, on se force. Une cuillérée pour Jacqueline... (Il déglutit avec peine. Montrant Josiane.) Une cuillérée pour la reine des belges... (Montrant Françoise.) Et une cuillérée pour la masseuse thaïlandaise... et une autre pour Laurent...

PHILIPPE, recrachant la dernière cuillérée.- J'en veux plus.

JACQUELINE, lui essuyant la bouche comme à un gamin.- Tu la finiras au dîner. A ce propos, tu veux manger quoi ce soir, que j'aille faire quelques courses ?

JOSIANE, replaçant le cigare dans la bouche de Philippe.- Laisse le souffler cinq minutes ! Il a à peine fini de bouffer le repas de midi que t'es déjà en train de le briffer sur celui de ce soir. Ma parole, c'est pire qu'un taurillon dans une stabulation libre ! (Elle part à la recherche d'un aspirateur.)

FRANCOISE, reprenant les massages aux épaules.- On se relaxe... On ne pense plus à la bouffe de tata Jacqueline... Le corps humain a besoin d'autres chose que de protéines et de glucides...

JACQUELINE, lorgnant la chemise à Philippe.- Y a combien de jours que tu portes cette chemise ?

PHILIPPE.- J'sais pas …

JACQUELINE.- Il ne sait pas ! (Elle lui enlève sa chemise.) Allez enlève moi ça tout de suite que je lance une lessive, y a du linge à traîner partout dans cette maison. (Elle part avec la chemise côté cuisine.)

FRANCOISE, toujours derrière Philippe, lui caressant le torse.- On se détend... on ouvre grands ses chakras... on chasse les ondes négatives et on aspire les ondes positives...

Bruit d'aspirateur. C'est Josiane qui arrive et qui vient passer l'aspirateur autour d'eux.

FRANCOISE.- Allons bon, te revoilà ! On peut savoir à quoi tu joues ?

JOSIANE, en riant aux éclats.- J'aspire les ondes positives. Eh, quand y en a pour deux, y en a pour quatre, non ?

LAURENT, qui passait à ce moment là.- Je commence vraiment à me demander si le remède n'est pas pire que le mal !

RIDEAU

ACTE 4

Le lendemain matin. Jacqueline et Josiane prennent leur petit déjeuner ensemble. Josiane, toute gaie, chante une chanson d'opérette qui, visiblement, agace Jacqueline.

JOSIANE.- J'aime bien mes dindons ons ons, j'aime bien, mes moutons ons ons, quand ils font leur doux glou ou glou ou glou, quand ils font leur doux bée... glou ou glou ou glou... bée... (Expliquant.) C'est un air d'opérette. Tu devrais le chanter à tes moutons, je suis sûre que ça leur plairait. (Voir air « J'aime bien mes moutons » sur Youtube.)

JACQUELINE.- Fiche moi la paix, j'ai mal dormi.

JOSIANE.- T'aurais dû compter tes moutons en train de sauter une barrière, il paraît que ça fait venir le sommeil.

JACQUELINE.- Tu ne t'arrêtes jamais...

JOSIANE.- Je t'avais dit de rentrer chez toi hier après midi. T'as un côté petite bourgeoise qui ne supporte pas de découcher, c'est tout.

JACQUELINE.- Philippe n'a pratiquement rien mangé hier soir, ça m'inquiète.

JOSIANE.- Rien mangé !? Deux fois du potage, une assiette de charcuterie, une sole avec des brocolis et une tarte aux pommes. Pour un convalescent, excuse du peu !

JACQUELINE.- Oui, mais j'ai bien vu qu'il ne mangeait pas de bon appétit...

JOSIANE.- En attendant, il a quand même tout ingurgité sans rien dire.

JACQUELINE.- Sans rien dire... justement. Même pas un petit mot pour me dire que c'était bon... ou trop salé... ou pas assez... ou trop poivré... ou pas assez... ou trop aillé... ou pas assez... ou trop persillé... ou pas assez...

JOSIANE.- Passe pas tous les aromates en revue... Y a déjà Ducros qui se décarcasse pour nous. (Elle rit.)

JACQUELINE.- Rien ! Le néant... Il aurait bouffé une merde à la cafétéria que ça n'aurait pas été pire.

JOSIANE.- Allez, n'y pense plus. Tiens, je vais te raconter une petite histoire pour te mettre en train.

JACQUELINE.- Ah non ! S'il te plaît, pitié ! Je suis en overdose de tes histoires à la con !

JOSIANE.- Ah d'accord, je vois. Madame est jalouse parce que mes blagues amusent encore Philippe alors que sa tambouille, elle, ne fait plus recette. Mais c'est peut être un signe avant coureur, ça, madame...

JACQUELINE, se retenant avec peine.- Tu vas te taire, espèce de teigne !

JOSIANE, hautaine.- Tout de suite des insultes... J'ai lu récemment, dans « Femme actuelle » que les insultes et la violence sont les armes des gens faibles... (Elle continue de manger.)

JACQUELINE.- Mais comment fais-tu pour être aussi bête? T'étais comme ça à la naissance ou c'est venu avec l'âge ?

JOSIANE, passant sa main au dessus de sa tête.- Alors là, tu peux y aller tant que tu veux, je suis blindée.

JACQUELINE.- C'est sûr que pour être blindée, t'es blindée ! T'en tiens même un super blindage !

JOSIANE.- Et la Françoise qui essaie d'ouvrir les chakras à Philippe...N'importe quoi ! Chacun ses chakras, merde, un peu de discrétion ! C'est personnel les chakras. Remarque, je peux te dire qu'autant le massage de ses mollets le rendait euphorique, autant l'ouverture de ses chakras le laissait de marbre. (Très sérieuse.) A mon avis, elle ne prend pas Philippe par le bon bout.

JACQUELINE, au public.- Par le bon bout … Et en plus, elle ne le fait même pas exprès.

Arrivée de Laurent, côté chambre.

LAURENT, les embrassant.- Bonjour ! Bien dormi ? (Elles acquiescent.) Papa n'est pas avec vous ?

JACQUELINE.- Non. Il n'est pas encore levé.

LAURENT.- Apparemment si, son lit est défait.

JACQUELINE.- Ah bon ! On ne l'a pas vu passer par ici...

JOSIANE.- Ouh là ! Ayant entendu la nymphomane se lever tôt ce matin, je crains fort, mon p'tit Laurent, qu'elle ne soit partie violer ton père dans un coin du jardin, sans passer par la case déjeuner.

LAURENT.- Josiane ! (Compréhensif.) J'ai cru comprendre qu'ils ont beaucoup vécu d'amour et d'eau fraîche... alors, pour eux, sauter un repas ou manger froid, ce n'est guère dérangeant.

JOSIANE, amusée.- Ouais... et puis comme elle a souvent le feu aux fesses la Françoise, elle n'aura pas de problème pour réchauffer la tambouille à ton père.

LAURENT.- Ils sont peut être juste sortis faire une promenade et discuter du bon vieux temps.

A ce moment là, la porte d'entrée s'ouvre et Françoise entre en trottinant. Elle est en tenue de sport, bandana sur le front et fait des exercices d'étirement devant les autres médusés. Elle revient, apparemment de faire un jogging. Elle est suivie par Huguette qui arrive avec tout son matériel sur les bras.

HUGUETTE, bonjour à la cantonade. - Bonjour la compagnie ! Huguette, technicienne de surface ! (Lyrique.) Quand Huguette fait le ménage, la poussière déménage ! (Elle rit .)

TOUTES, étonnées. - Qui c'est ?

LAURENT.- Huguette Graton que j'ai embauchée pour mettre un peu d'ordre dans la maison.

JOSIANE, montrant Jacqueline. -Tu risques de faire doublon avec la maniaque de la casserole et du balai brosse.

HUGUETTE, à Laurent, les regardant. - Alors, les voilà les anciennes meufs de ton père ? Elles ont de la gueule, y a pas à dire. Et qu'est ce qu'il en dit m'sieur Philippe ?

Philippe arrive à son tour. Il est également en tenue de sport, mais très ancienne, voire passée de mode et son bandana est en travers de sa figure. Il est tout rouge, essoufflé, la bouche grande ouverte à la recherche d'une bolée d'air. Il est plié en deux et flageole sur ses jambes.

LAURENT.- Apparemment, pas grand chose.

FRANCOISE, faisant ses étirements. - Fais tes étirements Philippe, c'est important sinon tu seras tout courbaturé.

PHILIPPE, plié en deux, mains sur les genoux.- Trop tard ! J'suis déjà paralysé. (Apercevant une bouteille de jus de fruits sur la table.) A boire ! Par pitié, à boire ! (Il avance en marchant comme un canard vers la table et tend la main pour attraper la bouteille.)

HUGUETTE, lui subtilisant la bouteille à son nez. - Malheureux ! Ne jamais boire glacé quand on est en sueur. C'est un truc à attraper une pneumonie.

PHILIPPE, plié en deux, suppliant.- Mais j'ai soif... j'ai plus une goutte de salive dans la bouche... je suis déshydraté... je vais mourir asséché... Au secours ! A l'aide !

LAURENT.- Calme toi, je vais te chercher de l'eau à la cuisine. (Il sort.)

JACQUELINE, précipitamment. - Et moi une serviette pour te sécher. (Elle part côté chambre.)

FRANCOISE, faisant toujours ses étirements. - Fais tes étirements, tu boiras ensuite.

JOSIANE.- Tu vas le faire crever sur place.

HUGUETTE, à Philippe, gentiment. - Vous voulez un peu de café ?

PHILIPPE, cherchant autour de lui.- Trop chaud, je veux du frais. A boire... à boire !

Il tourne péniblement autour de la pièce, plié en deux, boitillant. Il aperçoit un vase de fleurs posé sur un meuble. Il retire les fleurs du vase et boit goulûment l'eau du vase à grands renforts de déglutitions sonores et bienfaitrices. Laurent revient en même temps que Jacqueline.

LAURENT.- Voilà un pichet d'eau à température ambiante.

HUGUETTE, montrant le vase qu'il tient encore à la main. - Trop tard ! Il vient de s'enfiler l'eau des fleurs !

PHILIPPE, prenant le pichet et remplissant le vase.- Désolé, j'ai pas pu attendre.

Jacqueline l'éponge avec la serviette. Il se laisse faire.

PHILIPPE, à Françoise.- Quand tu m'as demandé d'aller courir dix minutes avec toi ce matin, je ne pensais pas qu'on allait se taper dix kilomètres à fond les manettes.

JOSIANE.- T'es pas un peu malade de le bourlinguer comme ça, sans entraînement ! T'as envie qu'il se pète le coeur à faire le beau à côté de toi ?

FRANCOISE. - Un esprit sain dans un corps sain, ça te dit quelque chose... professeur Cabrol ? (Voir cardiologue célèbre du moment. A Philippe, taquine.). Quant à toi, Philippe, tu étais autrement plus résistant il y a trente ans.

PHILIPPE.- J'avais complètement oublié que tu m'obligeais à faire du jogging autrefois.

FRANCOISE. - Eh oui... trois jours par semaine, régulièrement.

PHILIPPE. - Et... je courais ?

FRANCOISE, coquine. - Pour avoir ta petite récompense... oui. Et plutôt deux fois qu'une.

Ils sont tous outrés. Laurent est très gêné.

JACQUELINE. - Non mais je rêve ! Tu le traitais carrément comme un chien, ce pauvre Philippe.

JOSIANE, à Jacqueline.- Je suis sûre que tu n'as jamais fait endurer ça à ton Jean-Louis.

HUGUETTE, curieuse. - Jean-Louis, c'est son mec ?

JOSIANE, du tac au tac.- Son chien ! (Tête de Huguette.)

JACQUELINE, ironique. - Va chercher le bâton... apporte la baballe à la maîtresse... Oh c'est bien, c'est un bon gros toutou ça madame... Il donne la papatte à sa Françoise le gros toutou...

JOSIANE, idem Jacqueline.- Qui c'est qui va voir une bonne caresse de sa maîtresse et un bon gros nonosse... Qui c'est qui va faire une grosse léchouille à sa mémère, hein, qui c'est ?

HUGUETTE, s'y collant elle aussi. - Mais c'est qu'il est content, il remue sa queue queue.. le gros chien chien...

PHILIPPE, gêné.- Je vous en prie...

FRANCOISE. - Laisse Philippe. Elles sont pathétiques de connerie toutes les deux. Je me demande comment tu as pu les aimer...

JOSIANE.- En attendant j'ai été son premier amour et toi... une seconde main.

FRANCOISE. - Qu'est ce que tu t'imagines ma pauvre Josiane ? Que Philippe se pâmait d'amour avec toi ? Pauvre sotte ! Sais tu pourquoi il t'a quittée pour une « deuxième main » comme tu dis ? (Tête de Josiane.) Eh bien je vais te le dire puisqu'il me l'a raconté et qu'à priori, il n'a pas l'air de s'en souvenir... ou pas le courage de te l'avouer...

PHILIPPE, gêné.- Françoise, s'il te plaît...

FRANCOISE. - Elle est grande maintenant, elle a le droit de savoir. (Pesant bien ses mots.) Philippe en avait marre de faire l'amour avec toi. Il avait l'impression de coucher avec la Belgique entière. Faut reconnaître qu'une histoire belge à cinq minutes de l'orgasme, y a de quoi refroidir (ou faire débander.) n'importe quel mec normalement constitué.

HUGUETTE, se mêlant à la conversation. - Heureusement que j'ai pas fait ça à mon Marcel, déjà qu'il était pas très vaillant sous la couette...

JOSIANE, révoltée.- C'est même pas vrai ! Je lui ai toujours donné du plaisir et mes histoires, étaient le piment de notre couple...

FRANCOISE.- Il était un peu éventé ton piment parce qu'à priori, ça ne le faisait pas grimper aux rideaux, ton Tarzan...

JOSIANE, triste, à Philippe.- Philippe... c'est vrai ?

PHILIPPE.- C'est vrai... c'est vrai... oui... enfin non... enfin si... peut être un peu...oui, vers la fin...

FRANCOISE, vacharde.- A chaque fois, les trois derniers mois de votre vie commune.

JOSIANE, à Philippe.- A chaque fois ! Mais tu paraissais heureux pourtant...

FRANCOISE.- Faut croire que la simulation n'est pas qu'un artifice féminin...

JOSIANE.- Tu simulais ! Et moi, pauvre pomme qui m'évertuais à essayer de t'amuser avec mes histoires, croyant que ça te détendait...

FRANCOISE, en riant.- Au lit, faut jamais détendre son partenaire Josiane. C'est pas bon !

HUGUETTE, se mêlant à la conversation. - Ca c'est bien vrai. Je l'ai remarqué bien des fois avec Marcel... un vrai soufflet.... Il redescendait aussi vite qu'il était monté. Y avait pas intérêt à traîner en route.

PHILIPPE, voulant se rattraper.- Cela dit, j'ai adoré l'histoire du crocodile et celle du cornet de frites... (Il mime le bras d'honneur.)

JOSIANE, suivant son idée.- Ne soit pas hypocrite. Et c'est parce que tu t'emmerdais au lit que tu m'as quittée ?

PHILIPPE, très embarrassé.- Je crois bien que oui...

JOSIANE.- Et c'était irréversible ?

PHILIPPE.- Tu n'arrêtais pas de me dire que tu ne changerais jamais... alors...

FRANCOISE.- C'est pas encore cette fois ci, ma pauvre Josiane, que tu vas trouver un locataire à ton appartement.

Josiane digère le coup et s'avance doucement vers Philippe.

JOSIANE, faussement calme.- Tu vois Philippe, que ça n'ait pas collé entre nous, ça je peux le comprendre. Mais que tu ne me dises rien, que tu me jettes comme une malpropre et tu ailles tout raconter à cette saloperie... Cette pauvre Josiane avec ses pieds plats et son Q.I de pelle à tarte... (Elle lui colle une gifle magistrale.). Alors ça, je ne te le pardonnerai jamais. (Elle part en pleurant vers l'escalier. Philippe se frotte la joue.)

HUGUETTE, se mêlant à la conversation. - Qu'est ce que vous vous prenez comme mandales depuis hier. Vous êtes une vraie tête à claques.

JACQUELINE. - Bien que je n'aie pas spécialement d'affinités avec toi Josiane, je voudrais te faire cadeau d'un scoop. (Josiane s'arrête au pied des escaliers.)

JOSIANE, en reniflant.- Si c'est pour en rajouter une louche... pas la peine. J'ai déjà mon compte.

JACQUELINE. - Philippe, pourrais-tu répéter à Françoise les propos que tu as tenus sur elle, le fameux soir où nous avons mangé, à sa santé, le bœuf miroton ensemble ?

PHILIPPE, fuyant.- Quels propos ? De quoi tu veux parler ?...

FRANCOISE.- Attends, je le crois pas ! Tu t'es permis de raconter des choses sur moi !?

PHILIPPE, péteux.- Oh si peu... deux ou trois petits trucs sans importance... pas plus...

JACQUELINE. - Tu y vas Philippe ou je m'y colle ?

PHILIPPE, de + en + embarrassé.- C'est tellement loin et … tellement confus... que... que...

JACQUELINE. - Que tu ne sais pas par où commencer. Eh bien, dans ce cas, je vais t'aider. (A Françoise.) Pauvre prétentieuse qui imagine faire succomber tous les hommes sous tes charmes. Tu croyais tenir Philippe parce que tu étais meilleure au lit que Josiane qui pêchait par défaut. Toi, tu as pêché par excès et autant tu as sublimé sa libido au début, autant tu l'as couvert de ridicule par la suite. Provocante, aguicheuse, nymphomane, séductrice, ingénue, Philippe avait honte de te montrer dans les cocktails où tu ne manquais jamais de te faire remarquer.

FRANCOISE, à Philippe, en colère.- Dis moi qu'elle ment... que ce n'est pas vrai...

JACQUELINE. - Ses relations disaient de lui qu'il était futur cocu et qu'à la moindre défaillance, tu ne le raterais pas.

JOSIANE, à Françoise.- Ah dis donc, on dirait bien que le vent a tourné.

FRANCOISE, à Philippe.- Et c'est par crainte d'être cocu que tu m'as quittée ?

PHILIPPE, très embarrassé.- Je crois bien que oui...

FRANCOISE.- Comme ça, sans preuve ?

PHILIPPE, assénant le coup.- François Compard, mon éditeur ! Tu veux des détails ?

FRANCOISE, violente.- Salaud ! Ordure ! Tu étais au courant de notre liaison et tu n'en a jamais parlé. Tu as fait celui qui n'était pas au courant... celui qui était toujours amoureux...

JOSIANE, se vengeant.- La simulation Françoise... la simulation...

FRANCOISE.- Et tu déballes tout ça aujourd'hui, devant tout le monde. (Elle le gifle.) Je ne te le pardonnerai jamais ! (Philippe se frotte l'autre joue.)

HUGUETTE, se mêlant à la conversation. - Et paf ! On ne s'en lasse pas.

Françoise part et monte dans sa chambre. Après une courte hésitation, Josiane en fait autant. Laurent assiste impassible à la scène. Jacqueline et Philippe se regardent un instant en silence. Après un petit temps, Huguette qui essaie de s'incruster, finit par comprendre qu'elle gêne.

HUGUETTE, essayant de s'incruster dans la conversation. - Vous pouvez causer devant moi, ça ne me dérange pas. (Têtes des autres.) Bon, ben je vais peut être mettre un peu d'ordre dans vot' bureau, alors... (Elle sort, à contre cœur.)

JACQUELINE, doucement. - Comme madame X n'est pas là et que tu es particulièrement lâche pour raconter certaines scènes de ta vie, je ne saurai jamais ce que tu as dit de moi à ma remplaçante...

PHILIPPE, s'emmêlant.- Ce n'est pas ce que tu crois... en fait...

JACQUELINE, le coupant. - Ne dis rien, je vais t'aider. Jacqueline, la moins jolie des trois...ni trop gaie, ni trop triste... accessoirement bonne au lit...mais surtout, bonne cuisinière, ce qui t'avait terriblement manqué avec les deux autres...

PHILIPPE.- Arrête... on se fait du mal...

JACQUELINE. - Oui, mais c'est pour que tu comprennes que ce qui est écrit est écrit et qu'on ne revient pas sur des décisions mûrement réfléchies.

PHILIPPE, nostalgique.- Tu étais tellement différente des autres...

JACQUELINE. - Oui mais çà ne m'a pas empêchée de te faire chier avec mes repas copieux, mes menus calculés, mes apports journaliers recommandés, mes taux de vitamines, de minéraux... ma moutarde extra forte... Sans parler de ma maniaquerie pour l'ordre et le ménage...

PHILIPPE.- Tu le faisais pour mon bien...

JACQUELINE, fataliste. - Eh oui ! Cela ne t'a pas dérangé de me larguer sans explication le moment venu. (Gentiment.) Et pourquoi s'il te plaît ?

PHILIPPE, honteusement.- Je ne supportais plus. J'avais pris 25 kgs... les copains m'appelaient Bouboule...

JACQUELINE, souriant. - Alors on va dire que c'est Bouboule qui m'a virée. Désolée, je n'ai rien compris, je n'ai rien vu venir.

PHILIPPE.- Ne dis pas ça...

JACQUELINE. - Ne regrette rien, moi aussi, je n'aurais jamais changé. J'aime trop la bonne bouffe et je suis bourrée de toc. (Elle s'avance vers lui qui recule de crainte d'être à nouveau giflé. Elle l'embrasse sur la joue.) Adieu Philippe et tâche d'y voir clair maintenant qu'on a débroussaillé un bout de ton passé. (Elle embrasse Laurent.) T'as du bol d'avoir un fils comme lui, qui veille sur toi avec autant d'amour. Moi je n'ai que Jean-Louis... et mes moutons. (Elle rit.) Laurent, veux tu descendre ma valise s'il te plaît, elle est prête. Je savais, depuis hier soir, que l'expérience allait tourner court et que l'épilogue était proche. (Laurent part vers les chambres.)

Laurent croise Josiane et Françoise qui descendent des chambres, bagages à la main.

FRANCOISE.- Bon, je crois qu'on s'est tout dit, on va pouvoir y aller maintenant.

JOSIANE.- L'opération GPS est définitivement terminée.

JACQUELINE. - Nous savions, toutes les trois, qu'en approuvant la proposition de Laurent, nous courrions quelques risques. Soyons bons joueurs et acceptons en les conséquences.

JOSIANE.- N'empêche que je vous l'avais dit qu'on allait toutes se prendre un deuxième râteau ! Vous ne pourrez pas dire le contraire.

Retour de Laurent avec la valise à Jacqueline.

LAURENT, les embrassant.- Merci à vous trois pour votre implication dans mon idée un peu folle. Je vous en suis reconnaissant, vraiment.

JOSIANE, donnant un paquet à Philippe.- Tiens, un p'tit souvenir...

PHILIPPE.- Qu'est ce que c'est ?

JOSIANE.- Mon recueil d'histoires drôles. Je crois que je ne m'en servirai plus désormais. Tu en liras une de temps en temps, en pensant à moi... sauf quand tu seras en galante compagnie. Il paraît que ça peut fiche la débandade. (Elle rit.)

PHILIPPE, ému.- Promis, j'y penserai.(Il rit.)

FRANCOISE, lui tendant un livre.- C'est la dernière édition du Kâma-Sûtra. Je te conseille les pages 54 et 55... Du grand art ! Tu as encore des progrès à faire, mon grand. (Ils rient tous les deux.)

JACQUELINE. – Moi, je n'ai rien à te donner... J'ai juste congelé les restes d'hier soir. Tu as à de quoi manger pendant 2 à 3 jours.

JOSIANE, sortant un pot de moutarde de son sac.- Et ne cherche pas la moutarde, j'embarque le pot ! (Montrant quelque chose au dessus de sa tête.) L'épée de la dame aux clebs...

PHILIPPE, ému.- Merci !

JACQUELINE. – Bon, les filles, on fait un bus commun ou on continue à se faire la gueule ?

FRANCOISE.- OK pour le bus. Si ça se gâte, on pourra toujours demander au chauffeur d'en balancer une par la portière, en cours de route.

JOSIANE.- Ah ben tiens, ça me rappelle l'histoire du belge qui voulait descendre d'un bus en marche et qui...

TOUTES, ensemble, la poussant dehors en riant.- Ah non ! Tu ne vas pas recommencer !

Elles sortent en poussant Josiane. Restés seuls, Philippe et Laurent se regardent. Quelques secondes de silence …

PHILIPPE, tout penaud.- Voilà voilà voilà voilà...

LAURENT.- On ne peut pas dire que tu as été un monument d'honnêteté et de franchise avec ces trois femmes...

PHILIPPE.- J'avais oublié tout ça... Mais je me souviens maintenant des difficultés que j'ai éprouvées pour rompre avec chacune d'elles.

LAURENT, gentiment moralisateur.- Et pourquoi raconter la raison de chaque rupture aux remplaçantes ?

PHILIPPE.- J'sais pas ! Peut être pour me conforter dans l'idée que je ne m'étais pas trompé...

LAURENT.- Et aujourd'hui , avec le recul, t'en penses quoi ? Tu t'es trompé ou pas ?

PHILIPPE.- Elles sont adorables toutes les trois, mais je n'aurais jamais pu passer ma vie entière avec aucune d'elles.

LAURENT.- Eh bien, nous voilà au moins fixés sur ce point.

PHILIPPE, s'enflammant.- Tu vois Laurent, ta mère a un petit quelque chose des trois... avec beaucoup d'autres choses en plus.

LAURENT, amusé.- En fait, il te faut trois femmes pour t'en façonner une idéale.

PHILIPPE.- Et encore ! Les trois réunies ne font même pas la moitié de ta mère...

LAURENT.- Bien ! Même si mon traitement a eu quelques effets secondaires indésirables, je ne suis pas mécontent du résultat. A toi de jouer P'pa maintenant. (Ouvrant la porte du bureau.) Je vais changer les draps et nettoyer les chambres. (A Huguette.) Vous venez m'aider, Huguette ?

Il remonte dans les chambres, accompagné de Huguette, laissant son père seul, perdu dans ses pensées. Philippe va vers le téléphone qui est posé sur un meuble. Il le regarde, tourne autour, tend la main pour le décrocher puis se ravise. Il part, revient et fait ce petit manège plusieurs fois de suite. Enfin, il se décide, décroche et compose le numéro, mais dès qu'il entend la tonalité, il raccroche brusquement, en proie à une véritable angoisse. Presque aussitôt, la sonnette de l'entrée retentit et Philippe décroche le téléphone comme un fou.

PHILIPPE, rapidement.- Allo ! ( N'entendant rien.) Allo ! Allo, je n'entends rien...

Nouveau coup de sonnette à la porte. Philippe regarde son téléphone et réalise qu'il s'est trompé. Il le repose et va ouvrir. On le voit reculer et une femme entre doucement dans la pièce. C'est Hélène, sa femme. Elle porte des lunettes de soleil et un (à voir?) sur la tête. Ce rôle peut être tenu par une des actrices déjà sorties de scène. Bien évidemment, on ne doit pas la reconnaître. La grimer et l'habiller en conséquence. Elle ne doit pas être agressive vis à vis de son ex.

HELENE, calmement.- Bonjour Philippe.

PHILIPPE.- Bon... bon... bonjour Hélène. (Il est là, tout penaud, bras ballants le long du corps.)

HELENE.- Je peux entrer ?

PHILIPPE.- Bien... bien... bien sûr. Tu... tu... tu es chez toi... Qu'est ce qui t'amène ?

HELENE, entrant et lui tendant un paquet.- J'ai un petit paquet pour toi.

PHILIPPE, sans réfléchir.- Encore ! Décidément, c'est le jour.

HELENE, surprise.- Pardon ?

PHILIPPE, se rattrapant.- Non, je disais … c'est pas lourd...... Et c'est quoi ?

HELENE.- Un rasoir électrique. Je ne voudrais pas être responsable de ton délabrement.

PHILIPPE.- C'est pourtant pas la fête des pères...

HELENE.- Laurent m'a téléphoné pour me dire que le tien était cassé et que tu commençais à ressembler à Robinson Crusoé.

PHILIPPE, emprunté, tournant le paquet dans ses mains.- Merci... Tu sais, Hélène, j'ai beaucoup réfléchi...

HELENE, le faisant mariner.- Ah oui... et alors ?

PHILIPPE.- Je me suis rendu compte que tu es une femme merveilleuse...

HELENE, ironique.- Une illumination soudaine ?

PHILIPPE, continuant son travail de reconquête.- Ne te moque pas. Tu as un sens de l'humour extraordinaire... et sans avoir recours à des histoires belges...

HELENE.- Il vaut mieux avoir un bon sens de l'humour pour vivre à tes côtés..

PHILIPPE, même jeu.- Tu as été une mère attentionnée pour Laurent... une épouse fidèle et une amante merveilleuse.

HELENE, bras croisé, attendant la suite.- Impressionnant ! Et c'est tout ?

PHILIPPE.- Et une cuisinière hors du commun. Tu es la gaieté, la sensualité et la force tranquille réunies.

HELENE, faussement étonnée.- Et tu me découvres toutes ces qualités, seulement aujourd'hui, comme ça, brusquement ?

PHILIPPE, exagérant.- J'ai longuement réfléchi ces dernières semaines, sans voir personne, loin du monde et des gens... seul dans la solitude isolée dans mon isolement solitaire...

HELENE, moqueuse.- Dit comme ça, ça du être terrible à supporter...

PHILIPPE, dramaturge.- C'était sans doute le prix à payer pour comprendre le poids de mes erreurs... Tu sais...depuis notre séparation... il n'y a pas un jour où je ne me suis pas remis en question et j'ai fini par comprendre que tu étais la seule femme de ma vie...

Arrivée en trombe, sans frapper, de Patrice avec son sac sur l'épaule. Il est très en colère. Hélène, se fait discrète, se retire sur le côté et assiste à la scène, sans rien dire.

PATRICE, à Philippe.- Dis donc, le neurasthénique ! Tu peux m'expliquer ce que ma femme fait chez toi ?

PHILIPPE, montrant Hélène.- Votre femme ? Mais cette femme est mon épouse ...

PATRICE, à Philippe.- Ah ouais, c'est ta femme ? La légitime ? Putain, mais t'es un vrai chien en rut. Il t'en faut combien pour assouvir tes bas instincts lubriques ? Et ça se prétend en pleine déprime. J'ose pas imaginer le bordel quand monsieur est en pleine forme.

PHILIPPE, perdu.- Je ne comprends pas...

PATRICE, posant son sac et allant vers Philippe.- Ah oui, tu ne comprends pas ? Eh ben , je vais t'expliquer mon pote.

PHILIPPE, essayant de reprendre le dessus.- Je ne suis pas votre pote d'abord...

PATRICE, il est tout près de Philippe.- Ta gueule, connard !

PHILIPPE, mollement.- Un peu de respect quand même... On n'a pas gardé les vaches ensemble.

PATRICE, tout près de Philippe.- Monsieur Connard ! Je résume : Cette dame est ta femme ?

PHILIPPE, péteux.- Ouiiiii... Enfin, mon ex femme...

PATRICE, attrapant Philippe par le col.- Et tu peux m'expliquer par quelle coïncidence la mienne, de femme, sortait de ton appartement il y a dix minutes ?

PHILIPPE, péteux.- Votre femme... quelle femme ?

PATRICE, serrant de + en + fort.- J'ai une tête à avoir un harem ? Françoise Gampoin, ça te dit quelque chose ?

PHILIPPE, péteux.- Françoise... est votre femme ?

PATRICE, serrant de + en + fort.- Ma Françoise qui, normalement, est partie, pendant 2 jours, soigner sa vieille mère malade... Rassure moi, tu n'héberges pas ma belle mère par hasard ?

PHILIPPE, étouffant.- Je vais vous expliquer... Arrrrggghhhh !

PATRICE, serrant de + en + fort.- Et tu peux aussi m'expliquer pourquoi Françoise était accompagnée de deux autres femmes ? Qui avaient l'air de bien s'entendre, toutes les trois.

PHILIPPE, étouffant.- C'était une réunion prévue à trois... Arrrrrggggghhhh !

PATRICE, il le lâche et se met en position de combat devant lui.- Une partouze ! Je le crois pas ! Mais il est pourri jusqu'à la moelle, ce mec ! Mais je vais te casser la gueule, ça va pas être long. (Il se dandine.) Allez vas y, défends toi !

PHILIPPE, se protégeant comme il peut.- Oh non, ça ne va pas recommencer !

Tout comme dans l'acte 1, il se protège le thorax et se prend une claque sur la joue. Il remonte rapidement ses mains et se prend un coup à l'estomac. Il se protège tête et ventre et il se prend un coup sur le tibia. Cette séquence doit être menée très rapidement et renouvelée une fois ou deux selon l'impact produit.

PHILIPPE, se protégeant comme il peut.- J'en ai marre ! Mais j'en ai marre !

HELENE, intervenant calmement.- S'il vous plaît monsieur... Gamblain. Laissez le moi maintenant.

PATRICE, récupérant son sac.- Il est à point. Vous avez compris le système... pas de cadeau ! (Faisant les gestes.) Tête, foie, tibia et on remonte foie tête tibia. Dans cinq minutes il vous demandera grâce. ((Il se dirige vers la porte.)

PHILIPPE, se justifiant.- Je suis victime d'une regrettable erreur.

PATRICE, revenant vers lui.- N'en rajoute pas ou je te démolis complètement avant de partir. On se reverra mec, on se reverra ! (Il part.)

HELENE, le regardant bien en face.- Philippe ?

PHILIPPE, y croyant.- Oui Hélène...

HELENE, calmement.- Quelles sont ces trois autres femmes qui sortaient de chez toi, il y a quelques instants ?

PHILIPPE, piégé.- Tu ne me croiras jamais... C'est Laurent qui a eu l'idée de...

HELENE.- Philippe... laisse Laurent en dehors de ça s'il te plaît ! (Ton réprobateur.) Je crois qu'il va te falloir encore beaucoup de temps avant que tu ne redeviennes honnête avec toi même... et avec les autres. (Elle s'apprête à partir.)

PHILIPPE, affolé.- Attends... je vais t'expliquer... (Ne sachant que dire, il déclame des paroles de Brel, mais sans les chanter.) Ne me quitte pas... il faut oublier... tout peut s'oublier... oublier le temps des malentendus...

HELENE, continuant.- Et le temps perdu à savoir comment... Oui oui, je sais. (Dernier regard vers lui.) Prends tout ton temps Philippe, je ne suis pas pressée... réfléchis et préviens moi quand tout sera en ordre dans ta tête. Alors je reviendrai peut être gratter à ta porte.

Elle part et referme la porte derrière elle. Silence. Philippe est abasourdi. Laurent paraît sur le palier, un drap en vrac dans les bras.

LAURENT.- Ca sonné P'pa, qui était ce ?

PHILIPPE, ne sachant que dire.- Hein... euh... Oh... bof...

LAURENT.- Comment ça bof... Je t'ai entendu parler fort avec quelqu'un.

PHILIPPE, inventant.- Deux témoins de Jéhovah qui voulaient m'endoctriner. Tu penses bien que je ne me suis pas laissé faire et que je les ai virés aussitôt.

LAURENT.- Ne sois pas trop sévère, il faut de tout pour faire un monde. (Il repart dans la chambre.)

A nouveau silence puis on entend un grattement à la porte. Philippe tend l'oreille. On regratte à nouveau. Philippe, tout joyeux, va ouvrir la porte et regarde droit devant lui. Il n'y a personne. Doucement, on le voit baisser la tête et regarder vers le sol d'où arrive un miaulement de chat. Il se penche doucement, prend un chaton dans ses bras (une peluche.) et ferme la porte. Il s'avance dans la pièce, en berçant le chaton dans ses bras.

PHILIPPE, voix de Raimu.- Ah te voilà, toi, la Pomponnette. Je savais bien que tu existais... il y a toujours une Pomponnette dans les histoires d'amour...Toi aussi tu es seule ? Et tu as faim sans doute ? Viens, tata Jacqueline a du mettre un peu de lait dans le réfrigérateur. (Miaulements plus forts.) J'ai comme l'impression qu'on va passer un sacré bout de temps... ensemble... tous les deux...

Il part vers la cuisine, accompagné par les miaulements du chat tandis que le rideau se ferme dans son dos.

FIN


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