Victor Hugo et ses copains

Ambiance Beckett (sans prétention).FRED et GUS perdus dans un désert au pied d’un arbre mort avec pour seul horizon la carcasse calcinée de leur 4×4. FRED tourne en rond, parle beaucoup, ce qui agace fortement GUS qui tente de peaufiner son anglais grâce à une application téléchargée sur son smartphone, en tout cas tant qu’il a de la batterie ! Après il faudra l’un et l’autre qu’ils trouvent à s’occuper en attendant… Mais en attendant quoi ? La fin, des temps peut-être, si elle arrive. Le personnage de FRED est bouleversant (m’a t’on dit !)

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Le plateau est nu. Il n’y a qu’un arbre mort, sans feuille aucune, qui se dresse quelque part, insolite.

I

 

 

 

GUS est assis contre le tronc de l’arbre, son portable à la main, écouteurs dans les oreilles. Il répète à haute voix en faisant de gros efforts d’articulation, une leçon d’anglais. Il a une barbe de plusieurs jours.

 

Un peu plus loin git une caisse sur laquelle est écrit en lettres grossières « ARCACHON ».

 

Un temps puis parait FRED, portant lui aussi une barbe de plusieurs jours.

 

FRED s’approche de l’arbre et commence à déboutonner sa braguette.

 

 

GUS : Ah ! Non ! Tu ne vas pas pisser sur mon arbre !

 

FRED : C’est pas ton arbre.

 

GUS : Je suis appuyé contre, idiot, donc c’est mon arbre. Provisoirement.

 

FRED : Suffit pas de s’appuyer contre pour s’approprier un arbre. Même provisoirement. Ce serait trop facile.

 

(Il continue à déboutonner sa braguette)

 

GUS (Gueule) : Va pisser plus loin !

 

FRED : Où ça ? Y’a pas d’autre arbre à l’horizon !

 

GUS : Je m’en fous. Tu ne vois pas que je travaille !

 

FRED (Haussant les épaules) :  Tu me casses les pieds avec ton English !

 

GUS : Ferme-la !

 

FRED : C’est vrai, ça t’a pris comme la courante ! Deux jours et deux nuits que je t’entends les rabâcher tes leçons dans ce putain de dialecte ! J’en ai marre.

 

(GUS ne l’écoute pas. Il répète en articulant du mieux possible…)

 

GUS: What time is it, please? It’s exactly two o’clook. What day is it today? It’s the first of January.

 

FRED (Se calme et décrète): Bon. Ben je vais pisser plus loin.

 

(FRED disparait, GUS continue sur le même ton, en s’appliquant)

 

GUS: Don’t forget that I am on a diet. Oh! Yes! And you both? I’ll take the special of the day, mutton shop, French beans and cheese, boiled potatoes…

 

(Retour de Fred qui reboutonne sa braguette. Il se plante devant l’arbre, pensif)

 

FRED : C’est tout de même étonnant qu’il y ait pas le moindre petit arbre aux alentours, à part le tien. Je me demande bien dans quelle saloperie de pays on a fini par atterrir avec tes conneries. Pas toi ?

 

(GUS reste impassible)

 

FRED : Ça fait rien, fichues vacances ! Et puis m’est avis que ce n’est qu’un début ! Je sais pas ce que ça nous réserve pour la suite tous ces emmerdements dès le départ. Mais sûrement rien de bon. Je commence à avoir la dalle, moi. Pas toi ?

(Un temps. Il tourne encore en rond, désœuvré)

 

FRED : Y’a même pas un quidam à qui parler, dans ce désert. Sauf toi. Mais toi tu parles pas, tu bosses. Môsieur se concentre. Môsieur s’instruit. Môsieur m’ignore.

 

(Encore un temps de silence, puis FRED poursuit…)

 

FRED : Tout de même, c’est toi qui a voulu changer de coin cette année, pour les vacances. Alors tu devrais au moins savoir où on est. Au moins avoir une petite idée de l’endroit de la planète où on risque de crever, non ? Je sais, tu t’en fous ! Du moment que t’as ton English à te mettre dans la tête. Moi j’aimais bien Arcachon. Et puis on étaient habitués. Seulement comme ça, tout d’un coup, ça ne t’a plus plu, Arcachon. Je me demande bien pourquoi. Je te l’ai demandé aussi, d’ailleurs, mais tu ne m’as pas répondu, comme toujours. Comme depuis un certain temps où j’ai l’impression de plus exister à tes yeux. Parce que l’English tu pouvais tout aussi bien l’ingurgiter à Arcachon, non ?

 

GUS : Fous-moi la paix !

 

FRED : J’ai tout de même le droit de parler un peu. Je m’ennuie comme un parapluie, moi, dans cet endroit sec.

 

GUS : Tu n’avais qu’à ne pas me suivre.

 

FRED : Je t’ai pas suivi, Gus, ça s’est fait comme ça. On est toujours partis ensemble pour les vacances.

 

GUS : Il fallait bousculer les habitudes. Il fallait me dire merde ou m’envoyer ton poing sur la figure. Il fallait partir de ton côté, Fred !

 

FRED : Tu dis vraiment n’importe quoi.

 

GUS : Tais-toi, je bosse. Tu n’as qu’as bosser avec-moi si tu t’ennuies.

 

FRED : Je suis pas doué pour les langues.

 

GUS : Alors ferme-là ! Pense en français si ça te fait plaisir, mais en silence. Compris ?

 

FRED (Fermé) : Compris.

 

(Un silence. FRED fait des efforts pour se taire puis avoue…)

 

FRED : Je peux pas. J’ai besoin de parler, moi, pour pas me sentir tout seul. C’est sinistre cet endroit. C’est pas ton avis, Gus ?

 

(Il regarde GUS, implorant)

 

FRED : Pourquoi tu réponds pas ? Tu réponds jamais quand je te parle depuis que tu t’es mis à apprendre l’anglais. Avant tu me répondais, tout de même. Je me souviens, à Arcachon…

 

GUS : Tais-toi.

 

FRED : C’est plus ce que c’était les vacances avec toi. C’est plus du tout marrant. Pourtant qu’est-ce qu’on a pu rigoler dans le temps tous les deux ! Tu te souviens, dis, Gus ?

 

(Silence de GUS. FRED se met à gueuler, excédé…)

 

FRED : Mais qu’est-ce que tu vas en fiche de ton English, puisque tu vas crever ici comme une bête ?

 

 (Il tourne en rond, nerveux)

 

FRED : T’as raison. J’aurais dû t’envoyer mon poing sur la figure. Te tenir tête un peu, pour une fois, et retourner à Arcachon. T’as parfaitement raison, c’est con les habitudes. J’aurais jamais dû accepter que tu prennes tout seul l’habitude de choisir pour les vacances.

 

(Il réfléchit)

 

FRED : Pourtant pour Arcachon j’étais tout à fait d’accord avec toi. J’aimais bien. Alors je vois pas pourquoi je t’aurais empêché de prendre l’habitude de choisir cette bourgade pour les vacances. Parce que si c’était moi qu’avais dû choisir j’aurais pris l’habitude de choisir Arcachon aussi.

 

(Nouveau temps de réflexion au terme duquel il conclut…)

 

FRED : Mais si c’était moi qui l’avais prise, cette habitude, en ce moment précis on y serait à Arcachon ! On serait pas dans ce désert.

 

GUS : Encore une fois : Fous-moi la paix !

 

FRED : Non, non et non ! J’en ai marre de ton English !

 

(Il tente d’arracher le téléphone des mains de GUS qui se défend)

 

GUS : Ah non !

 

FRED : Ah si ! (II se calme il devient humble soudain ) Rien qu’une petite minute s’il te plait, pour que j’ai l’impression de pas être tout seul !

 

GUS (Qui a récupéré son téléphone) : On n’est jamais tout seul. Nulle part. On peut se trouver au bout du monde il y a toujours un emmerdeur de ton espèce pour vous casser les pieds. Tu sais quoi ? J’en ai marre de t’entendre soliloquer, Fred !

 

FRED : Je peux pas dialoguer tout seul.

 

GUS : Alors écoute-moi. Répète après moi. Have a good day, sir. My regards to your wife!

 

FRED : J’aime pas. Ça sonne pas bien.

 

GUS : Tu n’aimes pas ce qui est beau. (il répète, en articulant) Have a good day, sir. My regards to your wife!

 

FRED (Stupéfait): J’aime pas ce qui est beau ? C’est à moi que tu dis ça ? Si Môsieur ! J’aime Léa, et elle est belle, Léa. Tu peux pas dire le contraire. Et aujourd’hui Léa elle est à Arcachon ! J’aurais jamais dû partir avec toi. J’aurais dû te dire merde en effet, Gus.  T’as fait exprès de m’entrainer ici, hein ?

 

GUS : On est toujours partis ensemble.

 

FRED : Avant c’était à Arcachon.

 

GUS : Ça change.

 

FRED : J’aime pas pas savoir où je suis.

 

GUS : Quelle importance ! On est toujours quelque part de toute façon, tu le sais très bien. Quelle importance de savoir où ?

 

FRED : Philosophe pas je t’en prie Gus pour m’en mettre plein la vue. On le sait que t’es instruit, toi. Tu le cries assez partout. Moi aussi, figure-toi je le suis, malgré les apparences. Auto-instruit. Parce que je me suis fait tout seul. Parce que tout m’intéresse à part l’English. C’est inné chez moi, ça.

 

GUS : On ne dit pas « auto-instruit » on dit « autodidacte » Fred !

 

FRED : Ah Bon ? Merci. Je note . Mais ça voulait dire la même chose.

 

(FRED fonce sur GUS soudain)

 

FRED : C’est toi qui a tout combiné, hein ? Ce départ pour je-ne-sais-où…  La location de la bagnole, le voyage en train qui n’en finit pas avec ces putains de fenêtres qui s’ouvrent pas quand il fait chaud et qu’on peut plus fermer quand il gèle, le bateau où on a le mal de mer et où on balance ses boyaux par-dessus le bastingage, jusqu’à la traversée de ce désert sur des pistes des plus improbables, c’est toi, hein, tout ça ? Et la panne aussi c’est toi, hein ? Je croyais que ça en avait jamais des pannes les 4x4 pour le désert ?

 

GUS : Moi aussi.

 

FRED : T’as toujours réponse à tout. (Il regarde l’arbre, pensif soudain) J’ai jamais entendu parler qu’il y ait des arbres dans un paysage aussi peu mouillé. Ou alors des palmiers dans les oasis, et ça c’en est pas un palmier, hein ?

 

GUS : Ça prouve que ce n’est pas un désert.

 

FRED : Quoi alors ? Quoi si c’est pas un désert ? Tu le sais toi-qui-sait-tout ? Tu le sais où on est, Gus ?

 

GUS : Non. Le GPS était dans le 4x4 et tout est HS.

 

FRED : J’aurais dû m’en douter. Tout a brûlé d’un coup alors ?

 

GUS : Tout.

 

FRED : Putain ! (Il réfléchit puis…) Ça aussi c’est toi, hein ? L’incident de l’incendie du 4x4, c’est toi ça aussi, hein ? (Il se met à gueuler) Faut jamais fumer en bagnole surtout quand on est au volant et qu’on circule dans le désert !

 

GUS : Tu me fatigues Fred ! (Il répète en articulant) What is the date today? Monday, January, 10th.

 

FRED (Les yeux au ciel) : Voilà l’English qui recommence !

 

GUS : Tu n’as qu’à aller plus loin !

 

FRED : Où ça ?

 

GUS (Avec un geste vague) : Par-là !

 

FRED (Lui montrant un autre côté) : Pourquoi pas par-là aussi ? Tu veux te débarrasser de moi, hein ? A tout prix. Y’a pas un seul but de promenade dans le coin. Et moi j’aime bien avoir un but.

 

GUS : Cherche un but, ça t’en fera un.

 

FRED : A quoi bon ? J’en trouverai pas.

 

GUS : Justement, ça t’occupera plus longtemps.

 

FRED (Décidé) : Non. Je reste. Tu m’as voulu pour les vacances, tu m’as. Et tu m’auras jusqu’au bout. Après tout t’es mon copain. C’est pas d’hier qu’on se connait. Tu te souviens il y a dix ans à Arcachon ?

 

GUS : Fous-moi la paix.

 

FRED : Bon.

 

(Il se tait un instant)

 

GUS: Good morning doctor. My name is Smith. I ‘don’t feel well. Any Pains? Yes and no.

 

FRED (Au bout d’un moment, pensif) : Je me demande bien ce qu’elle doit penser, Léa. Elle doit m’attendre à Arcachon depuis deux jours. Forcément je lui avais dit qu’on venait tous les deux comme d’habitude. Et puis toi au dernier moment pffft tu changes d’avis. Ça fait rien, elle comprendra quand je lui aurai expliqué, ou quand on lui renverra mes ossements par la poste en colissimo. Elle comprend tout, Léa. J’ai jamais rencontré une personne comme elle. Jamais.

 

(Petit temps. Il tourne en rond)

 

FRED : Tu crois pas qu’on verrait un seul quidam à l’horizon ? Non ! Pas même un autochtone de l’endroit pour lui demander où on est.  Ça aussi tu l’as fait exprès, hein ? Tout était prémédité dans ta tête. T’as jamais aimé le monde. Je me demande bien pourquoi tu m’as adressé la parole il y a dix ans dans ce bistrot à Arcachon !

 

GUS : J’étais bourré.

 

FRED : Tout de même, t’aurais pu choisir quelqu’un d’autre pour lui raconter ta vie de paumé.

 

GUS (nerveux) : Bon. C’est la dernière fois que je te le dis : Ferme-la ! Ou va te balader plus loin. Moi je voudrais bien travailler, tu comprends ce que cela veut dire ?

 

FRED : Oui. Mais tu me stupéfies littéralement, Gus. Tu restes tout à fait serein, toi , devant le sort qui nous attend et que moi je pressens. Ici y’a pas d’issue pour nous. Aucune. Parce que depuis le temps que je cherche j’en entrevois pas la queue d’une. Tu comprends ce que ça veut dire aussi, ça ?

 

GUS : Tst !

 

FRED : Tst ! C’est bien de toi, ça. Tst ! Ça veut rien dire.

 

(Fred se met à crier soudain)

 

FRED :  J’en ai assez moi, Gus ! Y’a même pas une sortie de secours ! Même pas des coulisses ou des loges pour qu’on les balance, nos défroques ! On n’est même pas des acteurs qui jouent une pièce désespérante. On est toi et on est moi. Et on est nulle part, mon bonhomme. Et c’est angoissant encore pire que du Beckett.

 

GUS (Stupéfait) : Tu connais Beckett ?

 

FRED : Pas personnellement. D’ailleurs il est mort. Mais je l’ai fréquenté quand même à travers des trucs que j’ai lus je ne sais plus où par le plus grand des hasards et que j’ai gardés gravés dans ma tête tellement ils m’ont impressionné. C’était un grand bonhomme. Il a eu le prix Nobel. J’ai vu ça quelque part aussi je ne sais plus où non plus. Il le méritait en tout cas.

 

GUS : Et toi quand tu auras mon pied dans le cul tu le mériteras aussi !

 

FRED : Alors tu t’inquiètes pas de l’avenir,  un minimum ?

 

GUS : Je n’ai pas le temps. Je ne suis pas un oisif. Dans l’avenir je parlerai anglais couramment comme un véritable anglais.

 

FRED : Ça sera pas écrit sur ta tombe à moins que tu sois sacrément cabotin. Ni que t’étais pas un noisif. A supposer que t’en aies une de tombe, parce que par ici…

 

GUS : C’est une satisfaction personnelle. Les autres, si tu savais comme je m’en fous !

 

FRED : Je sais, Gus.

 

GUS : Crever bilingue ça a toujours été un idéal pour moi.

 

FRED : Au fond t’es rien qu’un orgueilleux sans âme. D’ailleurs c’est ce qu’elle me disait, Léa, à Arcachon, quand on en venait à parler de toi par hasard.

 

GUS (Nerveux) : Fous-moi la paix avec Léa.

 

FRED (Qui regarde au loin, changeant de ton soudain) : Tout de même, ce que c’est plat cet endroit ! Y’a rien qu’un petit monticule à l’horizon, là-bas, qui accroche le regard. Un truc qui n’a même plus de forme. Ce qui reste du 4x4. Tout calciné, avec le GPS pour savoir où on est. C’est affreux, Gus, je me sens perdu ici avec toi. C’est l’infini à l’infini partout où on se tourne. Y’a une infinie d’infinis, même au-dessus de nos têtes. C’est flippant.

 

(Il regarde en l’air, pensif)

 

FRED : Non c’est pas l’infini au-dessus. On voit rien. Même pas un petit nuage qui passerait et qui se soulagerait la vessie pour nous arroser un peu. Tu sais ce que c’est, toi, au-dessus ? Non. Moi non plus. C’est peut-être le néant.

 

(Il lève la tête vers le ciel)

 

FRED : Ouais. Le néant ! Mais alors faudrait pouvoir trouver la différence entre l’infini et le néant.

 

GUS : Tu vas la fermer ta gueule !

 

FRED (Poursuit imperturbable) : On peut pas nier que ça existe le néant puisqu’on en parle ! Flute ! Faudrait absolument que je prenne des notes, et j’ai même pas de papier ni de crayon sous la main. Je pourrai jamais l’écrire mon bouquin. C’est affreux, Gus, d’avoir le néant sur la tête ! C’est pire qu’une épée de Damoclès parce que l’épée, au moins, quand elle est tombée elle est tombée tandis que le néant, lui, il en finit pas de tomber. Forcément ! C’est de plus en plus affreux, j’ai de plus en plus d’idées qui me viennent et de moins en moins de papier. Et quand j’ai du papier, j’ai pas d’idées !

 

GUS : Ça prouve qu’il y a un Bon Dieu qui nous préserve de ta prose. Tu as beaucoup trop lu, Fred, et sans rien comprendre. Ça te perdra.

 

FRED : Mes livres ils sont dans le 4x4, tout calcinés , tous foutus… Ça aussi tu l’as fait exprès, hein ? T’en étais jaloux de ma bibliothèque ambulante. Avec Victor Hugo moi ici je me serais pas ennuyé. C’est beau Victor Hugo, ça fait planer au moins. J’aime autant qu’Arcachon. «  L’œil était dans la tombe et regardait Caïn » ça te dit quelque chose, Gus ?

 

GUS : Ta gueule.

 

FRED : Ça m’a toujours fait frissonner cet alexandrin. Pas toi ?

 

GUS : Tu m’agaces.

 

FRED: T’aimes pas Victor Hugo. T’es pas comme tout le monde! Lui c’était un grand homme, au moins. D’ailleurs il a eu des funérailles nationales. Un truc que t’auras jamais, toi !

 

GUS : Je m’en fous.

 

FRED : D’ailleurs je sais parfaitement pourquoi tu l’aimes pas, Victor Hugo.  C’est parce que t’as jamais eu vraiment les moyens de te payer ses œuvres complètes. Il en a beaucoup trop écrit. C’est pour ça que tu prétends que tu peux pas le supporter. C’est parce que t’es qu’un sale radin ! T’es pas prêt à investir dans la culture. Ou alors faut que ça te coûte pas un radis, comme pour l’English ! Môsieur prend de l’essence avec le 4x4 et toc ! Il gagne dix leçons d’anglais gratis ! La culture il faut que ce soit un choix délibéré et pas une aubaine à la caisse d’une station-service. Moi je me les suis payées ses œuvres complètes à Victor Hugo. A tempérament mais payées tout de même. Et ça, t’as jamais pu me le pardonner. Ça ne t’a pas plu du tout mon tempérament pour Victor Hugo. Au fond t’as toujours été jaloux de moi dans un sens bien que tu sois plus instruit si on creuse. D’ailleurs c’est ce qu’elle me disait Léa, à Arcachon, quand on en venait à parler de toi par hasard.

 

(Il se met à rêver soudain)

 

FRED : « Mon Fred » ! Elle m’appelait « Mon Fred », Léa. Elle faisait l’amour comme Victor Hugo. Enfin je veux dire : comme il écrivait. A la perfection.

 

(Il regard Gus)

 

FRED : Alors toi c’est qui ton dieu en littérature, si c’est pas Victor Hugo comme tout le monde ?

 

GUS : Ma sœur.

 

FRED : Merde. T’es encore plus radin que je pensais. J’étais là quand elle te l’a offert son bouquin, ta sœur, avec la fierté d’une pintade qui viendrait de pondre un œuf en chocolat blanc. Une merde de roman d’amour à la con qu’elle avait fait éditer en dix exemplaires à son compte

 

GUS : Bon, j’en ai assez de parler avec toi, Fred ! Je perds mon temps. Fous le camp une bonne fois pour toutes maintenant !

 

FRED: J’ai faim. Qu’est-ce qui nous reste à manger ?

 

GUS : Je te sonnerai pour le dîner. Va faire un tour !

 

FRED : Non. J’ai pas envie de sortir.

 

(Il se dirige vers la caisse)

 

GUS : Et laisse cette caisse tranquille !

 

FRED : Dis ? Qui c’est qui l’a sauvée de l’incendie cette caisse tranquille ? C’est peut-être toi, qui pensait qu’à mettre la main sur ton putain de téléphone et que tu ne savais même plus où il était dans le 4x4 ! Si seulement il avait cramé avec ton English dedans !

 

(Il se met à fouiller dans la caisse)

 

FRED : Y’a encore quelques conserves et du pain sous cellophane. C’est bon le pain sous cellophane parce que ça peut pas rassir, même dans un désert comme ici. C’est déjà vendu rassis sous la cellophane !

 

(Il continue à fouiller dans la caisse)

 

FRED : Y’a aussi un ballon dans cette caisse tranquille. Le ballon pour le football qu’on pratiquait à Arcachon…  Un tire-bouchon, deux serviettes de bain, une bleue et une rouge. C’est laquelle la tienne, déjà ?

 

GUS : Merde.

 

FRED : Je crois bien que c’est la rouge. Assortie à ton maillot. Ou peut-être la bleue, je sais plus, d’ailleurs ça n’a pas beaucoup d’importance maintenant. Des boules avec un cochonnet, un parasol, un couteau à huîtres, normal pour Arcachon, une photo un peu jaunie. C’est toi, tu te reconnais ? Non ! Moi non plus, ça doit pas être toi alors. Y’a aussi un porte-clés sans clés , une paire de sandalettes avec des clés après. C’est peut-être un porte-clés ! Oui mais alors le porte-clés qu’est-ce que c’est ? Tout de même pas une sandalette ! Tant pis, pas le temps de m’étendre là-dessus. Une guitare, un cendrier. Tiens, une madeleine !

 

(Il commence à la dévorer puis s’arrête soudain, pensif)

 

FRED : J’arrêtais pas d’en dévorer, des madeleines, quand j’étais môme, le matin dans la cuisine. Avec Germaine la petite amie du copain de ma mère. Celle qui l’a remplacée, ma mère, dans le cœur de son copain ainsi que dans son lit et dans sa cuisine, après qu’elle se soit fait la malle, ma génitrice, avec un cracheur de feu à la retraite qui avait tendance à ne plus cracher que des bouts de poumons. Ça me rappelle la cuisine ce goût, et Germaine avec ses seins énormes qu’elle déposait sur la table en s’asseyant avant de se taper son petit blanc sec le matin.

 

(Il ajoute, rêveur)

 

FRED : C’est drôle tout de même. Une pâtisserie rassie et tu retrouves ton enfance ! Faudrait que je le note, ça aussi, que je le mette dans mon bouquin. Ça a de la gueule, non, comme image ? Mais j’ai toujours pas de papier ni de crayon et ma caboche est quand même un peu encombrée à cause de l’aventure qu’on est en train de vivre toi et moi. Je crois bien que je l’écrirai jamais ce bouquin.

 

(Il se replonge dans la caisse)

 

FRED : Une aiguille à tricoter, deux cordes, un chapeau mou, un réveille-matin pas à l’heure, un fer à repasser, des clous...

 

GUS (Gueule, excédé) : Et un raton-laveur ! C’est bientôt fini ton inventaire !

 

FRED : Pourquoi t’aimes pas Prévert ?

 

GUS (Stupéfait) : Tu connais Prévert ?

 

FRED : Pas personnellement, mais…

 

GUS (Le coupant, nerveux) : Bon, ça va !

 

FRED : Tu te souviens pas, alors ?

 

GUS (Tout aussi désagréable) : De quoi ?

 

FRED : C’est toi qui me l’a appris son poème, en rigolant comme un malade. Il y a dix ans, à Arcachon, un soir où t’étais bourré encore. T’en es peut-être pas conscient mais t’es un peu à l’origine de mon goût immodéré pour la littérature. Ce qu’on a pu se marrer, quand même ce soir-là. Tu te souviens pas , Gus ?

 

GUS : Non.

 

FRED : Ben si, c’est toi qui me l’a appris, son poème. Pourtant on peut pas dire que tu sois vraiment cultivé au sens propre du terme en question. T’as une petite écorce qui peut faire illusion, d’accord, mais c’est tout. Quand on gratte un peu, quand on enlève l’écorce y’a pas vraiment grand-chose en dessous. Surtout question littérature. La littérature et toi on peut dire que ça fait deux. Je peux en parler puisque moi c’est vraiment mon domaine. Par contre l’English alors là toi tu pratiques, mais avec qui tu vas le parler, hein, ce foutu dialecte à la con ? Tu pourras même pas les écrire quand tu connaitras quelques phrases ! Parce que mon papier il était dans le 4x4 et il s’est consommé dans l’incendie avec mon crayon.

 

GUS : Consumé.

 

FRED (Poursuit, imperturbable) : Tant pis pour toi, faudra que tu graves sur le sable. Sur le sable de ce désert, avec tes doigts qui vont saigner à force. Vaut beaucoup mieux que tu le parles ton English, même si tu dois le faire tout seul, même si tu dois répéter les conneries qu’on te rabâche dans tes cours . Qu’est-ce que j’ai chaud ! Pas toi ?

 

(Silence de Gus)

 

FRED : Tu recommences à ne pas me répondre, c’est pas chic. Pourtant tu t’étais dégelé un peu. Je me trompe ? C’est normal avec cette chaleur suffocante, remarque. Moi j’aime les gens qui parlent, Gus, moi je réponds toujours même quand on me demande rien. Question de correction. Je suis sociable, moi. Alors tu veux pas me répondre ? Non ? Bon.

 

(Un petit temps puis il reprend)

 

FRED : Je t’aime bien tu sais, même si tu n’as pas voulu qu’on y aille cette année à Arcachon !

 

GUS : Je n’aime pas les huîtres.

 

FRED : Ne mens pas, Gus. T’en as mangé pendant dix ans, par douzaines. Même que tu les avalais toutes crues comme un vrai cochon avec un bruit pas ragoûtant pour un sou. C’est ce que me disait Léa quand on en venait à parler bonnes manières par hasard. Tu fais rien pour me faire plaisir. T’étudies l’English pout m’enquiquiner uniquement, parce que je suis pas doué pour les langues. Moi j’aime que ce que je peux comprendre et c’est tout. Et Léa je la comprenais, c’est pour ça que je l’ai aimée tout de suite. Toi tu la comprenais pas je le sais, c’est elle-même qui me l’a expliqué en long et en large

 

GUS : Il vous arrivait de parler d’autres chose que de moi tous les deux ?

 

FRED : Je te l’ai dit : Des bonnes manières. Et alors c’était merveilleux.

 

GUS (Enlève ses oreillettes de ses oreilles et déclare solennellement, en désignant la branche de l’arbre) : Fred, un jour il faudra que je te pende !

 

FRED : T’auras pas le temps. T’es bien trop pris par ton English. Et puis de toute façon ce serait pas chic. On se connait depuis longtemps, non ?

 

GUS : Justement. Depuis trop longtemps.

 

(Il réajustes ses oreillettes)

 

FRED : C’est ça, reprends tes cours. Tu me fous le cafard quand tu causes.

 

(Un temps. Il tourne en rond)

 

FRED : Ici y’a même pas un bistrot. Un bistrot pour voir du monde, pour parler avec des gens qui vous racontent leur vie pas du tout intéressante, mais quand même. Tandis qu’à Arcachon… Tu te souviens ? Non. Moi je me souviens parfaitement, Gus, le bistrot à Arcachon. Le bistrot où j’ai vu Léa pour la première fois. Elle était au bar, trônant sur un grand tabouret. Elle avait croisé les jambes, elle était troussée très haut. Elle était superbe, Léa, ça m’a fait un coup de la voir.  Tu te souviens ? C’était du temps où on allait encore à Arcachon pour les vacances !

 

(Il a pris dans la caisse un morceau de pain qu’il commence à dévorer)

 

GUS (S’écrie) : Ah non ! Pas mon pain !

 

FRED : C’est pas ton pain ! Il était dans ma caisse tranquille.

 

GUS (Lui crie) : Ce n’est pas ta caisse !

 

FRED (Vient lui dire sous le nez) : Dis ? Qui c’est qui l’a sauvée de l’incendie, ma caisse, au péril de sa vie ?

 

GUS : Sale égoïste ! On a toujours tout partagé !

 

FRED : Sauf le goût pour les langues étrangères.

 

GUS : Peut-être. Mais le reste…

 

FRED : Le reste oui, y’a pas de doute. D’ailleurs elle le disait Léa, à Arcachon, qu’on était comme cul et chemise toi et moi. Fallait simplement savoir qui c’était qui faisait la chemise et qui c’était qui le jouait, l’autre rôle. Dis, qui c’est la chemise aujourd’hui ?

 

GUS : Ferme-la. Tu me fatigues.

 

FRED: Bon.

 

GUS (Récitant): Good morning miss Brown. Going shoping? Perhaps I could lend you a hand with your parcels! Oh! please do! I’d be glad!

 

FRED (Pensif): Dans trois jours on n’aura plus de vivres. Alors qu’est-ce qu’on fera, dis-moi ? On pourra plus vivre sans vivres. (Il déclare sur un ton impératif) Il faut ménager les vivres !

 

(Il remet son pain dans la caisse)

 

FRED : On peut même pas téléphoner dans ton désert pour appeler Arcachon parce que du réseau y’en a pas ! Léa elle doit s’imaginer que je l’ai plaquée, la pauvre !  Ça serait vraiment dégoûtant de ma part. Plaquer une fille comme ça, ben merde, faudrait être un drôle de couillon ! On aurait au moins pu la prévenir. Lui envoyer un message avant pour se décommander. On aurait même pu l’emmener avec nous, tu crois pas ?

 

GUS : Ferme-la.

 

FRED : Tu t’en fous toi, de tout ça. Tu l’as téléchargé vite-fait à la station-service ton programme de cours en English. Parce que tu savais pour la suite. Tout était déjà dans ta tête, hein ? (Il se met à crier soudain) J’en ai marre de te voir ! Je veux un bistrot, Arcachon, et Léa sur un tabouret !

 

(Il regarde Gus. Petit temps. Il s’est calmé)

 

FRED : Je suis pas un ours, moi. Tu comprends ? J’aime Léa.

 

(GUS reste impassible)

 

FRED : Tu bouges pas un orteil ça fait peur. Tu restes avachi contre ton arbre comme une chose morte. Si tu te voyais mon pauvre ami ! T’es pas très joli à regarder tu sais ! Dans trois jours tu seras une vraie chose morte, quand on aura plus de vivres. Dans trois jours tu seras une affreuse chose morte et qui puera la charogne… et l’English tournera tout seul dans ton téléphone pour la réveiller la chose morte. Mais elle sera plus capable de les ânonner, ses leçons.

 

(Il tourne encore en rond, désemparé)

 

FRED : Y’a même pas une mouche dans ton putain de désert pour venir nous taquiner. Pour nous occuper un peu. On sera même pas bouffés !

 

(Un petit temps puis il reprend, un peu ému)

 

FRED : Moi j’aurais voulu avoir une tombe comme tout le monde. Avec mon nom gravé et des fleurs dessus. Des fleurs qui sentent bon. Des fleurs apportées par Léa qui aurait fait tout exprès le voyage depuis Arcachon pour se recueillir sur ma dépouille enterrée.

 

(Un temps. Il se fait une raison)

 

FRED : J’ai faim !

 

(Il va reprendre son pain dans la caisse, commence à manger puis regardant à nouveau dans la caisse il y rejette son pain)

 

FRED : Il faut ménager les vivres !

 

(Un temps encore. Il regarde tout autour de lui puis demande soudain à GUS…)

 

FRED : A ton avis, c’est de quel côté Arcachon ?

 

(Pas de réponse)

 

FRED :  Bon, tu sais pas. Ou tu t’en fous, comme d’habitude.

 

(Un temps. Il regarde l’arbre)

 

FRED : Tout de même je me demande bien ce qu’il peut bouffer ce palmier qu’en est pas un… y’a pas une goutte d’eau par ici… Il doit être drôlement assoiffé même si c’est pas un nénuphar.

 

(Il regarde GUS)

 

FRED : Remarque tu transpires à grosses gouttes il doit ingurgiter tout ce que tu libères, au passage. Ça lui permet de subsister provisoirement. S’il est pas déjà crevé ! Parce qu’avec la gueule qu’il a !

 

(Il se met à taper du pied, rageur)

 

FRED : Du sable ! Partout du sable ! Rien que du sable ! A Arcachon au moins il y a la mer. La vraie. Et celle de Léa aussi, dont elle a jamais su si c’était vraiment sa mère. Et ça n’a pas d’importance. C’est une femme très bien, sa mère, à Léa. Elle m’a trouvé très distingué, beaucoup plus que toi en tout cas. C’est pour ça que tu apprends l’English, hein ? C’est pour avoir un peu de classe en société. Pauvre Gus. Te fatigue pas. La distinction ça s’apprend pas. On nait avec et puis c’est tout. Moi je suis né avec, bon, je l’accepte. Bien obligé, parce que c’est pas dans la poubelle où j’ai grandi que j’aurais pu l’apprendre, la distinction. Je vais te dire, c’est les livres aussi qui m’ont distingué. Mon goût pour les livres. Victor Hugo et ses copains.

 

(Un temps il regarde GUS)

 

FRED : Elle parlait anglais, Léa, avec les étrangers, souvent, au bar. C’est pour ça, hein, que tu l’apprends aussi ? Pour pavaner. Pour faire le beau devant les petites anglaises à la peau couleur de bidet. Avec moi Léa elle parlait français et elle disait des choses toutes simples, ça me plaisait énormément.

 

(Il retourne à la caisse)

 

FRED : J’ai faim !

 

(Il prend du pain et commence à le manger, regarde à nouveau dans la caisse, s’arrête de manger, hésite, puis recommence)

 

FRED : Léa elle adorait ça les sandwiches !

 

 

NOIR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

II

 

 

 

GUS est toujours affalé contre le tronc de l’arbre, avec ses oreillettes et son téléphone. A la plus haute branche de l’arbre le corps de FRED se balance au bout d’une corde. La caisse est plus loin, renversée.

 

GUS: Do you understand me? Yes, I do. No I’don’t. I beg your pardon. Will you speak slowly please.

 

(Soudain FRED se met à parler calmement. GUS reste impassible)

 

FRED : Par-là non plus on voit pas un péquin à l’horizon ! N’importe où qu’on se tourne on voit pas un chat vivant dans ce désert. Je vais te dire, Gus, au fond c’est pour ça que c’est un désert même si tu prétends le contraire. C’est parce qu’on voit pas âme qui vive. A part nous. Enfin… à part toi ! (Il réfléchit) Alors non, c’est pas un désert ! A Arcachon au moins y’en avait des êtres vivants, qui erraient le soir dans les rues et qui reluquaient Léa avec leurs sales yeux de satyres ! Léa qui était à mon bras, le soir, dans les rues d’Arcachon. Je crois bien qu’ils étaient jaloux de ma personne tous ces cochons. Pas toi ?

 

GUS : Fous-moi la paix.

 

FRED : Gus, pourquoi que tu m’as pendu ? Je t’embêtais ?

 

GUS : Je ne t’ai pas pendu. C’est toi qui t’es pendu tout seul.

 

FRED : Je m’en souviens pas, je t’assure. J’ai beau essayer de me remémorer la chose, je m’en souviens pas du tout. C’est terrible. Non, vraiment, ça peut pas être moi, Gus.

 

GUS (Calmement) : Ecoute, tu es monté sur la caisse, tu as passé la corde à la branche et ton cou dans le nœud coulant…

 

FRED : Et toi t’as balancé la caisse d’un coup de pied rageur. Oui, maintenant je me souviens.

 

GUS : Je ne voudrais surtout pas que tu déformes la vérité des évènements, Fred. Tu t’es accroché avec tes deux bras à la branche, tu as envoyé la caisse au diable avec tes pieds et tu as lâché la branche, c‘est tout. Ça a fait un grand clic et j’ai relevé la tête. C’était trop tard, tu étais pendu pour de bon.

 

FRED : Et toi t’étais soulagé, hein ?  Mais pourquoi tu sais tout ça si tu l’as levée qu’à mon clic, ta tête ?

 

GUS : Je fais des suppositions. Si tu ne te souviens pas ce n’est pas de ma faute. Tu n’as qu’à regarder la caisse, elle y est toujours, au diable. C’est une preuve de ce que j’avance.

 

FRED : Ça m’embête de te contrarier, Gus, surtout que t’es très occupé, mais c’est pas ce que j’ai vu moi, je t’assure. Je suis monté sur la caisse, bon, j’ai accroché la corde à la branche, d’accord. J’ai passé mon cou dans le nœud coulant, c’est entendu. Mais là je t’ai dit : « Gus, tu m’as affirmé que tu me pendrais, tout à l’heure, alors fais-le !  Montre-moi que t’es bien un homme de parole ! » C’était rien qu’un jeu, tu comprends ? On s’emmerdait tellement, ici ! Si t’as cru que c’était sérieux tu t’es trompé je t’assure. T’as rien dit, comme d’habitude. Tu t’es levé et tu l’as balancée d’un coup de pied rageur, la caisse, Gus. Tu comprends ça ?

 

GUS (Gueule) : Ce n’est pas moi qui t’ai pendu !

 

FRED : Bon. Si tu veux. On va quand même pas s’engueuler pour si peu. En tout cas je vois pas comment j’aurais pu balancer la caisse tout en faisant le chimpanzé sur ce palmier qu’en est pas un ! Ça tient pas debout tes explications.

 

GUS : Merde.

 

FRED : Foutue caisse quand j’y repense. Dire que je l’avais préparée tout spécialement pour les vacances à Arcachon. Et puis toi au dernier moment pfft t’as changé d’avis et de direction comme une girouette sur un toit.

 

GUS (Récite, impassible): The house is two storeys high. The door is wide open. Somebody il knocking at the door.

 

FRED: Tu m’embêtes avec ton English, encore plus qu’avant. Le bruit monte. Abandonne, Gus, suis mon conseil, abandonne ! Tu pourras même pas le parler ce dialecte. Même pas avec ton copain Fred qu’est pourtant quasiment comme ton frère. Parce que ton copain Fred, je vais te dire, même si il le savait l’English, il continuerait à te causer français rien que pour t’enquiquiner à son tour comme tu l’as enquiquiné. D’ailleurs qui te dit qu’il le sait pas, l’English, ton copain Fred ?  Depuis le temps,  il a pas les oreilles dans les talons… What time is it, please ? It’ exactly two o’clock sir.  What day is it today? It’s the first of January!

 

GUS (S’écrie, exaspéré) : C’est bientôt fini nom de Dieu ?

 

FRED (Impassible) : Tu vois tu m’engueules encore. Même quand je fais l’English pour tâcher de t’être agréable ! C’est pas chic. Je sais vraiment plus quoi inventer pour te faire plaisir. Pour te voir sourire, un peu. Tu devrais me remercier, au lieu de gueuler contre moi,  parce que dans pas longtemps m’est avis que ton téléphone il rendra son dernier soupir. Et ton chargeur tu sais parfaitement qu’il était avec nous dans le 4x4, branché dans la prise adéquate. Et doit pas en rester grand-chose vu ce qu’il reste du 4x4 en personne là-bas à l’horizon ! T’avais prémédité tout ça aussi, hein ? L’incident de l’incendie c’était pas un accident, c’était toi qui l’avait prévu ?

 

GUS : Non. Ce n’était pas moi.

 

FRED : Bon c’était pas toi, admettons. C’était ta saloperie de cigarette qui avait le feu au cul et qui voulait que tu l’allumes.

 

(Un silence)

 

FRED : Mais c’était une drôle d’idée de mettre le feu à un gros bidon d’essence ordinaire juste pour allumer une petite cigarette, surtout quand on est au volant.. Moi ça m’a paru bizarre sur le champ que tu procèdes de cette manière mais j’ai rien dit comme d’habitude puisque Môsieur a toujours raison.

 

GUS (Excédé) : Assez ! Assez ! Assez !

 

FRED : T’as toujours beaucoup trop fumé, Gus. C’est ce qu’elle me disait Léa, à Arcachon, quand on en venait par hasard à parler de toi tous les deux. Tu fumais vraiment comme un vrai pompier qu’aurait pas sa lance sous la main pour éteindre le foyer.  (Il rêve soudain) Il doit faire beau à Arcachon !

 

(Un temps, il rêvasse encore un peu, puis…)

 

FRED : Léa elle t’aimait bien aussi, tu sais. Pas autant que moi, bien sûr, surtout dans les derniers temps, mais bien-bien tout de même. Moi je lui ai appris Victor Hugo à Léa, et ça, ça lui a beaucoup plu parce qu’elle connaissait pas le bonhomme. Forcément quand on n’a jamais quitté Arcachon ! Elle savait juste à peu près que c’était une avenue à Paris dans un quartier chic, et c’est tout. Elle savait même pas que c’était aussi une station de métro et qu’avant ça avait été un grand homme avec des funérailles nationales. Toi, tu lui as jamais rien appris à Léa. Ça aussi c’est elle-même qui me l’a dit avec un peu de rancœur dans la voix. Elle était bath Léa, à Arcachon ! Bath ? C’est pas un mot English, ça ? Ça sonne English. Tu trouves pas toi qu’es calé dans ce dialecte ? Non ? Bon. Je vais te dire une chose, mon vieux, qui va t’étonner : T’as beau les rabâcher, tes leçons, tu serais complètement paumé dans leur île à ces gens-là. T’aurais l’air d’un extra-terrestre !

 

(Un temps, il rêve encore)

 

FRED: Victor Hugo, putain, le pied! “L’œil était dans la tombe et regardait Caïn ». C’est poignant ça, non ? Tu peux me le traduire en English ? Non ? Bon. Suis sûr que ça fout tout en l’air. Tu peux me le traduire, Gus ?

 

GUS : Merde.

 

FRED : C’est bien ce que je pensais. Ça fout tout en l’air.

 

(Un silence)

 

FRED : Pourquoi tu te dis dans ta tête que je suis un crétin, Gus ?

 

GUS (Excédé) : Je ne me dis rien du tout.

 

FRED : Oh si ! Je t’entends penser. J’en connais de plus crétins. Je suis pas en tête du top cinquante dans ce domaine. Y’en a des tas avant moi. Et y’a pas à chercher bien loin. C’était d’ailleurs ce qu’elle me disait Léa, à Arcachon, quand on en venait à dresser la liste des crétins qu’on connaissait tous les deux : « Y’a pas à chercher bien loin, tiens, Gus ! »

 

GUS (S’écrie): Stop! Stop! Stop!

 

FRED : Pourquoi tu m’as pendu, Gus ?

 

GUS : Mais je vais devenir fou, moi, ici ! FOU ! Je te répète encore une fois que ce n’est pas moi qui t’ai pendu !

 

FRED : Bon. Décidément, c’est que j’ai pas dû faire attention. Pourtant je croyais bien, tu sais. Elle le disait Léa, à Arcachon, que j’étais un peu tête en l’air, mais à ce point-là tout de même ça me parait pas croyable ! Si elle me voyait aujourd’hui, elle me dirait : « Tu vois mon Fred, j’avais raison ! » Et elle m’enverrait des baisers assise sur son tabouret qu’elle aurait amené avec elle. T’aurais tout de même pu m’empêcher de me pendre, Gus !

 

GUS (Dans un soupir) : Je ne suis pas toujours derrière toi !

 

FRED : T’étais accaparé par les leçons d’English c’est ça ?

 

GUS : Sûrement. Et après il était trop tard.

 

FRED : Oui. Le clic. Je comprends. Mais c’est quand même pas chic de ta part. Se plonger dans son English pendant que son copain se pend ça prouve qu’on y tient pas tellement à son copain. Je t’embête, hein ? Tant mieux ! J’en ai de plus en plus marre, Gus, d’être tout seul ici sans personne à qui parler qu’une espèce de mort-vivant comme toi. Je veux Léa, MA Léa ! Dis ? Tu pourrais pas m’y emmener à Arcachon ? C’est ma toute dernière volonté, je t’assure !

 

GUS : Comment, idiot ? En stop ?

 

FRED : Flute, c’est vrai, le 4x4 ! Tu pourrais pas le réparer ?

 

GUS (Superbe) : Je ne suis pas Dieu !

 

FRED : Non. Tu serais plutôt le Diable. Je parle par rapport à moi parce que quand j’y pense, Gus, tout ce qui m’arrive de mauvais depuis quelque temps, c’est tout entièrement de ta faute, mon vieux. C’est à croire que tu me détestes. D’ailleurs tu m’as pendu c’est bien la preuve de ce que j’avance ! T’auras ma mort sur la conscience. C’est ce que tu voulais, hein, que je craque ? Que t’aies plus qu’à la balancer, la caisse, d’un coup de pied rageur pour entendre le grand clic ! C’est pour ça que tu me les ressassais sans arrêt tes putains de leçons à la con ! C’était pour que je craque, hein ? C’est fait Gus, j’ai craqué. T’es satisfait ?

 

GUS : Tu m’emmerdes ! Tu m’emmerdes ! Tu m’emmerdes !

 

(GUS tente de s’isoler mentalement, de se concentrer sur ses leçons)

 

GUS: I am fond of open fires. I warm myself before the fire. The fire goes out. I strike a match.

 

(Il devient blême soudain et s’écrie)

 

GUS : Oh Merde ! Je n’ai plus de batterie !

 

(Il secoue son téléphone comme un malade)

 

FRED (Impassible) : Tu vois je te l’avais bien dit mon vieux. Sans chargeur dans cet endroit t’es complètement coupé du monde extérieur. Dis, t’aurais pas une cigarette Gus, s’il te plait ?

 

GUS (Fouillant fébrilement dans ses poches) : Non je n’en ai plus ! Plus la queue d’une ! Merde ! Merde et merde ! Ce n’est pas possible ! (Il regarde Fred, étonné) Je croyais que tu ne fumais pas ?

 

FRED : C’est exact. C’était pour te faire flipper, ma question. Parce que dans un moment comme celui que tu vis-là, t’aurais vite allumé une clope pour oublier un peu la situation, en temps ordinaire.

 

GUS : Salaud.

 

FRED : C’était pour que tu réalises que t’es carrément dans une impasse, désormais, mon bonhomme. Va falloir que tu craques, toi aussi. Enfin moi je te dis ça, tu fais comme tu veux, hein !

 

(GUS, nerveux, essaie de faire fonctionner son téléphone de façons plus ou moins invraisemblables)

 

FRED : Non, vraiment, plus j’y pense et plus j’en arrive à la conclusion irrémédiable que ça va pas être du tout marrant maintenant, pour toi, le séjour dans ce désert. Sans ton professeur d’English. Et puis comment tu vas te nourrir, en plus, mon pauvre Gus ? Tu y as pensé à ça ? Il reste plus rien dans ma caisse tranquille. Si, un peu de pain sous cellophane et des conserves que tu pourras pas ouvrir parce que t’as pas le matériel, et c’est tout. T’en as pour deux jours, pas plus. Après faudra que tu me dévores mais alors là, je te préviens, je me laisserai pas faire je te prie de le croire. T’en as déjà beaucoup trop abusé, de ma personne, tu la boufferas pas, en plus ! Ah ça non ! Tu te souviens de ce qu’elle nous mitonnait à Arcachon, Léa ? De la choucroute qu’il y avait pas plus extra, du canard au sang qu’était le meilleur de la côte, du poulet chasseur à se pâmer juste à l’odeur, du civet de lièvre accompagné de la fameuse sauce de son invention qu’elle voulait pas qu’on sache ce qu’elle mettait dedans...

 

GUS (Gueule) : Tais-toi !

 

FRED : Non. Va falloir que tu craques alors autant que ça ait lieu le plus vite possible et qu’on en parle plus. Tu verras on est complètement débarrassé après.

 

(Et il poursuit, faisant saliver GUS)

 

FRED : De l’épaule roulée comme ses propres épaules à Léa, c’est-à-dire parfaitement roulée,  du jambon fumé sauce madère, des frites à tomber du balcon, du marcassin à la confiture de groseilles…

 

(GUS se jette sur la caisse, récupère le morceau de pain et mord dedans comme un malade)

 

FRED : Du boudin aux pommes et j’en passe ! Oui, elle adorait ça faire la cuisine ma Léa. Surtout quand c’était pour moi. Toi elle disait que t’étais pas un fin gourmet. Qu’on pouvait te refiler de la bouillie qu’on sert dans les EPHAD pour les vieux qui sont sans dent ou bien une gamelle de chef étoilé, que t’étais tout à fait incapable de faire vraiment la différence. Que t’engloutissais tout comme une espèce de vide-ordures sans dire merci ni quoi ni qu’est-ce, et que tu rotais après comme un porc. Que t’étais un goinfre, quoi. Tandis que moi je savais les apprécier ses plats, qu’elle disait. Et puis je remerciais toujours, moi. Même qu’elle était plus-que-friande de ma façon de lui dire merci, le soir, dans sa chambre. Pourtant j’ai toujours eu un appétit d’oiseau. Je parle question nourriture. On dira ce qu’on voudra mais d’avoir eu une enfance plutôt malheureuse y’a pas à dire ça vous le coupe, l’appétit. Et bien souvent pour la vie. Forcément l’estomac il s’habitue à pas trop travailler alors il s’atrophie à force, il devient paresseux, il réclame pas parce qu’il sait parfaitement que ça sert strictement à rien. Tandis que des types comme toi qu’ont toujours bouffé comme dix, il est jamais rassasié leur estomac. C’est l’appât du pain ça, Gus ! Et c’est très grave. On peut même en crever à force à ce qu’il parait. Toi t’as toujours été un enfant gâté !

 

(Un temps il réfléchit)

 

FRED : Remarque moi aussi j’ai été gâté dans un sens, mais pas dans le même sens que toi. Gâté par mon entourage, gâté comme une sauce qu’on loupe. Léa elle les loupait jamais ses sauces à Arcachon, tu t’en souviens au moins ?

 

GUS (Jette rageusement son reste de pain au loin et gueule) : Ah ! Ferme-là nom de Dieu !

 

(Il balance aussi son téléphone, découragé)

 

FRED : Tu me fais pitié, tu sais. Si j’avais encore des larmes je m’en servirais pour ta pomme, mais la fabrique est fermée. Alors je vais te faire l’English un peu, histoire que tu sois pas trop déprimé…

 

GUS (Suppliant) : Ah non ! S’il te plait !

 

FRED (Impassible): Passports, please! Thank you very much. Anything to declare? Any spirits, tobacco, or scent?

 

GUS (Effondré) : Ah non ! S’il te plait ! Non ! Ce n’est pas possible, Fred ! Pas possible !

 

 

NOIR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

III

 

 

FRED est adossé contre l’arbre avec sa corde autour du cou. GUS est assis sur la caisse. Il grignote un reliquat de pain.

 

 

FRED : Je sais pas si t’as remarqué mais je suis appuyé contre.

 

GUS : Contre quoi ?

 

FRED: Contre l’arbre, idiot. Donc c’est mon arbre. Provisoirement. Je me demande bien contre quoi tu vas pouvoir pisser si l’envie t’en prenait maintenant.

 

GUS : Je suis déshydraté. Je ne risque pas de pisser. Tiens ! Mange et tais-toi !

 

(Il lui tend son reste de pain)

 

FRED : Non. Je n’ai pas faim. Il faut que tu ménages tes vivres.

 

GUS : Ce n’est pas une raison pour crever d’inanition devant.

 

FRED : Non plus, d’accord. Mais je vois pas pourquoi je me forcerais à manger puisque je te dis que je n’ai pas faim. J’ai jamais rien gâché moi, dans ma vie. Que ma vie. C’est pas dans mon tempérament de gâcher quoi que ce soit. Tandis que toi…

 

GUS : Moi ?

 

FRED : Comme je te l’ai déjà expliqué en long et en large, tu sais pas savourer. Tu baffres. Mais tu le paieras mon vieux. Tu tiendras le coup moins longtemps dans ce désert. Une chance que t’aies plus rien à boire autrement tu serais ballonné en plus !

 

GUS : Tst !

 

(Il termine son morceau de pain)

 

FRED : C’est comme pour les économies. Toi tu dépenses toujours tout ton fric quand t’en as, Gus… et souvent même quand t’en as pas. Ou alors c’est celui des autres. Surtout le mien d’ailleurs ! Quand j’en ai. Et après t’es aux abois. T’as besoin de l’aide des copains. Enfin de ceux qui te font encore confiance c’est-à-dire moi. C’est d’ailleurs ce qu’elle disait Léa à Arcachon quand on en arrivait par hasard à parler de la gestion de ton patrimoine. Que j’étais trop bon. Que je devrais pas t’aider. Que je devrais te laisser t’embourber dans ta fange jusqu’au cou histoire de te donner une leçon, un peu. Mais je pouvais pas, moi. Tu me faisais pitié, Gus, quand tu venais me taper avec tes yeux de cocker triste. Alors je te tendais la main dans laquelle tu savais que tu les trouverais à coup sûr mes économies. Tu vois moi, Gus, j’en gagnais moins que toi du fric eh ben ça n’empêche que j’en avais plus, parce que moi j’épargnais tu comprends ? Toi t’avais la folie des grandeurs, il te fallait toujours des pantalons neufs et des godasses nouvelle génération. Moi j’usais tout ça jusqu’à la corde. C’est comme ça que j’ai pu me payer ses œuvres complètes à Victor Hugo. En usant mes godasses. C’est ça qui plaisait à la mère de Léa d’ailleurs, que j’use mes godasses jusqu’au bout. Ça m’aura beaucoup servi au fond, dans la vie, d’user mes godasses. Tu m’écoutes, là ?

 

GUS (Avec un geste dépassé) : Je ne sais même plus.

 

FRED (Poursuit rêvassant) : Je l’aimais bien sa maman à Léa. Pas comme toi qui pouvait pas la supporter une seconde, même que c’était réciproque. Souvent j’ai pensé, tu sais, que j’aurais dû l’épouser. Léa, pas sa mère qu’était beaucoup trop vieille pour moi. Et si je l’avais épousée aujourd’hui elle serait là, Léa. A mes côtés. Comme un vrai couple, qu’on serait. Et toi tu aurais l’air d’un con comme souvent. Je vais te dire une chose Gus, c’était pas vraiment une solution de se mettre ensemble comme ça, Léa et moi, surtout que c’était juste pour les vacances. Il aurait fallu concrétiser. Signer. S’engager. Elle devait s’en taper des types Léa pendant l’hiver à Arcachon. Tu crois pas ?

 

GUS : Si. D’ailleurs c’était son métier.

 

FRED : Je veux parler de types qu’elle ferait pas payer… pas des clients bien sûr, ça c’est normal. Ça me foutait le bourdon des fois, quand je pensais à elle au mois de février. Ou à Noël. Je serais tellement heureux, Gus, si elle était là, Léa, avec moi dans ce désert bien que j’aie la corde au cou. Dis ? C’est de qui la ballade des pendus ?

 

GUS : Pourquoi cette question idiote ?

 

FRED : Léa je crois que c’était le seul et unique poème qu’elle connaissait avant que je lui apprenne Victor Hugo. Je crois pas que ce soit de Victor Hugo. Victor Hugo ça vous fait vibrer : « L’œil était dans la tombe et regardait Caïn ». Ça vous fait vibrer, ça ! Je te pose la question parce que Léa elle prétendait que c’était toi qui lui avais appris la ballade des pendus un soir que t’étais rond comme une boule de billard encore une fois de plus. Tu vois, bien que tu lui aies rien appris tu lui avais tout de même appris la ballade des pendus, à Léa. Sa maman aussi le disait que c’était toi, même que personnellement ça m’étonnait beaucoup. Je me demandais à la limite si tu avais une idée de ce que c’était qu’une ballade autrement qu’à bicyclette. Mais un pendu ça tu savais, hein ? Pourquoi tu m’as dépendu, Gus ?

 

GUS : Ecoute je t’en supplie cesse de réfléchir à tous ces trucs, Fred ! C’est très mauvais pour ton psychisme, surtout dans l’état où tu es ! Et puis je te répète encore une fois que je ne t’ai pas pendu.

 

FRED : Bon. En tout cas tu m’as dépendu. Ça tu peux pas le nier parce que tout seul j’aurais pas pu. Vraiment ça me parait matériellement tout à fait impossible. Léa aurait pu, elle, bien sûr, si elle avait été là avec nous, mais pas moi. Pas tout seul. Ça tu me le feras jamais admettre, Gus. Ou c’est que je suis devenu fou.

 

(Un petit temps. Il réfléchit)

 

FRED : T’as pas trop le bourdon, Gus, sans ton English ? Si t’essayais de le parler un peu, comme ça moi je pourrais te dire si ça fait comme quand tu les récitais, tes leçons ! Je verrais si t’es au point. Non ?

 

GUS : Je t’en prie mon vieux, tais-toi !

 

FRED : Remarque en français aussi tu causes comme si tu rabâchais des trucs que t’aurais appris par cœur. « Tais-toi ! Fous-moi la paix ! Ferme-la ! J’en ai marre ! Assez ! Assez ! Assez ! » T’allais le dire, hein « Assez ! Assez ! Assez ! » ? Je te coupe l’herbe sous le pied. Encore que l’herbe, dans ce désert…

 

GUS : Tu n’es pas fatigué, Fred ? Tu ne voudrais pas dormir un peu ?

 

FRED : Impossible. Je peux pas dormir. Sans Léa je suis tout désemparé pour les vacances, tu comprends ? C’est exactement comme si j’étais à la plage et que je l’avais pas sur moi, mon slip de bain, il me manque l’indispensable. C’est une femme Léa, tu comprends… et c’est beau une femme quand c’est beau. C’est tout comme un slip de bain. Parce que quand c’est moche c’est moche je te le concède. Mais quand c’est beau merde qu’est-ce que c’est beau ! Sa maman aussi à Léa c’est une femme. Enfin c’était une femme, maintenant c’est une vieille femme, mais une femme tout de même après tout. Une femme qu’a sûrement été belle avant une guerre, vaut mieux pas chercher laquelle pourtant y’ a que l’embarras du choix ! Pourquoi tu n’as pas essayé de la séduire sa mère, à Léa ? Bien sûr elle pouvait pas te piffer et toi non plus, mais c’est souvent comme ça que ça commence les histoires d’amour !

 

(Un silence, il médite)

 

FRED : Je les aimais bien ces deux-là ! Pourquoi elles ne t’aimaient pas, elles ? Dis ?

 

(GUS ne réagit pas)

 

FRED (Résigné) : Bon. Silence radio comme d’habitude.

 

(Encore un silence. Lourd)

 

FRED : T’en as pas un peu marre de moi ?

 

GUS : Non. Je commence à m’habituer.

 

FRED : Sans ça tu pourrais me rependre.

 

GUS : Tu m’emmerdes.

 

FRED: Eh ben justement, repends-moi!

 

GUS: Non.

 

FRED: Pourquoi?

 

GUS: Quand tu es pendu tu es encore plus chiant.

 

FRED : Y’a pas de solution alors ? Mon pauvre vieux, je vois bien que tu t’ennuies ! Pourtant je suis là, moi, je suis ton copain et je te parle. Si tu me parlais aussi tu t’ennuierais un peu moins, Gus. Le temps que tu cherches au fond de ta tête un truc important à me dire tu verrais pas le temps passer. Mais non, tu préfères penser tout bas, en English pour être certain que je comprenne pas si des fois je pouvais les lire tes pensées. Si Léa était là elle me les traduirait, et sa maman aussi qui dirait « Ce Gus il a toujours eu de vilaines pensées ». Moi j’en ai jamais eu, Gus, je t’assure, même à ton égard. Tu vois ça c’est toute la différence entre nous. Léa non plus n’en avait pas de vilaines pensées c’est pour cette raison qu’on s’entendait bien elle et moi.

 

(Petit temps. Il regarde Gus)

 

FRED : Pourquoi tu me regardes comme ça ? Je t’ai jamais rien fait de néfaste, Gus. Ce serait injuste de m’en vouloir pour rien. J’ai toujours été ton copain et tu le sais très bien. Pas toi ? T’as pas été mon copain, toi ? Je t’en prie, Gus, détruis pas mes illusions pour une fois que j’en ai ! Souviens-toi à Arcachon ce qu’on se marrait tous les deux, avec la mer… La vraie, et aussi celle de Léa. Souviens-toi, Gus.

 

(GUS qui tourne en rond donne un coup de pied rageur dans son téléphone qui trainait par terre)

 

FRED: Aïe! Aïe! Aië!  Qu’est-ce qu’il prend le prof d’English ! Qu’est-ce qu’il t’a fait, lui ? Rien. C’est tout comme moi. Alors pourquoi tu te mets en colère ?

 

(GUS donne un grand coup de pied dans l’arbre)

 

FRED : Abîme-pas mon arbre, en plus ! Autrement où est-ce que tu vas me rependre quand t’en auras assez de moi ? J’aimerais bien, remarque, que tu sois assez gentil pour me rependre à ma branche. Là-haut j’ai un peu de vue au moins. Je peux rêver de vraies vacances. De vraies vacances à Arcachon. Avec Léa pendue à mon cou qui finit pas de m’embrasser. Et sa maman aussi qui m’embrasse parce qu’elle voit que sa fille m’embrasse et qu’elle sait parfaitement qu’elle fait jamais les choses à la légère, sa fille.

 

(GUS se saisit de la caisse, la vide et la flanque sur la tête de FRED qui continue à parler à l’intérieur)

 

FRED : « L’œil était dans la tombe et regardait Caïn ». Tu vois, voilà la preuve irréfutable que t’as jamais été vraiment mon copain. T’as jamais pu m’encaisser, Gus, et pourtant il faut qu’aujourd’hui tu le fasses. Y’a des trucs incompréhensibles. Pourquoi tu m’as pendu ?

 

(GUS tombe à genoux et se prend la tête dans les mains)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

IV

 

 

FRED et GUS sont pendus côte à côte. Un long moment de silence puis la voix de FRED s’élève, égale à elle-même.

 

FRED : Tu vois la vue, d’ici, c’est dégagé comme je te disais. On voit très loin. Beaucoup plus loin que d’en bas. Y’a rien à voir mais on le voit. C’est rassurant.  Tout le monde te le dira d’ailleurs, plus on est haut plus on voit loin. C’est pour ça que dans les souterrains on voit rien ! Pourquoi tu m’as rependu, GUS ?

 

GUS : Flûte. Je ne t’ai pas rependu.

 

FRED : Là t’es totalement de mauvaise foi, je crois. Tout de même je trouve ça gentil de ta part, tu sais, de me tenir compagnie. T’auras quand même fait un beau geste au moins une fois dans ta vie. Si, si ! Un geste que j’apprécie, bien que tu m’aies rependu après m’avoir déjà pendu une première fois et que donc en l’occurrence on peut considérer que t’es un récidiviste. Léa aussi elle aurait trouvé ça chic de ta part si elle avait été là. Remarque je sais pas où on l’aurait mise la pauvrette, y’a pas une foultitude de places sur cet arbre !

 

GUS : Tais-toi je t’en supplie, Fred, regarde le paysage et coupe le son.

 

FRED : Je vois ça écrit nulle part qu’il faut pas causer au chauffeur. Et je t’ai toujours parlé quand t’étais au volant du 4x4 avant l’incendie fatidique, et tu m’as jamais fait de réflexions !  Dis ? Quand c’est qu’on y arrive à Arcachon ? C’est drôlement long ce voyage. Il est bien plus loin que je pensais, le bassin. Tu crois pas qu’on s’éloigne un peu, par-là ? T’es sûr de ta route ?

 

(Silence de Gus)

 

FRED : Bon comme d’habitude t’as rien à déclarer. Je te fais une confiance aveugle même si au fond de moi il y a une petite voix qui me dit que je devrais pas.

 

(Silence de GUS)

 

FRED : Léa elle doit trépigner d’impatience là-bas ! Elle a dû préparer mon lit qui est aussi le sien pendant les vacances depuis déjà un bon moment. Elle a dû mettre des fleurs dans ses vases et passer l’aspirateur partout pour fêter mon arrivée.  C’est une vraie femme, Léa, décidément, et qui palpite, pas rien qu’une chose comme t’avais un peu trop tendance à le croire. D’ailleurs c’est ce qu’elle m’a dit elle-même, ainsi que sa maman, un jour où on en est venus à parler de toi par hasard tous les trois. Toi tu croyais que c’était une chose et tu l’appelais « Ma petite femme », moi je savais que c’était une femme et je l’appelais « Ma petite chose ». C’est plutôt marrant, non ? Elle était très malheureuse, Léa, du temps où elle était avec toi. C’est plus d’une fois qu’elle a pleuré et que j’étais désemparé, en face. Et sa maman aussi qui venait s’épancher dans ma chambre du temps où c’était toi qui partageait son lit, à Léa. Moi je lui apportais du bonheur, c’est sa maman qui me l’a dit. Forcément avec Victor Hugo et tout !

 

GUS : Ferme-la.

 

FRED : Le bonheur c’est pas grand-chose au fond, tu sais. Mais ça peut vous changer la vie. Y’a de quoi écrire un livre là-dessus, mais tout de même c’est pas grand-chose. (Il soupire) Je pourrais jamais l’écrire ce bouquin que j’envisageais sur le bonheur, on m’a déjà piqué l’idée.  J’ai vu ça un jour dans le métro avant que tu me pendes pour aller à Arcachon. Un type le lisait dans le métro à la station Miromesnil ce bouquin que j’aurais bien voulu écrire. « Propos sur le bonheur » il s’intitulait, ce livre. Ça devait être passionnant. Je l’ai lu ce titre, sur la couverture pendant que le type qui le trimballait ronflait comme un bienheureux sur une banquette de métro. La preuve que c’était efficace. Le salaud qui me l’a piquée, l’idée, j’ai pas retenu son nom. J’essaie de me remémorer mais ça revient pas malgré tous mes efforts. Le prénom je sais, c’était Alain. Mais le nom alors là… rien ! Bon ce qui compte, hein, c’est le titre ! J’aurais bien aimé le lire, ce bouquin, à défaut de l’avoir écrit, pour le raconter à Léa le soir avant de dormir, après qu’elle en ait terminé avec son dernier client. Dis ? Tu crois que je pourrais le trouver à Arcachon, même si je connais que le prénom du type qui m’a dérobé mon idée ? « Propos sur le bonheur » , oui décidément ça lui aurait bien plus à Léa. Et à sa maman aussi parce que le bonheur au fond, c’était leur but à ces deux-là ! Mais elles étaient pas arrivées au bout , même si elle me disait que j’étais en quelque sorte sa première étape sur ce chemin difficile, Léa, et que peut-être à force je finirais par la conduire jusqu’au bout du bonheur. Sa maman disait que toi tu l’emmenais dans le sens contraire. Normal, t’as jamais eu le sens de l’orientation. La preuve, c’est qu’on ne sait même pas où on est dans l’instant présent et qu’on n’a plus de GPS puisque tu l’as laissé se consommer dans l’incendie du 4x4.

 

GUS : Se consumer, Fred.

 

FRED : Et puis de toute façon même avec un GPS, du moment que t‘es quelque part, toi t’es toujours perdu. Un éternel paumé, que t’es ! Sauf à Arcachon naturellement.

 

(Un silence)

 

FRED : Heureusement qu’on prenait le train pour y aller, d’habitude, à Arcachon, parce qu’autrement je suis sûr qu’on y serait jamais arrivés. Qu’on ne connaitrait pas cette bourgade de rêve. Ni Léa. Remarque je suis un éternel paumé aussi, dans un sens, puisque je commets la bêtise de te suivre partout et toujours. Je suis un paumé consentant, voilà tout. Et toi t’es un paumé chronique. Elle me le disait bien, Léa, que je devrais pas te suivre, que je devrais faire en sorte de retrouver mon autonomie parce qu’elle avait bien vu que tu cherchais à m’éloigner de sa personne. Remarque elle avait pas tort finalement si on veut bien considérer la situation d’aujourd’hui. Mais je lui disais que moi je ne voulais pas t’abandonner, que t’avais toujours été mon copain et que ce serait pas chic de ma part de te laisser te paumer tout seul. Je suis un pauvre type, au fond, si on veut bien creuser mon personnage. Dis ? Pourquoi tu fais encore cette tête que j’aime pas que tu fasses ? Je te fatigue, encore une fois ? Pourtant personnellement je trouve que je fatigue plutôt moins que ton English quand il était encore vivant ton putain de téléphone.

 

(Un silence)

 

FRED : Tu m’en veux de te dire tout ça ? Moi je te dis ce que je sais. Je te dit ce qu’on m’a dit. Rien de plus. Toi tu dis pas un mot alors forcément moi je meuble. Avec toi j’ai l’impression d’être tout seul, Gus, depuis qu’on est dans ce désert. Plus seul que quand je suis vraiment tout seul et que j’aime pas ça du tout. C’est affreux cette impression, je t’assure, mon vieux. J’aimerais bien entendre un peu plus le son de ta voix. Et en français s’il te plait, Gus. C’est ton copain qui te le demande humblement. Ton copain d’Arcachon. Dis-lui merde si tu veux, mais dis-lui quelque chose d’important pour une fois, c’est lui-même qui te le demande.

 

(Un silence assez long, puis…)

 

FRED (Décrète sûr de lui) : Gus, tu m’as jamais aimé. Ou alors avant, il y a très longtemps, même si on se connaissait pas encore. Avant Arcachon et avant Léa. Dis, c’est parce que c’était ta femme, Léa, que tu m’en veux à ce point-là ? Pourtant tu l’aimais plus du tout. T’avais strictement plus aucun sentiment pour elle. C’est elle-même qui me l’a dit et sa maman qui me l’a répété. Bien sûr vous étiez mariés tous les deux, officiellement, et ça attache. Mais y’a quand même des limites.  T’as eu beau le nier comme un forcené, tu l’avais tabassée un jour, ta femme, je le sais pertinemment. D’ailleurs elle me les avait montrés ses bleus, elle en avait partout sur son corps de reine. Même que je les ai embrassés pour qu’elle ait plus mal et qu’elle a plus eu mal instantanément. C’est sa maman qu’était contente quand elle a su que je m’étais attendri sur les bleus de son enfant. C’était une femme bien, décidément sa maman, à Léa. Dis, c’est pour ça que tu m’en veux ? Pourquoi tu disais rien, alors ? Pourquoi que tu nous laissais, Léa et moi, dans sa petite chambre, et que toi tu te payais l’hôtel à Arcachon les derniers temps ? Pourquoi tu la reprenais pas, Léa ? T’aurais pu, tu sais, vous étiez unis devant Dieu et devant les Hommes, ça attache. Et puis elle t’a eu dans la peau avant moi, je le sais, elle me l’a dit. Elle te suivait aveuglément comme je l’ai toujours fait aussi. D’ailleurs c’est toi qui lui a choisi son métier et elle a pas osé te dire non. Elle s’est exécutée, c’est tout, et elle te rapportait l’argent, trop contente. Moi j’aurais été très heureux de vous voir heureux tous les deux. Je me serais effacé comme je sais le faire en temps ordinaire. Je t’aurais appris à lui apprendre Victor Hugo pour qu’elle t’aime encore un peu plus. Ce qui comptait surtout pour moi c’était que Léa soit heureuse, tant pis si c’était avec toi ! Tu es mon copain voilà tout. Tu devrais lui offrir mon livre pour la reconquérir dès qu’on sera arrivés à Arcachon, dans plus bien longtemps maintenant. « Propos sur le bonheur ». Je suis sûr que tout s’arrangerait entre vous sur le champ. Moi j’irai m’installer à l’hôtel et je jouerai aux cartes avec sa maman qu’adore ça.

 

(Un silence)

 

FRED : Je suis sûr qu’elles vont être bonnes nos vacances de cette année, Gus. Je suis sûr que cette fois-ci on va rester à Arcachon même si c’est plus les vacances, comme avant. Comme avant que tu décides d’envoyer balader Léa et de t’installer à Paris avec moi dans ton sillage. Et de vivre avec mes sous que j’ai tant de mal à gagner !

 

GUS (Murmure) : Tais-toi.

 

FRED : Pour moi c’était devenu un moment sacré, nos vacances, tu savais ça Gus ?

 

GUS (Murmure) : Bien sûr.

 

FRED : A part ça je vivais pas. J’attendais que ça arrive.

 

GUS (Murmure) : Je sais.

 

FRED : C’est pour m’éloigner de Léa que t’as décidé qu’on aille à Paris, hein ?

 

GUS (Murmure) : Oui.

 

FRED : Tu vois quand tu veux, tu t’exprimes.

 

(Silence de GUS)

 

FRED : Mais tu revenais quand même quelques semaines en été parce que tu l’aimais encore… (Un silence et il murmure) Léa.

 

GUS (Murmure) : Oui.

 

(Un silence assez long. Visiblement FRED est déconcerté même si il s’attendait à cette réponse, puis il demande, timidement, comme s’il s’adressait à un enfant…)

 

FRED : Tu veux que je te fasse l’English histoire de faire passer le temps pendant la route pour Arcachon ?

 

GUS : Non.

 

FRED : Si. Pour me faire plaisir il faut que tu acceptes, Gus, parce que je sais pertinemment que ça te fera plaisir à toi aussi. Il faut que tu parles couramment l’English quand on sera arrivés des fois que t’aies des choses à lui dire, à Léa, que tu voudrais pas que je comprenne.

 

GUS : Non, je t’en prie Fred…

 

FRED: Well, mister Smith, how are you?

 

GUS: Pas l’anglais.

 

FRED: Very well, thank you, and how are you?

 

GUS (Dans un souffle) : Pas l’anglais.

 

FRED: Pretty well, thanks.

 

GUS: Pas l’anglais!

 

 

La lumière baisse lentement jusqu’au…

 

NOIR

 

 

 

 


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