Une vocation contrariée

Ariel, jeune étudiante, a rendez-vous avec le directeur de l’Académie des Beaux-Arts de Vienne, qui doit statuer sur sa candidature. Plus d’un siècle auparavant, le directeur de l’époque, Christian Griepenkerl, rejetait celle d’un certain Adolf Hitler. Une vocation contrariée qui devait indirectement entraîner les conséquences désastreuses que l’on sait. Une décision anodine, en modifiant un destin individuel, peut-elle changer le cours de l’Histoire ? On ne le saura jamais… à moins de pouvoir revenir en arrière pour expérimenter les suites d’un autre choix. Cette tragi-comédie pose avec humour les questions fondamentales qui hantent l’Humanité depuis toujours…

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Liste des personnages (2)

ArielFemme • Jeune adulte
Le DirecteurHomme • Adulte/Senior

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      Tableau 1

      Le bureau directorial de l’Académie des Beaux-Arts de Vienne, en Autriche. Valse viennoise en musique d’ambiance. Ariel Tannenbaum entre. C’est une jeune femme habillée de façon plutôt masculine et coiffée d’un bonnet, cachant une chevelure rousse. Elle porte un carton à dessin sous le bras. Visiblement impressionnée, elle examine les lieux. La pièce est meublée à l’ancienne, mais un ordinateur trône sur le bureau. Contre le mur du fond est accroché un tableau d’Egon Schiele. Sur l’un des côtés est disposé un miroir ne reflétant pas la salle. Ariel admire le tableau de Schiele. La musique s’arrête progressivement. Le téléphone portable d’Ariel sonne et elle répond.

      Ariel (agacée) – Oui, maman... Non, je n’ai pas oublié mon entretien d’aujourd’hui. Je ne risquais pas de l’oublier, je n’en ai pas dormi de la nuit... Et tu m’as déjà téléphoné vingt fois pour me le rappeler... Mais oui, je serai là pour shabbat, comme d’habitude... Écoute, je ne vais pas pouvoir te parler, je suis dans le bureau du directeur justement, et il va arriver d’une minute à l’autre... Oui, je sais, Hitler a échoué deux fois à l’examen d’entrée à l’Académie des Beaux-Arts de Vienne. Ça aussi, tu me l’as déjà dit vingt fois... C’est promis, j’essaierai d’être admise du premier coup... Et si je ne le suis pas, je te promets de ne pas envahir la Pologne. Maintenant, il faut que je raccroche... C’est ça, je te rappelle en sortant... Moi aussi, je t’aime...

      Elle range son téléphone. La musique reprend. Elle commence à faire les cent pas. Elle se regarde dans le miroir et se refait une beauté. Elle s’assied. Elle patiente un instant, regarde sa montre, et finit par sortir une feuille blanche de son carton à dessin. Elle se regarde dans le miroir et dessine un autoportrait. Elle range le dessin dans son carton. Elle finit par s’assoupir sur sa chaise. La musique s’arrête.

      Noir.

      Tableau 2

      Lumière.

      Le décor n’a pas changé, mais l’ordinateur a disparu et le tableau d’Egon Schiele a été remplacé par un portrait de l’empereur François-Joseph. Ariel se réveille. Elle remarque que le tableau a changé. Elle est évidemment étonnée, mais elle n’a guère le temps de reprendre ses esprits car Christian Griepenkerl arrive. C’est un homme d’une soixantaine d’années vêtu avec une élégance typique du début du 20ème siècle. Il porte un costume trois-pièces et un manteau. Il a un chapeau melon sur la tête et une canne à la main.

      Directeur – Désolé de vous avoir fait attendre. Mon fiacre a perdu une roue, et j’ai dû finir la route à pied.

      Ariel se lève de sa chaise.

      Ariel Bonjour Monsieur...

      Directeur – La circulation devient de plus en plus dangereuse dans les rues de Vienne. Surtout depuis l’apparition de ces nouvelles automobiles. Les voitures à cheval avaient déjà du mal à cohabiter avec les tramways électriques... Je ne comprendrai jamais ce besoin qu’ont les gens de vouloir toujours tout changer... Ce n’est pas votre avis ?

      Ariel Je ne sais pas...

      Occupé à ôter son manteau et son chapeau, qu’il suspend à un porte-manteau, le Directeur jette à peine un regard sur elle.

      Directeur – Et vous êtes...?

      Ariel Ariel. Ariel Tannenbaum.

      Le Directeur s’assied derrière son bureau et jette un regard à une feuille posée devant lui.

      Directeur – Tiens, ce n’est pas le nom que j’avais sur ma liste... Ariel... (Il jette enfin un regard vers elle) Mais... vous êtes une femme ?

      Ariel Euh... Oui, et alors ?

      Directeur – Alors ? Mais Mademoiselle... les femmes ne sont pas admises à concourir pour l’entrée à l’Académie des Beaux-Arts de Vienne !

      Ariel C’est une blague...?

      Directeur – Ariel... Comme vous avez un prénom un peu... ambigu. Ma secrétaire n’a pas dû faire attention.

      Ariel Ambigu...? Oui, désolée, c’est un prénom juif.

      Directeur – Ah parce qu’en plus, vous êtes juive ?

      Ariel Ne me dites pas que les juifs non plus ne sont pas autorisés à concourir pour entrer à l’Académie.

      Directeur – Quoi qu’il en soit, les femmes ne le sont pas, je vous le répète. Et vous devriez le savoir... Cela nous aurait évité à tous les deux une perte de temps inutile...

      Ariel Enfin, c’est absurde... Alors les femmes ne pourraient pas devenir artistes peintres ? Non mais ce n’est pas vrai ! (Ironique) On est en quelle année, là ?

      Directeur – Nous sommes en 1907, Mademoiselle... Vous ne le savez pas non plus ?

      Ariel En 1907...? (Un sourire revient sur ses lèvres) Ça y est, j’ai compris... C’est pour une émission de télévision en caméra cachée, c’est ça ?

      Directeur – La télévision ? Qu’est-ce que c’est que ça ?

      Ariel Et elle est où, la caméra ?

      Elle se lève et fait quelques pas dans la pièce à la recherche d’une caméra.

      Directeur Mais enfin, Mademoiselle, nous sommes en octobre 1907. (Il saisit un calendrier posé sur son bureau et lui tend.) Comme c’est écrit sur ce calendrier.

      Ariel jette un regard au calendrier, stupéfaite.

      Ariel En 1907 ? Mais ce n’est pas possible !

      DirecteurVous me semblez un peu perturbée... Vous voulez un verre d’eau ?

      Ariel tente de reprendre ses esprits et regarde autour d’elle.

      Ariel Je ne comprends pas... Quand je suis arrivée ici, il y avait un tableau d’Egon Schiele sur ce mur.

      Directeur Egon Schiele ? Quelle drôle d’idée... Oui, c’est un élève à moi, en effet. Mais je n’aurais pas l’idée d’accrocher une de ses toiles dans mon bureau. Ce n’est qu’un simple étudiant. Il a à peine dix-sept ans ! Et son style n’est pas du tout... académique.

      Ariel Académique ?

      Directeur Un style décadent, si vous préférez... Hélas très en vogue aujourd’hui. Mais ça ne durera pas, croyez-moi. Schiele, comme tant d’autres hélas, subit la mauvaise influence de ce vaurien de Klimt.

      Ariel Klimt ? Gustav Klimt ? Vous le connaissez aussi ?

      DirecteurJe l’ai croisé devant son atelier en arrivant ici. Il ne m’a même pas salué... Il faut dire que j’ai failli l’écraser. Mon fiacre a perdu une roue, je vous l’ai dit, et il a fini sa course sur le trottoir.

      Ariel Vous avez failli écraser Gustav Klimt ?

      Directeur Je regrette presque de ne pas l’avoir fait. Cette... sécession, c’est juste une mode. Dans quelques mois, on n’en parlera plus, vous verrez.

      Ariel Vous êtes sûr...?

      Directeur Cet Egon Schiele ne fera jamais carrière non plus, croyez-moi. Pas en tant qu’artiste peintre, en tout cas... Comme décorateur d’intérieur, peut-être... Non, tous ces jeunes artistes feraient mieux de prendre modèle sur leurs illustres aînés, comme je l’ai fait moi-même.

      Ariel Leurs aînés ? Vous voulez dire...

      DirecteurEisenmenger, par exemple...

      ArielQui ça ?

      DirecteurAugust Eisenmenger ! Vous ne le connaissez pas ?

      Ariel Non...

      Directeur On le surnomme déjà le Rubens autrichien ! Vous avez entendu parler de Rubens, tout de même...?

      Ariel Bien sûr. Vous me prenez pour une idiote ?

      Directeur Bon, mais je ne sais même pas pourquoi je discute de tout ça avec vous.

      Ariel Non, moi non plus... Spéculer sur l’avenir du jeune Egon Schiele avec son vieux professeur dont je ne connais même pas le nom. C’est vrai, au fait, vous êtes qui, exactement ?

      Directeur Mais enfin, Mademoiselle, je suis Christian Griepenkerl, le Directeur de l’Académie des Beaux-Arts de Vienne !

      Ariel Et donc, nous serions en 1907...

      Directeur Vous êtes sûre que vous ne voulez pas un verre d’eau ?

      Ariel Ça va aller... Je vais finir par me réveiller, et ce cauchemar va prendre fin.

      Directeur Vous allez rester là cinq minutes, et après je vous demanderai de quitter les lieux. J’ai d’autres candidats à recevoir, vous savez...

      Ariel D’autres candidats ?

      Il jette un regard sur la feuille qu’il a devant lui.

      Directeur D’ailleurs je ne vois pas votre nom sur ma liste... Je pensais que vous étiez... (Il consulte sa liste) Adolf Hitler.

      Ariel Adolf Hitler ?

      Directeur C’est avec lui que j’avais rendez-vous... pour statuer sur sa candidature.

      Ariel Dites-moi que tout ça n’est pas vrai...

      Directeur Il devrait arriver d’un instant à l’autre. Mais vous avez l’air surprise... Il doit avoir à peu près votre âge. Vous le connaissez ?

      Ariel Adolf Hitler...? Oui, j’en ai entendu parler.

      Le Directeur prend un dossier sur le dessus d’une pile.

      Directeur Un jeune Allemand un peu illuminé qui se prend pour un génie de la peinture. J’ai son dossier là, justement... (Il ouvre le dossier et jette un coup d’œil aux dessins qu’il contient.) Il ne s’en sort pas trop mal pour dessiner les bâtiments... mais il n’a visiblement aucune aptitude pour le portrait. Et il n’a pas la moindre notion d’anatomie. (Continuant à regarder les dessins) Non, décidément, il est absolument incapable de rendre avec naturel une figure humaine. Il ferait mieux de faire de l’architecture... (Il pousse le dossier vers elle.) Qu’en pensez-vous ?

      Ariel regarde les dessins, stupéfaite.

      Ariel C’est vraiment lui qui a dessiné ça...?

      Directeur Si ce pauvre garçon a payé quelqu’un pour faire ces dessins d’enfants à sa place, c’est qu’il est encore plus stupide qu’il en a l’air.

      Ariel (jetant un regard aux dessins) – C’est incroyable... La peinture est encore fraîche...

      Directeur Non, cet Adolf Hitler ne passera pas non plus à la postérité, c’est évident.

      Ariel Pas en tant qu’artiste peintre, en tout cas...

      Directeur Alors vous êtes d’accord avec moi... Je ne peux pas faire autrement que de rejeter sa candidature.

      Ariel (très vivement) – Ne faites surtout pas ça !

      Directeur (surpris) – Pardon...?

      Elle tente de reprendre son calme.

      Ariel Ils ne sont pas si mauvais que ça, ces dessins, après tout.

      Directeur Vous trouvez...?

      Ariel Je ne sais pas... Je trouve qu’il y a... quelque chose. Et pour le coup, vous ne pouvez pas dire que son style n’est pas académique.

      Le Directeur regarde à nouveau les dessins.

      Directeur C’est très classique, en effet, mais... académique ne veut pas dire dépourvu de toute sensibilité. Non, décidément... C’est d’une extrême platitude... Il n’y a aucune âme dans ces dessins...

      Ariel Le trait est tout de même assez précis.

      Directeur Pour les paysages, oui. Un peu trop même. On dirait une photographie. Vous avez entendu parler de cette nouvelle invention des frères Lumière ? L’autochrome...

      Ariel L’autochrome ?

      Directeur La photographie en couleurs, si vous préférez. La photographie est une invention diabolique. Elle finira par tuer la peinture. Pourtant il n’y a aucune humanité dans ces images. N’importe quel imbécile peut appuyer sur le bouton d’un appareil photographique. Ça ne fait pas de lui un artiste peintre.

      Ariel C’est le progrès... et on ne peut pas l’arrêter.

      Directeur Vous verrez qu’un jour on inventera aussi des machines pour penser à notre place...

      Ariel Vous ne croyez pas si bien dire.

      Directeur Alors quel charme trouvez-vous à ces barbouillages ?

      Ariel C’est un peu naïf, c’est vrai... Mais il pourrait s’améliorer... Avec de bons professeurs...

      Directeur Hélas, Mademoiselle, le talent ne s’apprend pas. On peut perfectionner sa technique, bien sûr, mais si vous n’avez pas la fibre artistique... Ce qui fait le peintre ce n’est pas la dextérité. C’est le regard. Et croyez-moi, cet Adolf Hitler n’a aucune vision...

      Ariel Pourtant, il veut absolument être peintre... Et c’est parfois dangereux de contrarier une vocation...

      Directeur Dangereux ? Dangereux pour qui ?

      Ariel Il pourrait en éprouver une certaine frustration. Voire une certaine rancune...

      Directeur Rien ne l’empêchera de continuer à peindre le dimanche, pour se détendre après une semaine de travail. Il pourra accrocher ses toiles dans son salon si bon lui semble. Ou bien faire cadeau de ces croûtes à sa famille et à ses amis pour Noël ou pour un anniversaire. Mais là il s’agit d’intégrer la plus prestigieuse Académie des Beaux-Arts de l’Empire austro-hongrois. Et peut-être du monde. Je ne peux pas entretenir chez ce pauvre garçon l’illusion qu’il a le moindre avenir en tant qu’artiste peintre. Non, vraiment, ce ne serait pas lui rendre service.

      Ariel Mais ce serait rendre un inestimable service à l’Humanité toute entière, je vous assure.

      Directeur Je ne comprends pas un traître mot de ce que vous dites, Mademoiselle...

      Ariel Vous affirmez que ces dessins sont dépourvus de tout sentiment. Alors à mon tour de vous demander de faire preuve d’humanité, Monsieur Greenspan.

      Directeur Griepenkerl. Monsieur Griepenkerl.

      Ariel Un élève de plus ou de moins, qu’est-ce que cela change pour vous ?

      Directeur Le nombre d’élèves que nous pouvons accueillir dans cette Académie est limité, Mademoiselle. Cela change qu’il prendrait la place d’un autre candidat, beaucoup plus doué et méritant que lui.

      Ariel Et si je vous le demande comme une faveur personnelle...?

      Directeur Et à quel titre vous devrais-je une faveur, je vous prie ? Vous êtes sa petite amie, c’est ça ? Vous êtes venue ici pour plaider sa cause ?

      Ariel Non, je ne suis pas sa petite amie...

      Le Directeur examine à nouveau le dossier.

      Directeur Regardez, il a même mis dans son dossier quelques cartes postales de sa composition. Des cartes qu’il vend dans la rue pour gagner sa maigre pitance. Et pour payer le loyer de sa chambre de bonne, dit-il. Sans doute pour m’apitoyer...

      Ariel Cela prouve au moins sa motivation... On dit que Van Gogh n’a pas vendu un seul tableau de son vivant. Hitler, au moins, il vend déjà des cartes postales...

      Directeur Van Gogh...? Je n’en ai jamais entendu parler...

      Ariel Croyez-moi, dans quelques années, on en parlera beaucoup.

      Le Directeur examine un dessin en particulier.

      Directeur Non, vraiment, ce garçon n’a aucune sensibilité artistique. C’est comme si la notion même d’esthétique lui était étrangère. J’irais jusqu’à dire... qu’il y a quelque chose d’inquiétant dans cette minutie maladroite... Quelque chose de malsain. Regardez avec quelle application obsessionnelle il a dessiné le mur de cette maison bourgeoise. Je suis sûr que si on comparaît avec le modèle, on trouverait exactement le même nombre de briques. Ce type peint comme un comptable. Tout y est. Le compte est bon, mais le tableau est épouvantablement mauvais. Mais puisque vous êtes ici, montrez-moi votre dossier...

      Ariel Je ne sais pas si...

      Directeur Allons, ne soyez pas timide... Je vous l’ai dit, les femmes ne sont pas autorisées à concourir, mais je peux tout de même vous donner un avis personnel. À titre amical...

      Ariel D’accord...

      Elle lui tend son carton à dessin, il l’ouvre et regarde ses œuvres. Elle guette sa réaction avec une certaine appréhension.

      Directeur Le style n’est pas très conventionnel, c’est vrai...

      Ariel Mais...?

      Directeur Il faut reconnaître que vous avez un bon coup de crayon.

      Ariel Alors vous auriez accepté ma candidature... si je n’étais pas une femme. Et une femme juive de surcroît...

      Directeur Cela ne sert à rien d’en discuter mais... allez savoir.

      Ariel Les temps changent, vous savez. Dans quelques années peut-être, les femmes seront admises à l’Académie des Beaux-Arts de Vienne.

      Directeur Et pourquoi pas leur donner le droit de vote, aussi...

      Ariel Eh oui... Pourquoi pas ?

      Directeur Mon Dieu... J’espère ne plus être là pour voir ça...

      Ariel Vous ne le serez plus, rassurez-vous.

      Directeur Ah, oui ?

      Ariel Donc vous trouvez que mes dessins sont bons ?

      Directeur Meilleurs que ceux d’Adolf Hitler, en tout cas... Si vous le souhaitez, je peux vous recommander auprès d’un professeur particulier. Il y en a d’excellents, à Vienne.

      Ariel Écoutez, Monsieur, dans l’immédiat, ce n’est pas mon destin personnel qui m’intéresse, mais celui de l’Humanité toute entière. Et j’ai de bonnes raisons de penser que vous devriez accepter la candidature du jeune Hitler.

      Le Directeur semble stupéfait.

      Directeur Le destin de l’Humanité ? Vous pensez sérieusement qu’en renvoyant cet imbécile à son métier de vendeur de cartes postales, je priverai l’histoire de l’art d’un génie de la peinture ?

      Ariel Contrarier une vocation, c’est prendre une responsabilité énorme...

      Directeur Vous ne croyez pas que vous dramatisez un peu...? Des tas de candidats sont recalés chaque année... Ça n’empêche pas la Terre de tourner.

      Ariel Oui, mais lui... Si vous rejetez sa candidature... il risque de faire des conneries, je vous assure.

      Directeur Comme se suicider, vous voulez dire ? Je vous préviens, je ne cède pas au chantage.

      Ariel Non, pas se suicider, malheureusement. Enfin pas tout de suite...

      Directeur Alors pourquoi accepterais-je ce peintre du dimanche dans cette prestigieuse Académie ?

      Ariel Et si je vous disais que ce garçon, s’il ne devient pas peintre, va plonger le monde dans le chaos et entraîner la mort de près de cent millions de gens.

      Directeur Je vous dirais que, soit vous vous moquez de moi, soit vous êtes folle. Et dans les deux cas, je vous demanderais de sortir.

      Ariel Je ne me moque pas de vous, Monsieur Greenberg.

      Directeur Griepenkerl. Monsieur Griepenkerl, je vous prie. Et puis d’abord, comment pourriez-vous bien savoir ce que ce garçon va devenir s’il n’est pas accepté dans cette Académie ? Vous êtes voyante ? Vous connaissez l’avenir ? Vous vous prenez pour Nostradamus ?

      Ariel hésite un instant avant de répondre.

      Ariel Je sais que c’est difficile à croire, mais... je viens d’une autre époque.

      Directeur Une autre époque ? Voyez-vous cela...

      Ariel Je suis née il y a un siècle exactement. En 2007.

      Directeur En 2007. Bien sûr.

      Ariel Qu’est-ce que je peux faire pour vous convaincre ?

      Directeur Me convaincre que vous êtes une voyageuse du temps ? Comme dans le roman fantaisiste de ce jeune écrivain anglais très à la mode aujourd’hui...

      Ariel Quel roman ?

      Directeur La Machine à explorer le temps, de Wells ! Vous l’avez lu, et cela vous est monté à la tête, c’est ça ?

      Ariel Je viens du futur, je vous dis ! Il est très important que vous me croyiez...

      Directeur Et donc, à votre époque, vous disposez de machines à explorer le temps ?

      Ariel Non... Ça viendra peut-être, mais non... Pas encore...

      Directeur Alors comment seriez-vous arrivée jusqu’ici ? En 1907...

      Ariel Je n’en ai aucune idée... et c’est bien cela qui m’inquiète. Car je ne sais pas non plus comment retourner d’où je viens. Et ma mère qui m’attend demain à la maison pour shabbat...

      Directeur Votre mère...

      Ariel Oui, ma mère ! Si je ne l’appelle pas dans une heure, elle va prévenir la police, c’est sûr !

      Directeur (ironique) – La police des frontières, vous voulez dire...? Les frontières du temps...

      Ariel Vous croyez vraiment que je suis d’humeur à plaisanter ?

      Directeur Je ne sais pas, moi... Peut-être rêvez-vous.

      Ariel Oui, j’y ai bien pensé. Mais dans ce cas, vous ne seriez, vous aussi, qu’un songe... puisque vous faites partie de ce rêve.

      Directeur Vous commencez à m’embrouiller sérieusement l’esprit, Mademoiselle. Avant de vous rencontrer, tout le monde me tenait pour un homme raisonnable. Trop raisonnable même, au goût de certains de mes contemporains. Et me voilà à discuter de voyage dans le temps avec une jeune femme qui pourrait être ma petite-fille...

      Ariel Ou alors c’est vous qui rêvez, et c’est moi qui me suis invitée dans votre rêve...

      Directeur Ou bien nous rêvons tous les deux de la même chose. Et tout ceci n’est qu’une illusion.

      Ariel Comme une pièce de théâtre, en quelque sorte, dont nous serions tous les deux les acteurs.

      Directeur (sceptique) – Une pièce de théâtre... Où allez-vous chercher tout ça ?

      Ariel Si comme le disent certains, la vie n’est qu’un songe, n’est-ce pas la définition même de l’existence ? Des milliards de gens qui partagent le même rêve, jusqu’à le prendre pour la réalité.

      Directeur Le même rêve... ou le même cauchemar.

      Ariel Reste à savoir ce que signifie notre rêve. À condition qu’il signifie la même chose pour vous et pour moi, bien sûr...

      Directeur Que voulez-vous dire ?

      Ariel En tant que jeune peintre débutante, je rêve de sauver le monde... en changeant le cours de l’Histoire. Vous, en tant que vieux peintre académique, vous rêvez de sauver l’Histoire, en tout cas l’histoire de l’art, en ne changeant surtout rien au cours du monde, et notamment à la façon de peindre.

      Directeur Je crois surtout que vous délirez... Vous devriez demander conseil à ce Docteur Freud, dont on parle tant en ce moment à Vienne... Il paraît qu’il fait des miracles avec les jeunes femmes un peu exaltées...

      Ariel Vous voulez dire les femmes hystériques, je suppose...

      Directeur Nous vivons une drôle d’époque, vous savez... La décadence règne partout, et en peinture aussi.

      Ariel C’est bien ce que je disais, vous n’êtes qu’un vieux réactionnaire... Et votre entêtement à ne rien vouloir changer risque de causer une catastrophe à l’échelle de la planète toute entière.

      Directeur Mais enfin Mademoiselle... comment ce pauvre garçon, qui n’a pas l’air d’avoir inventé l’eau chaude, pourrait-il tuer autant de gens ?

      Ariel En provoquant une guerre mondiale, tout simplement.

      Directeur Une guerre mondiale ? Ce serait bien la première.

      Ariel En fait ce sera plutôt la deuxième... La première va commencer dans 7 ans, en 1914. Et la seconde en 1939.

      Directeur C’est vrai que nous vivons une époque troublée, mais tout de même... Deux guerres mondiales en moins de trente ans... Vous exagérez un peu...

      Ariel Et dire que cet imbécile a failli se noyer quand il avait quatre ans.

      Directeur Qui ça ?

      Ariel Hitler ! Il était tombé accidentellement dans une rivière. Si un camarade qui passait par là ne l’avait pas tiré de l’eau, la question de son admission à l’Académie ne se poserait pas aujourd’hui.

      Directeur Vous auriez voulu que ce pauvre garçon se noie quand il était enfant, et maintenant vous voudriez qu’il soit admis à l’Académie alors qu’il n’a aucune des qualités requises pour cela ?

      Ariel Avouez que c’est quand même troublant.

      Directeur Quoi donc ?

      Ariel À quoi tient que l’histoire prenne une direction ou une autre ? Si votre fiacre, en perdant une roue, avait renversé Hitler qui marchait sur le trottoir pour venir ici, le problème serait réglé.

      Directeur Décidément, vous lui en voulez à ce pauvre garçon...

      Ariel Un train qui ne part pas à l’heure, et c’est un rendez-vous manqué. Une histoire d’amour avortée, peut-être. Un enfant qui ne naîtra pas. Et qui aurait peut-être eu un destin exceptionnel. Imaginez que les parents d’Albert Einstein ne se soient jamais rencontrés ?

      Directeur Albert qui ?

      Ariel Un génie qui a rompu avec l’académisme scientifique de son temps, et qui a révolutionné la physique moderne. En montrant notamment que si on dépassait la vitesse de la lumière, on remonterait dans le temps.

      Directeur Tout ceci est absurde. Si on pouvait remonter dans le temps, on pourrait changer le cours de l’histoire, et donc modifier le futur d’où vous prétendez venir. Et si, au cours de votre petit voyage dans le passé, au lieu d’écraser Hitler, vous renversiez accidentellement avec votre fiacre votre grand-père maternel alors qu’il était encore enfant. Dans ce cas, votre mère ne serait jamais née, et par conséquent vous non plus.

      Ariel Et je ne pourrais pas revenir dans le passé pour écraser mon grand-père... C’est en effet le paradoxe mis en évidence par les plus grands physiciens...

      Directeur Sans aller jusqu’à tuer votre propre grand-père, le moindre de vos faits et gestes pourrait très indirectement changer le cours de l’histoire, et c’est votre propre existence que vous pourriez remettre en cause...

      Ariel Pour éviter une guerre mondiale, je suis prête à prendre ce risque. Mais pour cela, il faudrait que vous acceptiez la candidature d’Adolf Hitler...

      Directeur Il n’en est pas question... Toutes ces élucubrations ne sont que pures folies.

      Ariel Comment puis-je vous prouver que je viens vraiment du futur ?

      Ariel fait les cent pas dans le bureau. Alors qu’elle passe devant le miroir, le Directeur se rend compte qu’il ne reflète pas l’image d’Ariel.

      Directeur Mais quel est ce prodige ?

      Ariel Quoi ?

      Directeur Revenez un peu par là...

      Elle se replace devant le miroir.

      Ariel Le miroir...

      Directeur Il ne reflète pas votre image !

      Ariel Comme si je n’étais qu’un simple hologramme. Ma pensée est ici mais mon corps est resté là-bas, au 21ème siècle...

      Directeur Alors vous seriez en quelque sorte coupée en deux...

      Ariel Comme ces particules qui peuvent se trouver simultanément à deux endroits à la fois... tant que personne ne les a encore observées. C’est la célèbre expérience dite du « Chat de Schrödinger », d’après le célèbre physicien qui l’a imaginée en 1935 !

      Directeur Pardon ?

      Ariel Le phénomène de superposition quantique ! Tant qu’une particule n’a pas été observée, elle peut se trouver potentiellement dans deux endroits simultanément. C’est seulement lorsque quelqu’un l’observe, vous par exemple, ou bien ma mère, qu’elle apparaît vraiment à l’un des deux endroits et qu’elle n’existe plus ailleurs.

      Directeur Mais c’est insensé... Et puis d’ailleurs, comment savez-vous tout ça ? Vous êtes physicienne ? Je pensais que vous étiez peintre...

      Ariel Je ne sais pas d’où me viennent ces connaissances sur la physique quantique... Je dormais pendant les cours de sciences au lycée. Et mes notes étaient largement en dessous de la moyenne.

      Directeur Apparemment, vous ne dormiez que d’un œil...

      Ariel En tout cas, ce miroir ne reflète pas mon image, et ça c’est un fait. Alors vous êtes convaincu, maintenant ?

      Directeur Je suis convaincu d’être devenu fou, oui. J’ai dû tomber sur la tête. Cet accident de fiacre était sans doute plus grave que je ne le pensais. Je croyais en être sorti indemne, mais je suis peut-être dans le coma...

      Ariel Quand on rêve et qu’on sait qu’on rêve, c’est qu’on ne rêve déjà plus. Quand on est fou et qu’on sait qu’on est fou c’est qu’on ne l’est plus tout à fait.

      Directeur Je crois surtout que c’est vous qui me rendez fou.

      On entend soudain la sonnerie du portable d’Ariel.

      Ariel Mais...

      Directeur Qu’est-ce que c’est que ça encore ?

      Ariel met la main dans sa poche et en sort son téléphone portable.

      Ariel Mon téléphone portable...

      Directeur Un téléphone portable ? Mais ce n’est pas possible...

      Ariel Ce qui est incroyable, c’est qu’il sonne... alors que j’ai fait un bond en arrière de plus d’un siècle dans le passé.

      Directeur Et qui ça peut bien être ?

      Ariel regarde l’écran.

      Ariel C’est ma mère...

      Directeur Eh bien répondez !

      Ariel Allô maman... Si, si, tout va bien... J’ai une drôle de voix...? Non, non, je t’assure. Et toi, tu vas bien ? Tu n’as rien remarqué de bizarre...? Je ne sais pas, moi... Armstrong est toujours bien le premier homme à avoir posé le pied sur la Lune le 20 juillet 1969 ? Armstrong ! Non pas le trompettiste, l’astronaute ! Bon, laisse tomber... Non, je suis encore avec le directeur, là. D’ailleurs, il faut que je te laisse... C’est ça, je te rappelle tout à l’heure.

      Elle repose son téléphone.

      Directeur Et donc, c’était votre mère.

      Ariel Elle s’inquiétait de savoir si mon entretien s’était bien passé, et si j’étais admise à l’Académie...

      Directeur J’en conclus que dans un siècle, les femmes seront admises à concourir.

      Ariel Mais comment est-ce que je peux parler au téléphone avec ma mère, alors que j’ai été transportée en 1907 ? C’est bizarre, non ?

      Directeur Vous trouvez que c’est tout ce qu’il y a de bizarre dans cette situation ? Marcher sur la Lune... Mais vous êtes folle !

      Ariel Oui, je commence à me demander si ce n’est pas une hypothèse à prendre en considération, en effet.

      Directeur Et puis cet appareil... Ce téléphone portable, comme vous dites... C’est insensé ! Il n’est même pas relié à un fil, et vous voudriez me faire croire qu’il vous permet de parler à votre mère ?

      Ariel Le plus étrange, c’est qu’il est toujours connecté à internet.

      Directeur Internet ?

      Ariel J’ai même accès à Google ! D’ailleurs vous allez voir... Je tape Adolf Hitler... Et voilà !

      Elle lui présente l’écran de son portable. Effaré, le Directeur regarde les images qui défilent sous ses yeux.

      Directeur Quelle horreur ! Mais c’est épouvantable...

      Ariel Voilà ce que vous allez provoquer si vous rejetez la candidature d’Adolf Hitler à l’Académie des Beaux-Arts de Vienne...

      Directeur Moi ?

      Ariel Tenez, maintenant, je tape Christian...

      Directeur Christian Griepenkerl.

      Ariel Regardez ! Personne ne se souviendra de vous en tant que peintre, mais vous resterez dans l’Histoire comme celui qui a déclenché la Deuxième Guerre Mondiale.

      Il jette un regard rapide à l’écran.

      Directeur Admettons un instant que je vous crois... Alors vous pouvez prévoir l’avenir ?

      Ariel Mon avenir, non. Mais pour moi, votre futur, c’est le passé.

      Directeur Je ne suis pas sûr de vouloir connaître mon propre avenir. Et encore moins la date de ma mort...

      Ariel Je comprends ça...

      Directeur Pouvez-vous me dire au moins qui sera considéré comme le plus grand artiste peintre du 20ème siècle ?

      Ariel Je dirais... Picasso, sans l’ombre d’un doute.

      Directeur Picasso ? Je ne connais pas... Et vous pouvez me montrer une de ses toiles ?

      Ariel pianote sur son téléphone.

      Ariel Vous êtes vraiment sûr...?

      Il acquiesce et elle lui montre l’écran. Il reste stupéfait un instant.

      Directeur Vous avez raison, ça doit être un cauchemar...

      Ariel Oui, à côté de celui Picasso, le style d’Egon Schiele semblerait presque académique...

      Directeur Et j’imagine qu’il n’y a aucun moyen pour arrêter tout ça.

      Ariel Empêcher l’arrivée du cubisme, certainement pas. Mais rendez-vous compte de la responsabilité qui pèse sur vous ! Si vous rejetez la candidature d’Adolf Hitler, il en nourrira une rancune mortifère. Il finira par fonder le parti nazi. Il prendra la tête de l’Allemagne, et il conduira le monde au chaos.

      Directeur Et si je l’autorise à intégrer l’Académie...?

      Ariel Qu’est-ce que vous risquez ? Au pire ce sera un mauvais peintre de plus... Mais un homme apaisé qui aura réalisé son rêve. Et vous aurez sauvé l’Humanité !

      Directeur Ce n’est pas si simple, il me semble... Cette histoire terrible a déjà eu lieu puisque vous la connaissez. Alors si nous changeons le passé, est-ce que nous changeons l’Histoire ou est-ce que nous ajoutons seulement une Histoire alternative. Une histoire dont rien ne dit qu’au final, elle ne sera pas pire que la première.

      Ariel Pire ? Qu’est-ce qui pourrait être pire que le Troisième Reich ?

      Directeur Je ne sais pas... Un troisième Reich qui durerait mille ans, peut-être. Combien de temps a duré celui-ci ?

      Ariel Douze ans.

      Directeur J’en conclus que cet Hitler n’a pas gagné la guerre mondiale dont vous parlez.

      Ariel Non, en effet... Il a fini par perdre. Les forces du bien ont fini par l’emporter.

      Directeur Allez savoir, si Hitler devient artiste peintre, c’est peut-être quelqu’un d’un peu plus malin que lui qui prendra le pouvoir en Allemagne pour conduire cette guerre. Et les forces du mal pourraient cette fois l’emporter...

      Ariel Je vais interroger ChatGPT là-dessus aussi...

      Directeur ChatGPT... Mais qu’est-ce que c’est que ça ?

      Ariel Une intelligence artificielle.

      Directeur Vous voulez dire que cette machine est plus intelligente que vous ?

      Ariel En tout cas, elle en sait plus que moi.

      Elle tape quelque chose et regarde l’écran.

      Directeur Alors ?

      Ariel C’est la théorie des multivers. Plusieurs mondes alternatifs coexistant dans des dimensions différentes de l’univers. Une infinité peut-être. Couvrant tous les possibles...

      Le Directeur semble complètement abasourdi.

      Directeur Tout ceci est absolument extravagant... Écoutez, vous m’avez l’air d’une jeune fille intelligente, mais quelque peu exaltée.

      Ariel Complètement folle, vous voulez dire ?

      Directeur En tout cas, visiblement très obsédée par sa mère... Si je peux vous donner un conseil, Mademoiselle, commencez par vous libérer de l’emprise de votre maman avant de vouloir sauver le monde. Même si ce téléphone n’a pas de fil, coupez le cordon !

      Ariel Alors vous pensez que ce serait ça ? Un rêve de toute puissance ? Je veux tuer Hitler mais en réalité, c’est de ma mère dont je veux me débarrasser ?

      Directeur Vous voulez vous allonger sur ce divan pour me raconter ça...?

      Ariel Ça pourrait durer des années, je le crains...

      Directeur Vous avez raison... Le Docteur Freud habite à quelques rues d’ici. Je peux vous donner son adresse, si vous voulez.

      Ariel D’ailleurs, si tout ceci n’est qu’un rêve... je n’habite peut-être même pas à Vienne. Et je ne suis pas artiste peintre. Pire encore... est-ce que j’existe vraiment ?

      Directeur Quoi qu’il en soit, je ne peux pas accéder à vos caprices. Ce jeune Hitler n’est pas digne d’intégrer notre prestigieuse école, un point c’est tout.

      Ariel Alors il ne me reste plus qu’à le tuer, ce sera encore plus sûr.

      Directeur Vous plaisantez...

      Ariel Vous dites qu’il va arriver d’un instant à l’autre... et il n’a aucune raison de se méfier, puisqu’il n’a encore commis aucun crime. Le problème c’est que moi non plus, je n’ai jamais tué personne. Vous pourriez m’aider ?

      Directeur Mais moi non plus, je n’ai jamais tué personne ! Je ne vais pas commencer aujourd’hui avec un candidat, si mauvais soit son dossier...

      Ariel Je n’ai pas d’arme sur moi. (Elle regarde sur le bureau et se saisit d’un coupe-papier) Ce coupe-papier, ça fera l’affaire. En visant la carotide... Mes cours d’anatomie vont enfin me servir à quelque chose.

      Directeur Mais vous êtes complètement malade !

      Ariel Vous ne comprenez pas ! Il s’agit de sauver la vie de cent millions d’innocents ! Dont celle de six millions de juifs éliminés dans les camps de la mort pour la seule raison d’être nés juifs !

      Directeur Sauver des innocents en en tuant d’autres à titre préventif ?

      Ariel Je n’en tuerai qu’un seul, rassurez-vous...

      Directeur J’imagine qu’un leader politique ne suffit pas à déclencher une guerre mondiale. Il lui faut aussi des complices. Vous allez les tuer tous... à titre préventif ?

      Ariel Je ne sais pas...

      Directeur Et ce dictateur, Hitler, il a pris le pouvoir par un coup d’état ?

      Ariel Après avoir été élu, hélas.

      Directeur Alors il faudrait aussi tuer tous ses électeurs... à titre préventif. Entendez-vous exterminer la moitié du peuple allemand pour éviter une guerre ?

      Ariel Je ne sais plus... Non... Je me contenterai d’éliminer Hitler, je suppose.

      Directeur Un crime reste un crime, Mademoiselle Tannenbaum. Si on se mettait à éliminer par avance tous ceux qui risquent de nuire à l’espèce humaine, on n’en finirait pas. Et puis cet eugénisme n’est-il pas précisément ce que vous prétendez combattre...?

      Ariel D’accord, mais là on ne parle pas d’une probabilité, on parle d’un avenir certain ! Je le sais, puisque j’en viens !

      Directeur Quoi qu’il en soit, je ne peux pas m’associer à un tel forfait.

      Ariel semble reprendre un peu ses esprits.

      Ariel Vous avez sûrement raison... Je veux bien un verre d’eau, finalement. Et après je vous laisse, c’est promis...

      Le Directeur sort. Musique dramatique. De mémoire, elle se met à griffonner fébrilement un portrait de Christian Griepenkerl et le place dans le dossier d’Hitler. La musique s’arrête. Le Directeur revient.

      Directeur Voilà votre verre d’eau.

      Elle boit.

      Ariel Je vais partir, mais je vous en prie. Réexaminez une dernière fois son dossier...

      Il ouvre à nouveau le dossier et voit le dessin.

      Directeur Tiens, je n’avais pas vu cette esquisse...

      Ariel Mais c’est un portrait de vous !

      Directeur Ah oui, c’est vrai. Et très bien troussé je l’avoue.

      Ariel Il témoigne d’une grande observation de la nature humaine. Il a su vous percer à jour, c’est évident. Votre génie dissimulé derrière cet air modeste. Votre charisme teinté de bienveillance...

      Il semble sensible à ces flatteries, avant de se reprendre.

      Directeur Bon, maintenant, ça suffit. Vous allez devoir me laisser, Mademoiselle. J’ai salué le jeune Hitler en allant vous chercher ce verre d’eau. Il attend dans le bureau de ma secrétaire. Et après ce que vous m’avez dit de vos intentions criminelles, je préfère autant que vous ne le croisiez pas...

      Ariel J’y vais. Je ne sais pas où, mais j’y vais...

      Elle sort. Le Directeur regarde à nouveau le dessin, avec un air perplexe. On frappe à la porte.

      Directeur Entrez !

      Noir.

      Tableau 3

      Lumière.

      Ariel est endormie sur une chaise. Elle se réveille, déconcertée, et examine les lieux. L’ordinateur est revenu sur le bureau. Et l’empereur François-Joseph a été remplacé par un portrait de Donald Trump, qui peut être affublé d’une petite moustache semblable à celle d’Hitler. Ariel n’a guère le temps de s’en étonner. Le même homme entre, cette fois habillé dans un style contemporain.

      Directeur – Désolé de vous avoir fait attendre. J’ai crevé un pneu en venant, et je n’avais pas de roue de secours. J’ai dû prendre un Uber pour arriver jusqu’ici.

      Ariel Un Uber...? Nous ne sommes donc plus en 1907...

      Directeur – En 1907 ? Quelle drôle d’idée... Pourquoi en 1907 ?

      Ariel Excusez-moi... J’ai dû faire un cauchemar. Et... vous êtes le directeur de l’Académie des Beaux-Arts, n’est-ce pas ?

      Directeur – Ça a l’air de vous surprendre... Nous avions pourtant bien rendez-vous, non ? Pour examiner votre dossier de candidature...

      Ariel Bien sûr ! Non, je... Excusez-moi, j’ai très mal dormi.

      Directeur – Bon, alors, voyons ça...

      Ariel lui tend son carton à dessin et il l’ouvre. Il regarde les dessins un par un, sans rien dire, avec un air circonspect. Elle semble un peu inquiète.

      Ariel Je pourrais vous en montrer d’autres, bien sûr...

      Directeur – Non, non, c’est... Le style n’est pas très conventionnel, évidemment, mais... vous avez un bon coup de crayon.

      Ariel Pas très conventionnel...?

      Directeur – Vous savez que nous sommes revenus à un certain académisme... Et j’ai des comptes à rendre à ma hiérarchie.

      Ariel Et donc, vous qualifieriez mon style de...

      Directeur – Sans parler d’art dégénéré, tout cela n’est guère conforme aux principes esthétiques et moraux de notre Académie.

      Ariel Les principes moraux ?

      Directeur – Les nus ne sont plus autorisés, Mademoiselle, vous ne le saviez pas ?

      Ariel C’est encore une plaisanterie...? À moins que ce cauchemar continue...

      Directeur – Un cauchemar ?

      Ariel J’ai rêvé que j’étais dans ce même bureau, en 1907, au moment où la candidature d’Adolf Hitler a été rejetée.

      DirecteurAdolf qui ?

      Ariel Adolf Hitler ! Vous connaissez, tout de même.

      Directeur – Non... Je devrais ?

      Elle regarde autour d’elle et remarque le portrait de Donald Trump.

      Ariel Vous avez un portrait de Donald Trump dans votre bureau ?

      Directeur – C’est le premier Président des États-Unis du Monde Libre. Ne me dites pas que vous l’ignorez...

      Ariel Les États Unis du Monde Libre ?

      Directeur – Et l’Autriche s’enorgueillit d’en être le 74ème état.

      Ariel Alors... j’aurais vraiment changé le cours de l’histoire.

      Directeur – Vous êtes sûre que vous vous sentez bien, Mademoiselle ?

      Ariel Non, à vrai dire, j’ai un peu la tête qui tourne.

      Directeur – Asseyez-vous là, je vais aller vous chercher un Coca-Cola.

      Ariel Je préférerais un verre d’eau, si ça ne vous dérange pas.

      Directeur – De l’eau ? Quelle drôle d’idée... Mais Mademoiselle, plus personne ne boit d’eau depuis très longtemps dans les États-Unis du Monde Libre.

      Ariel Et pourquoi cela ?

      Directeur – Pourquoi ? Mademoiselle, si vous voulez avoir une chance de devenir artiste dans ce pays, « pourquoi » est une question que je vous conseille de rayer de votre vocabulaire...

      Le directeur sort. Ariel s’assied, complètement anéantie. Elle consulte l’écran de son portable et pianote sur le clavier.

      Ariel (effondrée) – Non... La deuxième guerre mondiale n’a jamais eu lieu... mais Donald Trump est le Président à vie des États-Unis du Monde Libre.

      Elle continue à consulter l’écran de son portable. Le directeur revient. Ariel regarde dans sa direction. Il braque sur elle une sorte de taser.

      Directeur – Désolé Mademoiselle, j’ai essayé de plaider votre cause, mais j’ai des ordres... Et nous ne pouvons pas tolérer de tels comportements déviants dans notre Académie...

      Il appuie sur la gâchette. Elle s’effondre.

      Noir.

      Tableau 4

      Lumière.

      Ariel se réveille à nouveau. Elle porte toujours son bonnet cachant une chevelure rousse. Elle regarde autour d’elle. Le tableau d’Egon Schiele et l’ordinateur sont revenus à leur place. Le directeur arrive, dans la même tenue que précédemment.

      Directeur – Désolé de vous avoir fait attendre. J’ai crevé un pneu en venant, et je n’avais pas de roue de secours. J’ai dû prendre un Uber pour arriver jusqu’ici.

      Ariel Je n’ose pas vous demander en quelle année nous sommes... Et si vous avez déjà entendu parler d’Adolf Hitler.

      Le directeur est évidemment surpris.

      Directeur – Ça va Mademoiselle ? Vous avez l’air un peu perturbée...

      Ariel Non, non, tout va bien, je vous assure...

      Directeur – Donc vous êtes Mademoiselle...

      Il consulte la liste sur son bureau.

      Ariel Tannenbaum... Ariel Tannenbaum...

      Directeur – C’est ça.

      Ariel Vous n’avez rien contre les femmes... ou contre les juifs.

      Le directeur semble à nouveau déconcerté.

      Directeur – Notre seul critère de sélection est de nature artistique, rassurez-vous... Vous me montrez votre dossier...?

      Ariel Bien sûr.

      Elle lui tend son carton à dessin et il regarde son contenu. Elle scrute ses réactions avec anxiété mais il reste tout d’abord impassible.

      DirecteurMais dites-moi, ces dessins sont excellents.

      Ariel Vous ne pensez donc pas que c’est de l’art dégénéré ?

      Directeur Vous avez un style très personnel, c’est vrai. Mais c’est tout à fait ce que nous attendons de nos étudiants dans cette Académie. La technique, c’est notre mission de vous l’apprendre, mais le talent ne s’enseigne pas. Nous sommes là pour accompagner des artistes, pas pour former des peintres en bâtiment.

      Ariel C’est pourquoi l’Académie a autrefois rejeté la candidature d’Adolf Hitler, j’imagine.

      Le directeur affiche à nouveau son étonnement.

      Directeur Quoi qu’il en soit, je ne pense pas beaucoup m’avancer en disant que nous accepterons la vôtre.

      Ariel Tant mieux ! Car vous êtes bien placé pour le savoir, quand l’Académie des Beaux-Arts de Vienne refuse un candidat, on se demande toujours ce qu’il va faire après...

      Directeur J’en parlais justement avec un collègue du jury ce matin. Une de nos candidates, qui est déjà une excellente peintre, est par ailleurs une surdouée en mathématiques. Et si en lui ouvrant les portes de notre Académie nous privions l’Humanité du prochain Einstein...?

      Ariel Rassurez-vous, en ce qui me concerne, je suis nulle en maths...

      Directeur Nous avons une grande responsabilité, en effet. En refusant un candidat, on peut le pousser aux pires extrémités. Mais en l’acceptant on peut aussi le détourner d’un autre futur peut-être beaucoup plus enviable...

      Ariel En effet, le destin de chacun de nous est le résultat d’une série de choix.

      Directeur Nos propres choix, mais aussi les choix des autres.

      Ariel Et le destin de l’Humanité est la somme de tous ces destins individuels.

      Directeur Mais comment être certain que ce qui nous paraît aujourd’hui le bon choix n’aura pas demain des conséquences catastrophiques ?

      Ariel À l’inverse, les échecs les plus cinglants ouvrent parfois la porte à des ascensions fulgurantes...

      Directeur Si Hitler avait réussi son concours d’entrée à l’Académie, il ne serait probablement jamais devenu le pire dictateur que l’Histoire ait connu.

      ArielEt si Donald Trump n’avait pas fait faillite dans l’industrie du jeu, il ne serait sans doute jamais devenu Président des États-Unis...

      Directeur Il n’aurait pas pris le monde pour un casino... et il n’aurait pas fait avec l’Amérique ce qu’il a fait avec Atlantic City : ruiner les commanditaires qui lui avaient fait naïvement confiance, avant de partir sans payer ses dettes.

      Ariel Mais après tout, le monde n’est-il pas un gigantesque casino ? L’Homme choisit les numéros sur lesquels il mise, mais c’est le hasard qui décide si le numéro qu’il a joué sortira ou pas.

      Directeur Alors la liberté ne serait qu’une illusion...? Le choix de s’en remettre à un hasard plutôt qu’à un autre...

      Ariel Le hasard lui-même existe-t-il vraiment ? « Dieu ne joue pas aux dés » disait Einstein.

      Directeur C’est l’hypothèse déterministe, qui exclut toute notion de libre arbitre.

      Ariel Et donc toute responsabilité et toute culpabilité.

      Directeur Même nos choix individuels seraient l’inévitable résultat de causes que nous ne maîtrisons pas.

      Ariel Je ne peux pas me résoudre à l’idée que nous ne sommes que des robots au comportement programmé à l’avance.

      Directeur Des robots néanmoins dotés d’une conscience, qui fait de nous les spectateurs de notre vie.

      Ariel En tout cas, une fois que nous avons choisi, il n’y a pas de retour en arrière possible.

      Directeur On peut toujours changer d’avis.

      Ariel Ce qui constitue un autre choix, mais qui n’annule pas le premier.

      Directeur Nous ne serions donc que des marionnettes mues par des fils invisibles et manipulées par le destin, pour jouer une inéluctable tragédie sur laquelle nous n’avons aucune prise, puisqu’au final nous n’avons qu’un seul choix.

      Ariel Sauf à voyager dans le temps.

      Directeur Voyager dans le temps ?

      Ariel Revenir dans le passé pour modifier nos décisions.

      Directeur Mais ce n’est pas possible, n’est-ce pas ?

      Ariel Non, bien sûr. Sauf en rêve...

      Directeur Vous vous intéressez donc à la philosophie, Mademoiselle ?

      Ariel Comme les religions, les philosophies se sont toujours contentées jusqu’à présent de proposer aux imbéciles des visions du monde qui soient compatibles avec leur étroitesse d’esprit.

      Directeur Contrairement à la science, les questions que pose la philosophie ne sont-elles pas destinées à rester sans réponse ?

      Ariel Si les questions que posent les philosophes sont sans réponse, c’est parce que ces questions sont mal posées. Les philosophes essaient de comprendre le monde à partir de leur propre référentiel anthropocentrique. Puisque l’homme naît et meurt, il devrait en être de même pour toute chose. L’univers devrait avoir un début et une fin. Et puisque l’Homme croit donner un sens à sa vie en se fixant des objectifs, l’univers aussi devrait avoir une finalité. Ne faudrait-il pas plutôt reconsidérer notre humanité en fonction de ce que nous commençons à entrevoir des mystères de l’univers ?

      Directeur La plupart des gens, hélas, préfèrent s’en remettre à Dieu plutôt qu’à la science. C’est beaucoup moins fatiguant...

      Ariel Un Dieu qui nous aurait créés pour être au centre de toute chose.

      Directeur Selon la Bible, Dieu aurait d’abord créé la Terre, puis quelques objets célestes autour d’elle, pour la décoration.

      Ariel Mais si nous avons l’impression d’être au centre de l’univers, c’est parce que notre myopie ne nous permet d’apercevoir qu’un faible halo autour de nous. La plus grande partie de l’univers reste inaccessible à nos yeux. Et l’univers s’étend à une telle vitesse que la lumière de ses confins ne parviendra jamais jusqu’à nous.

      Directeur « Le silence éternel de ces espaces infinis » effrayait déjà Blaise Pascal.

      Ariel Ce que nous inculque la religion, c’est l’égocentrisme et la cécité. Ce que nous enseigne la science c’est la modestie et la curiosité.

      Un temps.

      Directeur Je commence à me demander si en vous acceptant dans cette Académie des Beaux-Arts, je ne vais pas priver le monde d’une grande philosophe... Celle qui révolutionnera la pensée du 21ème siècle... Je ne voudrais pas moi aussi être responsable d’une vocation contrariée...

      Ariel C’est vrai que... si on combine les phénomènes de superposition et d’intrication quantique, et qu’on les transpose à un état macroscopique, on peut esquisser une théorie de la conscience. C’est-à-dire de la permanence de ce que les philosophes ou les curés appellent pompeusement l’âme. J’existe ici parce que je suis là pour constater mon existence.

      Directeur « Je pense donc je suis », disait Descartes...

      Ariel Et à ma mort, quand les autres constateront mon absence, je me mettrai instantanément à exister sous d’autres cieux, pour d’autres yeux.

      Directeur Alors comme le chat de Schrödinger, nous serions en permanence à la fois vivant ici et mort ailleurs ? Puis inversement...

      Ariel Reste à savoir si ces deux variantes de nous-mêmes peuvent communiquer entre elles. Mais ce serait peut-être aller trop loin, n’est-ce pas...

      Directeur J’avoue que tout cela me donne le vertige... Vous êtes vraiment sûre de ne pas vouloir faire plutôt une carrière scientifique ?

      Ariel On peut aussi considérer l’art comme une façon d’interroger le monde. Et s’il n’y avait pas de vocation contrariée ? Si nous étions voués au final à jouer tous les rôles ? Si pour citer Baudelaire, nous étions tous successivement la victime et le bourreau ?

      Directeur Eh bien Mademoiselle, vous m’avez convaincu. Bienvenue dans cette Académie ! Bravo pour cet esprit indépendant et cette grande maturité.

      Ariel Merci ! C’est ma mère qui va être contente !

      Le directeur semble étonné par cette dernière remarque. Il lui tend un formulaire.

      Directeur Je vous laisse remplir cette fiche signalétique, et je reviens tout de suite.

      Elle prend la feuille et sort un stylo. Le directeur part. Ariel commence à remplir le formulaire. Son téléphone sonne. Elle prend l’appel avec un enthousiasme contrastant avec l’agacement dont elle avait fait montre lors des précédents appels..

      Ariel Allô maman ! Je suis tellement contente de t’avoir au téléphone ! (On devine que sa mère est surprise par cet enthousiasme.) Non, je t’assure, ça va très bien... Oui, ça y est, je suis admise ! Oui, moi aussi... C’est ça, je te raconterai en détail demain... Je t’embrasse. (Elle se ravise en apercevant le calendrier posé sur le bureau.) Maman ! Juste une petite question... On est en quelle année, exactement ? (Elle semble étonnée par la réponse.) Ah... Mais les Rolling Stones sont toujours le plus grand groupe de l’histoire du rock...? Non, pas les Beatles, les Rolling Stones ! Tu ne connais pas les Rolling Stones ? Bon, on parlera de tout ça vendredi...

      Elle range son téléphone. Le directeur revient. Elle ôte machinalement son bonnet, découvrant une chevelure rousse. Le directeur semble interloqué.

      Directeur Je suis vraiment désolé, Mademoiselle, mais nous n’allons finalement pas retenir votre candidature.

      Ariel Et pourquoi ça ?

      Directeur Vous m’aviez caché que vous étiez rousse...

      Ariel Et alors ?

      Directeur Mais Mademoiselle... les rousses ne sont pas admises à l’Académie des Beaux-Arts de Vienne.

      Ariel reste stupéfaite.

      Noir.

      Tableau 5

      Lumière

      Ariel se réveille à nouveau, et regarde autour d’elle. C’est cette fois un portrait d’elle-même qui est accroché au mur. Sur ce portrait à l’allure très martiale, elle porte une perruque rousse et un uniforme, garni de médailles. Le directeur arrive, également en uniforme, et il lui adresse un salut militaire en claquant des talons.

      Directeur – Madame... Je suis à vos ordres...

      Ariel Mais... vous êtes qui ?

      Directeur – Je suis votre chef d’état-major, Madame la Présidente ! Notre armée est prête. Nous n’attendons plus que votre feu vert pour envahir la Pologne.

      Ariel reste d’abord interloquée, mais elle s’efforce néanmoins de faire bonne figure..

      Ariel Bien sûr... C’est-à-dire que... Il va falloir que j’en parle à ma mère, n’est-ce pas ?

      Noir.

      Fin


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