ACTE I
Claudia, Simone, Didier
Lever de rideau. La maison est vide. Des portières claquent. Une porte s’ouvre. Bruit de clefs.
Claudia - Tiens ! La porte est ouverte… (Elle fait quelques pas.) Ouf ! enfin arrivée ! Il était temps. (Elle laisse tomber son sac à main et s’affale sur le divan.) Épuisant ce trajet… Épui… (Elle regarde autour d’elle.) Pas terrible. (Elle retire ses chaussures et les jette derrière le divan. Elle allonge ses pieds puis les masse. Elle pousse un « Ah ! » de jouissance. Elle s’adresse à ses pieds.) Respirez, mes petits, respirez !… Ah ! comme cela fait du bien ! (Grand bruit en coulisses. Didier apparaît, encombré d’une quantité impressionnante de bagages. Arrivé sur scène, il trébuche et s’affale de tout son long. Elle rit.) Mon pauvre Didier ! Toujours le même… Tu ne rates jamais tes entrées !
Didier - C’est le tapis…
Claudia - Je sais : ce n’est pas de ta faute.
Didier - C’est… (Il montre le tapis et les bagages. Il est maintenant à quatre pattes et ramasse ses affaires.) Tu pourrais au moins me donner un petit coup de main !
Claudia (le regarde avec de grands yeux ronds) - C’est à moi que tu parles, mon chéri ?
Didier - Tu vois quelqu’un d’autre ici ? Sans vouloir me répéter, nous serons bientôt mariés sous le régime de la communauté.
Claudia (blasée) - Tu te répètes, mon chéri, tu te répètes… Je sais bien que nous serons bientôt mariés pour le pire et le meilleur, mais surtout pour le pire… (Avec un grand sourire.)… chéri… Bon, allez…
Elle se lève et aide Didier à ramasser l’ensemble des valises éparpillées sur le devant du divan. Ils se retrouvent donc tous les deux à genoux devant le canapé.
Simone entre en scène par la porte du milieu avec un foulard sur la tête, un seau et un balai, une cigarette à la bouche. Elle avance droit sur le divan mais ne voit pas Claudia et Didier. Avec un grand haussement d’épaules, elle se baisse pour ramasser une chaussure. À ce moment précis, les trois personnages vont se relever simultanément. Apparaît en premier le fichu de Simone, devant les yeux effarés de Claudia et de Didier.
Simone - C’est quoi ça ?
Claudia, Simone et Didier - Ah !!!
Chacun lâche ses paquets et se retrouve nez à terre, puis doucement chacun se relève et se fait face.
Simone - Qui êtes-vous ?
Claudia - Et vous ?
Didier - Nous ! Et vous ?
Simone - Ça ne se voit pas ? (Elle se raidit.) Comment êtes-vous entrés ? C’est une propriété privée ici !
Didier - Par la porte !
Simone - Par la porte ? Bon, admettons ! Mais ce n’est pas une porcherie ; vous pourriez faire vos cochonneries ailleurs !
Didier - Cochonneries ? Quelles cochonneries ?
Simone - Ne faites pas le malin avec moi, je ne suis pas née de la dernière pluie.
Claudia (se lève et se secoue) - Mais… Mais les apparences sont peut-être contre nous… mais…
Simone - Il n’y a pas de mais qui tienne ! Allez, ouste ! Par là la sortie ! (Elle désigne la porte.) Que Dieu vous raccompagne ! Moi, j’ai pas le temps !
Claudia - Je ne vous permets pas ! Je… (Elle regarde Didier.) Eh bien, dis quelque chose, toi, au lieu de faire la carpe !
Didier regarde en effet Simone la bouche ouverte.
Didier (se lève) - Ah… euh… oui… euh… (Il bafouille autant qu’il le peut.)
Simone (prend quelques valises et les jette dehors) - Et maintenant que la carpe et le gardon sont réunis, dehors ! (Elle prend une position d’attaque de judo.)
Claudia - Je ne vous permets pas, madame ! (Elle prend la direction de la porte et réajuste ses affaires. Pendant ce temps, Didier rassemble tout ce qu’il peut.) Je vais me plaindre à qui de droit.
Simone - C’est ça, c’est ça… Et moi au pape ! (À Didier.) Alors, la carpe, elle se fraie un chemin ?
Didier (lève son index) - Permettez madame…
Simone (comme une marchande de poissons) - Ah ! il parle ! Madame ? (Rire sadique. Puis, d’un ton sec n’admettant pas la réplique.) Simone, c’est plus sympa.
Didier - Ah !… Si vous le dites, Simone…
Claudia - Allez, dépêche-toi mon Didou.
Simone (rit) - Ah ! ah ! ah ! Mon Didou ! Ah ! ah ! ah ! Mon Didou à sa mémère !
On entend la sonnerie d’un téléphone portable. Chacun fouille dans ses affaires.
Claudia (au téléphone) - Allô ! Allô !
Didier (au téléphone) - Allô !
Didier et Claudia regardent leurs téléphones, puis les rangent. Claudia disparaît et Didier s’apprête à en faire autant.
Simone (au téléphone) - Allô ! Allô ! (À Didier.) C’est le mien… (Au téléphone.) Oui, oui, bien. (…) Ils seront deux ? (Elle regarde Didier.) Il est… enfin, ils sont… deux… (…) Comptez sur moi. Ils seront comme deux poissons dans l’eau. Comme chez eux… (…) Oui… (…) Je n’y manquerai pas… Je serai muette comme une carpe. (…) Des gens très très… importants ? (…) Oui, Madame. Je serai à leurs petits soins, je vais les chouchouter… Je saurai être discrète, muette comme une carpe… (…) Bien Madame… (…) N’ayez crainte, vous me connaissez… (…) Au revoir Madame…
Elle ferme son téléphone lentement et regarde Didier en faisant quelques gestes, mais aucun mot ne sort de sa bouche.
Didier toise Simone en passant devant elle et réinstalle ses affaires.
Didier - Allez chercher Madame. (Un temps.) S’il vous plaît. (Simone regarde Didier sans comprendre.) Il faut que je vous parle en Javanais ?
Simone (après un petit temps de réflexion, puis en hésitant) - Ou… ou… oui Didou… Monsieur…
Elle se retourne pour prendre la direction de la porte, mais trébuche contre le balai et se retrouve à plat ventre au moment même où Claudia fait son entrée.
Claudia (sur un ton n’admettant pas la réplique) - Bon ! Tu viens mon Di… (Elle reste médusée en voyant Simone à ses pieds. Elle fait des signes désespérés à Didier.) Elle… Elle… (Elle montre Simone du doigt.)
Didier - Laisse et viens prendre place à mes côtés.
Claudia (enjambe avec précaution Simone, puis parle doucement à Didier) - Que se passe-t-il ? Pourquoi ?
Didier (d’un ton négligé et allumant un cigare) - Ma chère, voilà le résultat quand on sait parler aux femmes. (Elle montre Simone des deux mains.)
Claudia (les yeux écarquillés) - Ah !
Didier (roulement d’épaules) - Aldo. Je prends la relève.
Claudia - Tu m’inquiètes… As-tu reçu un coup de karaté sur la tête ?
Didier - Qui ? Moi ? Non… (Se touchant la tête.) Je vais bien… Tout va très bien, je t’assure.
Claudia - Tu en es sûr ?
Didier - Mais puisque je te le dis ! Zen… Je suis zen. (Il fait un signe avec le pouce et l’index.)
Claudia - Bon. (Un petit temps de silence.) Et maintenant, que fait-on ?
Didier tourne légèrement la tête vers sa compagne et frappe trois fois rapidement dans ses mains.
Didier - Simone.
Simone arrive à genoux devant ses nouveaux maîtres.
Simone (d’une voix très douce) - Oui Monsieur ?
Didier - Relevez-vous… Relevez-vous… (Simone s’exécute.) Apportez-nous une carafe de gin.
Simone - Une carafe de gin ?
Didier - Oui, vous versez la bouteille de gin dans la carafe puis vous servirez un verre à Madame et un whisky sans glace pour moi.
Simone - Bien Monsieur. (Elle se dirige vers le bar, prend le nécessaire et met le gin dans une carafe.) Pas compliqué le patron.
Didier (allume un cigare, tire une bouffée et regarde sa femme) - C’est ça la classe ! (Il se met à tousser.)
Claudia - Alors là tu m’épates… Tu m’épates !
Didier (se frotte les mains) - Les affaires reprennent. Je sens que nous allons passer un week-end mémorable. (Il se lève, tire quelques bouffées sur son cigare et s’adosse à un meuble.)
Simone arrive avec le plateau, dont on peut entendre le bruit des verres qui s’entrechoquent.
Simone - Où dois-je mettre le plateau ? (Didier montre la table d’un geste de la main.) Bien Monsieur. Monsieur veut-il autre chose ?
Didier - Ça sera tout pour...